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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 8 hours ago

« L’aide française au Sahel n’est que du saupoudrage »

Tue, 09/05/2017 - 14:53

Pour ce chercheur de l’IRIS, l’heure est grave. Plus que jamais, l’aide au Sahel doit être repensée et réorientée. Il explique.

Avec Olivier Lafourcade, vous avez préparé un document sur les risques de la déstabilisation du Sahel à l’attention des responsables politiques, mais aussi des candidats à la présidentielle, quel était l’objectif de votre démarche ?

Depuis six-sept ans, et de manière plus active depuis janvier 2013, date de l’intervention militaire étrangère au Mali, nous militons pour une réforme de l’aide française à cette région, car elle est, selon nous, la mieux armée pour répondre aux défis qui s’y posent. J’avais pour ma part pu observer l’échec lamentable de l’aide internationale en Afghanistan entre 2002 et 2014, avec un gaspillage de ressources et un sentiment d’abandon de la part de la population locale, et il s’agissait à travers cette démarche de prévenir une évolution de ce type avec le conflit parti du nord du Mali en 2012. Nous pensons que ce qui se joue au Sahel représente des risques majeurs non seulement pour l’Afrique de l’Ouest, mais aussi pour l’Europe et la France, et nous voulions essayer d’infléchir le cours des choses.

Comment votre démarche a-t-elle été accueillie par les responsables politiques français et par les candidats à la présidentielle que vous avez rencontrés ?

Au départ, nous n’avons pas vraiment été entendus dans les cabinets ministériels. Les choses ont commencé à changer à partir de l’effondrement du Mali en 2013 et de la publication de mon livre Africanistan* en 2015. Nous avons alors été auditionnés en particulier par la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, à plusieurs reprises, où on a senti une unanimité concernant nos analyses, de la gauche radicale à la droite dure. Nous avons aussi plaidé dans des foras très divers – j’ai fait plus de 50 conférences et interventions publiques sur la question. Cependant, rien n’a changé concrètement au niveau de la politique française d’aide au Sahel. Le président François Hollande a, certes, décidé d’octroyer une « facilité spéciale pour les pays en crise » dotée de 100 millions d’euros sous forme de dons, qui devait être mise à la disposition de l’Agence française de développement (AFD) cette année, en février. Mais Bercy (le ministère de l’Économie et des Finances, NDLR) en a bloqué le décaissement, alors qu’il s’agissait d’une première étape de l’aide qu’il aurait fallu engager dès 2011-2012 et non pas en 2017.

Comment vos analyses ont-elles été reçues dans les ministères, que ce soit à Bercy, au Quai d’Orsay ou au ministère de la Défense ?

On nous a renvoyés au ministère délégué du Développement où vous avez des ministres qui changent tous les 18 mois, ce qui limite la possibilité d’engager des réformes sérieuses. Par ailleurs, ce ministère est sans grand pouvoir et ne peut pas s’imposer face à Bercy. En fin de compte, vous avez des institutions françaises qui, chacune dans leur logique, continuent dans le « business as usual », comme s’il n’y avait pas le feu à la maison, alors que le Sahel est en crise. Les seuls à nous avoir vraiment pris au sérieux, ce sont, d’une part, l’Agence française de développement (AFD), et d’autre part, les militaires. Ils nous ont reçus, écoutés, invités à faire des conférences… Ils savent que la situation est critique car ils sont en première ligne.

Et comment ont réagi les candidats à la présidentielle ?

Nous avons discuté avec Alain Juppé, qui a compris l’ampleur du problème, mais il a perdu la primaire. Puis nous avons rencontré les équipes d’Emmanuel Macron, de Benoît Hamon, ainsi que des personnalités chez Les Républicains. Nos idées ont filtré auprès d’eux, tout comme elles avaient été bien accueillies à l’Assemblée nationale et au Sénat. Mais ce consensus se heurte à l’inertie ou à la mauvaise volonté des bureaucraties. Un parlementaire m’a même dit : « Il est plus facile de partir en guerre contre les djihadistes que contre Bercy ».

Selon vous, que faudrait-il mettre en œuvre en matière d’aide au développement dans les régions sahéliennes touchées par l’insécurité ?

Deux problèmes majeurs se posent. Il y a d’abord une stagnation de l’économie rurale, qui est censée occuper 80 % de la population, et qui, aujourd’hui, ne peut plus offrir suffisamment de travail et de nourriture à une population de plus en plus nombreuse. Le deuxième problème est lié à la disparition de l’État et à la montée de l’insécurité dans des zones immenses du territoire malien. Il y a une nécessité de reconstruire des appareils d’État, qu’il s’agisse de l’armée, de la gendarmerie ou du système judiciaire, et cela pose des problèmes techniques, politiques et financiers.

Vous dites qu’il faut notamment relancer l’économie rurale… Quelles sont les aides, aujourd’hui, en matière de soutien à l’agriculture au Mali, pays dont l’économie dépend fortement du secteur agricole, et où le monde paysan concentre environ 70 % de la population ?

En octobre 2015, lors de la conférence de Paris sur le Mali, les donateurs ont promis 3,4 milliards de dollars. Mais sur ce montant, seulement 3,7 % sont affectés à l’agriculture et à l’élevage, ce qui est absurde. Ce secteur est dédaigné par la plupart des donateurs internationaux alors que le potentiel d’amélioration agricole au Sahel est considérable, en particulier par la restauration des sols et la généralisation de l’agro-écologie.

Concernant l’aide publique au développement française, qui se situe entre 8 et 10 milliards d’euros par an, entre 80 à 100 millions d’euros de dons sont affectés à des projets concrets au Sahel, dans le cadre de l’aide bilatérale. Et sur ce montant, moins d’une trentaine de millions d’euros sont destinés à l’aide au développement rural, ce qui représente moins de trois pour mille de l’aide française. C’est à pleurer de bêtise !

Le rapport de 2008 de la Banque mondiale avait placé l’agriculture au cœur des enjeux de développement, une première depuis 25 ans… Ce rapport a-t-il eu des répercussions dans la prise en compte de l’économie rurale ?

C’était un bon rapport, qui mettait l’accent sur le fait que l’aide internationale ne se préoccupait plus du secteur agricole depuis, en gros, le départ de Robert McNamara (ancien président de la Banque mondiale de 1968 à 1981, NDLR). Dans les années 70, plus du tiers de l’aide de la Banque mondiale allait vers le développement du petit paysannat, tandis qu’aujourd’hui, la part de l’aide affectée à ce secteur tourne autour de 6 à 7 %. Il y avait à cette période une véritable expertise sur le développement rural africain. Mais aujourd’hui, vous ne trouvez plus cette expertise, si ce n’est à l’AFD, au Département du développement international britannique (DFID) et à l’Ifad (Fonds international de développement agricole de l’ONU).

C’est donc là où il y a le plus de ressources qu’on manque d’expertise. Je rentre d’une mission à Washington avec la Fondation pour les études et la recherche sur le développement international (Ferdi) et l’université de Berkeley en Californie, où nous avons plaidé pour la mobilisation de ressources destinées au développement rural, au planning familial et au renforcement des institutions régaliennes au Sahel. Nous avons rencontré notamment des experts et des responsables de la Banque mondiale.

Il ne s’agit évidemment pas du discours officiel, mais en tête à tête, nombre de mes interlocuteurs ou anciens amis m’ont avoué s’arracher les cheveux pour trouver l’expertise permettant de gérer les sommes considérables dont ils disposent. Ils manquent de compétences en matière agricole, sur les questions éducatives et démographiques, sans parler des sujets institutionnels. La Banque mondiale, tout comme l’Union européenne d’ailleurs, considère que les tâches de reconstruction des armées, des gendarmeries et de l’administration territoriale au Sahel ne relèvent pas de leur mandat. Mais alors qui va s’occuper de ces questions ? Seulement 0,1 % des 3,4 milliards d’euros promis au Mali en 2015 sont affectés à la réhabilitation de la justice malienne.

S’agissant du renforcement institutionnel au Sahel, l’Union européenne et l’Allemagne, notamment, interviennent dans la formation des forces de sécurité maliennes… Quels sont leurs besoins ?

Au Mali en particulier, les lacunes en matière de respect des populations et de l’État de droit sont dramatiques… Les services régaliens se comportent trop souvent en prédateurs et en racketteurs et il est bien difficile dans ces conditions d’espérer compter sur le soutien des populations. La formation des personnels et la fourniture d’équipements au Mali et dans les pays voisins, certes importants, sont toutefois insuffisantes pour reconstruire l’armée. Il faut selon nous réorganiser et restructurer la plupart des institutions régaliennes en réinstaurant les principes de mérite et de performance, mais aussi mettre fin au clientélisme et au népotisme. Ce n’est envisageable que si la communauté internationale accepte de financer les coûts de telles restructurations.

Quel peut être concrètement le rôle de la France dans d’éventuelles réformes institutionnelles au Mali ?

Au plan politique, il faudrait qu’il y ait un dialogue assez ferme au plus haut niveau afin de mettre les autorités face à leurs responsabilités. Si elles veulent que la France les aide, il y a des réformes à mettre en place pour reconstruire un appareil d’État qui fonctionne. Si ces réformes ne sont pas engagées, l’armée française va s’enliser. S’il y a manifestement un refus des réformes, comme ce fut le cas avec le régime d’Ahmid Karzai en Afghanistan, nous n’aurons pas d’autre choix réaliste que de laisser les autorités maliennes se débrouiller avec les djihadistes.

Au plan technique, il est possible d’associer l’expertise française, que ce soit en matière de développement rural ou de reconstruction d’institutions, lesquelles ont initialement été construites selon le modèle français.

Vous prônez donc plus d’ingérence, plus d’interventionnisme de la part de la France ?

À quoi bon rester au Mali si les autorités ne réforment pas certaines de leurs institutions et de leurs pratiques ? On va se battre à la place des Maliens, et s’embourber au Sahel de la même façon que les Américains et les troupes occidentales se sont enlisées en Afghanistan ? On va essayer de se substituer à une administration défaillante en essayant de mettre en place une assistance technique à droite à gauche ? Ce n’est pas comme ça qu’on peut s’en sortir.

Vous proposiez en 2013 la création d’un fonds d’aide au Sahel, avec un premier versement de la France de 200 millions d’euros, qui produirait un effet de levier pour mobiliser jusqu’à un milliard d’euros par an… Or, la France peine déjà à atteindre l’objectif de consacrer 0,7 % de son revenu national brut à l’aide au développement. Où piocher la mise de départ de 200 millions d’euros ?

L’effort budgétaire français consacré à l’aide est de l’ordre de 2,8 milliards d’euros. On peut récupérer ces 200 millions en révisant les priorités d’affectation de ces ressources. Par exemple, la France transfère environ 430 millions d’euros au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. C’est important de contribuer à ce Fonds, mais il est aberrant d’y verser deux fois plus de subventions que ce qu’on affecte sur 16 pays tous secteurs confondus.

À quoi faites-vous référence ?

L’aide bilatérale de la France en matière de dons s’établit à environ 200 millions d’euros par an, et cette enveloppe doit être répartie entre 16 pays, dont beaucoup sont situés hors d’Afrique.

Pourquoi l’Afrique subsaharienne, et en particulier les États dits « fragiles » du Sahel ne sont-ils pas les premiers récipiendaires de l’aide française ?

Pour des raisons politiques et statistiques, on choisit des instruments et des canaux de distribution de notre aide qui ne favorisent pas ces régions. Notre aide est tout d’abord principalement distribuée par le canal des institutions multilatérales et onusiennes qui bénéficient d’environ 1,7 milliard sur les 2,8 milliards de notre effort budgétaire. Pour le reste qui correspond à notre aide bilatérale, depuis 20 ans, la part des dons s’est considérablement rétrécie et se chiffre aujourd’hui à 200 millions d’euros. La part des prêts a au contraire fortement augmenté.

Pourquoi les prêts ont-ils été favorisés comme instrument d’aide ?

