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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 2 weeks 6 days ago

Le fusible Michael Flynn

Wed, 15/02/2017 - 15:14

Le (très controversé) conseiller à la Sécurité nationale de la Maison blanche, Michael Flynn, a été contraint à la démission, le 13 février, après qu’il a reconnu avoir fourni « par inadvertance » des informations incomplètes au vice-président, Mike Pence, au sujet de ses échanges téléphoniques avec Sergey Kislyak, ambassadeur de Russie à Washington, fin décembre dernier (avant sa nomination et la prise de pouvoir du duo Trump/Pence).

Flynn sera resté moins d’un mois à ce poste hautement stratégique, ce qui constitue un record absolu. Son départ n’est qu’un nouvel épisode des errements de la politique étrangère de Washington et une preuve supplémentaire de la forte tension existante entre, d’un côté, les services secrets et l’administration qui œuvrent à la continuité du pouvoir et, de l’autre, les conseillers de Trump qui préfèrent les coups d’éclat et promeuvent une rupture radicale avec la politique – interne et internationale – de Barack Obama. Ainsi, Flynn n’est qu’un fusible. Il suscitait de fortes réticences chez les services de renseignements qui craignaient que Moscou ne lui fasse du chantage après ses échanges téléphoniques avec l’ambassadeur russe, auquel il avait implicitement promis une politique conciliante vis-à-vis de Moscou. Flynn part parce qu’il n’a plus la confiance de Trump et parce que Pence et Bannon ont demandé sa tête.

Flynn, fidèle de la première heure du candidat Trump, est un ancien général 3 étoiles qui s’est illustré autant par son rôle dans la guerre contre Al-Qaïda, en Irak et en Afghanistan, que pour ses prises de positions très dures envers l’islam. Il a également affirmé à de nombreuses reprises son souhait d’un rapprochement entre Washington et Moscou. Pour le président Trump, ce départ est une très mauvaise nouvelle. Il est en effet la preuve que, contrairement à ce qu’il affirme à cor et à cri, il ne s’entoure pas forcément des « meilleurs ». Il s’est trompé en faisant le choix de Flynn. Ce dernier avait été poussé vers une retraite anticipée en 2014, alors qu’il dirigeait le département du Renseignement de l’armée américaine, pour son mauvais management et ses propos racistes.

Plusieurs congressistes démocrates (et républicains) réclament une enquête afin d’établir la nature exacte des liens que Flynn entretenait avec le Kremlin mais également le degré de connaissance de Trump, à la fois de cette situation et du danger que son conseiller faisait peser sur la sécurité des États-Unis. Le 14 février, la Maison blanche a, de manière stupéfiante, affirmé que le président était informé depuis plusieurs semaines des conversations entre Flynn et l’ambassadeur russe.

Cette démission intervient alors que les positions de Donald Trump en matière de politique étrangère ne cessent de changer. Il a ainsi récemment rappelé que les États-Unis ne reconnaissaient qu’une seule Chine (exit donc les « provocations » sur Taïwan), que la poursuite de la colonisation israélienne des territoires palestiniens étaient une mauvaise chose (on verra comment Netanyahou et lui échangent à ce sujet cette semaine) et a rappelé, à l’occasion de la visite officielle du premier ministre japonais, la force des liens entre Tokyo et Washington (alors qu’il avait dénoncé pendant la campagne la politique commerciale agressive du Japon). Il n’a que très peu réagi au tir de missile effectué par la Corée du Nord, se contentant, comme à son habitude, de promettre d’y répondre « très fortement » et assurant le Japon – mais pas la Corée du Sud – de son soutien.

Le départ de Flynn suffira-t-il à apaiser les esprits, à calmer les inquiétudes autour de « l’agenda géopolitique » de Trump ? Rien n’est moins sûr. C’est même sans doute le contraire.

Marie-Cécile Naves est l’auteure de « Trump, l’onde de choc populiste » (FYP, août 2016).

« Négociation humanitaire » : la maîtrise ou l’échec

Wed, 15/02/2017 - 12:38

La maîtrise de la « négociation humanitaire » est devenue une compétence déterminante et incontournable pour les humanitaires. Le besoin d’intervenir dans des contextes de conflit expose les équipes de terrain à l’interaction directe, souvent tendue, entre ceux-ci et les entités ou individus capables d’exercer des menaces, la violence ou simplement l’autorité légale qu’ils détiennent.
Ce besoin de négociation n’est pas ancré exclusivement sur les menaces : obtenir l’accord des autorités pertinentes pour mettre en œuvre un projet médical (une campagne de vaccination, par exemple) ; l’acceptation d’engager une recherche médicale ; l’importation de médicaments de qualité pour les projets en cours ; la récupération de matériels coûteux comme des véhicules ou des équipements de télécommunication dérobés ; l’obtention d’une permission pour l’utilisation de fréquences de radio ou le permis de travail pour le personnel international font partie du large répertoire potentiel de négociation.
Néanmoins, l’obtention d’accès des humanitaires aux populations en danger (et l’accès de la population aux services fourni par les organisations humanitaires) reste le sujet de négociation par excellence, au point que quelques spécialistes réduisent la « négociation humanitaire » à la négociation pour l’accès.

Les dynamiques de coercition et la violence sur le terrain d’action, toujours changeants, la métamorphose du modus operandi des acteurs armés, l’affirmation des autorités des pays émergents, faibles ou autoritaires face à des interlocuteurs internationaux ajoutés aux exemples mentionnés au début de cet article, demandent de façon incontournable aux nouvelles générations de responsables de projets un savoir-faire, des compétences spécifiques, en négociation humanitaire.
Une grande majorité du personnel de terrain, jeune bien que passionné, n’a pas été exposé à de telles situations critiques ou une telle responsabilité auparavant, une raison de plus qui exige le renforcement des compétences en négociation.

Mais qu’entend-on exactement par « négociation humanitaire » ?

Malgré le manque d’une définition unique et reconnue par tous, et ce, même dans le milieu humanitaire, d’un point de vue opérationnel on entend par « négociation humanitaire » le processus de transformation des intérêts humanitaires d’une ONG humanitaire en objectifs de négociation par l’échange de concessions et propositions avec les acteurs pertinents pour aboutir à un accord. Cet accord rend possible la mise en œuvre de services (notamment de soins et de santé) ou la livraison de biens humanitaires (eau, nourriture, abri) destinés à une population en besoin. Tout ça dans une volonté de respect des principes et valeurs humanitaires (humanité, neutralité, impartialité, indépendance).

Si, sans doute, l’attitude et les compétences individuelles des négociateurs humanitaires aident à aboutir à un accord ou à régler une situation tendue et conflictuelle, il convient de s’interroger sur l’efficacité du processus si à cette composante individuelle innée on ajoute des tactiques et stratégies éprouvées de négociation, une analyse des intérêts des acteurs clés, la définition d’objectifs immédiats et à longue échéance, la gestion du timing, les ressources de persuasion, la capacité de mise en œuvre des accords et d’autres éléments nécessaires pour réussir et affirmer les résultats d’une négociation.
Bien que les compétences individuelles soient un facteur-clé dans le travail humanitaire, la complexité et multiplicité de théâtres d’intervention exigent toutefois des structures de soutien adaptées. Autrement dit, en même temps que le renforcement des compétences individuelles, la pratique de la négociation humanitaire devrait être aussi accompagnée par le renforcement de capacités institutionnelles en négociation ; c’est à dire l’existence d’espaces de discussion, l’analyse et la formation intra et inter-organisationnelle ; le registre et la capitalisation des expériences de négociation ; la sauvegarde des réseaux de relations et contacts cruciaux au-delà de la période d’engagement du négociateur ; le partage des leçons tirées et la production de matériaux de formation sur le sujet.
Parce que c’est dans ce cadre institutionnel que l’on trouvera les réponses aux questions sur les points forts, les leviers, les faiblesses, les modèles appropriés, l’argumentaire de la négociation et la conformation des équipes de négociation ou de soutien à ceux-ci.
Ainsi, chaque dimensions, individuelle et institutionnelle, renforcerait et nourrirait l’autre : l’expérience et les compétences individuelles serviront de matière première et les capacités institutionnelles apporteront structure, méthode, analyse, systématisation et capitalisation.

En parallèle des sources internes, les cadres de formation des ONGs humanitaires doivent penser sérieusement et profiter de la disponibilité des méthodes, idées et ressources des domaines de la diplomatie et de l’entreprise, pour enrichir leurs expériences, de même que les résultats de recherches académiques concernant le sujet, tout en adaptant les contenus à la spécificité humanitaire, bien entendu. Un éventail de concepts, techniques, méthodes, expertises du milieu « non humanitaire » peut être capitalisé et transformé en atouts pour l’action humanitaire.

C’est dans l’articulation de l’expertise individuelle et institutionnelle, enrichie par des sources externes que le savoir-faire en négociation humanitaire s’étoffera au bénéfice de la pratique humanitaire et, par là même, des populations destinataires de l’aide humanitaire. Le manque d’un renforcement des capacités en négociation, que ce soit individuel ou institutionnel, risque d’induire une réduction de l’espace humanitaire ou, plus concrètement, risque de laisser les populations abandonnées. L’espace humanitaire est une conquête, et cette conquête est remportée par la négociation, l’outil le plus efficace que les humanitaires ont en leur possession.

Pour que la France retrouve sa cote d’amour à l’étranger

Tue, 14/02/2017 - 12:20

Directeur de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques, Pascal Boniface regrette l’époque pas si lointaine où être Français procurait un avantage inégalable à l’étranger et une prime exceptionnelle de popularité. Dans son Essai Je t’aimais bien tu sais, il s’interroge sur les raisons du désamour entre la France et la communauté internationale et propose des remèdes. Interview.

Lepetitjournal.com : Les conséquences de la guerre en Irak ont donné raison à Jacques Chirac sur la non-intervention, comment expliquer ce revirement de la politique étrangère française en Libye et Syrie qui a mécontenté l’opinion publique arabe ?

Pascal Boniface : Il s’agit d’un long chemin et il y a plusieurs facteurs. Les mises en garde de Jacques Chirac, de Dominique de Villepin et des Français en général en 2003, disant que cette guerre n’allait pas régler les problèmes mais qu’elle allait en créer des supplémentaires, qu’elle allait aggraver les problèmes de terrorisme sans pour autant apporter la démocratie, se sont révélées encore plus exactes qu’on pouvait le penser. La France était alors le porte-voix de ceux qui ne pouvaient se faire entendre.
Alors que tous les voyants donnaient raison à Jacques Chirac, il y a eu une sorte de peur du French Bashing que lui prédisait les lobbys américains. Ce n’est pas avec Nicolas Sarkozy – qui aimait à se faire appeler « Sarko l’Américain » – mais bien dès 2005 avec Jacques que la France décide de faire de la réconciliation avec les Américains une priorité.
La guerre en Libye dont il s’avère aujourd’hui qu’elle est une catastrophe absolue, aussi bien pour le pays que pour la région, relève d’une tout autre logique. Sarkozy a ici cédé aux sirènes médiatiques, à la volonté de montrer le scalp de Khadafi devant les caméras. Il a écouté la voix de Bernard Henri Levy qui s’occupe plus de répercussions médiatiques que des conséquences sur le long terme.
C’est aussi une tragédie pour le principe de Responsabilité de Protéger qui a été tué dans l’œuf avec cette guerre. Ce principe avait été développé après la guerre d’Irak par Kofi Annan pour donner une alternative entre l’inaction ou l’intervention illégale. Initialement on peut comprendre la guerre en Libye comme une opération de protection de la population de Benghazi. En poussant l’opération jusqu’à la destitution de Kadhafi et au changement de régime, on a dénaturé le principe même de responsabilité de protéger.
Les interventions en Libye et en Irak ont conduit à ce que la Syrie soit livrée à elle-même ou aux puissances extérieures comme la Russie. Si les Russes sont si tenaces sur la Syrie, c’est bien en souvenir de la guerre de Libye. De même, si les Américains ne veulent pas intervenir en Syrie, c’est bien en souvenir de la guerre d’Irak. Ce double héritage explique en partie les malheurs actuels de la population syrienne.

