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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

La libération de Benghazi change-t-elle la donne en Libye ?

Fri, 07/07/2017 - 17:38

Mercredi 5 juillet, le maréchal Haftar a annoncé la libération de la ville de Benghazi des djihadistes. Le point de vue de Kader Abderrahim, chercheur à l’IRIS, sur la situation en Libye et sur l’organisation terroriste Daech.

Dans quel contexte a eu lieu cette libération de Benghazi ?

La bataille de Benghazi a commencé il y a déjà près de trois ans, lancée comme un défi, voire une provocation, par le maréchal Khalifa Belqasim Haftar. Dans le contexte de l’époque, le maréchal déclarait vouloir libérer la Libye de la présence de groupes islamistes ou terroristes. Haftar a en partie gagné puisque la défaite des terroristes islamistes à Benghazi marque pour lui un succès incontestable.

Cette libération de Benghazi intervient aussi dans un contexte où les divisions n’ont jamais été aussi fortes entre les différentes factions libyennes. Concernant le contexte politique, le Premier ministre Faïez Sarraj, reconnu par la communauté internationale, est très fragilisé et cette victoire du maréchal Haftar, qui n’a jamais reconnu le gouvernement de Sarraj, vient l’affaiblir encore davantage.

Ceci étant, pour la population libyenne, cette libération de Benghazi ne change pas fondamentalement la situation sécuritaire car les Libyens restent pris en otage soit par les dizaines milices, soit par les groupes terroristes, soit par les bandes mafieuses. La question de la sécurité pour la population est donc loin d’être réglée et la défaite des terroristes à Benghazi ne changera pas beaucoup de choses sur le fond.

Face à la division profonde du pays, où en sont les négociations entre les différentes parties ? Quel rôle joue la communauté internationale ?

Un nouvel émissaire des Nations unies, le libanais Ghassan Salamé, a été nommé il y a quelques jours. Sa principale mission consistera à tenter de réamorcer un dialogue entre les différentes factions libyennes. Ghassan Salamé ne connaît pas bien le terrain libyen, il s’était plutôt illustré en Irak et sur d’autres terrains de conflit. Le dossier libyen est donc un véritable défi pour lui. Il va falloir qu’il mette en œuvre toute sa finesse politique et diplomatique pour pouvoir rassembler autour de la même table tous les acteurs de cette guerre civile libyenne.

Ceci étant, Salamé a pour avantage d’être plutôt proche des monarchies du Golfe, notamment des Émirats arabes unis. Ces derniers avec l’Égypte sont les deux acteurs importants dans la situation libyenne actuelle puisque les Émiratis ont livré des armes au maréchal Haftar. Salamé a donc peut-être un point d’entrée par leur biais, pour éventuellement obtenir des Émirats qu’ils suspendent provisoirement les livraisons d’armes. Aujourd’hui, la Libye a en effet moins besoin d’armes que de diplomates.

De nombreux acteurs jouent un rôle en Libye : l’Égypte, les Émirats arabes unis, la Turquie, le Qatar et, dans une moindre mesure, l’Algérie. Tous ces pays devraient être à un moment ou à un autre associés à un processus politique, qui devra parvenir dans un premier temps à faire cesser les combats et, dans un second temps à trouver un compromis politique entre les différentes factions libyennes et arriver à la reconnaissance d’un gouvernement légitime. Ce sera un travail de longue haleine mais Ghassan Salamé a toutes les qualités pour parvenir à un succès.

Il est intéressant de voir qu’il n’y a eu aucune réaction de la communauté internationale suite à la libération de Benghazi, à l’exception de la Russie qui s’est réjouie de la défaite des terroristes. Même si la communauté internationale, notamment la France, soutient Faïez Sarraj, elle joue aussi double-jeu ambigu en souhaitant ménager l’avenir. Par ailleurs, il n’est pas certain que le maréchal Haftar soit populaire parmi les Libyens puisque c’est un militaire suscitant l’inquiétude d’avoir une pratique politique peu différente de celle du colonel Mouammar Kadhafi.

Cette nouvelle défaite de Daech, ajoutée à des difficultés dans d’autres régions, montre-t-elle que l’organisation est sur le déclin ?

Incontestablement, Daech subit un recul. En revanche, il est encore trop tôt pour parler de déclin. L’organisation terroriste accuse un recul militaire indéniable car partout, elle perd des positions : en Irak, en Syrie et aujourd’hui en Libye.

Pour autant, politiquement rien n’est réglé dans ces pays-là. D’autant plus que la stratégie de Daech depuis déjà au moins une année – lorsque l’organisation avait anticipé ces défaites militaires – consiste à se redéployer sur d’autres terrains, notamment en Afrique et surtout en Asie, où les attentats se multiplient. Il faut donc rester très prudent car la défaite du groupe terroriste est loin d’être acquise.

EU-phoria & Macron-mania: A Global Equation

Fri, 07/07/2017 - 15:34

Bouts of market optimism are rarely named after French presidents, but we live in unusual times. In financial jargon, “Macron” seems to refer to a long-awaited political process by which the Euro zone’s flaws are expected to be fixed once and for all, by means of a political leap towards federalism. Although this hope has failed to translate into a stock market rally so far, many comments seem to follow the same kind of logic as the one that played out when Mario Draghi rocked the ECB’s deathly status quo, in 2012. The political process currently at play is of a clearly different nature however.