Essentiellement pour gonfler nos statistiques. Car quand on donne un euro à l’AFD pour bonifier ses prêts et les intégrer dans le calcul de notre aide au développement, elle « fabrique » 12 euros d’aide publique au développement. La France est le seul pays au monde qui ait conduit sa politique d’aide à un tel niveau d’absurdité. Le problème, c’est qu’avec 200 millions de dons par an pour 16 pays bénéficiaires, on ne peut faire que du saupoudrage. Et avec des prêts on ne vient plus en aide aux pays pauvres du Sahel, et vous ne pouvez pas financer du développement rural car cela ne va pas générer de recettes budgétaires pour rembourser le prêt. Donc ce choix stratégique du prêt par rapport au don fait que vous orientez votre aide vers des pays intermédiaires, et les pays émergents. Au final, notre appui effectif au Sahel sous forme de dons représente un centième de notre aide publique au développement. On maquille un peu ces chiffres en y ajoutant le coût de l’assistance technique et diverses autres dépenses. Mais la réalité est là : l’AFD ne dispose pas des ressources nécessaires en matière de dons pour travailler avec les pays de cette région, alors que, de tous les donateurs, c’est pourtant elle qui dispose de la meilleure expertise.

En quoi l’expertise française concernant le développement rural ou la reconstruction des institutions régaliennes vous paraît-elle meilleure ?

Le stock d’expertise française est colossal. Nous avons des instituts de recherche qui travaillent depuis plus d’un demi-siècle sur le Sahel, à l’instar de l’Institut de recherche et développement (IRD) ou du Centre international de recherche agronomique pour le développement (Cirad). Ils ont leurs réseaux de correspondants locaux, des centres d’expérimentation. Nous avons aussi Expertise France et l’AFD, qui a gardé une forte expertise en matière de développement rural. Nous pouvons enfin compter sur les ONG de développement. Si vous prenez les dix ONG françaises les plus importantes, vous avez 1 600 ingénieurs et techniciens disponibles. Je ne vois pas dans quel autre organisme d’aide vous allez trouver ces ressources-là.

Propos recueillis pas Agnès Faivre

Défaite électorale et victoire culturelle du Front national

Mon, 08/05/2017 - 16:50

L’absence de «front républicain» a permis de fissurer le fameux «plafond de verre» auquel l’extrême droite continue de se heurter à chaque scrutin majoritaire. Celui-ci risque à son tour de céder du fait de la volonté affichée d’accélérer la stratégie de «dédiabolisation-transformation» du FN.

La large défaite électorale de la candidate de l’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle ne saurait masquer les signaux d’une victoire politique et culturelle. Marine Le Pen a réuni près de 11 millions de voix, soit environ deux fois plus que son père en 2002. La progression est spectaculaire et continue, malgré un fort recul enregistré par le FN lors des élections présidentielle et législatives de 2007. Depuis, la machine électorale a renoué avec une dynamique implacable née lors des élections européennes de 1984. Le score obtenu le 7 mai marque un record en nombre de voix obtenues par la formation d’extrême droite, toutes élections confondues, soit une nette progression par rapport au résultat du premier tour de l’élection présidentielle (7,6 millions de voix) de cette année, où Marine Le Pen avait déjà battu le précédent record de son parti, qui datait des régionales 2015.

L’alliance entre Dupont-Aignan et Le Pen

Pis, l’absence de «front républicain» a permis de fissurer le fameux «plafond de verre» auquel l’extrême droite continue de se heurter à chaque scrutin majoritaire. Celui-ci risque à son tour de céder du fait de la volonté affichée d’accélérer la stratégie de «dédiabolisation-transformation» du FN. Du reste, l’événement politique majeur de cet entre-deux-tours restera l’alliance scellée entre Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan, entre les leaders respectifs d’un parti historiquement antigaulliste et d’une formation revendiquant l’héritage direct du gaullisme.

Rappelons que l’irruption du FN dans notre vie politique date de septembre 1983, lorsque la mairie de Dreux avait été remportée par une liste RPR-Front national… Aujourd’hui, si ce rapprochement se confirme, nul doute que le FN participera de fait au mouvement général de recomposition du paysage politique français au-delà du traditionnel clivage extrême droite/droite/gauche. L’avènement d’un clivage idéologique autour du rapport aux frontières nationales –formelles et imaginaires– du pays symbolise la victoire idéologique et culturelle du Front national.

Loin des chiffres et des stratégies d’appareil, l’essentiel est en effet ailleurs. La montée en puissance du parti frontiste ne se mesure pas seulement à l’aune de ses scores électoraux. La banalisation du vote FN n’est que la partie immergée de la diffusion-normalisation de ses idées et de sa représentation du monde. En cela la victoire d’Emmanuel Macron ne saurait faire illusion: la «mondialisation heureuse» qu’il souhaite incarner est loin d’avoir convaincu 65% des Français.

Le sociologue Zygmunt Bauman écrivait: «On pense à l’identité à chaque fois que l’on ne sait pas vraiment où l’on est chez soi […]. « Identité » est le nom que l’on a donné à la recherche d’une échappatoire à cette incertitude.» C’est précisément cette inquiétude identitaire entretenue par la mondialisation que le Front national a su exploiter et imposer dans la vie politique française, avec la complicité de responsables de droite comme de gauche. Bien qu’inédite à plus d’un titre, la campagne 2017 s’est inscrite dans une certaine continuité avec celles de 2007 et de 2012, en confirmant l’ancrage de la question identitaire dans le débat politique, idéologique et culturel national.

Le contexte est propice à la montée du sentiment national-populiste: la conjugaison d’une crise sociale (avec une précarisation et un chômage structurels et massifs) et d’une crise des idéaux collectifs de substitution a aiguisé dans la société française le sentiment de vulnérabilité face à un nouvel ordre global. Le parti frontiste exploite cette vulnérabilité individuelle et collective dans une stratégie et un discours politiques axés sur une mise en accusation de la mondialisation, de l’intégration européenne et de l’immigration. L’ennemi politique est extérieur au corps national, même lorsqu’il vit en France…

Le brouillage des frontières idéologiques

Le plafond de verre, à défaut d’être brisé sur le plan électoral, a déjà éclaté dans les esprits et la conscience politique de nombreux citoyens et dirigeants politiques de la classe politique traditionnelle qui ont progressivement intégré les mots et les images du Front national dans leur propre univers mental.

Les discours et pulsions xénophobes débordent les sphères toujours plus vastes des cadres comme de l’électorat du Front national. Les frontières idéologiques se brouillent: la gauche du gouvernement s’est inspirée d’une mesure défendue par l’extrême droite (la «déchéance de nationalité»), tandis que Marine Le Pen a plagié un discours prononcé par François Fillon, tant celui-ci puisait à une même source identitaire fondée sur un récit romancé de la nation française et une vision communautarisée de la société française.

Un ethnocentrisme nombriliste se fait jour, une conception dogmatique de l’ordre culturel et social se manifeste, y compris dans la rigidité républicaniste de gauche, d’un Valls ou d’un Mélenchon. Cette vision étriquée de la France et de la République a largement investi le champ politique, au point de participer à la recomposition les clivages entre gauche/droite/extrême droite…

Le tournant du Hamas ouvre-t-il la voie à la négociation du conflit israélo-palestinien ?

Fri, 05/05/2017 - 18:28

Alors que le Hamas a annoncé la modification de sa charte, le président palestinien Mahmoud Abbas a été reçu mercredi par Donald Trump à la Maison-Blanche. Le point de vue de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.

Quelles sont les principales modifications que le Hamas apporte à sa charte ? Comment interpréter ce changement de position et peut-il être qualifié de revirement historique ?

L’aspect principal des modifications de la charte du Hamas est l’acceptation de la possibilité de créer un État palestinien dans les frontières de 1967. Or, si le Hamas reconnaît ces frontières, cela implique mécaniquement une reconnaissance – même si ce n’est pas affirmé en tant que tel – d’un État israélien. Le Hamas se situe donc sur la même position que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1989, consistant à reconnaître de facto la nécessité de deux États, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. Cette évolution est extrêmement importante même s’i elle ne vaut pas une reconnaissance de jure de l’État d’Israël. Celle-ci n’interviendra qu’à l’aboutissement d’un processus de négociation, dont il faut souhaiter qu’il redémarre réellement. Il faut donc maintenant que ladite communauté internationale saisisse au bond cette avancée pour tenter de réactiver un processus digne de ce nom.

On peut comprendre cette évolution du Hamas par l’évolution de rapports de force qui lui sont aujourd’hui défavorables. Les soutiens les plus forts dont il jouissait, à savoir l’Iran et la Syrie, ont disparu. Le Hamas s’est effectivement désolidarisé de Bachar al-Assad et de Téhéran du fait de la guerre civile syrienne. L’organisation se retrouve donc dans une situation plus difficile, d’autant plus que de nombreuses puissances occidentales – dont la France – la qualifient d’organisation terroriste et refuse tout contact, au moins officiel, avec lui. Le Hamas entretient néanmoins des relations avec des Etats comme la Russie, la Chine ou l’Afrique du Sud. Cet isolement relatif du Hamas l’a donc contraint à faire un pas en avant.

Il est également essentiel de noter que le Hamas ne fait plus référence aux Frères musulmans dans ses déclarations, dont il incarne pourtant la branche palestinienne. Cela marque certainement une volonté de renouer un dialogue avec le maréchal-président Abdel Fattah al-Sissi, ce dans l’espoir que celui-ci lève le blocus égyptien contre Gaza. Si Le Caire prenait cette décision, cela contribuerait alors à affaiblir les positions de l’Etat d’Israël qui, pour sa part, continue à promouvoir une position d’extrême fermeté à l’égard des habitants de la bande de Gaza.

La situation du peuple de Gaza est effroyable et on assiste à son étouffement progressif. En outre, le Fatah de Mahmoud Abbas a également pris des décisions condamnables : réduction de 30 % de la rémunération des fonctionnaires palestiniens travaillant à Gaza et arrêt du paiement, par l’Autorité palestinienne, de l’électricité utilisée par les citoyens gazaouis en provenance d’Israël.

De plus en plus impopulaire auprès des Palestiniens, qu’espère Mahmoud Abbas en rencontrant Donald Trump ? L’optimisme affiché des deux dirigeants pour trouver un accord de paix est-il crédible ?

Cette visite de Mahmoud Abbas à Washington est l’expression de la dégradation des intérêts du peuple palestinien. M. Abbas est extrêmement affaibli politiquement et de plus en plus critiqué en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, il considère donc que la seule marge de manœuvre qui lui reste est de tenter d’entretenir de bonnes relations avec les États-Unis.

Être reçu directement par Donald Trump reste symboliquement fort. Cependant, leur conférence de presse fut plutôt pitoyable de par le jeu de dupe qu’elle cache : Abbas n’a en réalité plus aucune marge de manœuvre vis-à-vis de Washington. D’autant que les États-Unis, notamment l’administration Trump, montrent un soutien quasi institutionnel à l’égard d’Israël et de Benjamin Netanyahou, qui s’est lui-même rendu à la Maison-Blanche en février. Pour la première fois depuis les accords d’Oslo, un président américain a même évoqué une solution à un seul État. En outre, David Friedman, nouvel ambassadeur américain en Israël nommé par Trump, est un fervent soutien et partisan de la colonisation à outrance. Les dirigeants israéliens évaluent précisément ces évolutions qui leur sont favorables puisque, le 6 février dernier, la Knesset a légalisé l’expropriation de terres privées palestiniennes au profit de colons israéliens, imposant ainsi la loi de Tel-Aviv en terre étrangère et marquant un pas de plus vers l’annexion de la Cisjordanie. Quelque deux mois plus tard, le 30 mars, le gouvernement israélien a autorisé, pour la première fois depuis les accords d’Oslo de 1993, et outre l’extension des colonies existantes, l’établissement d’une nouvelle colonie en Cisjordanie. Ces décisions indiquent la porosité qui prévaut désormais entre la droite et l’extrême droite israéliennes, qui n’ont de cesse de mettre en œuvre un processus d’annexion, au détriment de l’idée même d’un État palestinien.

Ainsi, personne ni du côté israélien, ni américain, ne parle de relance des négociations.

Lors de sa rencontre avec Mahmoud Abbas, Donald Trump a affirmé ne trouver rien de plus stimulant que de résoudre une situation présentée comme insoluble. Par son égo surdimensionné, le président américain commet une lourde erreur en croyant pouvoir résoudre seul un problème de cette dimension. Quant à Abbas, son attitude est dramatique, au sens où il feint de croire que Trump peut être partie à une solution positive. Ce n’est évident pas le cas, car une solution au conflit israélo-palestinien ne pourra se faire que dans le cadre international et des résolutions de l’ONU et l’instauration d’un rapport de force à l’égard de la puissance occupante que Trump ne veut mettre en œuvre.

Ce jeu de dupes est donc l’expression de l’impasse dans laquelle se trouve l’Autorité palestinienne, qui n’a plus d’autorité que le nom.