Existe-t-il un moyen de sortir de la torpeur et de sauver le concept de « responsabilité de protéger ?

Il faut reconnaître ses erreurs. Or pour l’instant la France a du mal à le faire, du moins en tant que gouvernement, même si ce n’était pas le gouvernement actuel qui a enclenché l’opération en Libye.
En trahissant la mission qui nous avait été donnée et les engagements pris à l’égard de la Russie, nous avons jeté le discrédit sur le principe de « responsabilité de protéger ». Par exemple un paradoxe me frappe toujours : ce sont les membres du conseil de sécurité qui sont les premiers à intervenir sans mandat.
Il faudrait, je crois, pour sortir de cette contradiction, organiser une grande conférence internationale pour analyser les raisons de l’échec de la sécurité collective, pour définir les règles, reconnaître les erreurs passées.

L’opération française au Mali s’est faite sous mandat onusien et à la demande des dirigeants maliens, est-ce selon vous un bon exemple de mise en œuvre de cette sécurité collective ?

Certains ont conclu des échecs en Irak et en Libye qu’il ne fallait plus intervenir militairement, or il ne faut pas sombrer dans le pacifisme béat. Entre le pacifisme total et l’interventionnisme, il y a un chemin à trouver. L’intervention au Mali est le contre-exemple de l’intervention en Libye ou en Irak car il y a eu une acceptation internationale avec un vote devant le conseil de sécurité. L’intervention est en outre faite à la demande des autorités nationales, donc avec un soutien local. La majorité de la population malienne soutient l’opération, c’est aussi le cas des Etats voisins du Mali. On voit aussi que les Russes et les Chinois ont soutenu l’intervention française au Mali.
Au Mali, on s’est efforcé de penser l’après, c’est à dire la réconciliation nationale.

L’influence de l’opinion publique sur la diplomatie d’un pays est un thème sur lequel vous vous attardez, quelle est sa mesure et est-elle toujours souhaitable ?

Il est aujourd’hui impossible d’envisager la diplomatie sans se soucier des phénomènes d’opinion. Ce n’est d’ailleurs pas une mauvaise chose. Certes, l’opinion est parfois pousse au crime mais elle est souvent stabilisatrice.
En tous les cas, c’est une réalité, on ne peut plus faire cavalier seul. Même la grande puissance américaine avec Georges Bush a eu une telle impopularité qu’elle a placé Obama à sa tête par la suite, pour retrouver cette popularité perdue sous les deux mandats de Georges Bush.
Les gouvernements ne doivent cependant pas céder aux impératifs immédiats de l’opinion. Gouverner par les sondages, ce n’est pas gouverner. Souvent les gouvernements suivent l’opinion sans même chercher à l’éduquer. Ce qu’on appelle la RealPolitik, c’est connaître les contraintes qui pèsent sur la prise de décision et en tenir compte, sans se laisser guider par elles.

Vous montrez que, ces dernières années, la morale fait un retour en force dans les opinions et donc dans les relations internationales : comment l’expliquer ?

Parce que c’est plus facile, beaucoup de journalistes qui sont des faiseurs d’opinion ne sont pas des spécialistes de politique internationale. Le recours à des critères moraux « bien et mal » est beaucoup plus pratique et confortable que l’explication rationnelle de réalités complexes. Par exemple, la presse est très russophobe dans son ensemble. Ce prisme peut s’expliquer par l’atlantisme de la plupart des médias où les gens ont la même formation, viennent de la même culture. On parle des moyens d’influence de la Russie en France mais quand on regarde de plus près, ils sont très faibles et peu nombreux par rapport à ceux qui portent une voix américaine et qui ont pignon sur rue. Si bien que cette voix américaine paraît aujourd’hui naturelle en France.

Vous parlez longuement de l’influence de la politique intérieure sur la politique extérieure, quelle est-elle ? Vous vous attardez notamment sur les polémiques liées à l’islam et aux musulmans en France.

Cela écorne notre image dans les pays musulmans, mais aussi dans tous autres pays qui ne comprennent pas notre intolérance. Je fais dans mon livre la liste des Unes de journaux français sur les musulmans, toutes plus tapageuses les unes que les autres.
L’intégration est l’un des défis les plus importants que nous avons à relever, selon moi. Je dis aux musulmans que certes ils sont plus discriminés que certaines communautés, néanmoins la situation s’est améliorée par rapport aux dernières générations. Il ne s’agit pas de se voiler la face sur les discriminations dont les musulmans sont victimes mais de les inviter à regarder le chemin parcouru depuis 50 ans pour tracer le chemin à venir.

Quel rôle peuvent jouer les Français de l’étranger pour remédier à ce désamour que vous décrivez ?

Les expatriés recouvrent des réalités très différentes ; le fait que la présence des Français à l’étranger ait augmenté est plutôt bon signe, ils sont très souvent les avocats de la France dans le pays où ils résident, tissent des liens entre ces pays et le France. C’est donc comme un atout pour la France qu’il faut considérer les expatriés.
Certains s’alarment de ce qu’ils appellent une fuite des cerveaux, mais la très grande majorité des Français reste sensible aux intérêts et à la culture de la France. Ils sont donc une force démultiplicatrice de l’influence française à l’étranger.

Quels espoirs entretenez-vous pour l’élection de 2017 ?

Le prochain président aura le choix : continuer sur la pente actuelle, qui est loin d’être honteuse mais n’est pas enthousiasmante, ou redonner une impulsion à la France afin qu’elle se distingue à nouveau, se singularise positivement.
Le prochain quinquennat est peut-être l’occasion d’un nouveau départ en offrant plus de visibilité à notre politique étrangère. La France, à condition d’exprimer une idée juste et répondant aux aspirations du plus grand nombre, sera plus écoutée que bien d’autres. Elle pourrait s’appuyer sur le nouveau Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, qui sera beaucoup plus mobile et actif que son prédécesseur.
À l’heure où les pays africains se retirent un à un de la Cour pénale internationale en lui reprochant son « deux poids, deux mesures », il y a un risque de déréliction des institutions internationales. La France peut jouer un rôle dans leur relance.

Propos recueillis par Robin Marteau (www.lepetitjournal.com) mardi 14 février 2017

« Les Chinois » – 3 questions à Alain Wang

Mon, 13/02/2017 - 17:05

Alain Wang, journaliste, sinologue, enseigne à l’École centrale Paris et à l’Institut français de la mode. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage : « Les Chinois », aux éditions Tallandier.

Vous évoquez un « contrat de croissance » passé entre la population et la direction chinoise. Peut-il tenir longtemps et assurer la stabilité du régime ?

Après l’écrasement du mouvement démocratique du Printemps de Pékin en juin 1989, le Parti communiste (PCC) reprend d’une main autoritaire la direction politique du pays. En échange, il s’engage à offrir à la population une « petite prospérité ». La relance des réformes au début des années 1990 aboutira à une période d’hypercroissance économique et des inégalités de richesse criantes. Deux nouvelles strates sociales urbaines, de deux à trois cents millions de Chinois chacune, se forment. Une classe moyenne au sein de laquelle les plus riches peuvent adhérer au Parti grâce à l’adoption de la doctrine des « Trois représentativités ». Un monde d’ouvriers déclassés et de paysans migrants exploités, autrefois considérés comme les « fers-de-lance » de la révolution, finalement trahis par leurs élites politiques.

Avec les crises des subprimes, puis de la dette dans la zone euro à la fin des années 2010, les exportations chinoises chutent. Les usines de l’atelier du monde sont touchées. Le licenciement massif d’ouvriers dans les manufactures entraîne une instabilité sociale, accentuée par la montée des revendications des jeunes ouvriers migrants qui se battent pour obtenir des augmentations de salaire et un meilleur système de protection sociale. L’ascenseur social semble bloqué pour nombre de jeunes Chinois.

Pour le moment, rien ne prouve que les mesures pour lutter contre la corruption endémique dans le Parti-État et les entreprises d’État, pour développer la consommation intérieure et le secteur des services, et pour pousser l’innovation afin de relancer les exportations, puissent assurer la stabilité et la pérennité du régime « communiste ». Le président Xi Jinping devrait annoncer les grandes orientations économiques et sociales jusqu’en 2022 lors du 19e Congrès du Parti qui se tiendra en octobre prochain à Pékin. Une grande partie des cadres supérieurs seront renouvelés, laissant entrevoir peut-être la constitution de la nouvelle équipe de la 6e génération de dirigeants, à moins que le président Xi Jinping ne se décide à modifier les règles tacites de succession au sein du Parti-État pour se maintenir à la fin de son second quinquennat…ouvrant ainsi une période d’incertitude.

L’« airpocalypse » dont vous parlez peut-il être enrayé par le nouveau virage vert de Pékin ?

Il est clair que les dirigeants chinois ont depuis longtemps opté pour la croissance économique comme objectif principal. Sortir la population de la pauvreté reste un enjeu majeur depuis l’établissement de la République populaire de Chine. Lors de l’utopique Grand bond en avant, à la fin des années 1950, la déforestation massive, nécessaire pour alimenter la production d’acier dans des centaines de milliers de hauts fourneaux à travers les campagnes, a abouti à une véritable catastrophe environnementale. Puis les réformes économiques lancées en 1978 n’ont fait qu’accentuer la pollution de l’air et de l’eau. Aujourd’hui, la protection de l’emploi et la poursuite de la croissance économique sont indispensables au maintien du Parti-État au pouvoir. Les mesures pour enrayer le processus de dégradation de l’air ont été longues à prendre et à appliquer. Leur efficacité reste à prouver. La pollution atmosphérique touche le nord de la Chine, les provinces côtières industrialisées jusqu’à Shanghai, ainsi que le Guangdong et la région de Hongkong. Là encore, les inégalités sont criantes. En vivant dans des lieux confinés et purifiés, l’élite économique et politique sait se protéger. Mais la grande masse de la population respire au quotidien des particules fines dont les taux étaient, à Pékin, en janvier dernier, vingt fois plus élevés que les normes fixées par l’Organisation mondiale de la santé. La Chine possède le record mondial annuel des malades qui décèdent suite à un cancer des poumons. Selon une étude publiée en 2013, l’espérance de vie pour les citadins résidant au nord du pays aurait reculé de plus de cinq ans.