Reports suggesting the imminence of a Franco-German grand economic plan for Europe are inaccurate, but they are interesting in what they say about the political anxiety created by populism. There is some piquant irony in the rosy picture of EU politics that many British and American media outlets have been painting since the French election. Until recently, a bleak view of the euro was the norm, and the scenario of an EU collapse was even gaining traction. This sudden shift might point to the depth of the domestic divide over Brexit and Donald Trump’s presidency respectively, more than to a true change of heart about the EU.

The ongoing tensions between Angela Merkel and Donald Trump go beyond the latter’s disturbing rhetoric or his controversial decision to withdraw the United States (US) from the Paris climate agreement. They include different interests in terms of international trade — an issue which began to be raised long before Trump stepped in. The reduction of this debate to a moral opposition between free trade and protectionism is somewhat simplistic. The German Chancellor herself is developing an increasingly defensive stance, not so much in terms of trade of course – since her country enjoys a current account surplus close to 9 percent of GDP -, as in terms of strategic investments.

As Germany has become somewhat disillusioned with China, Merkel recently warned that “Seen from Beijing, Europe is an Asian peninsula.”[i] She made clear that she intends to have a say over Chinese investments in Germany, after the outcry sparked by Midea’s acquisition of Germany’s iconic robot manufacturer KUKA last year. Meanwhile, a German-Chinese partnership has been presented by many commentators as an alternative to US leadership, ahead of the G20 meeting in Hamburg. As with European issues, the questioning of the US global role often comes with a great deal of confusion.

The hope for a strong Franco-German push towards European federalism seems to be part of this global equation. Macron is taking account of Germany’s reassessment of its global and European role. At the latest EU summit in Brussels, he championed the notion of a “protective Europe,” which of course is music to French ears. Meanwhile, he cautiously focused on issues that are of concern to Germany too: anti-dumping, the overhaul of Chinese investments, posted workers from central Europe. These issues antagonized several EU member states, especially central European ones and northern Europe’s smaller open economies which have no interest in such restrictions. While Macron begins to challenge the European status quo, he clearly avoids confronting his German counterpart, especially when it comes to the country’s macro-economic coordination with its neighbours, whether in terms of labour costs, fiscal policy or public investments.

Given the long-term taboos affecting European politics, this configuration is unlikely to produce the tremendous progress expected by the consensus in the foreseeable future. In July 2012, Mario Draghi’s show of force, although rhetorical too, did have concrete and immediate technical implications, as the implicit pressure exerted on long-term interest rates helped crisis-hit governments to stay afloat financially, without having to restore their monetary sovereignty. The anticipation of the purchase programme that materialized in 2015 sparked an impressive depreciation of the euro in 2014, which, along with a massive flow of liquidity, set the stage for today’s rather comforting growth figures. While Macron’s election has been seen as a momentous step on the political side of the normalization process initiated by Draghi, its actual impact remains to be seen.

Macron’s presidency has got off to an impressive diplomatic start, and there is no doubt that his election has been seen very positively in Berlin in particular. Although Macron and “Merkel IV” could agree on significant steps, like the constitution of a joint budget for the Euro zone, these innovations will probably be of a rather symbolic order. Unsurprisingly, the issue of massive fiscal transfers and debt pooling remains anathema to most German politicians and, even more crucially, to the general public, whose opposition has grown even stronger in recent years.

On the banking union front, the Italian government’s recent decision to wind down two banks of the Veneto region for a total cost of up to €17 billion in public money, without tapping senior bondholders, has been promptly interpreted by many German commentators as a breach of Europe’s so-called “bail-in” rules. These rules, which are supposed to protect taxpayer money from bank failures, would turn out to be very beneficial on the long term, since they might lead investors to take more responsibility for souring debts. Meanwhile, there seems to be little consideration for the fact that they are inapplicable on the short term. Against this background, the Euro zone’s unresolved banking crisis adds to Germany’s fears over a joint deposit insurance mechanism, the cornerstone of a genuine banking union.

Some strikingly positive comments have been coming out of Germany since Macron’s election, but their scope for Europe tends to be greatly exaggerated. Most of those comments were meant to cheer the election of an energetic pro-EU leader, whose stance appears to be in synchronisation with the German government’s views, so far…  Despite the likelihood of symbolically significant concessions, these comments are far from signalling a willingness to embark on a new type of massive and systematic transfers or risk-sharing arrangements. Quite the contrary, defiance seems to be rising on that front.

Macron is expected to make good on his promised overhaul of France’s labour market, in line with the reforms carried out throughout the Euro zone over the past fifteen years, starting with Germany’s Hartz reforms in the early 2000s. This is, however, unlikely either to unleash a wave of institutional breakthroughs or to rebalance the European economy, which, despite its recovering growth rates, remains trapped in a widespread race to the bottom. Euphoria is of little help in the face of hard choices.