Depuis plus de deux semaines, des détenus palestiniens dans des prisons israéliennes sont en grève de la faim. Qui sont ces prisonniers et quelles sont leurs revendications ? Peuvent-ils réussir à faire pression sur le gouvernement israélien ou ce dernier reste-t-il intransigeant ?

Depuis près de deux semaines, plus 1 000 prisonniers politiques – dénommés « prisonniers de sécurité » par Israël – sont en grève de la faim, sur un total de 6 500 détenus. Cette grève a été lancée à l’instigation de Marwan Barghouti, dirigeant palestinien jouissant d’une très forte popularité. Il a déjà été condamné à cinq reprises à la prison à perpétuité, ce qui montre l’absurdité de soi-disant justice israélienne. Les revendications des prisonniers sont élémentaires : avoir droit au moins deux fois par mois à des visites familiales – actuellement réduites à une seule –; avoir accès à un téléphone ; bénéficier de soins médicaux ; ne plus être mis à l’isolement. Or, les grévistes ont justement été isolés et nous restons sans nouvelles précises à leur sujet. Des dirigeants israéliens ont évoqué l’éventualité de les nourrir de force si le mouvement se poursuivait.

Seuls, ces grévistes ne seront pas en mesure de faire plier le gouvernement israélien. Pour cela, il faut qu’un mouvement de solidarité internationale se développe dans les meilleurs délais. Certaines réactions des membres de la coalition gouvernementale font froid dans le dos. Par exemple, le Foyer juif, parti d’extrême droite du ministre de l’Éducation Naftali Bennett, a organisé un barbecue géant devant la prison d’Ofer… de quoi donner une idée du cynisme de certains partis et dirigeants israéliens. Quant au parti Israel Beytenou du ministre des Affaires étrangères et de la Défense, Avigdor Lieberman, il n’a pas hésité à rappeler la situation des prisonniers politiques irlandais sous Margaret Thatcher, que cette dernière a laissé mourir de faim… Si telle est la solution préconisée par le gouvernement israélien, il y a de quoi s’inquiéter.

Aussi importante que soit cette grève de la faim et le mouvement de solidarité dans la société palestinienne (une grève générale en Cisjordanie a été massivement suivie), les détenus ne pourront pas faire plier seuls le gouvernement israélien. Pourtant, ces revendications élémentaires correspondent simplement à l’application du droit international humanitaire et de la Convention de Genève. Le pire est donc à craindre au vu de la situation d’autisme politique israélien. La vie de ces grévistes est véritablement en jeu, d’où la nécessité de faire connaître leurs revendications.

« Dans quelle France on vit » – 3 questions à Anne Nivat

Fri, 05/05/2017 - 17:32

Reporter de guerre indépendante, Anne Nivat a sillonné les terrains dangereux au péril de sa vie. Auteur d’une dizaine d’ouvrages dont « Chienne de guerre » (prix Albert-Londres 2000), elle répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage : « Dans quelle France on vit », aux éditions Fayard.

Vous décrivez des Français qui souffrent mais qui luttent. Votre voyage auprès des gens à qui on ne donne jamais la parole ne vous conduit pourtant pas au pessimisme le plus noir. Pourquoi ?

Mais pourquoi serais-je pessimiste ? Parce que tout le monde l’est ? Mon travail d’enquête de deux années, fidèle à la méthode qui est la mienne depuis 17 ans – seule à sillonner des pays en guerre, dans des sociétés détruites – ne démontre en rien qu’il faille être pessimiste pour l’avenir de la France, un pays moderne et riche, et qui, justement, n’a pas à souffrir de la guerre. La France a été attaquée sur son sol par des terroristes français mais elle n’est pas un théâtre d’opérations de guerre. Je crois en l’humain et en ses ressources, et c’est cela que montre —sans démontrer— inlassablement, mon travail de terrain, où que je pose mon regard :  même si la plupart des Français rencontrés à Laon, Lons-le-Saunier, Laval, Montluçon, Evreux ou Ajaccio restent très critiques envers les différentes politiques menées en leur pays ; même si, parfois, ils ont du mal à joindre les deux bouts et à s’estimer « heureux », ce sont des femmes et des hommes qui ont de la ressource, et surtout, une capacité à vivre les yeux ouverts, sans déni. Ils font de plus preuve d’une finesse d’analyse sur leur propre situation personnelle ainsi que, plus largement, celle de leur pays, qui les honore.

Nous avons les hommes politiques que nous méritons et ce livre n’est pas une analyse politique de ceux qui nous gouvernent : c’est une résonance, une expression, sourde et profonde, de ceux qui vivent ici, en France, et qui ne s’expriment d’habitude pas ou peu, parce qu’on ne leur donne habituellement pas la parole, ou alors, dans des circonstances bien particulières : un angle médiatique précis, ou une campagne électorale. Je pars du principe qu’avant de juger, mieux vaut s’informer sur une situation, à travers ses moindres paradoxes et jusque dans ses détails les moins reluisants et parfois, les moins attirants. C’est ce que j’ai fait en me rendant sur ce terrain à la fois proche et lointain : la France, qui n’a rien de différent, finalement, de mes précédents terrains de guerre, en ce sens que nous autres, humains, avons finalement tous les mêmes préoccupations : vivre sereinement, avoir une activité qui nous permet de nous « réaliser », et de donner un avenir à nos enfants.

Vous racontez le cas terrible d’une femme qui s’est défenestrée : « maintenant, ma souffrance on la verra », dit-elle.

Cette histoire abominable, d’une violence crue et démente illustre bien, à mon sens, la société qui est la nôtre aujourd’hui. Elle m’a été rapportée par une de mes interlocutrices à Laon, une ville-chapitre dans laquelle je tente de narrer le « sentiment de déclassement ».  La personne qui me raconte l’histoire s’appelle Maryline, a 37 ans, est infirmière en milieu psychiatrique dans la région de l’Aisne. Ancienne foraine, Maryline a passé sa vie entière à aider les autres, notamment dans cet hôpital psychiatrique départemental de Prémontré où elle m’emmène. C’est là qu’elle a vécu ce moment atroce : la défenestration d’une femme tétraplégique qui lui avait confié, juste après son acte : « au moins, ma souffrance, maintenant, elle se voit ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Que certains d’entre nous n’en peuvent plus de souffrir en silence, qu’ils veulent s’exprimer sur cette souffrance mais aussi être considérés. Cette volonté d’exister est ici paradoxalement portée à son summum. Je l’ai constatée à plusieurs reprises au cours de ce « tour de France ». Ainsi, de ces adolescents de 18 et 20 ans, deux garçons de bonne famille à Laval, catholiques pratiquants, comme leurs parents, dont je comprends, au détour de notre conversation après la messe dominicale, qu’ils se sentent « jaloux » des jeunes garçons musulmans de leur âge, parce que ces derniers sont, à leurs yeux, plus « visibles » dans les médias, « existent davantage » à leurs yeux.

Ecouter les doléances de chacun, quelles que soit leurs convictions politiques ou religieuses, a été une constante de cette enquête, afin de les retransmettre, pour que nous puissions chacun, en notre fort intérieur, « digérer » l’information et nous rendre compte de ce que notre « vivre-ensemble » est devenu. Pour moi, il ne faut fermer les yeux et les oreilles sur rien, tout écouter, prêter attention à tous les discours, afin de pouvoir les connaître, en débattre, et, éventuellement, les circonscrire.

De la question du voile présente dans chaque ville visitée à un lieu de culte musulman incendié à Ajaccio sans réelle réaction des pouvoirs publics (qui avaient été avertis du risque), pensez-vous que la France règlera la question de sa relation difficile avec l’islam ?

La question du voile et, plus largement, celle de la cohabitation en France entre différents cultes, à l’heure où le religieux semble être devenu le refuge privé de beaucoup de nos compatriotes, reste épineuse. Il n’y a pas qu’à Laval, lors de conversations avec des jeunes catholiques, que le religieux a montré son importance : à Ajaccio, où des événements inquiétants se sont produits au lendemain du caillassage d’un véhicule de pompiers dans la nuit du 24 au 25 décembre 2015, plusieurs de mes interlocuteurs m’ont avoué être souvent « désemparés », parfois « agacés » par la visibilité des femmes voilées qui résident dans certains quartiers. Ils sont aussi surpris par leur nombre, dont chacun assure – sans aucun fondement statistique —, qu’il a augmenté. C’est un discours que j’ai entendu dans toutes les villes « moyennes » où j’avais décidé d’enquêter. En affirmant leur identité, ces « Belphégors du 21ème siècle », comme les qualifie une de mes interlocutrices, font très peur, quelles que soient leurs motivations personnelles, « alors que nous, on a peur de perdre la nôtre, d’identité », n’hésitait pas à accuser une institutrice locale.

Mon choix, à Evreux, d’écrire quelques pages, en fin de chapitre, à propos de femmes voilées par leur propre souhait, et heureuses de l’être —la conseillère Pôle Emploi de l’une d’elle affirme même qu’elle est « la joie de vivre personnifiée » ! —, a même choqué jusqu’à certains de mes collègues journalistes, qui m’en ont fait la réflexion, comme si cela n’avait pas lieu d’être mis en avant ! Voilà bien la preuve de la puissance des stéréotypes et des idées reçues sur un sujet qui reste l’objet, si je puis dire, de tous les fantasmes. Avant de pouvoir prétendre régler cette question touchant aux identités multiples de la France d’aujourd’hui, encore faudrait-il être parvenu à montrer, dans toute la richesse de leur diversité, ces identités multiples et les revendications qui en découlent.

La longue marche de Matteo Renzi

Fri, 05/05/2017 - 16:54

Matteo Renzi avait successivement démissionné de son poste de président du Conseil italien, à la suite du rejet de son projet de réforme constitutionnelle ; puis de celui de secrétaire du Parti démocrate (PD). Il a réussi un premier retour dimanche 30 avril 2017 en remportant encore plus largement qu’attendu (70 %) les primaires de la formation de centre-gauche.

Le 4 décembre 2016, en effet, les Italiens avaient largement voté « non » à la réforme de la Constitution entrée en vigueur en 1948. Outre leur attachement à un texte issu de la lutte contre le fascisme, ils avaient plus généralement condamné l’exercice de M. Renzi, président du Conseil depuis février 2014, ainsi que son style politique et sa logique de personnalisation du pouvoir. « Mère de toutes les batailles », le projet visait à réduire les pouvoirs du Sénat pour mettre fin au système de bicamérisme égalitaire et à recentraliser certaines prérogatives régionales. Il devait consacrer un processus plus large de réformes, qui n’ont toutefois pas eu les effets escomptés. Celle de l’enseignement, par exemple, a été très impopulaire. Et urtout, celle du marché du travail, le « Jobs Act », s’est rapidement essoufflée, ne parvenant pas à incarner une réponse sérieuse à la crise et à la précarité croissante. Le chômage a même progressé entre fin 2015 et fin 2016, alors que les exonérations de charges pour les employeurs prévues par la loi étaient revues à la baisse.

Un point de départ et un point d’arrivée

Le départ de M. Renzi de la direction du Parti démocrate, en février 2017, s’est inscrit dans la séquence ouverte par cet échec référendaire. Le président du Conseil avait très tôt déclaré qu’il démissionnerait en cas de rejet de son projet de réforme constitutionnelle, contribuant à personnaliser le scrutin. Au cours de la campagne, il a suscité une importante opposition, jusque dans les rangs de sa formation politique. En effet, certains parlementaires démocrates se sont prononcés en faveur du « non », après avoir pourtant voté le texte lors de son examen au Parlement. Finalement, la réforme a été rejetée par 59 % des suffrages exprimés, avec une participation significative (65 %) en comparaison des dynamiques électorales précédentes. M. Renzi a donc démissionné et c’est l’un de ses proches, Paolo Gentiloni, jusque-là ministre des Affaires étrangères, qui a été nommé pour assurer la suite de la législature. Gentiloni s’appuie ainsi sur une majorité identique et quasiment la même équipe gouvernementale.