Enrayer l’« airpocalypse » supposerait un contrôle plus strict des entreprises industrielles – appartenant souvent à l’État – qui rejettent ces fumées nocives. Le charbon ne représenterait plus que deux tiers du mix énergétique en Chine, en baisse de 5%. Mais les informations sont floues et contradictoires. D’un côté, le gouvernement annonce une baisse de l’extraction et la fermeture de mines. De l’autre, une augmentation de 25% des importations en provenance de Mongolie en 2016. Dans la capitale chinoise, comme dans les grands centres urbains, l’augmentation du nombre de véhicules en circulation – plus 240 000 véhicules supplémentaires par an – accentue la pollution atmosphérique. La quantité de soufre qui émane des moteurs diesel est vingt fois supérieure aux normes autorisées en Europe. Pour être efficace, le « virage vert » entrepris suppose la mise en place de lois et règles plus coercitives et d’un appareil de contrôle indépendant pour les appliquer.

Quelle est la force de la société civile chinoise ?

Après quatre ans de présidence, le président Xi Jinping est devenu le dirigeant le plus puissant depuis Mao Zedong. Il a verrouillé le Parti-État pour renforcer son pouvoir et restreindre drastiquement les capacités d’expression de la société civile. La répression s’est durcie contre le moindre acte de dissidence. Le prix Nobel de la Paix, Liu Xiaobo, est condamné à rester emprisonné jusqu’en 2020. Sous prétexte de lutte contre la corruption ou de tentatives de déstabilisation de l’État, les avocats, les journalistes et les « citoyens du net » sont les cibles principales du régime. Ces défenseurs des droits de l’homme font un travail remarquable et essentiel auprès des ouvriers migrants, des paysans expropriés de leurs terres, des ethnies minoritaires, des groupes religieux, des malades du Sida, etc. Il y avait environ 380 « manifestations de masse » chaque jour en 2012 – le chiffre n’est plus communiqué depuis. Les paysans et les ouvriers, qui se mobilisent contre les gouvernements locaux, expriment leur mécontentement et une profonde frustration sociale, que l’on retrouve chez ces simples citadins inquiets face à l’implantation – sans concertation préalable – d’usines polluantes près de chez eux. Le Parti-État a replacé l’ensemble des 135 000 ONGs chinoises ou étrangères sous le contrôle de la police grâce à deux nouvelles lois depuis 2015. En dehors du syndicat officiel, les ouvriers n’ont pas le droit de s’organiser pour défendre leurs droits légitimes ou émettre des revendications. La poursuite d’élections « libres » des comités villageois, initiées dans les années 1980, n’a pas mené à une transition démocratique qui aurait pu permettre à la société civile de s’émanciper. Avec la réaffirmation du leadership du Parti, c’est un recul et un échec. Ces quatre dernières années, la lutte gouvernementale contre le « développement désordonné » d’Internet a renforcé l’élimination des « opinions divergentes » sur les réseaux sociaux, enrayant une expression virulente de la société civile contre le Parti-État, apparue au cours des années 2000.

L’Arabie saoudite et la Nouvelle Route de la Soie : vers un rôle accru ?

Fri, 10/02/2017 - 14:27

L’Arabie saoudite va-t-elle participer au projet de zone économique de la Nouvelle Route de la Soie (NRS) ? Le projet saoudien « Vision 2030 » et le projet pharaonique chinois « une ceinture, une route » peuvent-ils s’imbriquer ? Le projet saoudien vise à rendre l’économie saoudienne plus robuste et sortir de l’ère tout pétrole. Les entreprises chinoises sont déjà présentes sur le marché saoudien et souhaitent participer aux développements d’infrastructures : réseaux ferroviaires, des malls (centre commerciaux), usines de dessalement d’eau, raffineries.

En janvier 2016, Xi Jinping avait visité l’Egypte, l’Arabie saoudite et la République islamique d’Iran, avec l’idée de construire de nouveaux tronçons d’une nouvelle voie de communication. La (NRS) s’appuie sur l’antique « route de la soie » et une voie maritime, imaginée par le célèbre amiral musulman Zheng He au XVe siècle. Elle traversait historiquement, entre autres, l’Iran, l’Irak et la Syrie, et permettrait aujourd’hui de sécuriser les approvisionnements énergétiques chinois et « bousculer » les équilibres internationaux.

La Chine entretient de bonnes relations avec l’Iran, tout en restant extérieur au conflit actuel entre Téhéran et Riyad. Dans le même temps, Pékin développe des exercices inédits de coopération militaire avec Riyad, tout en construisant des bases militaires le long des océans Indien, Atlantique et Pacifique, notamment à Djibouti et le port de Gwadar au Pakistan. La NRS offrirait à la Chine d’être moins vulnérable dans les détroits d’Ormuz et de Malacca, zone potentiellement conflictuelle des approvisionnements énergétiques.

La coopération sino-saoudienne

La Chine est le plus grand importateur mondial de pétrole, 80 % de ses importations proviennent du Moyen-Orient, principalement d’Arabie saoudite (70 milliards de dollars), par le biais de ses grandes entreprises publiques, telles SINOPEC ou la CNPC. La Saudi Aramco, plus grande compagnie de pétrole au monde, envisage d’approfondir ses investissements dans les secteurs de la raffinerie, de la pétrochimie avec les entreprises chinoises. La première grande raffinerie saoudienne de Yanbu est entrée en fonction le 20 janvier 2016 avec d’importants capitaux de SINOPEC. Ces deux compagnies ont signé un nouvel accord stratégique de coopération pour se déployer dans les marchés mondiaux. Ainsi, la relation pragmatique sino-saoudienne pourrait être un levier pour l’économie saoudienne hors pétrole.

Les comptes du royaume se sont fortement dégradés, depuis la chute vertigineuse du prix du baril (juin 2014), et Riyad privilégie aujourd’hui, au sein de l’OPEP, une augmentation des cours avec l’objectif d’atteindre les 70 dollars. Ce prix garantirait une marge de profit aux fabricants chinois et le financement de projets d’infrastructure en Arabie saoudite.

Pour financer les projets d’infrastructure, les entreprises chinoises bénéficient de la fameuse Exim Bank (Export-Import Bank of China), qui disposerait de plus d’un tiers des liquidités mondiales, ce qui permettrait d’investir dans les infrastructures ferroviaires en Arabie saoudite. Cette perspective permettrait à la fois aux saoudiens d’accompagner le plan « Vision 2030 » et aux Chinois de compléter le maillage de la Nouvelle Route de la Soie à travers le royaume pour ouvrir d’autres voies terrestres et maritimes aux marchandises chinoises à destination de l’Afrique dans laquelle elle est déjà fortement implantée.

En 2009, la China Railway Engineering avait remporté la première phase d’un contrat de 1,8 milliards de dollars pour la construction d’une ligne à grande vitesse entre la Mecque et Médine. La Chine se verra-t-elle attribuer le pharaonique projet international ferroviaire qui traverserait les six pays du Conseil de coopération du Golfe ?

Pékin a créé un outil puissant dans la stratégie de la NRS, la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB en anglais), concurrente implicite de la Banque mondiale. Elle compte parmi ses 57 membres l’Arabie saoudite, le Pakistan, l’Indonésie, la Malaisie, Oman et l’Iran, pays clefs de la route de la Soie. La Chine entend assumer le leadership mondial dans le domaine du financement des infrastructures mais elle a besoin d’une stabilisation du Moyen-Orient pour déployer ses investissements économiques, et l’Arabie saoudite est un acteur clef de cette région.

La majorité des musulmans habitent le long de la Route de la Soie

La Chine compte 20 millions de musulmans, et la majorité d’entre eux (les Ouïghours) sont dans la région autonome du Xinjiang, qui constitue le cœur de la NRS du XXIe siècle avec les villes d’Urumqi et de Kashgar. Cette région autonome connait des troubles violents réguliers qui trouvent écho dans le monde musulman. Des milliers de Ouïghours combattent au nord de la Syrie et leur retour suscite la plus grande vigilance de Pékin. Chaque année, plus de 15000 Chinois se rendent à la Mecque pour effectuer le pélerinage, et environ 80% des musulmans dans le monde habitent le long de la route de la Soie : Turquie, Indonésie et Pakistan.
Le port en eau profonde pakistanais de Gwadar, proche du détroit d’Ormuz, est aujourd hui géré par une compagnie chinoise. Prochainement relié par voie ferroviaire au Xinjiang, Gwadar est stratégique pour l’importation de pétrole par la Chine.

Le soft power chinois au Moyen-Orient

La télévision nationale chinoise a diffusé une série en 59 épisodes (en 2009) sur la vie et les voyages de Zheng He en soulignant le caractère pacifique de ses expéditions maritimes sur la route maritime de la Soie.

Dans le film à grand spectacle chinois « Dragon Blade » (2015), les célèbres acteurs Jackie Chan et John Cusak délivrent un message géopolitique au monde que l’on pourrait interpréter, du moins vu de Pékin, par « les Empires ne sont pas ennemis, et peuvent coopérer dans leur intérêt réciproque », faire du « gagnant gagnant » dans un esprit pacifique avec la Nouvelle Route de la Soie, et que chaque nation puisse en tirer profit.

Si un blocus maritime des États-Unis en mer de Chine devait subvenir, la route terrestre par le Pakistan deviendrait cruciale pour un accès de la Chine à l’océan Indien et le golfe Arabo-Persique. L’influence de l’Arabie saoudite dans le monde musulman et sa relation privilégiée avec le Pakistan ferait de Riyad un acteur incontournable de la Nouvelle Route de la Soie et le Moyen-Orient, qui demeure une zone sismique des relations internationales, à l’heure où la politique étrangère américaine devient une inconnue. Va-t-on assister à la construction d’une convergence d’intérêts entre la Chine et l’Arabie saoudite ?

Sous-marins norvégiens : l’Allemagne devient-il le pays qui organise la coopération en matière d’armement en Europe ?

Fri, 10/02/2017 - 13:02

Après l’annonce du choix de l’entreprise allemande TKMS par la Norvège, le 3 février 2017, pour la fourniture de 4 sous-marins, la première réaction serait de dire « 1 partout » entre TKMS et DCNS. En effet, l’Australie avait choisi en avril 2016 l’entreprise française DCNS pour lui fournir 12 sous-marins. On ajoutera aussitôt que le nombre de sous-marins dans le contrat australien est plus important et que les bâtiments commandés sont d’un tonnage supérieur au bateau norvégien, l’impact économique du contrat australien est bien plus grand pour DCNS que celui du futur contrat norvégien pour TKMS. Ces comparaisons sont utiles si on essaie d’analyser la compétition que se livre l’entreprise allemande et l’entreprise française sur le marché des sous-marins à l’exportation. On ajoutera aussi à cette comparaison que DCNS estime que son offre à la Norvège était supérieure notamment dans le domaine de la lutte anti sous-marine. Pour autant, la décision norvégienne appelle d’autres commentaires que cette stricte analyse comptable dans le sens où ce choix révèle peut-être un changement dans le mode de coopération et d’acquisition des pays européens dans le domaine de la défense.

En effet, après avoir lancé un appel d’offre pour la fourniture de ces sous-marins, la Norvège a pris la décision de sortir de l’appel d’offre et de nouer une coopération avec l’Allemagne sur la base d’une évolution du sous-marin T-212, actuellement en service dans les marines allemande et italienne.