[i] “Merkel warnt vor expansivem China: ‚Peking sieht Europa eher als asiatische Halbinsel‘”, Wirtschaftswoche, 29 June 2017, http://www.wiwo.de/politik/deutschland/merkel-warnt-vor-expansivem-china-peking-sieht-europa-eher-als-asiatische-halbinsel/19996276.html

Europhorie et Macron-mania… Un jeu mondial

Fri, 07/07/2017 - 15:33

Les épisodes d’optimisme financier portent rarement le nom d’un président français mais nous vivons des temps exceptionnels, semble-t-il. Dans le jargon financier, « Macron » renvoie au processus politique par lequel les failles de la zone euro doivent être comblées une fois pour toute, au moyen d’un bond en avant fédéraliste. Bien que ces espoirs ne se soient pas traduits, pour l’heure, en rallye boursier, de nombreux commentaires suivent une logique comparable à celle qui s’était déployée lorsque Mario Draghi avait secoué le statu quo de la BCE, en 2012. Le processus politique actuellement à l’œuvre est pourtant d’une nature bien différente.

Les bruits quant à l’imminence d’un grand plan économique franco-allemand à même de changer la donne en Europe sont erronés mais ils sont tout de même intéressants, de par ce qu’ils indiquent quant à l’anxiété créée par le populisme. On peut voir une ironie assez savoureuse dans le tableau idyllique que de nombreux médias britanniques et américains donnent de la politique européenne depuis les élections françaises. Il y a peu de temps encore, une vision sombre de l’avenir de l’euro dominait et le scénario d’un effondrement de l’Union européenne commençait même à avoir le vent en poupe. Ce revirement soudain semble davantage illustrer l’importance des divisions nationales au sujet du Brexit ou de la présidence de Donald Trump qu’un véritable changement d’avis sur l’Union européenne (UE).

La confrontation entre Angela Merkel et Donald Trump dépasse la question de la rhétorique abrasive du président américain et de sa décision néfaste de se retirer des accords de Paris. Elle se nourrit notamment d’intérêts divergents en matière de commerce international, un problème qui a commencé à être soulevé bien avant l’émergence politique de Trump. La réduction de ce débat à une opposition morale entre libre échange et protectionnisme est quelque peu simpliste. La chancelière elle-même développe une ligne de plus en plus défensive, non pas tant sur la question commerciale (puisque son pays jouit d’un excédent courant de 9% du PIB) qu’en ce qui concerne les investissements stratégiques.

Alors que l’Allemagne a connu une certaine déconvenue dans sa focalisation commerciale sur la Chine, Angela Merkel a récemment alerté son opinion publique sur l’expansionnisme chinois en déclarant que « Vue depuis Pékin, l’Europe est une péninsule asiatique »[i]. Elle a par ailleurs clairement indiqué qu’elle entend avoir son mot à dire sur les investissements chinois en Allemagne, à la suite de la controverse déclenchée par le rachat par le groupe chinois Midea du mythique constructeur allemand de robots KUKA, l’an passé. Pour autant, l’idée d’un partenariat sino-allemand a été présentée par de nombreux commentateurs comme une alternative au leadership américain, à l’approche du G20 de Hambourg. Tout comme les questions européennes, il semble que la remise en cause du rôle mondial des Etats-Unis s’accompagne d’une certaine confusion.

L’espoir d’une grande initiative franco-allemande pour l’Europe semble entrer dans le cadre de cette équation mondiale. Emmanuel Macron a pris en compte la révision par l’Allemagne de son rôle européen et mondial. Au dernier sommet européen, à Bruxelles, il a certes défendu l’idée d’une « Europe qui protège » mais en se concentrant sur les questions qui sont aussi devenues centrales pour l’Allemagne : les politiques anti-dumping, le contrôle des investissements chinois et l’encadrement du travail détaché en Europe. Ces questions ont profondément contrarié les pays d’Europe centrale, ainsi que les plus petits pays d’Europe du Nord qui, du fait de leur modèle économique, s’opposent à ce qu’ils voient comme des restrictions inutiles. Alors que Macron remet en cause le statu quo européen, il prend garde de ne pas affronter Berlin, en particulier en ce qui concerne la question de l’absence de coordination macro-économique de l’Allemagne vis-à-vis du reste de la zone euro en termes de coûts salariaux, de politique fiscale et d’investissements publics.

Au vu des tabous qui affectent la politique européenne, cette configuration a peu de chance de permettre les grandes avancées sur lesquelles table le consensus dans un futur proche. En juillet 2012, la démonstration de force de Mario Draghi, bien qu’étant également de nature rhétorique, avait des implications tout à fait concrètes et immédiates, puisque la pression implicitement exercée sur les taux longs avait alors permis aux gouvernements en crise de se refinancer sans avoir à restaurer leur souveraineté monétaire. L’anticipation du programme d’achats finalement mis en place en 2015 a déclenché une dépréciation majeure de l’euro à partir de 2014, qui, associée à des flux de liquidités massifs, a permis le rebond conjoncturel que l’on constate aujourd’hui. Alors que l’élection d’Emmanuel Macron a été interprétée comme le versant politique du processus de normalisation initié par Draghi, son impact réel reste à voir.

Sa présidence a commencé sur des succès diplomatiques et il ne fait aucun doute que son élection a été perçue très positivement par Berlin en particulier. Bien que Macron et « Merkel IV » aient la possibilité de se mettre d’accord sur des étapes significatives, comme la constitution d’un budget commun pour la zone euro, ces avancées ne seront probablement, d’un point de vue quantitatif, que d’une portée symbolique. De façon peu surprenante, la question de transferts budgétaires massifs et de la mutualisation des dettes reste taboue aux yeux de la plupart des responsables politiques allemands et, surtout, de la population, dont l’opposition semble même avoir crû au cours des dernières années.