La campagne référendaire avait donc exacerbé les fractures internes au Parti démocrate, certains accusant M. Renzi d’avoir vidé la formation de son contenu démocratique. Ce dernier a fini par également démissionner de son poste de secrétaire national ; cela dans le but de provoquer l’organisation d’un congrès extraordinaire et la tenue d’élections primaires, au cours desquelles il comptait reprendre fermement la main sur le parti. Parallèlement, certaines figures ont fait scission, comme Pier Luigi Bersani – ancien secrétaire national du PD qui avait mené la campagne des élections générales de 2013 – et Massimo D’Alema, président du Conseil entre 1998 et 2000. Ils ont entraîné dans leur sillage une cinquantaine de parlementaires pour créer un Mouvement démocrate et progressiste (Articolo 1 – Movimento Democratico e Progressista, la première partie de l’appellation étant une référence explicite à la Constitution).

En cela, la large victoire de M. Renzi est tout d’abord importante car elle lui permet, après l’échec de décembre 2016, de se remettre en selle. Il importe également de rappeler que M. Renzi est un responsable politique qui n’a jamais été élu au niveau national, à l’exception donc des primaires de son parti. Il n’a effectivement jamais été parlementaire et était devenu président du Conseil après avoir remporté les primaires de 2013, poussant Enrico Letta à la démission à la suite d’une manœuvre interne au PD. Dès lors, chaque consultation électorale apparaissait comme un test de légitimité. En mai 2014, il triomphait aux élections européennes, le PD obtenant les meilleurs résultats de son histoire. En avril 2016, il semblait percevoir une sorte de consensus politique dans l’abstention des Italiens, à laquelle il avait appelé, dans le cadre d’un référendum abrogatif – qui n’avait finalement pas obtenu le quorum de participation nécessaire à sa validité – sur les forages pétroliers et gaziers en Méditerranée et en Adriatique.

M. Renzi parvient donc à reprendre la main sur son parti avec un soutien populaire significatif : il a obtenu 70 % des voix face à son ancien ministre de la Justice, Andrea Orlando (20,5 %), et au président de la région des Pouilles, Michele Emiliano (9,5 %). La participation constitue aussi un signal positif pour lui : 1,85 million de personnes se sont rendues aux urnes, ce qui est certes largement inférieur aux primaires précédentes mais au-delà des prévisions du parti. En outre, beaucoup d’observateurs considèrent qu’il s’agit d’un score important dans un contexte national marqué par une désaffection croissante à l’égard de la politique

Le premier objectif de M. Renzi est donc rempli. Le secrétaire du Parti étant celui qui mène la bataille législative, l’objectif, à terme, est bien de redevenir président du Conseil à la suite des prochaines élections générales. Ces dernières doivent normalement se tenir début 2018. Voilà donc, pour l’heure, un point de départ et un point d’arrivée. Dans cet entre-deux, toutefois, c’est bien le flou qui semble dominer.

Une course incertaine

La première incertitude – et le premier défi pour M. Renzi – est d’ordre technique : il s’agit de trouver un accord avec les autres formations politiques sur une loi électorale et un mode de scrutin acceptable. En effet, la loi électorale dont est issu le Parlement actuel, élu en 2013, a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle la même année. Cette Cour a aussi en partie invalidé la loi qui s’inscrivait dans le cadre de la réforme constitutionnelle proposée par M. Renzi, qui par ailleurs ne concernait pas le Sénat, amené à être réduit à un rôle d’assemblée consultative. Désormais, le Parti démocrate travaille sur un système proportionnel inspiré de l’Allemagne, avec un seuil électoral de 5 %.

La deuxième incertitude est d’ordre tactique : si la législature actuelle arrive à son terme en février 2018, M. Renzi n’a toutefois pas totalement renoncé à la tenue d’élections anticipées. Il faudrait pour cela que le président de la République, Sergio Mattarella, procède à la dissolution des deux chambres parlementaires. Dans cette perspective, il pourrait s’agir de voter dès cet automne ; une tentation qui renvoie à plusieurs dynamiques. À l’étranger, M. Renzi compte sur le phénomène Emmanuel Macron en France, avec qui il partage l’idée du « réformisme » comme rempart contre le « populisme » et réponse à la crise. D’un point de vue interne, il espère pouvoir s’appuyer sur sa « base électorale » des élections européennes de 2014 et du référendum de 2016 – 41 % des voix à chaque fois –, dont il semble craindre que le temps n’érode. En effet, le gouvernement Gentiloni est confronté à un grand nombre de dossiers complexes, parmi lesquels une menace européenne de procédure de déficit excessif ; la mise sous administration extraordinaire de la compagnie aérienne Alitalia ; ou le plan de sauvetage de la banque Monte dei Paschi di Siena. Surtout, à l’automne doit être approuvée la loi de finances : des élections anticipées pourraient alors permettre de voter avant que ne se fassent sentir les effets de nouvelles mesures d’austérité. Par ailleurs, le Parti démocrate pourrait enregistrer un nouveau recul à l’occasion des élections administratives qui se tiendront en juin dans certaines villes, provinces et régions.

Car là apparaît la troisième incertitude, celle-ci d’ordre politique : le Mouvement 5 étoiles, sorti renforcé du référendum de décembre 2016, est désormais le premier parti de la péninsule dans les intentions de vote. Il a également démontré l’an passé qu’il était capable de remporter des scrutins significatifs, ainsi des municipales à Rome et, plus surprenant, à Turin – au-delà d’expériences de gestion pour le moins contrastées. Le mouvement devrait faire connaître son programme de gouvernement d’ici le mois de juillet et élire les personnalités de sa potentielle équipe gouvernementale en septembre. Enfin, M. Renzi devra opérer un travail de rassemblement au sein du Parti démocrate. À gauche, il devrait également probablement être concurrencé par le Mouvement des démocrates et progressistes. Ce dernier a encore besoin de temps pour s’organiser – et donc n’aurait pas forcément intérêt à la tenue d’élections anticipées – mais ne brille pas pour le moment par son dynamisme.

Marine Le Pen : une politique étrangère gaulliste, vraiment ?

Fri, 05/05/2017 - 16:26

Au cours de la campagne présidentielle de 2017, Marine Le Pen a tenté d’inscrire sa politique étrangère dans les pas du général de Gaulle. Se réclamer d’une lignée gaulliste peut paraître étonnant de la part de la candidate du Front national, dans la mesure où l’extrême droite – notamment son père – a toujours combattu de Gaulle, allant même jusqu’à tenter de commettre un attentat à son encontre. 

Marine Le Pen évoque le gaullisme et non pas le gaullo-mitterandisme, la référence à un président de gauche lui étant sûrement insupportable. Néanmoins, peut-elle réellement se réclamer d’une lignée gaulliste ?

S’allier avec la Russie et s’opposer aux États-Unis ne suffit pas à caractériser le gaullisme. Certes, de Gaulle a entretenu des relations avec l’Union soviétique, qu’il qualifiait de « Russie éternelle ». Cependant, il s’agissait davantage pour lui de donner plus de marge de manœuvre à la France, afin de desserrer l’étau étroit de l’alliance américaine. Ceci étant, de Gaulle n’a jamais hésité à soutenir fortement les États-Unis dans les pires moments de crise, comme la construction du mur de Berlin en 1961 ou la crise de Cuba en 1962. Pour le général, la Russie n’était qu’une carte à jouer parmi d’autres, en aucun cas une relation unique, encore moins une relation de dépendance. S’il s’est fortement opposé à Washington à de nombreuses reprises, rejetant notamment l’idée d’une Europe purement états-unienne, il ne s’en est jamais désolidarisé. Le gaullisme ne se résume donc pas au schéma systématique d’opposition aux États-Unis d’une part et d’alliance avec Moscou d’autre part.

De même, François Mitterrand s’est inscrit dans cette tradition gaulliste. S’il a notamment soutenu les États-Unis lors de la crise des euromissiles en 1983, il s’est également opposé frontalement à eux, par exemple lors de la livraison d’armes au Nicaragua – contre lequel Washington était en guerre larvée – et surtout lors de la « guerre des étoiles » souhaitée par Ronald Reagan.

Il est donc historiquement exagéré de la part de Marine Le Pen de se réclamer d’une lignée gaulliste. Cette dernière ne signifie en aucun cas détruire l’Europe ou en sortir. Le général était un partisan convaincu de l’Europe, même s’il estimait qu’elle n’en faisait pas assez. Il a toujours défendu les intérêts français en faisant pression sur les autres pays européens. À l’époque, le poids de la France était plus fort puisqu’elle faisait partie des six membres fondateurs de la Communauté économique européenne et que la relation bilatérale avec l’Allemagne lui était plus favorable qu’aujourd’hui. Or, même en position de force, de Gaulle n’a jamais donné l’impression de vouloir détruire la construction européenne. Ses différends avec l’Allemagne – par exemple au sujet de la clause du traité franco-allemand de 1963 rendant l’OTAN incontournable – ne se sont jamais transformés en hostilité à l’égard de Berlin, comme l’a déclaré Marine Le Pen.

En outre, le gaullisme ne correspond ni au repli sur soi, ni à la fermeture des frontières et à l’isolement international. Au contraire, de Gaulle était partisan d’alliances tous azimut, notamment avec le Tiers-Monde. Il a notamment mis fin à la guerre d’Algérie, alors que Marine Le Pen semble bien loin d’une telle conception. Le discours général de la candidate du FN sur l’islam et les musulmans est aussi bien éloigné de la politique de réconciliation avec les pays arabes entamée par de Gaulle.

Pour de Gaulle comme pour Mitterrand, il était nécessaire d’accroître la marge de manœuvre française au sein de l’OTAN. Le général a ainsi quitté les organes militaires intégrés de l’organisation après que Washington ait refusé ses réformes. Cependant, de Gaulle a tout de même entretenu des relations avec l’OTAN, en signant des accords entre chefs d’états-majors (Ailleret-Lemnitzer) dans l’éventualité d’un conflit avec l’URSS. Il ne faut donc pas caricaturer le gaullisme avec l’image d’une relation franco-américaine uniquement conflictuelle. Tant pour Mitterrand que pour de Gaulle, les États-Unis restent un allié de la France, même s’il est parfois encombrant : il est nécessaire pour la France d’affirmer sa différence, son absence de soumission, ce qui ne signifie pas pour autant une opposition systématique. Encore une fois, Marine Le Pen fait preuve de contradiction : elle dit vouloir quitter l’OTAN et s’opposer aux États-Unis mais dans le même temps, elle a attendu – vainement – une rencontre avec Donald Trump. Sa politique envers Washington est donc très contingente, oscillant entre hostilité envers Barack Obama et offre de service à Trump. « Imagine-t-on le général de Gaulle » attendre en vain à la table d’une cafétéria une éventuelle photo opportunity ? Hormis le repli sur soi général, aux antipodes du gaullisme réclamé par Marine Le Pen, la politique étrangère du FN ne présente donc pas de fil directeur.

Lors du débat d’entre-deux tours, Emmanuel Macron a de nouveau fait référence au gaullo-mitterrandisme ; ce n’est pas la première qu’il emploie cette expression. Il a précisé sa pensée en expliquant vouloir une alliance avec les États-Unis, tout en s’y opposant si nécessaire, comme ce fut le cas pour la guerre en Irak en 2003. Il est peu probable que Macron demande la sortie des organes militaires intégrés de l’OTAN. Néanmoins, la France peut très bien rester dans l’OTAN tout en étant plus active et plus exigeante envers les États-Unis. Reste l’épineuse question de la défense anti-missile que Washington souhaite déployer en Europe et en Corée ; braquant de la sorte Moscou et Pékin, qui risquent de renforcer leur coopération au détriment des Occidentaux. La France peut jouer un rôle important en s’opposant à ce système anti-missile en Europe, qu’elle a jusqu’alors accepté. Mitterrand était lui-même isolé en s’opposant à la guerre des étoiles de Reagan mais l’Histoire lui a donné raison.

Toute référence au gaullo-mitterandisme est bienvenue lorsque l’on considère – comme moi – qu’il s’agit de la meilleure diplomatie que Paris peut conduire. En se référant de nouveau à cette lignée, Macron a envoyé un signal, plutôt de bon augure. Espérons que cet engagement soit tenu et confirmé par la diplomatie qu’il mettra en place s’il est élu président.

L’indépendance de l’Écosse, une menace pour James Bond et le soft power de la Grande-Bretagne

Fri, 05/05/2017 - 16:09

Le célèbre Agent 007, personnage inventé de toute pièce par l’auteur Ian Fleming après son expérience en tant qu’agent du renseignement pendant la Seconde Guerre mondiale, arrive en tête des figures les plus populaires au Royaume-Uni. Si l’on demande à l’homme de la rue ce que lui évoque la “Grande-Bretagne”, que cela soit en Europe, en Amérique du Nord ou sur le continent asiatique, James Bond arrive largement en tête, aux cotés de la Reine, du whisky Écossais et même devant Harry Potter.