Même si la Norvège n’est pas membre de l’Union européenne et que le droit communautaire ne lui est pas applicable, on ne peut s’empêcher de penser que ce pays s’est inspiré de la faculté offerte par l’article 13 de la directive européenne 2009-81 sur les marchés de défense et de sécurité qui permet d’exclure du champ de la directive « les marchés passés dans le cadre d’un programme de coopération fondé sur des activités de recherche et développement ». Dans ce cas, le lancement d’un appel d’offre n’est plus nécessaire puisqu’un des objectifs de la directive – favoriser la coopération en matière d’armement et la mutualisation des capacités militaires -, est rempli puisque la Norvège et l’Allemagne bénéficieront à partir des années 2025[1] d’un sous-marin identique. Simplement, la mutualisation capacitaire s’inscrit plus dans le cadre de l’OTAN, la Norvège étant membre de cette organisation, que dans celui de l’Union européenne.

On peut se demander d’ailleurs si le choix des Norvégiens pour un sous-marin fabriqué par TKMS n’est pas « framework nations concept (FNC) compatible ».

FNC est une initiative qui a été lancée par l’Allemagne en septembre 2014 dans le cadre de l’OTAN. Elle vise à insérer les forces armées des pays européens de l’Otan qui ont les capacités les plus faibles dans le cadre d’une capacité commune organisée par une nation cadre qui dispose de forces armées plus importantes. 16 pays sont aujourd’hui partie prenante au concept FNC[2], dont le plus important est l’Allemagne. Cette initiative s’est focalisée dans un premier temps sur les capacités structurelles et logistiques, ce que l’on appelle les enablers, dans le cadre de quatre clusters portant sur le déploiement des quartiers d’état-major, sur les effecteurs, sur la protection (défense aérienne et défense anti-missile) et sur les capacités de soutien en opération (qui comprend notamment les capacités patrouille aérienne et les systèmes de drones MALE). Même si FNC porte sur la mutualisation des forces, on peut estimer que l’initiative ne sera pas sans conséquence en termes de coopération européenne sur les équipements du futur et donc sur la consolidation industrielle dans le domaine de l’armement.

De ce fait, même si la capacité sous-marine ne fait pas partie des clusters formellement identifiés dans FNC, on ne peut s’empêcher de penser que le choix des Norvégiens s’inscrit dans une démarche similaire à celle qui a présidé à la constitution de FNC. En effet, la Norvège appartient au club FNC, la Pologne, qui a lancé un appel d’offre pour la fourniture de sous-marins, est également partie prenante à FNC et pourrait se joindre à cette coopération, ainsi que les Pays-Bas[3], et ce dans ce qui serait le cadre d’un « cluster sous-marin » qui serait créé et piloté par l’Allemagne.

En conclusion, il est fort probable que l’offre de TKMS sur le sous-marin norvégien s’inscrit dans le cadre d’une stratégie politique plus globale de l’Allemagne visant à mieux organiser les mutualisations capacitaires, par ailleurs souhaitées par l’Union européenne, l’OTAN ainsi que les Etats membres de ces organisations, autour de Berlin, « les petits s’agrégeant derrière un plus gros ».

La France serait donc bien inspirée de prendre en compte ce facteur non comptable dans l’organisation de ses coopérations et exportations d’armement futurs au sein de l’Union européenne.

[1] La livraison des bâtiments devrait s’étaler entre 2025 et 2030.
[2] Allemagne, Belgique, Bulgarie, République Tchèque, Danemark, Estonie, Hongrie, Luxembourg, Lithuanie, Lettonie, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Roumanie, Slovaquie
[3] Ce dernier pays est cité dans le communiqué publié par le ministère de la Défense norvégien rendant public la décision de la Norvège : Germany chosen as strategic partner for new submarines to Norway.

Syrie : solution politique ou somalisation ?

Fri, 10/02/2017 - 12:10

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Theresa May : une position habile, ferme, et très inconfortable

Thu, 09/02/2017 - 15:27

Hier, les députés britanniques ont donné à Theresa May le pouvoir de notifier à l’Union européenne l’activation de l’article 50. La semaine passée, celle-ci a publié un livre blanc dans lequel elle dévoile sa stratégie. En sait-on plus sur les modalités de divorce côté britannique ?

Le Livre blanc publié par le gouvernement britannique ne constitue que le versant technique de la position politique adoptée par Theresa May lors de son discours du 17 janvier à Lancaster House. C’est ce discours qui constitue la véritable rupture. Il montre que le gouvernement britannique, qui s’est heurté pendant plusieurs mois aux positions européennes dans ce dossier, a compris que de maintenir sa stratégie irréaliste finirait par être contre-productif.

Theresa May a mis beaucoup de temps à comprendre cela. En revanche, depuis qu’elle a arrêté sa ligne, elle a mené sa barque avec habileté. D’une part, elle a réussi à faire passer l’abandon de ses prétentions sur l’accès au marché unique comme une clarification de sa part, une affirmation de son autorité, et la défense de la souveraineté britannique fondée sur le mandat que lui donne « la voix du peuple ». Il s’agit bien là pour elle de la seule position possible. En effet, sauf à remettre en cause son propre poste, elle est obligée d’en appeler à ce mandat et de le mener à bout, puisqu’elle n’était pas elle-même favorable au Brexit avant le référendum.

D’autre part, elle a réaffirmé son autorité sur le plan domestique au regard de son parti et du Parlement. Les députés britanniques ont donc donné à Theresa May les compétences pour enclencher l’article 50 et mener à bien les négociations. Le projet de loi a été passé rapidement et sans amendement, de sorte que la Première ministre pourra respecter le calendrier qu’elle s’était fixée. Theresa May avait besoin de ce soutien clair mais, pour ce faire, elle a dû donner des garanties sur le droit de regard que le Parlement pourra exercer sur l’accord final. L’accord avec l’Union européenne devra être ratifié par le Parlement britannique.

Quoiqu’à bien des égards historiques, le soutien du Parlement mercredi n’est donc que le départ d’un long processus en poupées russes, d’une complexité dont nous n’avons toujours pas véritablement pris la mesure. Elle va devoir mener de front la négociation avec Bruxelles en regardant dans son dos vers l’opposition de l’Ecosse, dont le Parlement a refusé l’activation de l’article 50, voire l’Irlande du Nord, l’opposition de la City, et une opposition parlementaire qui pourrait s’organiser en vue de peser sur les conditions de sortie. C’est maintenant que tout commence.

Pourquoi la Cour suprême britannique a-t-elle eu à trancher sur la nécessité ou non pour le gouvernement de consulter le Parlement avant l’activation de l’article 50 ? N’existe-t-il pas d’ores et déjà une jurisprudence pour ce cas précis ?

Le Royaume-Uni est un Etat dont la Constitution non-écrite repose sur une accumulation de précédents. C’est ce qui lui permet de s’adapter aux évolutions politiques de manière pragmatique. Or, la pratique du référendum y est inhabituelle : l’absence de précédent clair rend délicat l’arbitrage entre la souveraineté populaire et la souveraineté du Parlement.

C’est donc la Cour suprême qui a tranché. Une fois cette décision prise, le Parlement aurait donc pu s’opposer à l’activation de l’article 50, sachant que la majorité des députés était opposée au Brexit. Il semble avoir choisi de préserver son capital politique pour peser sur les conditions de sortie de l’UE.

La visite de Theresa May au nouveau président des Etats-Unis, Donald Trump, au nom de la « relation spéciale » entre Washington et Londres constitue-t-elle une stratégie pertinente côté britannique ?

Theresa May n’a pas le choix. D’une part, elle a dû se résoudre à la sortie du marché unique. Elle doit donc démontrer que le Royaume-Uni est ouvert au commerce international et capable de nouer des partenariats bénéfiques avec des pays tiers, et en particulier avec les Etats-Unis. Mais le Royaume-Uni devra négocier avec un partenaire beaucoup plus puissant, dont le chef d’Etat est passablement imprévisible. Elle s’est aussi rendue ces dernières semaines en Australie, en Inde et au Japon, mais ces futurs accords commerciaux seront longs à mettre en place et comporteront des contreparties.

Ses positions la mettent aussi dans une situation compliquée politiquement. Au lendemain de la visite de Theresa May à Washington, Donald Trump annonçait la publication d’un décret interdisant la venue sur le territoire de ressortissants de sept pays. Plus largement, la Première ministre est coincée entre l’obligation de bâtir son partenariat économique et ce qui l’oppose foncièrement à Trump. Comme le montrait récemment Gideon Rachman, le Brexit oblige Theresa May à se rapprocher d’un président dont elle ne partage pas la vision du monde : il est protectionniste, elle se pose en championne du libre-échange, elle défend le multilatéralisme basé sur des normes, lui met « America First », elle a souligné qu’une Union européenne solide et prospère était dans l’intérêt du Royaume-Uni, lui a suggéré vouloir la voir démembrée.

Theresa May a annoncé un « hard Brexit » laissant entrevoir la possibilité qu’aucun accord ne soit signé. A quoi ressemblerait le Royaume-Uni post-Brexit dans les relations internationales ? Quelles seraient ses alliances stratégiques avec le reste du monde ?

C’est la partie la moins crédible de son discours. 50 % des exportations britanniques vont vers le marché européen. Dans ce cas de figure, elles seraient soumises aux mêmes droits de douane que les autres Etats qui commercent avec l’UE, comme le veulent les règles de l’OMC. L’absence d’accord entre l’UE et la Grande-Bretagne aurait ainsi des conséquences catastrophiques, et il est plausible que le Parlement britannique s’y oppose, ce qui risquerait de provoquer une crise institutionnelle, voire de nouvelles élections législatives. D’où l’importance du poids que pèsera le Parlement sur les conditions de sortie.

Il est impossible de prévoir à six mois, encore moins à deux ans, mais une chose est sûre : les négociations seront compliquées tant l’économie britannique est imbriquée à celle de ses voisins européens, et cette complexité concerne un nombre incalculable de domaines. D’aucuns commencent à se demander si nous sommes réellement capables de mener le Brexit à son terme, et je n’en suis pas certain.

Hommage à Tzvetan Todorov

Thu, 09/02/2017 - 10:23

Tzvetan Todorov nous a malheureusement quittés. Il ne sera plus là pour combattre par sa lucidité généreuse l’obscurantisme moderne. Les hommages qui lui ont été rendus ont laissé de côté un aspect important de son œuvre : une approche philosophique des questions géostratégiques. Je republie le portrait que j’en avais dressé dans « Les intellectuels intègres » en 2013 et recommande la lecture des livres de Tzvetan, toujours actuels et utiles pour la compréhension du monde contemporain.

Tzvetan Todorov est né en 1939 à Sofia, en Bulgarie. Élevé dans un milieu intellectuel, il étudie les lettres modernes et commence à enseigner. Afin de poursuivre sa formation, il vient à Paris en 1963, avec l’idée d’y rester un an. « La France me paraissait le pays de la liberté et de la civilisation… Et avoir un équilibre entre matériel et spirituel »[1].

Roland Barthes est son directeur de thèse consacrée aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, qu’il soutient en 1966. Entré en 1967 au CNRS, il obtient la nationalité française en 1973. En 1981, il épouse la romancière Nancy Huston, d’origine canadienne.

Après avoir fondé et dirigé le Centre de recherche sur les arts et le langage à l’EHESS, il devient directeur de recherche du CNRS en 1987. Il est directeur de recherche honoraire depuis 2005.

Il est membre du Comité de soutien de l’association Primo Lévi, destinée à aider les personnes réfugiées en France ayant été victimes de la torture ou de la violence politique dans leur pays d’origine, et également président de l’association Germaine Tillion qui divulgue l’œuvre et le message de la grande résistante dont il dit que l’exemple l’a amené à l’engagement politique. En 2008, Tzvetan Todorov a reçu le prix du Prince des Asturies en sciences sociales et en 2011, celui de la critique de l’Académie française.