Sur la question de l’union bancaire, la décision du gouvernement italien de mettre sur la table jusqu’à 17 milliards d’euros pour gérer la fermeture ordonnée de deux banques de Vénétie, sans mettre à contribution les créanciers séniors, a été interprétée en Allemagne comme une violation édifiante des règles de l’union bancaire. Ces règles, supposées protéger l’argent public lors des faillites bancaires, s’avéreraient bénéfique à terme, en responsabilisant les investisseurs. Mais il reste à prendre en compte le fait qu’elles sont inapplicables à court terme. Dans ce contexte, la crise bancaire qui continue à secouer la zone euro éloigne toujours plus la perspective d’un accord allemand sur un mécanisme commun d’assurance des dépôts, clé de voute de l’union bancaire.

Des commentaires très positifs sont certes venus d’Allemagne depuis l’élection d’Emmanuel Macron mais leur portée européenne est largement surestimée. La plupart de ces commentaires consistaient à saluer l’élection d’un leader pro-européen, dont l’approche semble être en phase avec la vision du gouvernement allemand, pour l’instant… Malgré la forte probabilité de concessions symboliques, ces commentaires n’indiquent en rien une volonté de l’Allemagne d’accepter un nouveau type de transferts massifs ou de partage du risque bancaire. Au contraire, la défiance semble plutôt croître sur ce front.

Il est attendu d’Emmanuel Macron qu’il honore ses promesses de réforme de marché du travail, sur le modèle des mesures mises en place à travers la zone euro depuis quinze ans, à commencer par les réformes Hartz en Allemagne au début des années 2000. Il est néanmoins improbable que cela engendre une vague d’avancées institutionnelles ou un rééquilibrage de l’économie européenne qui, malgré le renforcement de la conjoncture, reste enfermée dans une dynamique de nivellement par le bas. L’euphorie est de peu d’utilité face aux choix les plus difficiles.

[i]Merkel warnt vor expansivem China: Peking sieht Europa eher als asiatische Halbinsel‘”, Wirtschaftswoche, 29 Juin 2017.

Accord gazier Total-Iran : des enjeux énergétiques, économiques et stratégiques

Thu, 06/07/2017 - 17:48

Lundi 3 juillet, le groupe français a signé un accord de projet gazier avec l’Iran. L’analyse de Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS.

Quels enjeux stratégiques cet accord présente-t-il pour Total ? Plus généralement, quelle relation énergétique la France entretient-t-elle avec l’Iran ?

Total est un groupe né au Moyen-Orient il y a environ un siècle, la région a donc toujours été très importante pour le groupe français. Le Moyen-Orient est en effet la région clef pour l’industrie pétrolière et gazière. Selon les estimations du groupe British Petroleum (BP), le Moyen-Orient représenterait aujourd’hui environ 48% des réserves de pétrole dans le monde et un peu plus de 40% des réserves de gaz naturel. En son sein, plusieurs pays arabes ont d’importantes réserves pétrolières et gazières : l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït, l’Irak, Oman, le Yémen, le Qatar… L’Iran a la particularité d’être un géant à la fois pétrolier et gazier : il est le 4ème pays au monde ayant les réserves pétrolières les plus importantes, après le Venezuela, l’Arabie saoudite et le Canada. Quant aux réserves de gaz, l’Iran est le n°1 mondial devant la Russie.

Total souhaite renforcer sa présence déjà importante dans la région. Dans cette stratégie, l’Iran est un élément clef. Total Elf a été le premier groupe pétrolier international à signer un contrat de développement avec Téhéran après la révolution islamique en 1995. Le groupe a ensuite obtenu quatre contrats de développement dans le pays, aucune autre compagnie pétrolière n’a autant de succès en Iran. Néanmoins, le groupe a dû, de façon forcée, quitter le pays du fait des sanctions européennes mais il a toujours pensé y revenir un jour. Après l’accord sur le programme nucléaire du 14 juillet 2015 et son entrée en vigueur avec une levée partielle des sanctions (notamment la levée des sanctions extraterritoriales américaines mi-janvier 2016), Total a signé un accord d’achat de pétrole brut iranien en 2016 et a entamé des négociations sur divers projets. Cette volonté s’est concrétisée par l’accord sur la phase 11 du champ de South Pars, un important projet gazier d’une valeur d’un peu moins de 5 milliards de dollars qui débouchera sur une production de près 400 000 barils équivalent pétrole par jour, sur une durée de 24 ans.

Dans le cadre mondial actuel, notamment avec le changement climatique, un certain nombre de compagnies pétrolières entendent renforcer leur portefeuille d’actifs gaziers aux dépens de leur portefeuille d’actifs pétroliers. Le gaz est en effet la moins sale des trois énergies fossiles – pétrole, charbon et gaz naturel -, le charbon étant la plus polluante avant le pétrole. Il est donc stratégique pour les compagnies pétrolières de se positionner comme des acteurs responsables sur le plan environnemental, tout en continuant à satisfaire la croissance des besoins énergétiques mondiaux en faisant monter en puissance le gaz, une énergie qui peut accompagner la transition énergétique. Celle-ci verra monter en puissance les énergies renouvelables mais pour l’heure, elles ne peuvent pas couvrir l’essentiel des besoins énergétiques mondiaux. On aura donc encore besoin longtemps des énergies fossiles.