L’agent du MI6 est tellement connu de tous que l’on oublie souvent ses origines, sans même oser questionner son affiliation à la Couronne. La question semble cependant d’actualité avec le référendum sur l’indépendance de l’Écosse. En effet, en cas d’indépendance, l’agent secret devra choisir entre entrer dans les futures services secrets écossais ou bien revenir dans son pays maternel, la Suisse. Une perte nette pour le soft power de ce qui resterait de la Grande-Bretagne.

La personne de Ian Fleming est en effet pleine de contradiction. Le père de James Bond remonte à 1953, quand il apparaît pour la première fois dans le roman Casino Royal. Son père “Andrew Bond” est un écossais originaire de Glen Coe, lieu où – non sans une certaine ironie – 38 membres du clan MacDonald furent tués en refusant de prêter allégeance à Guillaume II d’Angleterre en 1692. Le film Skyfall se déroule dans cette même région. Ce dernier rappelle lui-même les origines de l’agent 007, qui même s’il affirme ne “jamais avoir aimé cet endroit”, y a passé son enfance. Tout dépendra naturellement des conditions du futur gouvernement écossais sur l’obtention de la citoyenneté et des négociations avec ce qui restera du gouvernement à Londres. Mais si celles-ci déterminent l’appartenance à l’Écosse avec le droit du sang ou le droit du sol, Bond deviendra immédiatement Écossais. D’une manière assez paradoxale, il pourrait demander la citoyenneté britannique et refuser ou cumuler la citoyenneté écossaise. Malheureusement pour Bond, cela dépendra de son temps de résidence en Angleterre, qui est probablement inférieur à 6 mois par an du fait de ses nombreux voyages ; ce qui l’empêcherait possiblement de clamer son obtention.

Cette spéculation d’une demande de 007 pour rester “Britannique” et refuser d’être “Écossais” part du principe qu’il ne souhaite pas rejoindre les futurs Services secrets écossais ; ce qui n’a rien d’une certitude dans la mesure où l’on ignore encore les avantages que ces derniers proposeront par rapport à ce qui restera du MI6. Il semble important de noter qu’à ce jour, le MI5 et MI6 sont parmi les services de renseignement les moins flexibles en termes de nationalité ; et obtenir un travail implique souvent de renoncer à la double citoyenneté, ce qui s’avérerait être un problème majeur pour l’ensemble des personnes qui y travaillent. À l’inverse, l’Écosse indépendante pourra décider ou non, comme le font beaucoup d’autres pays d’Europe, d’accepter la double nationalité dans ses services. Les origines de Bond se retrouvent dans les premiers films, dans lesquels l’Écossais Sean Connery joue le rôle du personnage avec un accent prononcé.

La mère de Bond est pour sa part originaire de Suisse, Fleming s’inspirant de sa propre fiancée Monique Panchaud de Bottens, probablement francophone. Cela explique les nombreuses aventures et séjours de 007 en Suisse, le fait qu’il parle parfaitement français et qu’il perde tragiquement à l’âge de 11 ans ses deux parents, dans un accident d’alpinisme à Chamonix-Mont-Blanc. Bond a également étudié à l’Université de Genève, probablement en français à une époque où les cours en anglais étaient plutôt rares. 007 pourrait donc probablement réclamer la double citoyenneté Suisse et envisager de rejoindre les Services secrets de la Confédération, avec un salaire bien plus conséquent ; d’autant plus qu’il parle le français mais aussi l’allemand, deux des quatre langues officielles du pays.

Il reste donc difficile de dire si l’agent secret le plus connu au monde pourra et décidera de rester dans un Royaume-Uni sans Écosse ; le Brexit jetant également une incertitude sur ses avoirs et sa capacité à voyager librement dans toute l’Europe, où il apprécie notamment de faire du ski. À ce propos, rappelons que 007 fut brièvement marié à une française d’origine Corse, qui décèdera tragiquement. Il semble donc fortement apprécier ses séjours en Europe. Les femmes du continent ne sont pas sa seule “préférence”, il apprécie aussi le champagne français Taittinger, le whisky Macallan, la vodka des pays Baltes, et le Bourbon. Ces cigarettes de prédilection sont également les Morland Specials de Macédoine.

En bref, le James Bond de Ian Fleming est “international”. Mais avec la construction de l’Union européenne, il est en réalité l’exemple type de nos jours de l’Européen qui aurait effectué un Erasmus en Suisse, aimerait certaines choses qu’il aurait découvertes lors de ses voyages dans l’espace Schengen, et serait tombé amoureux des femmes qu’il aurait rencontrées lors de ses vacances ; ce que vit actuellement toute une génération de jeunes européens sur le continent.

Sa relation de proximité avec l’Europe ne se limite pas à ses choix dans sa vie privée mais également dans son travail. Impossible de se détacher de son Aston Martin anglaise mais il lui préfère la marque bavaroise BMW, entre 1995 et 2002. Son arme, le Walter PPK, est également le fleuron de l’industrie militaire allemande, même si dans les romans de Fleming il aborde un Beretta 6.35 mm d’origine italienne.

Quelles seraient les conséquences d’une indépendance de l’Écosse pour James Bond ? La figure populaire devrait justifier son affiliation au MI6, ce qui s’avérerait difficile à concevoir sur un plan psychologique, l’agent n’ayant pas ou peu d’attachement émotionnel au pays de son père. Il serait juridiquement contraignant pour 007 de devenir un citoyen britannique au regard de la loi et du manque de flexibilité du processus de recrutement du MI5 et MI6. Cependant, rester dans un MI6 post-Brexit n’apporterait que de nombreux désavantages pour l’agent car cela rejetterait son identité “européenne”, résolument ancrée par Ian Fleming dans ses habitudes quotidiennes.

La possibilité de rejoindre les Services secrets d’Écosse s’avérerait loin d’être improbable. Premièrement car James Bond aurait la possibilité juridique de la faire sans entraves. Deuxièmement car il obtiendrait probablement une promotion au regard de son expérience au sein d’un nouveau Service, ce que ne lui propose pas l’actuel MI6.

Dans le monde réel, cela signifierait une perte nette pour le soft power de ce qui resterait de la Grande-Bretagne, qui devrait renoncer à son drapeau en même temps qu’à l’agent secret le plus connu au monde. En revanche, cela s’avérerait un splendide coup de communication pour l’Écosse, qui aurait à son service une figure populaire de renom et pourrait l’utiliser tant dans ses campagnes de recrutement pour sa future armée, que pour ses services de renseignement. 007 sera-t-il l’apanage du soft power de l’Écosse dans un avenir très proche ? Les Écossais en décideront dans les prochaines années.

Marine Le Pen : une politique étrangère gaulliste, vraiment ?

Thu, 04/05/2017 - 18:45

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS

« La France n’est grande que si elle représente autre chose qu’elle-même »

Thu, 04/05/2017 - 16:05

Connu pour son engagement en faveur de la reconnaissance de l’État de Palestine, le géopolitologue analyse la place de son pays dans le monde. Et son rôle dans les conflits en cours.
Passé par le Parti socialiste, dont il claqua la porte en 2003, et par divers cabinets ministériels (Jean-Pierre Chevènement, Pierre Joxe), Pascal Boniface (61 ans) est le directeur fondateur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), l’un des rares think tanks français. Mais le grand public le connaît surtout pour ses prises de position propalestiniennes et pour les passes d’armes qui en ont résulté avec des vedettes médiatiques comme Philippe Val, l’ex-patron de Charlie Hebdo, ou le philosophe et polémiste Bernard-Henri Lévy.
Le livre qu’il vient de faire paraître aux éditions Max Milo, Je t’aimais bien tu sais. Le monde et la France : le désamour ?, confirme sa propension à ruer dans les brancards. Il y manifeste une irréductible opposition à l’islamophobie et plaide pour un rapprochement avec la Russie. Parfois un peu trop général, son propos tout en franchise et en conviction ne cède en tout cas ni à la langue de bois ni au copinage

Problème de politique intérieure, l’islamophobie a-t-elle aussi un impact sur l’action diplomatique ?

C’est ce que je constate tous les jours. Les classes moyennes africaines, arabes et maghrébines sont mondialisées et cultivées. Inévitablement, les propos hostiles à l’islam et/ou aux musulmans ternissent donc l’image de la France.

En matière diplomatique, le clivage gauche-droite a-t-il encore un sens ?

Pas depuis longtemps. Il y a plutôt d’un côté un camp « gaullo-mitterrandiste » et de l’autre un camp naguère qualifié d’« atlantiste », et qu’aujourd’hui on dirait plutôt « occidentaliste ». Pour les gaullo-mitterrandiens, la France et ses alliés ne se confondent pas avec l’Occident.

Vous-même êtes plutôt gaullo-mitterrandien ?

Oui, je crois que la France n’est grande que si elle représente autre chose qu’elle-même.

Quelle ligne prévaut actuellement ?

Depuis la fin de l’ère Chirac, c’est la ligne occidentaliste. Après son refus de la guerre en Irak, en 2003, Jacques Chirac lui-même a pris peur et a opéré un virage sur l’aile. Sarkozy a confirmé la tendance et Hollande a, comme d’habitude, tenté une synthèse. Mais il n’a pas tenu parole concernant la reconnaissance de l’État palestinien, bien que ses deux ministres des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault puis Laurent Fabius, y aient été favorables.

Le ministère de la Défense et Jean-Yves Le Drian ont occupé le devant de la scène diplomatique pendant tout le mandat qui s’achève…

C’est indiscutable s’agissant de l’Afrique, en raison des opérations militaires déclenchées en Centrafrique et au Mali. Pour mener à bien ces opérations, la France a été amenée à ne point trop se soucier de la respectabilité de ses alliés africains.

La réintégration au sein de l’Otan a elle aussi contribué à donner une coloration très particulière au mandat de Hollande et à renforcer le rôle du ministère de la Défense.

Vous portez un regard critique sur cette réintégration…

Je ne dis pas qu’il faille sortir de l’Otan, mais fallait-il accepter les programmes de défense antimissiles, qui ont provoqué une inutile et coûteuse course aux armements et suscité des tensions avec la Russie ? Celles-ci influent aujourd’hui négativement sur les discussions qu’il faudrait avoir à propos de la Syrie, par exemple.

Impossible de sortir de la crise syrienne sans dialoguer avec les Russes ?

Il aurait fallu les inclure, dès le départ, dans le traitement du dossier. On sait qu’ils s’étaient sentis floués par les opérations franco-britanniques en Libye. Le renversement de Mouammar Kadhafi s’était vite substitué à l’objectif initial, qui était de protéger Benghazi, ce qui a beaucoup énervé les Russes et nous a privés de partenaires quand la Syrie a basculé dans la guerre.

D’autre part, beaucoup de gens ont cru, en France notamment, que Bachar al-Assad allait être rapidement très affaibli – ce qui ne s’est pas produit. Ce qui m’inquiète aujourd’hui, c’est bien sûr ce bombardement américain contre une base aérienne syrienne, probablement décidé à des fins médiatiques et de politique intérieure. Il ne fait que resserrer les liens entre Damas et Moscou et éloigne toute perspective de règlement politique.

La France doit-elle reconnaître les crimes commis pendant la guerre d’Algérie ?

Il est temps de refermer les vieilles blessures. Plutôt que de s’égarer dans des déclarations unilatérales et souvent intempestives, mieux vaudrait engager un travail conjoint des historiens des deux pays. La France l’a fait avec l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, ce qui a eu des conséquences jusque sur les programmes scolaires.

La Turquie a-t-elle sa place en Europe ?

Plus aujourd’hui. Le problème, ce n’est pas la Turquie elle-même, encore moins, bien sûr, le fait qu’elle soit un pays musulman, ce sont les orientations prises par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. Elles sont en effet très loin de satisfaire aux conditions d’adhésion à l’UE définies par les fameux « critères de Copenhague », qu’il s’agisse de l’indépendance de la justice ou de son adéquation à la législation européenne.

Comprenez-vous les critiques suscitées en Afrique par la Cour pénale internationale (CPI) ?

La CPI est un progrès, mais je comprends ceux qui s’en méfient. Elle leur apparaît comme un outil « à géométrie variable », qui ne punit que les faibles. Il faut avoir le courage de demander que les ressortissants de grandes nations soient déférés devant elle – je pense par exemple à George W. Bush –, faute de quoi sa légitimité continuera d’être contestée.