Quatre de ses ouvrages concernent plus précisément le champ géostratégique : Mémoire du mal, tentation du bien, écrit peu après la guerre du Kosovo, Le Nouveau Désordre mondial, rédigé après celle d’Irak, La Peur des barbares, publié avant l’élection de Barak Obama et Les Ennemis intimes de la démocratie en 2012. Ces livres signés par un historien et philosophe permettent de « décloisonner » la discipline, lui apportent un regard extérieur et neuf.

Todorov estime par exemple que la guerre du Kosovo, loin de combattre le principe d’épuration ethnique, l’a fait triompher en rendant impossible la cohabitation entre les populations serbes et kosovares. Il remet en cause la vision dominante où les Serbes auraient tous les torts et où l’UCK (l’Armée de libération du Kosovo) verrait les siens totalement oubliés, et s’élève contre le manichéisme selon lui héritier des crimes totalitaires qui divise l’humanité en deux moitiés étanches : les bons et les mauvais, nous et les autres.

À propos de la guerre d’Irak, il rappelle que la guerre préventive est une innovation particulièrement contestable dans la vie internationale moderne. « Si on impose la liberté aux autres, on les soumet, de même que si on leur impose l’égalité, on les juge inférieurs »[2].

Selon lui, au Kosovo comme en Irak, il y eut une guerre illégale, une politique de force et des arguments contestables. « Dans les pays totalitaires, la vérité est systématiquement sacrifiée à la lutte pour la victoire. Dans un État démocratique, le souci de vérité doit être sacré ; sont en jeu les fondements mêmes du régime. » Todorov en profite pour développer le concept de « puissance tranquille », c’est-à-dire une puissance non agressive, au service de projets collectifs définis de façon multilatérale.

La Peur des barbares est une réponse aux théories sur le choc des civilisations mais également à ceux qui essayent, y compris à gauche, de montrer que l’islam n’est pas intégrable à nos sociétés. Alors que la majorité des émigrés actuels est d’origine musulmane, en Europe, attaquer les immigrés est politiquement incorrect. Pourtant critiquer l’islam est perçu comme un acte de courage, rappelle Todorov, les musulmans sont réduits à l’islam, lui-même réduit à l’islamisme politique, lui-même réduit au terrorisme.

Il revient longuement sur l’affaire des caricatures danoises en estimant que si le but des rédacteurs du journal danois avait été de provoquer une réaction violente de la part de certains musulmans et en conséquence un rejet par le pays de sa minorité musulmane, déjà en butte aux attaques du parti d’extrême droite, ils ne s’y seraient pas pris autrement. Il dégage une réflexion sur l’éthique de responsabilité et l’éthique de conviction. Si on a beaucoup évoqué Voltaire à l’époque, Todorov rappelle que ce dernier s’opposait aux institutions dominantes – l’État et l’Église – alors que les militants actuels reçoivent l’appui et l’encouragement des ministres et des chefs de partis au pouvoir. Lui qui a fui un régime totalitaire rappelle aussi que l’amalgame devient choquant lorsque ces combattants pour la liberté s’assimilent eux-mêmes aux dissidents des pays communistes en Europe de l’Est. « Ceux-ci pouvaient payer leur audace par plusieurs années de déportation, là où ceux-là risquent de se voir accueillis à la table du chef de l’État. Il est un peu excessif, à tout le moins, de vouloir bénéficier à la fois des honneurs réservés aux persécutés et des faveurs accordées par les puissants. »

Dans son dernier livre Les Ennemis intimes de la démocratie, il note que dans la Bulgarie communiste où il a vécu jusqu’à l’âge de 24 ans, l’absence de liberté touchait bien sûr les choix politiques, mais également des aspects qui n’avaient aucune signification idéologique : le lieu de résidence, le métier ou même les préférences pour tel ou tel vêtement. Le mot « liberté » était valorisé par le régime mais cela servait à en dissimuler l’absence. C’est donc avec inquiétude qu’il a vu en 2011 le terme « liberté » devenir une véritable marque pour des partis politiques d’extrême droite et xénophobes en Europe.

Toujours sur la question de l’islam, Todorov remarque : « On PARLE beaucoup en Occident du danger que représente l’islamisme pour les pays d’Europe ou d’Amérique du Nord, ce qu’on VOIT en revanche, ce sont les armées occidentales qui occupent les pays musulmans ou qui y interviennent militairement. » De fait, il dénonce l’hostilité face à l’islam, soigneusement entretenue par les pouvoirs politiques et les médias. Ainsi, lorsque le président de la République estime que la communauté française veut se défendre pour préserver son mode de vie, il note que le mode de vie des Français a changé de manière spectaculaire au cours des cent dernières années sous la pression de nombreux facteurs comme le recul de l’agriculture et la montée de l’urbanisation, l’émancipation des femmes et le contrôle des naissances, les révolutions technologiques et l’organisation du travail. Les contacts avec la population étrangère sont à cet égard un facteur plutôt marginal, conclue-t-il en rappelant que la culture étrangère de loin la plus influente en France est celle des États-Unis.

Les livres de Todorov passent l’épreuve du temps. Ils forment une véritable œuvre, pertinente intellectuellement et marquée par un véritable humanisme appliquant de façon universelle les principes de même nom.

[1] Propos recueillis par Olivier Barrot, « Un livre, un jour », France 3, 12 novembre 2002.

[2] Tzvetan Todorov, Le Nouveau Désordre mondial, p. 31

Paris 2024 face au mouvement olympique

Thu, 09/02/2017 - 09:18

Pourquoi Paris a-t-elle décidé de dévoiler le slogan de sa candidature vendredi 3 février ? Quelles sont les dates clés avant la désignation de la ville qui accueillera les JO 2024 ?

Ces annonces plus précises des trois villes candidates ont eu lieu dans le cadre d’une procédure formalisée par le Comité international olympique (CIO). Dans ce cadre, Paris, Los Angeles et Budapest ont présenté le 3e et dernier volet de leur dossier de candidature dans lequel ils révèlent notamment leur vision des Jeux.

La prochaine étape des candidatures se déroulera en mai avec la visite de la Commission d’évaluation du CIO. La délégation s’intéressera notamment aux infrastructures, à la logistique, aux systèmes de transport qui seront mis en place pour l’accueil des jeux. À la suite de cette visite, un rapport sera publié au cours de l’été. Il répertoriera les points forts et les points faibles de chaque ville candidate, sans qu’il fasse pour autant office de classement. Le rapport ne vise pas à donner un avantage conséquent à un candidat par rapport à un autre.

L’étape finale aura lieu le 13 septembre à Lima. L’ensemble des membres du CIO seront réunis, à l’occasion de sa 130ème session, afin, notamment, de désigner la ville qui accueillera les Jeux olympiques et paralympiques dans le cadre d’un vote à deux tours. Il y aura 87 votants à titre individuel. Leur nombre est inférieur au nombre total des membres du CIO (95) car les représentants français, américains et hongrois sont exclus du vote pour éviter un évident conflit d’intérêts. Qui sont les membres du CIO ? La plupart sont issus du monde sportif, notamment des présidents de fédérations internationales, de comités olympiques nationaux ou encore des anciens athlètes. On retrouve également des personnalités, notamment des têtes couronnées (Emir du Qatar, Prince de Monaco, etc.). Ils voteront de manière anonyme et individuelle.

Quelles faiblesses et quels atouts séparent les trois dossiers ?

Une candidature en bonne et due forme nécessite tout d’abord un engagement conséquent des villes car les exigences du CIO sont élevées. Par exemple, le Comité exige de la ville hôte qu’elle ait 42 000 chambres d’hôtel disponibles pour accueillir les visiteurs. Plus de 1 500 d’entre elles devront être réunies sur un seul et unique site pour accueillir la famille olympique. Les JO, c’est plus de 10 000 athlètes et 25 000 journalistes présents au même moment alors que l’ensemble du monde aura les yeux rivés sur les compétitions et la ville hôte. Plus de 300 compétitions sont organisées pour deux semaines de compétition olympique, puis deux semaines paralympiques. C’est une responsabilité immense.

Les messages envoyés par les villes candidates répondent aux nouveaux critères fixés par le CIO dans le cadre de l’agenda 2020, notamment en termes de développement durable, d’héritage et d’impact sociétal. Aussi bien Budapest, Los Angeles, que Paris bénéficient d’un engagement public et privé important et des garanties financières suffisantes à la tenue des Jeux. Ils promettent que les installations ne se transformeront pas en « éléphant blanc ». Beaucoup d’articles ont récemment fait état de l’abandon des infrastructures ayant servi à la tenue des Jeux olympiques de Rio, comme le fameux stade Maracaña. Celui-ci avait été restauré pour la Coupe du monde 2014 et pour les Jeux de 2016. Il est sous-utilisé aujourd’hui.

Si Budapest, Los Angeles et Paris répondent aux critères objectifs du CIO, leurs candidatures se distinguent sur plusieurs aspects. À Paris, on prône notamment des Jeux olympiques compacts et ouverts à la ville. Car une olympiade ressemble parfois à une bulle déconnectée de la ville hôte et de la population locale. C’était notamment le cas à Londres et Rio où beaucoup d’infrastructures étaient isolées de la ville-même. Dans le cas parisien, une partie des compétitions se déroule au cœur de la ville. Les valeurs d’ouverture et de partage des jeux entre les athlètes et la population locale sont mises en avant. Et Paris peut défendre des Jeux olympiques relativement low-cost pour le contribuable puisque les seules constructions notables sont le village olympique, la piscine olympique et le centre des médias. Autre point positif : l’accessibilité. Paris est en effet l’une des villes les mieux desservies en termes de transports publics. Paris2024 annonce déjà qu’il s’agirait des Jeux les plus écolo de l’histoire.

À la différence de Paris, Los Angeles est une ville où la voiture est privilégiée aux transports publics. Dès lors, pour contrer toute critique, l’équipe de LA2024 promet de mettre à disposition un important réseau de transports en commun pour les visiteurs des Jeux. Les Californiens mettent également en avant l’image estivale et ensoleillée de la ville – leur slogan est « Follow the sun », et soulignent l’absence de risque car les infrastructures sont préexistantes. Ils insistent également sur les nouvelles technologies, issues de la Silicon Valley, qui seront mises à profit pour connecter les athlètes et le public.

Budapest, dont l’envergure est moindre que ses concurrentes, fait figure d’outsider. Elle dispose de moins d’infrastructures déjà construites et doit surtout faire face à un mouvement de contestation populaire qui réclame la tenue d’un référendum. À titre de comparaison, la candidature de Paris semble bénéficier d’un plus large consensus auprès de ses habitants avec entre 65 et 70% d’opinions positives selon les sondages. Rappelons également que tous les principaux candidats à l’élection présidentielle française ont apporté leur soutien à Paris2024.

Les JO ont perdu en popularité ces dernières années. De nombreux Brésiliens s’étaient notamment soulevés contre la tenue des derniers jeux à Rio. Dans quel contexte le CIO devra-t-il nommer le futur hôte des Jeux olympiques ?