L’Iran est un marché très important au Moyen-Orient avec ses 80 millions d’habitants, ainsi qu’une démographie et une économie en croissance depuis la levée partielle des sanctions européennes en 2016. De nombreux pays européens, l’Allemagne en tête, sont désireux de se (re)placer sur ce marché. Des visites à haut niveau ont eu lieu avec les ministres du commerce, de l’économie, etc., accompagnés de chefs d’entreprises. Avec cet accord de Total, la France profite du succès du groupe et espère un effet d’entrainement pour développer des relations d’affaires avec Téhéran. L’Iran présente aussi un enjeu stratégique pour la France par sa position géographique : riverain de la mer Caspienne, proche de l’Asie centrale et de l’Europe… La France va donc se placer dans le sillage de Total pour développer une relation stratégique tant sur les plans politique, économique et énergétique avec la superpuissance énergétique qu’est l’Iran.

Côté iranien, quels sont les bénéfices de cet accord et que change–t-il sur la scène régionale ?

L’Iran y voit plusieurs bénéfices. Téhéran négocie depuis début 2016 avec plusieurs compagnies pétrolières mondiales – exceptées les américaines puisqu’elles sont interdites de travailler en Iran du fait des sanctions. Une forte concurrence souhaite donc négocier avec Téhéran. Le pays attendait avec impatience ce contrat en espérant un effet d’entraînement pour attirer d’autres compagnies. En relation difficile avec les conservateurs, l’administration Rohani et le ministre du pétrole Bijan Namdar Zanganeh ont eu à cœur de présenter ce contrat comme un succès de la politique de négociation avec les compagnies pétrolières étrangères. D’autant plus que les États-Unis sont en train de réviser leur politique envers Téhéran, il vaut mieux signer un accord aujourd’hui plutôt que d’attendre un éventuel durcissement de la position américaine.

L’Iran marque donc non seulement un point par rapport aux États-Unis mais aussi par rapport aux pays arabes du Golfe. L’hostilité entre l’Iran, les États-Unis et les pays arabes du Golfe avec à leur tête l’Arabie saoudite s’est considérablement accrue. Téhéran ne va pas manquer de tirer profit de cet accord avec Total d’un point de vue politique et de communication, en disant « vos tentatives visant à m’isoler politiquement et économiquement ont échoué ».

Par ailleurs, ce projet gazier est destiné à la satisfaction des besoins du marché iranien intérieur ; il n’est pas prévu d’exporter le gaz qui sera produit par la phase 11 de South Pars. Bien que contrôlant des réserves gazières considérables, l’Iran a parfois des difficultés d’approvisionnement de son marché gazier, notamment en hiver dans certaines régions. Il est donc important pour le gouvernement de montrer qu’il s’intéresse à la satisfaction des besoins énergétiques de la population, en résorbant les pénuries de gaz qui ont lieu régulièrement dans le pays.

Cet accord de Total risque-t-il de tendre la relation entre la France et les États-Unis compte-tenu de la position très hostile de Donald Trump envers Téhéran ?

Très clairement, Washington ne va pas sabrer le champagne pour célébrer cet accord… Ceci étant, l’administration Trump ne peut pas accuser Total d’avoir violé les lois américaines car cet accord est parfaitement légal. En effet, suite à l’accord sur le programme nucléaire iranien de 2015, l’administration Obama avait accepté fin janvier 2016 de lever les sanctions extraterritoriales frappant les sociétés non-américaines qui commerceraient avec l’Iran. Durant sa campagne, Trump a constamment fustigé l’accord sur le nucléaire. Une fois élu, la position officielle de l’administration consistait à dire que l’accord n’est pas bon mais étant compliqué à remettre en cause, il sera respecté de façon stricte tout en surveillant de près Téhéran. Par la suite, le Département d’État américain a annoncé un réexamen global de l’ensemble des politiques américaines concernant l’Iran, y compris l’accord sur le nucléaire. Ce réexamen a débuté en avril et est toujours en cours, sans que l’on sache ses débouchés. Il pourrait mener à un durcissement de la position américaine et au rétablissement de certaines sanctions extraterritoriales. Pour Total et pour Téhéran, il était donc important de signer cet accord aujourd’hui sans attendre un éventuel durcissement des États-Unis.

Quant à savoir si l’accord de Total va pousser les États-Unis à revenir à des sanctions extraterritoriales, rappelons que les compagnies pétrolières américaines ne peuvent pas commercer avec l’Iran, ni investir dans le secteur pétrolier et gazier dans le pays. Elles sont donc dans une situation de concurrence qui leur est très défavorable par rapport aux compagnies non-américaines. Cela pourrait faire monter la température à Washington et pousser l’administration Trump à revenir des sanctions extraterritoriales. Puisque l’accord de Total est légal, les États-Unis n’ont aucune raison rationnelle d’en vouloir à la France ou à l’Union européenne. Néanmoins, nous savons que l’administration Trump n’est pas forcément des plus rationnelles…