Entretien réalisé par Julien Crétois pour Jeune Afrique

Retour du Maroc dans l’Union africaine : quelles conséquences pour les équilibres régionaux ?

Thu, 04/05/2017 - 12:04

Mohamed Tajeddine Houssaini est avocat et professeur de droit international à l’Université Mohammed V de Rabat. Il répond à nos questions à l’occasion de sa participation à la conférence “Le retour du Maroc au sein de l’Union africaine – quelles conséquences pour les équilibres régionaux” organisée par l’IRIS le 26 avril 2017.

– En quoi le retour du Maroc au sein de l’Union africaine consacre-t-il son déploiement sur le continent ?
– Comment expliquer que la République sahraouie soit reconnue par l’UA et non par la communauté internationale ?
– La ré-intégration du Maroc dans l’UA peut-elle accentuer les tensions avec l’Algérie ?

« La Corée du Nord » – 3 questions à Juliette Morillot et Dorian Malovic

Thu, 04/05/2017 - 11:43

Juliette Morillot, coréanologue, spécialiste de la péninsule, a été professeur à l’université nationale de Séoul et directrice de séminaire sur les relations intercoréennes à l’École de guerre de Paris. Dorian Malovic, spécialiste de la Chine, est chef du service Asie au quotidien La Croix. Ils répondent à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « La Corée du Nord [en 100 questions] », aux éditions Tallandier.

La Corée du Nord est-elle un pays autosuffisant ?

L’autosuffisance économique est l’un des trois piliers de l’idéologie nord-coréenne, le juche car la Corée ne veut dépendre de personne, ni diplomatiquement, ni sur le plan de la défense, ni d’un point de vue économique. Aujourd’hui le principal partenaire commercial du pays demeure la Chine, qui a pris une place primordiale au lendemain de la grande famine des années 1990. Mais, paradoxalement, cette grande famine a transformé l’économie : face à l’effondrement du système de distribution publique à la suite de la chute du bloc de l’Est, les Nord-Coréens ont dû se débrouiller seuls pour alimenter leur famille et les femmes, notamment, sont allées en Chine chercher de la nourriture et des vêtements. Sur le tas, elles ont appris à négocier, marchander.

De ces premiers « marchands » est née une classe nouvelle que l’on appelle les « donju », les maîtres de l’argent qui aujourd’hui forment une sorte de « middle class ». Aisés, ils voyagent, font du commerce et ont transformé le visage de la Corée du Nord. Avec eux est née un embryon d’économie de marché qui a transformé le pays. Ainsi à Pyongyang, l’idée de travailler plus pour gagner plus fait son chemin. Si tout appartient à l’État, les gens ont plus d’autonomie : on peut ouvrir un restaurant, marchander au marché ses produits, embaucher un cuisinier et travailler plus tard en soirée pour gagner plus d’argent. Si le pays n’est pas auto-suffisant, l’économie s’est améliorée. Ce que j’ai pu constater lors de mon dernier séjour à Pyongyang, en novembre dernier, c’est que, contrairement à mes séjours précédents où la plupart des produits étaient importés de Chine ou d’Asie du Sud-est, tout ou presque étaient désormais fabriqués en Corée : des yaourts liquides aux sacs à dos des écoliers et aux chaussures de sport, des rames de métro aux bus, sans oublier les tracteurs, les voitures (peu nombreuses encore, certes !), les lampadaires à énergie solaire. Même les panneaux solaires, omniprésents sur tous les balcons et toits, commencent à être fabriqués sur place. Aujourd’hui l’agriculture s’est rétablie, les paysans au niveau local ont plus d’autonomie et le pays produit de plus en plus…

Les sanctions contre la Corée du Nord sont-elles efficaces ?

Non, absolument pas. Les six résolutions de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) votées depuis 2006 en faveur de sanctions ont peut-être ralenti les programmes nucléaire et balistique de la Corée du Nord mais ne les ont pas bloqués. Nous en voulons pour preuve que la Corée du Nord est aujourd’hui de facto une puissance nucléaire et que la politique de Donald Trump, militaire ou diplomatique, ne l’empêchera pas de procéder à un sixième essai nucléaire quand elle le jugera opportun. Même si – comme cela semble être le cas aujourd’hui – Trump pousse à accentuer les sanctions après des gesticulations militaires très dangereuses, elles seront toujours aussi difficiles à appliquer : l’ONU n’a pas les moyens de les contrôler, de nombreuses nations ne les respectent pas (commerce indirect à travers la Chine) et la Corée du Nord a toujours réussi à les contourner grâce à un vaste réseau de complicités dans le monde (Macao, Hong Kong, Singapour, Malaisie ou Cambodge…) ou en Afrique.

Même la Corée du Sud envoie des aides indirectes ou directes à Pyongyang. Jusqu’en 2016 Séoul finançait la Zone économique de Kaesong basée au Nord en payant des ouvriers nord-coréens à fabriquer des produits réexportés vers le Sud. Après plus de dix ans de sanction, un régime capable de survivre à une famine qui a tué un million de personnes (1995) ne va pas s’effondrer à la suite de ces sanctions très ciblées. Il faut préciser que les élites – hauts-dignitaires, savants, diplomates et l’armée – représentent une part importante de la population, laquelle sera impactée. Mais c’est bien la société civile et ses éléments les plus vulnérables qui seront touchés de plein fouet. La résilience extrême de la Corée du Nord vient d’une réalité simple : elle a si peu qu’elle n’a rien à perdre et elle s’est adaptée pour supporter les privations au point que le régime exploite ces votes de l’ONU pour cimenter toujours plus le peuple contre les « agresseurs extérieurs ». En réalité, ces sanctions sont inefficaces car personne ne souhaite vraiment qu’elles le soient.

Y-a-t-il un espoir de démocratisation ou d’ouverture de la Corée du Nord ?

Lorsque Kim Jong-un a succédé à son père, Kim Jong-il, mort en décembre 2011, certains observateurs ont imaginé que les quelques années passées en Suisse durant l’adolescence du jeune leader lui aurait donné le goût de la liberté et de la démocratie pour son pays ! Rien n‘est plus faux lorsqu’on connaît les ressorts du système politique nord-coréen fondé par le grand-père, Kim Il-sung. Parti unique, contrôle des médias et des masses sont les piliers du système autoritaire nord-coréen qui n’a rien à voir avec les anciens pays de l’Est ou de l’ex-URSS qui, en dépit du « rideau de fer », avaient des relations et des contacts avec le monde extérieur. En Corée du Nord n’existe pas de dissidence politique au sens où nous l’entendons en Occident. La population nord-coréenne dans son ensemble est restée confinée sur son territoire sans ouverture sur le monde pendant des décennies, à l’exception de ses élites et ses diplomates dont la survie est fondée sur la fidélité totale au Parti des travailleurs et au leader. Sans repères extérieurs, il lui est impossible de « comparer » ou d’évaluer le système dans lequel elle vit.

Pour autant la grande famine meurtrière de 1995 a permis, de façon étonnante, une ouverture sur la grande voisine chinoise pour y trouver à manger, des médicaments et des vêtements. Pyongyang a dû tolérer ces mouvements de population informels entre une Chine prospère et une Corée du Nord affamée. Mais cette liberté de mouvement et cette soif de découvrir n’est pas motivée par des oppositions idéologiques et politiques : nécessité fait loi, la faim, les maladies et les manques de biens manufacturés ont finalement créé un commerce « capitalistique », des échanges, une circulation monétaire et des contacts téléphoniques qui ont assoupli un vieux système centralisé et planifié pendant des décennies. Le premier « quinquennat » de Kim Jong-un indique clairement que des réformes économiques sont aujourd’hui en marche, à l’image de celle de la Chine dans les années 1980 mais que le système politique, tout comme en Chine, se maintiendra tel qu’il fonctionne depuis toujours sous sa direction.

Le Hamas prêt à reconnaître Israël : une nouvelle donne ?

Wed, 03/05/2017 - 17:39

Le Hamas a déclaré pouvoir reconnaître Israël dans les frontières de 1967. S’il avait, dans le passé, déjà tenu des propos allant dans ce sens, ces derniers n’avaient jamais été inscrits au sein d’un document écrit. Or, aujourd’hui, le Hamas compte modifier sa charte.

Ce tournant est quasiment aussi important que celui opéré par Yasser Arafat, en 1989 à Paris, lorsqu’il avait déclaré caduque la charte de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et affirmé que cette dernière était prête à reconnaître l’État d’Israël. Le Hamas rejoint donc l’OLP, les deux organisations étant pour la solution « des deux États ». Cette dernière consiste en la création d’un État palestinien, dans les frontières de 1967, la reconnaissance d’Israël et le partage de Jérusalem, capitale des deux États.

Comment interpréter ce virage stratégique du Hamas ? Peut-être, le souci de sortir d’un isolement, qui n’est cependant pas total. En effet, la Russie, la Chine et des pays émergents comme le Brésil et l’Afrique du Sud entretiennent des contacts avec le Hamas. Seuls les pays occidentaux et Israël considèrent le Hamas comme une organisation terroriste. Ainsi, pour le Hamas, cette reconnaissance indirecte d’Israël est un moyen d’ouvrir le dialogue avec les pays occidentaux, afin de sortir de son isolement relatif.

Cette déclaration du Hamas est aussi le résultat de la compétition inter-palestinienne actuelle. Élu pour 5 ans en 2006, Mahmoud Abbas n’a pas obtenu de renouvellement de son mandat depuis lors. Il est contesté, la voie qu’il avait appelée à prendre n’ayant pas été suivie d’effets ; il n’a pas non plus été en mesure d’améliorer la vie quotidienne des Palestiniens ni même de leur ouvrir la moindre perspective politique.

Par ailleurs, en prenant ses distances avec les Frères musulmans, le Hamas peut éventuellement espérer que l’Égypte mette fin, ou allège, le blocus israélo-égyptien à Gaza. Or, si Le Caire levait ce blocus, ce dernier prendrait fin. Ainsi, le Hamas espère peut-être entamer le dialogue avec le général Sissi afin de normaliser leurs relations.

Comment va réagir la communauté internationale ? Les Occidentaux vont-ils saisir la balle au bond ? Surtout, Israël va-t-il accepter d’entrer directement en contact avec le Hamas ? Dans le passé, il y a déjà eu des contacts indirects et secrets entre Israël et le Hamas, par exemple pour la libération de Gilad Shalit. Aujourd’hui, on peut craindre que le gouvernement israélien refuse d’entrer en négociation, affirmant que ce changement d’attitude du Hamas n’a pour but que de masquer des intentions guerrières par un discours pacifique. En réalité, Benjamin Netanyahou a peu envie de parler avec le Hamas, le parti des colons et l’extrême droite israélienne – importante dans la coalition -, encore moins.

Les pays occidentaux pourraient-ils se saisir du changement stratégique du Hamas pour négocier, avant que surgissent des positions plus radicales ? En 2002, les États arabes avaient déjà proposé, avec le plan Abdallah, la reconnaissance d’Israël en échange de celle de la Palestine. Mais Israël n’avait pas répondu à cette demande, affirmant qu’elle n’était pas assez complète. Aucune négociation directe n’avait eu lieu. Aujourd’hui, on peut craindre de nouveau que ce changement – pourtant important – n’ait aucune suite et que, malheureusement, les États occidentaux ne fassent pas pression sur le gouvernement israélien, pour au moins tenter de débloquer les négociations.

Il y a pourtant un espace à prendre car le gouvernement israélien n’a pas les mêmes exigences avec tous ses partenaires : il n’exige pas de la Chine, de la Russie, du Brésil ou de l’Afrique du Sud de rompre tout contact avec le Hamas ; il ne le demande qu’aux pays de l’Union européenne. Ces derniers pourraient donc très bien affirmer que, comme les pays émergents, ils souhaitent entretenir de bonnes relations avec Israël tout en ayant des contacts avec le Hamas qui a modifié sa charte. Récemment, le ministre allemand des Affaires étrangères a vu son rendez-vous avec Benyamin Netanyahou être annulé car il avait eu l’audace de rendre visite à des organisations pacifistes israéliennes. Cette réaction semble démesurée :  ces organisations pacifiques montrent un autre visage d’Israël en ne soutenant pas la guerre et prouvent la diversité de l’opinion, malgré le glissement à droite des dernières années. Les États européens vont-ils décider de se faire respecter davantage et arrêter de se laisser dicter leur conduite par le gouvernement israélien ?