Le CIO se trouve dans un contexte de crise et fait face à une double contradiction. La première contradiction est stratégique. D’un côté, le CIO doit faire face à des critiques grandissantes sur le gigantisme et le gaspillage lié aux olympiades. Certains Etats acceptent en effet de financer la venue des Jeux au détriment d’autres investissements publics qui pourraient être plus profitables à la population. C’est le cas, par exemple, des Jeux d’Athènes (2004), de Pékin (2008) ou de Sotchi (2014) où les efforts de financement public se comptent en dizaines de milliards d’euros. Le CIO, qui récupère désormais plus de 5 milliards d’euros de revenus à chaque olympiade, en reverse une partie (autour d’1,4 milliards) au comité d’organisation mais la redistribution reste inégalitaire, surtout que ces revenus ne sont pas imposés . En réponse à ces dérapages financiers, de moins en moins de villes acceptent d’accueillir les Jeux. Le CIO s’est retrouvé avec seulement 2 candidats pour les JO 2022 et 3 pour les JO 2024. Ces dernières années des villes comme Boston, Hambourg, Cracovie, Munich ont retiré leurs candidatures après des mouvements populaires d’opposition. Le CIO est traumatisé par cette tendance et a adopté un ensemble de réformes (l’Agenda 2020) qui répond à une volonté de rationaliser les Jeux. En conséquence, les critères d’héritage et de durabilité sont désormais mis en avant par les villes candidates.

En parallèle de cette volonté d’humaniser les Jeux, le CIO a un intérêt stratégique fondamental qui est l’expansion du mouvement olympique. Cette expansion est en cours depuis sa création en 1894. Le CIO reste une ONG à but non-lucratif qui a constamment besoin de légitimité et de reconnaissance comme l’organe suprême en matière sportive. Ce besoin est lié au fait qu’aucune reconnaissance officielle de la part des autorités publiques n’a été formalisée à ce jour. À l’avenir, d’autres organisations privées pourraient développer leur propre système de compétition sportive international. De plus, les scandales de corruption ou de dopage organisé, les critiques liées à sa politique d’équilibriste dans l’affaire du dopage organisé russe, mettent en cause la légitimité du CIO. Bref, le mouvement olympique a besoin de s’étendre. C’est ce qui explique qu’aujourd’hui plus de 200 délégations nationales, dont des entités non-reconnues par l’ONU, sont acceptées par le CIO. C’est pourquoi aussi de nouvelles disciplines sont rajoutées au programme olympique pour accroitre la popularité des Jeux. C’est aussi pourquoi le CIO va chercher à atteindre de nouveaux marchés, dont ceux des pays dits « émergents », toujours dans le but d’asseoir la suprématie de l’organisation sur le sport mondial.

Cette expansion de l’olympisme a un effet contradictoire car il rend les Jeux de plus en plus difficiles à organiser. En voulant s’universaliser, le mouvement olympique exclut, de fait, la possibilité à de nombreux pays d’accueillir les Jeux. La contradiction stratégique se trouve ici. Pour prendre un exemple parlant : jamais un pays africain n’a accueilli les Jeux et cette perspective semble s’éloigner, compte tenu des exigences croissantes du CIO.
La seconde contradiction est d’ordre plus politique. Le CIO a un certain nombre d’intérêts et de critères objectifs dans l’accueil des Jeux, et les rapports de la Commission d’évaluation les expriment de façon très claire.

Or, ce n’est pas le CIO qui attribue les Jeux à telle ou telle ville, mais les membres du CIO, c’est-à-dire une assemblée de 95 individualités, qui ne vont pas forcément suivre les intérêts de l’olympisme. Certains vont plutôt prendre en compte les intérêts des athlètes, d’autres d’une discipline sportive, d’autres d’un pays en particulier, et d’autres d’intérêts d’ordre plus privé. Ces membres, cooptés, votent de façon anonyme et ne représentent qu’eux-mêmes. C’est pourquoi les décisions d’attribution des Jeux peuvent être déconnectées de l’intérêt du sport, ou de l’intérêt général (déjà difficilement définissable). C’est ce qui a conduit à de nombreuses affaires de corruption au CIO ou dans des fédérations sportives comme la FIFA. Face à ce constat, le CIO souhaite répondre notamment en envisageant une nouvelle formule d’attribution des Jeux basé sur des consultations informelles avec des villes potentiellement candidates.

Dans ce contexte de crise, pourquoi Paris devrait-elle accueillir les Jeux de 2024 ?

Être la ville hôte des Jeux olympiques et paralympiques comporte plusieurs aspects positifs. Les JO constituent tout d’abord l’évènement sportif le plus populaire et le plus médiatisé. Environ 200 délégations olympiques sont accueillies pour un moment de convivialité et de fête. La ville hôte attire, durant deux semaines, l’attention du monde entier. Pour elle et pour le pays tout entier, les olympiades constituent une occasion de rayonner. Les JO permettent également un moment de partage au niveau national et de promotion de la pratique sportive. En termes d’image, toutefois, les Jeux procurent un prestige indéniable. Ils peuvent permettre au pays d’améliorer ses relations diplomatiques et de promouvoir l’innovation, l’ouverture, la modernité ou certaines valeurs comme le partage.

En ce qui concerne le volet économique, certaines villes ont profité de l’accueil des Jeux olympiques pour se mettre en avant, signer des contrats et attirer des nouveaux investisseurs. Cependant, les études sur les impacts d’un tel évènement relativisent ses retombées positives. Elles sont d’abord éphémères, et se heurtent à un potentiel coût d’opportunité : si ces investissements étaient consentis pour d’autres occasions, ne seraient-ils pas encore plus bénéfiques ? In fine, l’intérêt purement économique des Jeux reste à démontrer.

Dans certains cas comme Barcelone, Sydney et, dans une moindre mesure, Londres, les ville hôtes ont profité des évènements pour réaménager certains quartiers grâce à la construction de nouvelles infrastructures. À Paris, le village olympique sera en Seine-Saint-Denis. Ce sera l’occasion de créer un nouvel espace urbain et de rendre accessibles de nouveaux logements. Le coût de l’organisation pour Paris et Los Angeles reste important dans l’absolu (environ 6,5 milliards d’euros). Le budget sécurité sera fort et certains dépassements sont à prévoir (comme pour toutes les olympiades récentes). Mais, compte tenu du faible taux de constructions à réaliser, on peut estimer que les dérapages budgétaires resteront limités. À l’instar d’une personne lambda qui organise un évènement ou une soirée, la ville qui organise les JO ne cherche pas à gagner de l’argent, mais plutôt à en retirer du prestige par la tenue d’un évènement planétaire.

Alors qu’une attaque à l’arme blanche s’est récemment produite aux abords du Louvre, la situation sécuritaire ne risque-t-elle pas de sanctionner Paris et de remettre en cause sa capacité à assurer correctement la sécurité pendant les JO ?

La sécurité est peut-être le souci principal pour la communication de Paris 2024 en amont du vote des membres du CIO. Deux arguments vont à l’encontre de cette crainte. D’une part, les risques sécuritaires actuels touchent également les États-Unis et la Hongrie. D’autre part, les services de sécurité français ont une certaine expérience dans la lutte contre le terrorisme. Toutefois, au regard de l’hypermédiatisation des attaques terroristes, la moindre action d’un ou plusieurs individus malintentionnés d’ici septembre aura un impact considérable sur l’image de Paris 2024.

« Devenez un leader » – 3 questions à Pierre Cabane

Wed, 08/02/2017 - 18:11

Pierre Cabane, diplômé de l’EM Lyon, entrepreneur – ancien cadre dirigeant d’une division internationale du groupe L’Oréal et créateur d’une marque cosmétique – est intervenant à l’Université Paris Dauphine et Science Po. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « Devenez un leader : les clés de la réussite », aux éditions Eyrolles.

Être un leader est-il inné ? Peut-on apprendre à le devenir ?

Comme un grand compositeur, le leader est un mélange résultant de certaines prédispositions et de beaucoup de travail !

C’est la perception des autres qui vous positionne comme un leader ou pas : on peut être nommé manager, pas leader. Si l’autorité du manager, désigné par sa hiérarchie, trouve son fondement dans l’organisation de l’entreprise, le leader tire son pouvoir et son influence de la reconnaissance des autres. Comment définir le leader ? On pourrait dire que le leader conduit l’organisation vers l’accomplissement d’objectifs innovants à long terme en alignant les énergies sur une vision prospective. A l’aise dans un environnement changeant, le leader croit dans le futur et l’exprime par un optimisme permanent et affiché : le leader a un devoir de bonne humeur ! Dans l’entreprise, il incite ses collaborateurs à aller durablement au-delà de leurs intérêts personnels, de leurs domaines de compétences et de leurs fonctions.

Oui, Il est possible d’améliorer la capacité de leadership d’un individu en travaillant par exemple sur certaines compétences clés indispensables au leader.

  • Inspirer confiance. Pour suivre un leader, les équipes ont besoin d’avoir un sentiment de fiabilité concernant son intégrité, sa loyauté, ses aptitudes, sa personnalité, sa transparence, son ouverture… C’est en ayant confiance dans le leader que les équipes prendront confiance en elles ;
  • Insuffler énergie et passion. Motiver, c’est donner de l’énergie : il lui faut savoir orchestrer l’énergie de ses collaborateurs pour soutenir leurs efforts dans la durée. Et dépassant le simple engagement, le leader doit montrer sa passion pour le projet stratégique qu’il a construit ;
  • Faire preuve d’anticonformisme. Le leader doit s’autoriser des audaces, des raisonnements à contre-pied, des remises en cause profondes. Il sera à la recherche de nouveaux modèles, d’initiatives inédites. Fréquemment, ces comportements originaux, voire insolites, susciteront la surprise puis l’intérêt et enfin l’adhésion des équipes ;
  • Donner du sens. Au-delà du classique développement d’une vision stratégique, le leader doit donner du sens à l’action de l’entreprise. En traçant des perspectives, il fabrique un véritable ciment aux différents éléments composant l’entreprise : son histoire, sa vision, ses missions, ses chiffres, ses valeurs…

La question du temps est-elle le principal défi pour un dirigeant ?

C’est en effet un vrai problème sur le plan organisationnel ! Sauter de réunion en réunion, agir dans l’urgence, décaler un rendez-vous, faire une note au dernier moment, répondre à toutes les sollicitations, arriver en retard… Après une journée bien remplie, un sentiment confus envahit souvent le dirigeant : mais qu’ai-je donc fait aujourd’hui ? Bien gérer son temps, c’est s’affranchir de ce cercle vicieux pour faire passer le temps de l’état de contrainte à celui de ressource : comme disait Sénèque, « ce n’est pas que nous disposions de très peu de temps, c’est plutôt que nous en perdons beaucoup » !

Quelques règles simples permettent au leader d’être acteur de son temps.

En premier lieu, il faut savoir gérer ses priorités : tout n’est pas urgent, tout n’est pas important ! Pour déterminer l’importance et l’urgence d’un élément, il faut toujours le relier au contexte en se posant deux questions : quel est le degré d’urgence de la tâche ? quelles sont les conséquences si je ne m’en occupe pas ?