Pour une diplomatie bleue

Thu, 06/07/2017 - 17:05

La Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) adoptée à Montego Bay en 1982 et entrée en vigueur il y a 23 ans réforme de fond en comble le droit international de la mer, en créant au-delà des eaux territoriales des Zones économiques exclusives (ZEE) et leurs prolongements, où les Etats côtiers sont seuls propriétaires des ressources biologiques et minérales ; ce qui entraine un quasi doublement des surfaces exploitables du globe. En une vingtaine d’années, la moitié de ces zones – qui correspondent peu ou prou aux plateaux continentaux- a déjà été répartie et mise en exploitation. L’autre moitié est en cours de délimitation, soit pour préciser les limites d’extension des ZEE au titre du plateau continental, soit dans l’attente de délimitation des frontières maritimes entre Etats bénéficiaires où persistent des différends de souveraineté sur les terres émergées ouvrant droit à ZEE. Le plus médiatisé d’entre eux a concerné le rejet des prétentions chinoises à régenter l’essentiel de la mer de Chine. Ce Traité réglemente aussi l’exploitation des ressources biologiques et minérales des autres espaces, appelée « la Zone », correspondant à la haute mer, soit 60% des océans. Il crée pour cela une instance internationale, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) qui répartit les permis d’exploitation et en administre les ressources pour le bénéfice de tous.

Ce Traité international qui bouleverse les paradigmes du développement économique doit nécessairement s’accompagner d’une évolution de l’ordre politique mondial. Il doit tenir mieux compte de la situation faite à la Chine et à l’Inde qui accueillent plus du tiers de l’humanité et se voient doter par la géographie de ZEE d’assez modeste envergure au regard de leurs besoins (l’île Maurice a par exemple un domaine maritime plus important que le leur). Le doublement des surfaces du globe progressivement mises en exploitation contribue au réchauffement climatique et à la dégradation de l’environnement qui affecte désormais de plein fouet le biotope marin. La communauté internationale a parallèlement multiplié les initiatives pour créer un cadre réglementaire propice à la gestion durable de l’océan et à la protection de l’environnement marin. Reste à coordonner à l’échelle régionale ce corpus réglementaire et à lui donner un caractère contraignant et les moyens, nécessairement régionaux, d’en imposer le respect. Ces évolutions amorcées dans le cadre onusien se prolongent dans le développement des approches multilatérales de la diplomatie contemporaine. Une diplomatie bleue pour l’Océan aurait donc pour double objectif de solutionner les différends de souveraineté entre Etats sur les terres ouvrant droit à ZEE et de promouvoir des politiques régionales de gestion de la mer dans le respect des engagements internationaux, dont tous les pays riverains seraient coresponsables.

L’urgence océanique

C’est dans le cours de nos vies que s’amorce cette révolution. La première Conférence internationale de l’ONU consacrée aux océans n’a en effet été réunie que 15 ans après le sommet de la terre de Rio, du 5 au 9 juin dernier. Venant après la Conférence internationale de Paris sur le climat, elle a surtout eu pour objectif de dresser un bilan. Il a été l’occasion de rappeler la prééminence de l’environnement marin (71% de la surface du globe, 97% de l’eau terrestre alimentant le cycle de la pluie et régulant le climat, 50% de l’oxygène produit et 30% du CO2 absorbé). Les représentants des 193 pays partenaires ont souligné son importance économique (5% du PIB mondial, source première de protéine pour plus de 3 milliards de personnes, 200 millions d’emplois, 30% de la production d’énergies fossiles). Ils ont réitéré l’objectif de développement arrêté à Rio pour l’horizon 2030 : « conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins de développement durable » mais ont cette fois plus fermement tiré la sonnette d’alarme sur la dégradation accélérée du milieu : blanchiment de 20% du corail, développement des zones maritimes sans oxygène et donc sans vie, réduction de la biodiversité, surexploitation de 30% des stocks halieutiques, pollution terrestre des zones côtières, dégradation de 40% du milieu marin. Une attention particulière a été portée au problème du rejet en mer des plastiques qu’absorbent oiseaux de mer, tortues et mammifères.

L’ONU lance un appel à l’action et a ouvert un registre des contributions volontaires auquel se sont déjà inscrits plus de 1 300 organisations et institutions. Elle lance un appel à l’action et engage à l’adoption de mesures concrètes légalement contraignantes, au premier rang desquelles une plus grande maitrise des subventions aux industrie de la pêche jugées « destructrices » et une incitation à la création d’aires marines protégées ou de zones interdites à la pêche sur 14,4% des espaces maritimes d’ici 2020. L’UNESCO de son côté a lancé son projet de « décennie de l’océanologie » pour développer les connaissances et la recherche appliquée et fixer l’objectif de cartographier le fond des océans. Le Secrétaire général a lancé un vibrant plaidoyer pour l’inversion du cycle de déclin des milieux océaniques et conclu : « Nous devons résoudre nos problèmes de gouvernance et trouver une nouvelle vision stratégique ». La présente tribune a l’ambition de contribuer à cet objectif.