Reste l’inconnue Trump. Le président états-unien avait fait, dès sa campagne, de fortes déclarations en faveur d’Israël, plus prononcées que son prédécesseur. Barack Obama ne s’était certes pas montré très chaleureux envers Netanyahou mais il a tout de même augmenté d’un milliard de dollars par an l’aide militaire accordée à Israël. Difficile dans ces conditions de le déclarer hostile à Israël… Donald Trump se montre cependant encore plus chaleureux puisqu’il a déclaré qu’il allait transférer l’ambassade états-unienne de Tel-Aviv à Jérusalem. On lui a toutefois fait remarquer que ce problème n’était pas uniquement israélo-palestinien mais qu’il concernait l’ensemble du monde arabe et musulman. Trump est donc revenu sur sa décision. L’égo démesuré du président américain va-t-il lui permettre de réussir là où ses prédécesseurs – de Carter à Clinton en passant par Obama, Reagan et Bush – ont échoué ? Selon ses propres dires, Donald Trump est meilleur négociateur. Il n’est certes pas interdit de penser qu’il tentera une telle négociation mais il se heurtera, lui aussi, au refus du gouvernement israélien.

« Daech : l’arme de la communication dévoilée » – 3 questions à François-Bernard Huyghe

Wed, 26/04/2017 - 16:03

François-Bernard Huyghe, docteur d’État en sciences politiques, est directeur de recherche à l’IRIS et enseignant au CELSA Paris IV Sorbonne. Spécialiste de l’influence stratégique et médiologue, il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « Daech : l’arme de la communication dévoilée », aux éditions VA Press.

Comment expliquer l’attractivité d’un discours califal, à rebours de celui – hédoniste et apaisant – diffusé par nos sociétés ?

Le « grand récit » de Daech, le cœur de son idéologie, repose sur une promesse spirituelle – le salut éternel par l’obéissance et le sacrifice -, sur un projet géopolitique illimité – s’emparer de la Terre entière pour la soumettre à la loi divine à partir du califat – et sur un mécanisme victimaire – les « vrais » musulmans sont persécutés depuis le VIIe siècle (y compris par les chiites, par les sunnites non djihadistes ou non soumis au calife), il faut les venger -.

Cette trilogie – mourir pour son âme, conquérir pour sa loi, punir pour sa communauté – implique un système de valeur et même un mode de raisonnement (tout étant contenu dans le Coran et dans les hadiths, la réponse à toute question doit être trouvée par la « méthodologie prophétique » et l’interprétation littérale) ; le tout s’oppose point par point à notre système mental. Comme un logiciel qui affecterait d’un signe inverse ce que nous estimons positif – la démocratie, l’autonomie des individus, le plaisir, la tolérance, l’innovation, la paix – et vice-versa pour la soumission, la conquête, la punition de toute déviance, le sacrifice, etc. Et comme les djihadistes sont, de surcroît, persuadés de l’imminence de la bataille finale, qu’ils vont l’emporter juste avant la fin des temps et qu’eux, ou leurs enfants, vivront dans le monde parfait défini selon leurs critères, la promesse est également garantie par l’Histoire.

Vous décrivez Daech comme une « scission ultra » d’Al-Qaida. Pourquoi ?

C’est vrai si l’on retrace la genèse de l’organisation. Sommairement, face à l’invasion américaine, Al-Zarqaoui fonde en 2004 Al-Qaïda en Irak, qui privilégie déjà les attentats-suicides et s’en prend aux chiites ; il fusionne en 2006 avec d’autres groupes dans l’État islamique d’Irak. À la suite de complications, le groupe devient, sous Abou Bakr al Baghdadi, en 2013, un État Islamique en Irak et au Levant (EIIL) qui prétend donc soumettre Al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda. D’où ce conflit sanglant entre les deux organisations.

Pressé de trancher et d’apaiser la guerre interne, Al-Zahouari, successeur de Ben Laden, ne peut imposer ni accord des parties, ni obéissance des « durs » : la scission est consommée en 2014, et l’EIIL, qui, comme son nom l’indique, veut établir immédiatement un État islamique en Irak et en Syrie, devient le califat, proclamé en juin 2014.

Face à Al-Qaïda, canal historique, cette tendance s’est démarquée, outre le déni évident d’autorité et de légitimité, par la volonté d’établir immédiatement une puissance théologico-politique. Elle prend la succession du prophète et a vocation à commander à tous les musulmans sincères en attendant la conversion du reste de la Terre.

Ceci implique aussi que la stratégie initiale d’Al-Qaïda, qui consistait notamment à combattre l’ennemi « lointain » occidental pour déstabiliser l’ennemi « proche », les régimes arabes, soit fausse. Idem pour toute priorité mise entre les adversaires ou les fronts, toute trêve ou alliance. Le califat veut une sorte de guerre universelle contre tous ses ennemis à la fois ; il pousse à l’extrême le principe que qui n’est pas avec lui est contre lui et le « tout, tout de suite ».

En prétendant à la fois établir un système territorialisé mais aussi prolonger la guerre par un terrorisme mondial (« guerre du pauvre »), en voulant accélérer l’Histoire et en condamnant ceux qui ne font pas immédiatement allégeance à Al-Baghdadi, Daech, impatient et maximaliste, déborde Al-Qaïda, stratégiquement et idéologiquement.

Comment expliquer le manque d’efficacité des stratégies occidentales de contre-propagande ?

Il reflète d’abord une incompréhension de fond. On ignore le logiciel adverse évoqué plus haut, en traitant le djihadiste ou le radicalisé, qui sont des convertis, comme des “paumés » relevant d’un traitement psychologique ou comme des cas sociaux, sans même s’intéresser au contenu de la croyance ni à ses justifications. Nous imaginons parfois des victimes de la propagande en ligne qu’il faut ramener à la complexité du réel. Les campagnes pour « révéler » au malheureux les mensonges qu’il a subis (« tu risques de mourir là-bas » alors qu’il part en quête du martyr) ou à démonter les manipulations de propagande califale (« ils t’endoctrinent ») échouent. L’État qui subventionne ces opérations avec des méthodes inspirées de la désintoxication des alcooliques signifie au djihadiste qu’il est un abruti à normaliser.

Plus habiles sont les méthodes acceptant le point de vue religieux ; elles sont destinées à montrer que le djihad n’est pas licite, que le califat est une déviation et qu’il s’y pratique un mauvais islam. Mais encore faudrait-il que les djihadistes n’aient pas été mis en garde contre les « hypocrites », les imams qui tenteraient ainsi de les raisonner et seraient de mauvais bergers et que le contre-discours n’apparaisse pas estampillé par le gouvernement : à leurs yeux nous sommes les agresseurs, ne l’oublions pas.

Enfin on peut agir sur les vecteurs de la communication djihadiste. Soit par censure, soit plus habilement en amenant les moteurs de recherche à renvoyer les demandes susceptibles, au vu de leurs mots-clefs, de concerner le djihad vers des « bons » sites militants contre la radicalisation et le discours de haine. Mais il n’est pas très difficile de trouver du contenu djihadiste sur les réseaux sociaux.

Il serait sans doute plus efficace de produire de la fausse propagande djihadiste, de créer des divisions, de faire du piratage informatique, voire d’utiliser l’arme de l’intoxication ou de l’ironie… mais ce sont des méthodes difficiles à recommander à des bureaucraties d’État.

Crise au Venezuela : quel avenir pour le chavisme ?

Tue, 25/04/2017 - 11:02

Depuis début avril, des manifestations contre le pouvoir se succèdent au Venezuela. Alors qu’elles ont déjà été marquées par plusieurs morts, une marche pacifique a été organisée dimanche. Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.

Comment expliquer que l’opposition au président Nicolás Maduro ait autant grandi ? Cette crise politique est-elle uniquement due à la situation économique dégradée du pays ?

Depuis l’arrivé au pouvoir d’Hugo Chávez le 1er janvier 1999, il y a toujours eu au Venezuela un refus frontal de la part de l’opposition d’accepter l’alternance. Il faut se rappeler qu’il y a eu une tentative de coup d’État armé en 2002. Cette opposition politique, qui représente environ 40% des électeurs, est restée mobilisée de 1999 à aujourd’hui. Mais aux élections parlementaires de décembre 2015, l’opposition a dépassé le seuil des 40% et obtenu 70% des suffrages. La crise est passée par là.

Depuis quatre ans, une crise économique grave touche le pays. Les Vénézuéliens peinent à s’alimenter et à se soigner à cause d’importantes pénuries. Les manifestations de ces dernières semaines étaient certes politiques mais il y a eu aussi des pillages de magasins – huit personnes sont notamment mortes électrocutées en forçant les portes d’une boulangerie. On peut donc parler, à côté des cortèges politiques, d’émeutes de la faim. Ainsi, une partie des opposants au pouvoir sont des personnes qui auparavant soutenaient Maduro. Aujourd’hui en grande difficulté, elles se sont éloignées du gouvernement. Ces anciens soutiens du président – sans rompre ouvertement – parfois ne vont plus voter, ce qui confère un poids relatif plus important à l’opposition. Cette dernière est donc composée, d’une part, d’un socle politique datant de 1999, auquel sont venus s’ajouter, d’autre part, les déçus et les victimes des pénuries.

Dans un tel contexte de division, comment la situation peut-elle se débloquer ? Peut-on envisager que Nicolás Maduro ne parvienne pas au bout de son mandat, qui court normalement jusqu’en 2019 ?

Il semble peu vraisemblable que Nicolás Maduro ne termine pas son mandat, dans la mesure où il s’appuie un élément de force important, l’armée. En 2002, une partie des forces armées avait pris part au coup d’État. Hugo Chávez avait procédé à une épuration des forces armées et les avait aussi étroitement associées à la gestion du pouvoir. Aujourd’hui, au sein du gouvernement Maduro, plusieurs ministres sont des militaires. Ces derniers sont également présents dans l’appareil administratif de l’État, ainsi que dans la gestion de l’économie d’entreprises publiques. Il y a donc une coresponsabilité de l’armée dans le gouvernement du pays. Bien dotée en matériel et cogérant les affaires nationales, l’armée reste relativement préservée en cette période de pénurie et fidèle au président.

Le président Maduro a donc les moyens de tenir bon pour les prochains dix-huit mois. Cela dit, l’opposition reste mobilisée, bien qu’étant divisée en deux franges. Une partie souhaite en effet arriver au pouvoir par la voie constitutionnelle. Elle est donc prête à respecter les délais électoraux, en demandant toutefois au gouvernement de jouer le jeu. Une autre partie de l’opposition, très radicale, pense que le président ne va pas respecter ses engagements. Elle estime donc nécessaire de le faire tomber, comme cela avait été tenté il y a deux ans lorsque de graves affrontements avaient fait une quarantaine de morts.

Toutefois, des éléments non violents existent dans l’opposition et dans le camp du gouvernement. Les approches différentes de Primero Justicia et Voluntad Popular reflètent ces divergences au sein de l’opposition. La procureure générale de l’État vénézuélien – Luisa Ortega Díaz, pourtant nommée par Hugo Chavez -, a appelé au respect du droit de manifester inscrit dans la Constitution. Il y a quelques semaines, elle avait sanctionné la tentative de mainmise du Tribunal supérieur de l’État sur le pouvoir législatif, mesure annulée quelques jours plus tard à la demande du président. Un membre de la Commission nationale électorale – nommé par les autorités exécutives – a lancé un appel au respect du calendrier et à la tenue des élections régionales du 16 décembre 2016, qui n’avaient pas pu avoir lieu à cause d’obstacles administratifs. Nicolás Maduro a entendu la critique et signalé que cette consultation pourrait être assez vite organisée.

Par ailleurs, la pression extérieure pousse à un compromis, souhaité par les voisins du Venezuela. Ces derniers sont effectivement de plus en plus préoccupés par l’instabilité du pays, comme le montre la déclaration des 11 chefs d’États d’Amérique latine la semaine dernière. Cette déclaration a été très mal reçue par le président Maduro. Mais on ne peut pas imaginer que le Venezuela, vivant de ressources pétrolières exportées, puisse se replier sur lui-même – comme l’Albanie d’il y a 50 ans. Le pays est dépendant de l’international. Il critique les pressions extérieures, attribuées aux États-Unis, mais Nicolás Maduro est obligé d’en tenir compte. En particulier, des efforts de médiation sont proposés par l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) et le Vatican. Le pape doit visiter la Colombie en septembre, ce qui pourrait relancer une médiation vaticane. Le ministre des Affaires étrangères du pape François, ancien nonce apostolique à Caracas, entretient de très bonnes relations avec le pays. Le président vénézuélien a d’ailleurs relancé la possibilité de médiation le 23 avril.