Ensuite, le dirigeant devrait pouvoir se ménager des « plages libres » hebdomadaires ou quotidiennes et ce pour trois raisons au moins :

  • S’il faut savoir dépenser son énergie, il faut également savoir se ressourcer ;
  • Certains dossiers nécessitent que le dirigeant puisse s’isoler pour réfléchir et prendre du recul.
  • Et surtout, une journée de dirigeant comporte environ 40% d’imprévus auxquels il va falloir faire face !
Le dirigeant veillera également à maîtriser les sollicitations : les « parasites du temps » viennent aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur de l’entreprise : visite d’un collaborateur, sollicitation téléphonique d’un client, réunion impromptue … Refuser la sollicitation d’une personne n’est pas simple : mais il faut savoir dire « non », en rejetant la demande et non l’interlocuteur qui doit toujours se sentir considéré et respecté.

Mais surtout, le dirigeant n’oubliera pas que l’un des principes de base dans la gestion du temps, c’est l’art de déléguer. Le dirigeant peut penser mieux faire que les autres dans un certain nombre de domaines. Mais quand les mêmes problèmes reviennent régulièrement, le temps qui leur est consacré devient de plus en plus important. Dans la réalité, après une période de rodage et d’apprentissage, les membres d’une équipe de direction bien choisis devraient arriver à résoudre avec succès la plupart de ces problèmes : et sans doute plus rapidement que le dirigeant… Il faudra pour cela apprendre à accepter que quelqu’un va d’abord faire plus lentement et pour ensuite faire mieux et plus vite : le dirigeant pourra alors se dédier pleinement aux enjeux stratégiques.

Comme se définit une vision stratégique ?

La confusion est fréquente entre les différents termes : vision, valeurs, mission, stratégie, etc. Si la stratégie est l’art d’allouer des ressources, la vision stratégique du dirigeant est la représentation mentale d’un état futur possible et souhaitable de l’organisation.

Pouvoir imaginer ce que sera l’avenir de l’entreprise est une qualité essentielle du dirigeant. C’est la construction de la vision stratégique qui permettra de fixer le cap, de définir une stratégie pertinente, de mobiliser les énergies, de créer de la valeur. C’est une vision stratégique claire qui donnera du sens à l’entreprise. C’est son existence qui fera la différence entre le manager et le leader : outre les décisions opérationnelles quotidiennes, le dirigeant devra mener une réflexion stratégique sur un horizon plus long tout en intégrant les problématiques de changement de l’environnement.

La vision stratégique :

  • s’inscrit toujours dans un horizon de long terme ;
  • découle de l’ADN de l’entreprise ;
  • est fondée sur la faculté d’anticipation du ou des dirigeants ;
  • est le fruit d’une recherche, d’une intuition, d’un travail…
  • est généralement issue d’une seule personne ou d’un petit nombre de personnes ;
  • intègre une dimension émotionnelle ;
  • renforce le sentiment d’appartenance ;
  • présente un caractère idéal.

Pour être comprise par les collaborateurs, acceptée par les clients et les autres parties prenantes, la vision stratégique doit découler fortement de l’identité de l’entreprise. C’est l’identité, puissant facteur potentiel de différenciation concurrentielle, qui constitue le socle de la vision stratégique : le dirigeant prendra garde à ne pas s’en éloigner.

La politique environnementale et climatique de Donald Trump. Flou général ou vrai retour en arrière ?

Wed, 08/02/2017 - 10:52

Dans un tweet célèbre daté du 6 novembre 2012, le futur président américain déclarait : « Le changement climatique est un concept créé par et pour les Chinois pour atteindre la compétitivité des entreprises américaines. » Quatre ans plus tard, alors fraîchement élu, il accordait une interview au New York Times dans laquelle il reconnaissait l’existence de « connexions » entre le changement climatique et les activités humaines. Difficile de connaître, si tant est qu’il en ait de véritables, ses convictions profondes sur le sujet, bien que son entourage ait également pu apparaître ouvertement climato-sceptique. Certaines analyses justifient cette posture de Donald Trump par sa volonté d’être perçu comme une personnalité anti-système, opposée aux élites traditionnelles corrompues[1]. De ce fait, se déclarer ouvertement sceptique face à une réalité partagée par le système peut sembler obligatoire. Au-delà des postures du président, se pose la question de la politique qu’il va mener, sachant que, durant sa campagne, il s’était montré hostile à l’ensemble de l’héritage réglementaire laissé par son prédécesseur.

Un retour en arrière des Etats-Unis sur le plan environnemental

Le nouveau président peut effectivement remettre en cause nombre de politiques décidées par l’Administration Obama et minimiser le rôle de l’Agence pour la protection de l’environnement (EPA). Plusieurs illustrations à cela :

> L’annonce de la relance des oléoducs Keystone XL et Dakota Access. Le premier vise à transporter depuis l’Alberta le pétrole tiré des sables bitumineux jusqu’au complexe de raffineries du golfe du Mexique, sachant que l’oléoduc existant s’arrête à Cushing dans l’Oklahoma. Le second relierait le Dakota du Nord à l’Illinois. La reprise de ces projets a été annoncée le mardi 24 janvier lors de la signature de presidential memoranda qui n’ont pas la même valeur juridique que les executive orders. La reprise des projets a toutefois été assortie de conditions (négociations en cours avec Transcanada pour Keystone XL pour avoir de meilleures retombées économiques). Des contreparties sont donc attendues mais les projets pourraient reprendre.

> La législation minière s’était durcie sous Obama avec le gel de nouveaux prêts pour des terrains miniers et l’interdiction d’utilisation d’explosifs pour les mines situées sur des sommets. Cette dernière va sans doute sauter rapidement car elle tombe sous le coup d’une procédure spécifique : ayant été prise le 19 janvier soit la veille de l’investiture de Donald Trump, la disposition peut être annulée par un simple vote à la majorité au Sénat dans les soixante jours qui suivent son édiction. Le chef de file des sénateurs républicains, Mitch McConnell (Kentucky), a déjà fait part de son intention de mener à bien cette possibilité. Une autre règle portant sur les fuites de méthane dans les infrastructures de forage pourrait être annulée de la même manière.

> La législation sur les automobiles de 2011 qui demande aux constructeurs de concevoir des moteurs moins énergivores d’ici 2025 et de développer les voitures électriques pourrait aussi être battue en brèche à cause d’une faille juridique. Les constructeurs pouvaient en effet, en 2017, choisir de ne pas appliquer la disposition si elle se révélait trop coûteuse. L’EPA a déclaré que ce n’était pas le cas mais il faut aussi la confirmation du ministère des Transports, inexistante jusqu’alors. L’annulation pourrait toutefois se déroulait sur plusieurs années.

> La régulation Clean Power Plant, important héritage des années Obama prévoit de faire passer de 39% en 2014 à 27% en 2030 la part du charbon dans la génération d’électricité, entre autres via le recours aux renouvelables. L’annulation de cette réglementation, au programme de Donald Trump nécessiterait le concours de la Cour suprême ce qui pourrait allonger la procédure au-delà d’un délai de quatre ans, soit celle du mandat présidentiel.

> Des dispositions prises par l’EPA limite également fortement la pollution des eaux des fleuves et rencontrent la franche opposition des lobbys agricoles qui ont le soutien du président dans cette affaire.

Si le président ne peut tout faire, certaines possibilités existent et devraient être exploitées dans les semaines qui viennent.

Cet ensemble de mesure suscite à la fois des inquiétudes mais soulève également un certain scepticisme. Des inquiétudes tout d’abord, de la société civile, en partie opposée à la direction que souhaite prendre le nouveau président américain en bouleversant le travail effectué par les précédentes administrations en matière de protection de l’environnement, mais aussi des scientifiques qui craignent que les bases de données de la NASA ou de l’EPA soient tout simplement effacées. La mention des régulations existantes en matière climatique a, selon différentes sources, disparu du site de l’agence américaine mais aussi de celui de la Maison-Blanche.

Un certain scepticisme, ensuite, car plusieurs verrous existent au niveau national, outre la pression de l’opinion publique. Les politiques environnementales se décident également au niveau des Etats fédérés et le président ne pourra pas tout bloquer, la Californie ayant par exemple une politique avancée en matière climatique et environnementale. Les décisions qu’elle prend, de par son poids économique (6e PIB mondial) et ses 40 millions d’habitants ont des répercussions sur l’ensemble du territoire national, mais aussi du monde. De même, le poids des lobbys de l’énergie renouvelable pourrait – bien qu’inférieur à celui des hydrocarbures – jouer un rôle, dans une volonté de ne pas abandonner cet important champ d’investissement à la Chine qui a pris une avance significative ces dernières années.

Enfin, c’est un autre acteur majeur, le Department of Defence, qui s’est saisi des enjeux liés au changement climatique depuis une dizaine d’année. Tous les documents stratégiques, du Joint Operating Environment Report de 2010 à la Climate Change Adaptation Roadmap de 2014, intègrent les risques et menaces liés au phénomène et notamment la vulnérabilité des installations militaires. Le changement climatique est considéré comme un multiplicateur de menace par le DoD et il n’est pas certain que Trump souhaite bouleverser cet état de fait. Le nouveau président s’inscrit en effet plutôt dans une tradition républicaine de soutien à une armée forte, tendance qui a dû composer ces dernières années avec cette mise en avant du changement climatique comme un problème stratégique par les militaires.

Vers une sortie de l’Accord de Paris ?

La question se pose depuis la campagne durant laquelle le candidat Trump avait effectivement fait cette annonce de sortie de l’Accord de Paris. Le peut-il réellement ? Difficile à affirmer car la procédure est longue : il faudrait que la décision d’annuler la signature de l’accord soit notifiée au secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), ce qui ne serait possible qu’un an après sa ratification, donc en novembre 2017, auquel s’ajouterait un délai de trois ans, portant le tout hors mandat de Donald Trump. La possibilité existe toutefois à travers une subtilité de l’accord de Paris, dans le cadre de l’article 28. Ce dernier stipule que tout pays sortant de la CCNUCC sortirait également de l’accord de Paris, ce qui ne prendrait qu’un an au lieu des trois pour l’accord de Paris car la CCNUCC a été signée en 1992 lors du Sommet de la Terre à Rio.

Néanmoins cette décision serait lourde de conséquence et n’a d’ailleurs jamais été expérimentée par aucun autre pays (seuls certains sont sortis du Protocole de Kyoto comme la Russie, le Canada, le Japon, etc.). Rex Tillerson, le fraîchement nommé Secrétaire d’Etat a, au cours de son audition devant le Sénat, exprimé son soutien au processus, déclarant qu’il valait mieux rester à la table des négociations car « aucun pays ne pourrait résoudre le problème seul ». Une position nuancée par Myron Ebell, qui assurait la transition à la tête de l’EPA et qui avait lui déclaré que cela pouvait se faire, la question étant plutôt de savoir « quand ? ». Rappelons que le statut de promesse de campagne n’est pas une assurance vie. Donald Trump avait par exemple pris violemment position contre l’accord du 14 juillet 2015 passé entre le P5+1 et l’Iran au sujet de son programme nucléaire, affirmant qu’il souhaitait le déchirer. Il a fait volteface il y a quelques jours, soutenant publiquement, avec le Roi Salman d’Arabie Saoudite, une application rigoureuse de l’accord.