Faire de la France une vraie puissance maritime

L’archipel France, présent dans 4 des 5 océans et bénéficiaire du second domaine maritime au monde, pourrait concourir à la gestion durable des océans en s’engageant dans un projet à la hauteur des responsabilités que lui confèrent les 11,5 millions de km2 de son domaine maritime. Cet avantage, déterminant pour l’avenir, est politiquement et diplomatiquement encore insuffisamment consolidé ; ce dont notre Stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML), adoptée en février 2017, ne tient pas un compte suffisant. Elle n’a de plus pas pris toute la mesure des conséquences de la sentence de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye (CPA) sur la mer de Chine qui fragilise certaines des ZEE de nos îles inhabitées dans l’océan Indien, à Clipperton et dans l’Antarctique ; ni exploré toutes les potentialités de la cogestion pour en limiter l’impact. Sans une politique extérieure active et novatrice, la France risque de perdre une part importante de ses ZEE. La SNML ne prend pas non plus assez la mesure de ce que ce domaine est à 97% situé dans les outremers, pour 50% dans le Pacifique et pour 25% dans l’océan Indien. Or, certains de ces territoires peuvent être tentés par l’indépendance (Nouvelle Calédonie, Guyane …), tandis que dans le Pacifique, Wallis et Futuna ainsi que la Polynésie bénéficient déjà de gouvernements autonomes directement responsables de la politique de la mer. Notre stratégie doit donc associer plus vigoureusement nos outremers à la définition de notre politique de la mer et contribuer plus énergiquement encore à la protection et à la gestion de notre planète mer.

La stratégie pour la mer du programme d’Emmanuel Macron prend bien en compte ces objectifs. Elle souligne que ce secteur contribue pour 14% à la richesse nationale et crée 820 000 emplois, mais elle relève également que notre flotte de pêche est très réduite, que 85% des produits de la mer consommés en France sont importés et que moins d’un conteneur sur deux arrive en France par un port français. Cela conduit naturellement à la formulation d’un objectif prioritaire : garantir la souveraineté alimentaire de notre pays. Notre flotte marchande est au 30ème rang mondial, nos ports stagnent et ne traitent que 5% du trafic des conteneurs en Europe, alors même que le trafic maritime a quadruplé en 20 ans et connait sa plus forte expansion dans l’océan Indien dont nous sommes riverains. De plus, alors que l’océanologie est l’un des fleurons de la recherche française, le budget que nous y consacrons est inférieur à 600 millions d’euros. La perception de l’urgente nécessité de repenser notre politique de la mer se traduit dans le programme d’Emmanuel Macron par nombre de projets de long terme (« programme décennal », « stratégie portuaire nationale », « plan décennal pour la mer », « stratégie de long terme pour exploiter la mer dans le respect de l’environnement », « contrats de développement durable passé entre l’Etat et les régions »…). Une proposition particulière retient l’attention, celle d’organiser une Conférence mondiale sur la biodiversité marine dans un département d’outremer. C’est en effet l’une des priorités de l’agenda monde. Le riche biotope marin est fortement affecté par l’activité humaine. On connait de plus assez mal la vie qu’il héberge puisque seules 200 000 espèces sont identifiées, alors qu’on suppute qu’elles se comptent par millions. Il faut d’urgence arrêter des politiques de préservation plus rigoureuses à l’échelle de la planète. Il reste que l’agenda international a déjà retenu que cette 4ème conférence mondiale sur la biodiversité marine se tiendra à Montréal du 13 au 16 mai 2018. Nous devons donc prendre date pour 2021 ou 2022. Il serait de ce fait opportun que la France initie dès 2019 une action originale apte à mettre en application quelques-unes des multiples préconisations internationales sur la préservation et l’exploitation durable de l’océan pour nous inscrire dans la dynamique de l’injonction du SGNU à passer à l’action : la gouvernance régionale des océans.

Vers une gouvernance régionale des océans

Cette initiative est ambitieuse mais à notre portée. Notre domaine maritime nous rend directement responsables de la gestion de 3% de la surface des océans, de 10% des récifs, de 20% des atolls et de 10% de la biodiversité marine. Nous conduisons déjà une politique active dans tous les fora régionaux concernés mais un trop grand nombre de conventions régionales ou internationales enchevêtrent leurs compétences respectives sans qu’une véritable coordination régionale permette à leurs effets de se conjuguer. Nous sommes membres de tous les organismes régionaux qui le permettraient. Il serait de l’intérêt de notre pays de porter un projet de rationalisation des moyens et de coordination des efforts à l’échelle régionale sur les bassins maritimes où notre présence est forte. Il est proposé qu’une conférence nationale sur la mer soit rapidement organisée dans un département d’outremer pour que notre doctrine à l’international soit adossée à une SNML actualisée développée dans une concertation étroite avec les responsables ultramarins et pour que nous fassions le choix d’une première région d’application pour ce projet global.

Le Traité de Montego Bay provoque en effet un véritable bouleversement de la face du monde. Certes, 60% des mers demeurent patrimoine commun de l’humanité mais force est de constater que 90% des ressources halieutiques et 87% des réserves d’hydrocarbure offshore sont situées dans des ZEE en cours d’appropriation par les Etats côtiers, auxquels Chine et Inde n’ont qu’un accès limité. Il est donc impératif de poursuivre une concertation active avec ces grands partenaires là où nous le pouvons et, s’ils l’accueillent favorablement, de les associer dès l’origine au projet d’une gouvernance régionale de l’océan Indien dont ils sont riverains ou proches pour en entreprendre avec eux l’exploitation raisonnable et durable sans renoncer à nos droits propres dans nos ZEE. Il est également urgent de prendre toute la mesure de la fragilité relative de ces droits en développant toutes les possibilités de cogestion de ces zones avec les Etats îliens qui entretiennent avec nous des différends de souveraineté.