Ces éléments permettent donc de penser qu’un compromis permettrait de parvenir aux prochaines élections présidentielles. Élections qui seront vraisemblablement perdues par le pouvoir, ce qui laissera beaucoup de marge de négociations.

Cette crise est-elle révélatrice de l’échec et de la fin du chavisme dans le pays ?

Il est difficile de parler de la fin du chavisme, étant donné que toutes les politiques sociales datant de l’époque d’Hugo Chávez ont bénéficié à des millions de vénézuéliens, qui lui sont donc reconnaissants. Ils le sont beaucoup moins en revanche envers le gouvernement de Nicolás Maduro, auquel on fait porter le chapeau des difficultés actuelles.

Cependant, si le gouvernement n’est plus en mesure de financer ces politiques sociales, il en subira un contre coup politique et électoral. Avec cette contestation, c’est in fine la viabilité du modèle chaviste « socialiste-extractiviste », c’est-à-dire reposant sur les revenus tirés des matières premières, qui est posée. En effet, ce modèle étant nécessairement victime des aléas des cours du pétrole, il ne peut être ni stable, ni pérenne.

« Pour quelques étoiles de plus » – 3 questions à Jean-Dominique Giuliani

Tue, 25/04/2017 - 10:50

Jean-Dominique Giuliani préside la Fondation Robert Schuman, centre de recherche de référence sur l’Union européenne et ses politiques. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage : « Pour quelques étoiles de plus…Quelle politique européenne pour la France ? », aux éditions Lignes de repères.

Vous estimez que la voix de la France en Europe est éteinte. Qu’est-ce qui vous amène à cette conclusion ?

Depuis la création de l’euro, à l’exception de Nicolas Sarkozy pendant la crise financière, la France n’a fait aucune proposition concrète pour améliorer le fonctionnement des institutions européennes. Initiatrice de l’Union européenne (UE), elle est attendue pour ses propositions, ses idées, ses concepts. C’est l’un de ses rôles. Elle s’est pourtant contentée de commenter en permanence les défauts de l’euro, de l’Europe et de réagir dans l’urgence plutôt que d’agir dans la durée. Elle a participé au désamour des citoyens envers la construction européenne au lieu de pousser cette dernière à endosser une vraie vision stratégique. C’est particulièrement flagrant s’agissant de la relation franco-allemande, politisée à tort, alors qu’il s’agit d’une relation bilatérale indispensable. Entre ces deux États, les visions sont souvent différentes. Les partager, les échanger, chercher des compromis, demeurent les moteurs d’un rebond de l’Europe.

Nos dirigeants au plus haut niveau n’ont jamais porté en interne les débats européens. Avez-vous déjà lu dans un compte-rendu du Conseil des ministres, une ligne expliquant comment une décision nationale s’inscrit dans le cadre européen ou contre une décision prise en commun à Bruxelles ? Peu de parlementaires s’en soucient, se contentant de slogans tout faits. Même les succès européens, en matière d’environnement, de concurrence (Apple, Google) sont systématiquement passés sous silence.

Cette attitude d’indifférence, de timidité et de distanciation a gravement porté atteinte à nos intérêts nationaux qui ne sont jamais mieux défendus qu’en partenariat avec nos alliés les plus proches.

Vous proposez la création auprès du Premier ministre d’un vice-premier ministre en charge des Questions européennes. Pouvez-vous développer ?

La politique européenne ne relève plus de la pratique diplomatique traditionnelle. Elle concerne la plupart du temps la politique intérieure. Les ministères, le Premier ministre, doivent la prendre en compte en permanence, sans l’expliquer, sans l’assumer et parfois dans le désordre interministériel. Nombreux sont nos experts des ministères qui siègent dans des comités à Bruxelles. Leur coordination est assurée par le Secrétariat général aux Affaires européennes.

Je propose qu’un vice-Premier ministre soit placé auprès du Premier ministre, partage avec lui les mêmes collaborateurs et regroupe sous son autorité, même à titre temporaire, tous les services qui concourent à la politique européenne de la France, y compris nos ambassadeurs dans les États membres, pour ce qui la concerne. Il procèdera, au nom du gouvernement, aux arbitrages nécessaires, aura pour tâche de rendre compte au Parlement et de l’associer en amont des décisions ; il sera le porte-parole du gouvernement pour les questions européennes qui doivent plus largement être débattues en transparence avec les Français. Notre pays est en retard sur ses partenaires en matière de démocratisation de la politique européenne. Elle concerne désormais presque toutes les missions gouvernementales et touchent désormais des prérogatives régaliennes de l’Etat. On ne peut pas continuer à passer des accords avec nos partenaires sans débats préalables, sans présenter aux citoyens les alternatives à trancher, sans expliquer des choix qui engagent pour longtemps la politique intérieure.

Vous appartenez à la famille centriste généralement atlantiste. Pourtant, vous semblez développer une vision gaullo-mitterrandienne des relations entre l’Europe et les États-Unis…

Il est peut-être temps de sortir de ces clichés ! La campagne électorale pour l’élection présidentielle française a montré combien ils étaient dépassés. Il en est de même pour l’UE. Au stade de l’intégration qu’elle a atteint et compte-tenu des défis nouveaux qu’elle doit relever, elle ne peut plus se permettre, au moins pour un temps, de débats stériles entre l’intergouvernemental et le communautaire. De toute façon l’un conduit à l’autre si l’on obtient des résultats efficaces. Pour la sécurité, la défense, l’immigration et la politique monétaire, une Europe indépendante peut se construire par la volonté et l’exemple de quelques États membres.

En matière de politique étrangère, l’indépendance de l’Europe est aujourd’hui une nécessité. Or, une expression diplomatique forte doit être crédibilisée par une capacité militaire certaine. Plutôt que de poursuivre sur la voie d’une « défense européenne » improbable et incertaine, je propose de se concentrer d’abord sur la défense de l’Europe. Cela passe par d’importants efforts budgétaires mais aussi par une coopération à quelques-uns, par exemple par un traité de défense entre la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Ouvert aux autres, il doit permettre, chacun avec ses contraintes et ses spécificités, de démontrer que nous sommes capables d’organiser une défense crédible du continent, tout en restant dans l’OTAN, alliance nécessaire.

Cette avancée permettrait des développements diplomatiques et politiques que l’Union ne peut pas initier dans ces domaines régaliens.

Emmanuel Macron : quelle orientation stratégique pour la France ?

Mon, 24/04/2017 - 19:10

Emmanuel Macron sera probablement élu président de la République le 7 mai prochain. Les mesures qu’il prendra en termes de politique étrangère demeurent, elles, relativement floues.

L’ampleur de la victoire du candidat du mouvement « En Marche ! », si on ne la connaît pas encore, devrait tout de même être nette, dans la mesure où Marine Le Pen ne semble pas disposer de beaucoup de réserves de voix. Ceux qui s’étaient inquiétés d’une possible victoire de la candidate du Front national (FN), en se fondant sur les votes de protestation aux États-Unis (Trump) ou au Royaume-Uni (Brexit), oublient que le système électoral français est à deux tours. Ainsi, Marine Le Pen est empêchée de gagner une élection de ce type en l’état actuel.

Concernant la politique étrangère, l’ampleur du score aura une importance certaine : plus haut sera le score de Marine Le Pen, plus le crédit de la France s’en trouvera affecté à l’extérieur. Le fait même qu’elle soit présente au second tour peut déjà constituer un choc, même si ce dernier était largement anticipé.

Marine Le Pen se réclame  – de manière exagérée et mensongère  – parfois du général de Gaulle. Le fait de vouloir entretenir des relations avec la Russie ne suffit guère à qualifier une politique de gaulliste : tout dépend s’il s’agit d’une relation saine et équilibrée ou d’une relation de dépendance (y compris financière à l’égard de Moscou, cf. le prêt bancaire de Marine Le Pen). Concernant les États-Unis, la candidate FN affirme paradoxalement vouloir en être indépendante tout en souhaitant un ralliement à Trump. Imagine-t-on le Général de Gaulle attendre dans une cafétéria dans l’espoir d’un rendez-vous ? C’est donc à tort que Marine Le Pen se réclame d’une diplomatie gaullienne, aussi bien par rapport aux États-Unis que par rapport à la Russie ; sans parler du rapport aux pays émergents et à l’islam : de Gaulle avait, lui, fait de la réconciliation avec les pays arabes un objectif prioritaire par la fin de la guerre d’Algérie.

Emmanuel Macron s’est, quant à lui, réclamé du gaullo-mitterrandisme au cours de la campagne. Il n’a cependant pas été plus explicite sur les implications d’un tel positionnement. Le candidat du mouvement « En marche ! » s’était notamment distingué de Manuel Valls à propos de la déchéance de nationalité, ce qui lui avait valu des soutiens initiaux forts. En outre, Emmanuel Macron a soigneusement évité de parler de « troisième guerre mondiale », d’islamo-fascisme et de choc des civilisations, sources de clivage, termes que Marine Le Pen et d’autres candidats n’hésitent pas à employer.

Concernant la politique étrangère de Macron, on constate que la composition de ses conseillers est très hétérogène : ni gauche, ni droite ; des néo-conservateurs comme des gaullo-mitterrandistes. Les nominations aux postes diplomatiques clefs, notamment au Quai d’Orsay et à la Défense, seront essentielles dans l’appréciation de sa politique étrangère. Quant à l’OTAN, la position de Macron reste relativement classique : il demande une défense européenne mais ne remet pas en cause la réintégration de la France dans l’organisation transatlantique. Ici encore, il faudra voir au pied du mur quel type de maçon sera le candidat en termes d’affaires extérieures.

Vis-à-vis de la Russie, Emmanuel Macron a pris des distances avec Vladimir Poutine, se démarquant ainsi de ses concurrents – Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et François Fillon – qui réclamaient un rééquilibrage des relations avec Moscou. Cependant, lorsque Macron sera à l’Élysée, il se rendra vite compte que la Russie est un partenaire important dont il ne faut pas s’éloigner trop fortement. Dans le passé, Nicolas Sarkozy, qui avait déclaré qu’il ne serrerait pas la main de Vladimir Poutine, a finalement eu une politique très coopérative avec Moscou ; au point de vouloir lui vendre des Mistral – ce qui n’a pas abouti à cause de l’affaire ukrainienne. Par ailleurs, Emmanuel Macron a appelé à la levée des sanctions contre la Russie, à condition que les accords de Minsk soient respectés. On peut penser qu’une fois président, Emmanuel Macron oubliera le soutien fort de Moscou envers Marine Le Pen, afin de mener la politique nécessaire aux intérêts de la France à l’égard de la Russie.

À propos du conflit israélo-palestinien, Emmanuel Macron semble ne pas vouloir prendre de positions qui pourraient lui attirer l’hostilité des institutions juives françaises. Il est effectivement resté plus que prudent et a même condamné les campagnes de boycott, tout en déclarant qu’il ne reconnaîtrait pas unilatéralement l’État palestinien. Emmanuel Macron se place en réalité dans les pas de François Hollande, qui avait promis durant sa campagne de reconnaître la Palestine pour finalement y renoncer, essentiellement pour des motifs de politique intérieure. On verra donc si Macron reprendra cette ligne ou bien s’il renouera avec la tradition française, consistant à être au premier rang parmi les pays occidentaux dans la défense du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ainsi que de s’afficher comme le pays occidental le plus proche de la cause palestinienne.

Pour résumer, le candidat Emmanuel Macron a essayé d’attirer le maximum d’électeurs possible et de ne braquer personne, en étant pour cela relativement flou sur certains points qui pouvaient être jugés trop clivants en politique étrangère. Désormais, les prudences qui l’accompagnaient comme candidat ne sont plus de mises : en tant que président, il devra trancher, assumer et montrer quelle politique étrangère il souhaite mettre en œuvre. Et s’il confirme sa volonté de s’inspirer d’une filiation gaullo-mitterrandiste, il faudra qu’il n’hésite pas à être tranchant et aller contre les vents dominants à l’extérieur et les groupes de pression à l’intérieur, afin de mettre en place une politique qui ne prenne en compte que l’intérêt national.

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