Enfin, cette décision questionne son rapport au multilatéralisme, à ses partenaires des pays occidentaux mais aussi la relation qu’il souhaite avoir avec la Chine. Nous le disions plus haut, la Chine se positionne de plus en plus comme un leader mondial sur le dossier climatique qui était sous Obama un axe important de la coopération bilatérale, illustré par l’accord de novembre 2014 où les deux premiers émetteurs mondiaux (40% des émissions de gaz à effet de serre à eux deux) avaient annoncé des objectifs de réduction. Pékin, qui est le premier investisseur mondial dans le secteur des renouvelables, principalement éolien et solaire, dépense 2,5 fois plus que les Etats-Unis (plus de 100 milliards en 2015) et prévoit d’investir 360 milliards de dollars dans le cadre du plan quinquennal 2016-2020. Les nombreuses provocations du milliardaire envers Pékin interrogent, comme sa volonté d’abandonner ce leadership à la Chine qui n’en demande pas tant. Lors du sommet de Davos, Xi Jinping a rappelé aux Etats-Unis leurs engagements, qualifiant l’accord de Paris de « victoire remportée avec difficultés », invitant « tous les signataires à s’y tenir » tout en invoquant la « responsabilité pour les générations futures ». Céder du terrain face à la Chine dans cette lutte d’influence n’est sans doute pas de bon augure pour les intérêts américains dont le président s’est pourtant fait l’ardent défenseur.

Surtout, ces éléments ne font qu’accroître le sentiment d’une absence totale de ligne politique, d’une colonne vertébrale, d’un projet, si ce n’est celui de plaire à un électorat désabusé car négligé en partie par les prédécesseurs de Donald Trump. Les slogans sur Twitter ne font pas une politique, comme les insultes ne font pas une diplomatie. La nouvelle administration pourrait en faire rapidement une expérience douloureuse, si cela n’est déjà pas en cours.

[1] K. Möhler, G. Piet, E. Zaccai, « Changements climatiques et familles politiques en Europe. Entre soutien et résistance aux politiques climatiques », Courrier du CRISP, 2015.

Les programmes “Désarmement Désengagement et Réinsertion” : l’exemple ivoirien

Mon, 06/02/2017 - 16:54

Général Bruno Clément-Bollée est vice-président de Sovereign Global France. Il répond à nos questions à l’occasion du séminaire “Trafic d’armes en situation post-conflits : Etude de cas et enjeux”, organisé par l’IRIS et le GRIP, avec le soutien de la DGRIS, le mardi 24 janvier 2017 :
– En quoi constitue un programme DDR (Désarmement – Démobilisation – Réintégration) ?
– Est-il facile de réintégrer des combattants dans la société civile ?
– Vous étiez en Côte d’Ivoire entre 2013 et 2016. Comment le processus DDR a dû s’adapter aux particularités du tissu social et communautaire du pays ?

La mondialisation donne un autre sens aux frontières

Mon, 06/02/2017 - 14:47

N’y a-t-il jamais eu autant de migrations et de murs ?
Proportionnellement, la part des populations migrantes était plus importante au début du XXe siècle. Mais à l’époque, il y avait moins d’images, d’informations, également moins de problèmes économiques et sociaux, de chômage. La situation n’est donc pas comparable. Ce qui est certain, c’est qu’après une période d’optimisme, sur la fin des frontières, la liberté de circuler, après la chute du mur de Berlin et le démantèlement du Rideau de fer, on revient à une époque où un peu partout dans le monde se dressent des murs.

À quoi sert un mur aujourd’hui ?
Pendant longtemps, les frontières ont servi à retenir les citoyens, à l’image de l’Union soviétique. Aujourd’hui, on cherche plutôt à éviter que les autres rentrent. La mondialisation donne un autre sens aux frontières, alors, on en recrée. Mis à part le cas israélo-palestinien qui est un problème géopolitique, les riches se protègent des pays pauvres. Les États-Unis se protègent du Mexique et, au-delà, de toute l’immigration d’Amérique centrale et même latino-américaine. À Ceuta et Melilla, deux enclaves espagnoles en terre marocaine, des murs très hauts empêchent une immigration maghrébine et africaine au sens large.

Pourquoi nos sociétés ont-elles aussi peur de l’immigrant ?
Les murs sont à la fois physiques et dans les têtes. Plusieurs inquiétudes se rejoignent, socio-économiques, géopolitiques, sur l’avenir. Il est de plus en plus facile de se déplacer et de savoir ce qu’il se passe dans les pays riches. La première chose que fait un réfugié quand il arrive à un hotspot (un centre d’accueil européen des migrants), c’est de demander, peut-être à boire et à manger, mais surtout de recharger son téléphone portable.

On revient à un défi Nord – Sud…
Charles Aznavour chantait “emmenez-moi car la misère est plus supportable au soleil”. Les gens au soleil ne pensent pas ça et vont où il y a de la richesse. Mais les ouvertures sont unilatérales. Si on veut aller dans un pays africain, on paiera quelques centaines d’euros mais la plupart des Africains paient des milliers d’euros pour avancer avec des passeurs et mettent beaucoup plus de temps. Le Nord ferme ses frontières. C’est un signe d’absence de confiance en soi, dans l’avenir et l’humanité.

Les murs sont-ils efficaces ?
La nature humaine s’adapte toujours et trouvera d’autres moyens. Dans un monde globalisé, est-il possible de vivre dans une bulle entièrement protégée de l’extérieur ? Trump dit que la suspension des visas envers sept pays musulmans, sert à lutterc ontre le terrorisme, est-ce que ça ne va pas développer, au contraire, un sentiment antiaméricain ? Les derniers attentats commis aux États-Unis n’ont pas été commis par des gens venant de l’extérieur mais par des gens nés sur le sol américain. L’amalgame fait entre terroristes et réfugiés fuyant les persécutions risque de faire grossir l’opposition. À une autre époque, la guerre entre les États-Unis et le Japon à la fin des années 30 a débuté avec l’arrêt de l’immigration japonaise et chinoise. Ces mesures impersonnelles ne vont pas servir dans la lutte contre le terrorisme.

Pourquoi Donald Trump s’engage-t-il sur cette ligne dure, notamment avec le Mexique et la Chine ?
Il n’a pas des convictions idéologiques très affirmées puisqu’il est passé avant par les démocrates et les indépendants. Là, il a fait sa religion sur les questions d’islam et de murs, par une sorte de pragmatisme à lui. Il nous promet que ça va marcher et que ça marche déjà. On risque de voir très rapidement que cela pose plus de problèmes que cela n’apporte de solutions. Dans sa politique spectacle, le Mexique est une bonne cible. Mais insulter une nation n’apporte jamais de fruits positifs sur le long terme. Il montre qu’il est en charge, qu’il est le boss et applique son programme. Mais on peut penser que le mur le plus haut qui va se dresser contre Donald Trump sera le mur des réalités.

Embargo sur les armes : Efficacité et risques liés à la levée des sanctions

Thu, 02/02/2017 - 19:02

Nicolas Florquin est coordinateur de recherches au Small Arms Survey. Il répond à nos questions à l’occasion du séminaire “Trafic d’armes en situation post-conflits : Etude de cas et enjeux”, organisé par l’IRIS et le Grip, avec le soutien de la DGRIS, le mardi 24 janvier 2017.
– A quoi servent les embargos sur les armes ?
– Quels sont les risques liés à une levée prématurée des sanctions sur les armes ?
– Comment effectuer une levée d’embargo efficace ?

Retour du Maroc au sein de l’Union africaine : quels enjeux ?

Thu, 02/02/2017 - 18:53

Le Maroc a réintégré, le 30 janvier, l’Union africaine. Quel est l’intérêt stratégique de cette réintégration pour le Maroc et pour les membres de l’UA ?

Après trente ans d’absence, les Marocains ont pris conscience de l’importance de réintégrer l’institution panafricaine. Bien qu’elle pèse peu sur la vie des peuples africains, elle a une véritable influence sur le plan diplomatique et politique. En restant en dehors de l’Union africaine, le Maroc ne participait ni au débat ni au vote.

Pour le Maroc, cette réintégration constitue donc un succès diplomatique. Cela fait cinq ans que ses dirigeants œuvrent pour un retour. Ils ont mis en place une stratégie diplomatique en se réappropriant son espace stratégique. Le Maroc a notamment renforcé ses liens avec l’Afrique de l’Ouest et avec des pays dont les relations sont anciennes comme le Gabon. La mise en place de cette stratégie a nécessité le déploiement des secteurs clés comme les banques, les assurances ou les entreprises de téléphonie mobile. De nombreux contrats ont été signés avec des entreprises africaines. Le roi a lui-même multiplié ses déplacements. Aujourd’hui, le Maroc voit ses efforts récompensés.

La réintégration du Maroc n’est pas également dépourvue d’intérêts du côté de l’Union africaine. Le Royaume est un pays qui compte dans les relations internationales notamment grâce à sa proximité avec le monde occidental et l’Europe.

La question essentielle du débat pour l’entrée du Maroc dans l’Union africaine tourne autour de sa position sur le Sahara occidental. Il risque d’y avoir, dans les prochains mois, une redéfinition de la doctrine marocaine sur cette question. Il serait intéressant d’observer quelle stratégie adoptera le Maroc qui vise, in fine, à l’exclusion du Sahara occidental de l’UA.

Le refus marocain de reconnaitre l’indépendance du Sahara occidental a longtemps motivé les réserves de l’Algérie, de l’Afrique du Sud et de l’Angola à son retour dans l’UA. Pourquoi ont-ils changé de position ?

L’Angola, l’Algérie et l’Afrique du Sud, sans jamais s’opposer à un retour du Maroc, ont exprimé leurs réserves. Ils considèrent l’autodétermination des peuples comme le principe fondateur de l’Union africaine. Ce territoire est contesté par les Marocains et les Sahraouis. En revenant dans l’Union africaine, le Maroc devra accepter le principe de la négociation. Si l’on ne sait pas quelle stratégie sera adoptée, il y a au moins une certitude : le Maroc ne renoncera pas à ses visées sur le Sahara qu’il considère comme partie intégrante de son territoire.

Le Maroc avait quitté l’UA en 1984 pour protester contre la reconnaissance de l’Institution de la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Quelles sont les origines du conflit ?

Le conflit date de 1975. Le territoire était occupé par l’Espagne. Cette dernière s’est retirée sans préparer de décolonisation. Ce territoire se trouvant dans le prolongement du Maroc et étant donné les liens historiques importants entre les Marocains et les tribus qui y vivent, le roi Hassan II, père de l’actuel monarque, a lancé la « marche verte », le 6 novembre 1975, afin de récupérer ces territoires contestés. Des affrontements armés s’en sont suivis. Ils ont cessé en 1992 et laissé place à une longue bataille juridique devant les tribunaux internationaux. Aujourd’hui c’est le statu quo et l’armée marocaine est présente dans le Sahara occidental.

Le Polisario était d’abord soutenu par la Libye, puis par l’Algérie qui apporte l’essentiel du soutien logistique aux indépendantistes. Ce différend entre l’Algérie et le Maroc a lieu sur fond de rivalités autour du leadership du Maghreb. Il fait obstacle à l’intégration régionale.

Le Maghreb est l’une des rares régions au monde qui a une unité linguistique, culturelle, religieuse et géographique. Elle ne parvient pourtant pas à créer un ensemble régional cohérent qui lui permettrait d’être beaucoup plus fort et cohérent sur la scène internationale. Dans un monde instable, une solution doit être trouvée au Polisario. Il permettrait peut-être d’amorcer l’intégration du Maghreb.

Interdire les financements étrangers : une arme contre les ONG ?

Thu, 02/02/2017 - 12:07

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

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