Nous pourrions engager cette dynamique par un projet de gouvernance régionale de l’océan Indien, région où ont été enregistrées sur 20 ans les plus fortes hausses du trafic maritime mondial et qui présente la particularité d’une assez grande homogénéité de son climat et de son peuplement biologique. Il offrirait une possibilité de gestion à l’échelle d’un bassin maritime tout entier, la première de ce type, pour rationaliser et coordonner des moyens déjà importants mais dispersés entre les compétences nationales, régionales et internationales. Il offrirait à la Grande-Bretagne l’occasion d’apaiser son différend de souveraineté avec Maurice sur l’archipel des Chagos, dans lequel est situé la base militaire de Diego Garcia qu’elle loue aux Etats Unis. Il permettrait d’associer les deux grandes puissances régionales, Inde et Chine, à une action coordonnée avec l’Union européenne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis et de mobiliser nos trois collectivités d’outremer dans cette région du monde pour l’exploitation durable et la préservation de leur environnement maritime, condition d’un renforcement de leur ancrage dans la République.

Deux espaces maritimes sont concernés. Le premier dans le Sud-Ouest de l’OI est presque en totalité partagé entre les ZEE des pays développés et celles des Etats Iliens. Le second dans le Nord-Est de l’OI accueille la ZEE de l’Inde et une partie de celles de l’Australie et de l’Indonésie. Cette partie de l’OI est composée pour moitié d’espaces maritimes de haute mer dont les fonds sont administrés par l’AIFM, si bien que l’agence pourrait s’associer à cette phase du projet.

L’Union européenne, les Etats membres et le RU pourraient initier en partenariat avec les autres nations riveraines un projet de gouvernance régionale du Sud-Ouest de l’OI déjà largement engagé dans les faits au travers de sa coopération avec un organisme régional, la Commission de l’océan Indien (COI). La France a déjà une politique active de préservation de l’environnement marin dans ses bassins propres du Sud-Ouest de l’océan Indien à la Réunion, à Mayotte, dans les Glorieuses et dans les terres australes. Cogérer une partie de nos ZEE dans cette zone serait le moyen de dépasser les différends de souveraineté que nous entretenons encore avec Madagascar, les Comores et Maurice, ainsi que de mieux coordonner nos politiques de préservation de l’environnement marin. Nos frontières maritimes avec la ZEE des Seychelles sont quant à elles agréées de part et d’autre. Cette première initiative pourrait être étudiée dans le prolongement de la Conférence nationale pour la mer évoquée plus haut et se tenir à Saint-Denis de la Réunion, autour du chef de l’Etat et des membres du gouvernement concernés, des représentants élus de tous les départements et territoire d’outremer, des experts et responsables académiques spécialistes des questions maritimes, ainsi qu’avec nos entrepreneurs français du domaine de l’économie bleue et ceux des pays riverains. Elle accueillerait enfin les représentants ministériels et les experts de ces pays pour étudier la faisabilité d’une initiative régionale pour la gouvernance de la totalité de l’océan Indien au sein de l’organisation régionale qui pourrait la porter : l’Indian Ocean Rim. Cette initiative pourrait être étendue ultérieurement à la Caraïbe et au Pacifique.

Nuages à venir sur la relation Washington-Séoul

Wed, 05/07/2017 - 16:55

Les sourires crispés et convenus ne trompent que les naïfs. Derrière une unité de façade face à la menace nord-coréenne – le contraire eut été surprenant ! – Donald Trump et son homologue sud-coréen, Moon Jae-in, ont bien peu de terrains sur lesquels ils vont pouvoir s’entendre.

Récemment élu, le 9 mai dernier, et bénéficiant d’un soutien populaire important, le démocrate Moon Jae-in est le nouveau visage de la République de Corée. Un visage qui rompt avec ses deux prédécesseurs conservateurs, Lee Myung-bak et plus encore la présidente déchue Park Geun-hye. Un visage qui semble également déplaire à Donald Trump, le nouvel homme fort de Séoul étant très critique de l’accord sur le déploiement du bouclier antimissile THAAD – qu’il a stoppé à peine entré en fonction dans la Maison-Bleue – et se montrant disposé à renouer le contact avec Pyongyang et à réparer les dégâts avec Pékin. En clair, la visite du président sud-coréen à Washington avait tout d’une rencontre entre alliés certes cordiale – mais pas vraiment amicale. En témoigne le fait que Trump n’a pas invité son homologue dans sa résidence en Floride à Mar-a-Lago, comme il l’avait fait avec le Premier ministre japonais Abe Shinzo ou le président chinois Xi Jinping. Ambiance…

PYONGYANG MON AMOUR

Au-delà des symboles, qui ont leur importance quand on sait que le président américain y est particulièrement attaché, c’est cependant sur le fond que les divergences semblent particulièrement fortes. Dans leur communiqué officiel conjoint, les deux hommes annoncent être en accord sur la nécessité de réengager le dialogue avec Pyongyang, à condition que le régime nord-coréen lâche du lest sur la question nucléaire. Mais s’il s’agit clairement de la ligne affichée par Moon depuis son entrée en fonction, peut-on en dire autant de Trump ? En fait, bien malin celui qui peut deviner quelle est exactement la politique coréenne du président américain, tant cette dernière semble osciller au gré de l’actualité et des humeurs de l’occupant de la Maison-Blanche. Moon est venu chercher à Washington un soutien à sa politique de réengagement avec la Corée du Nord, et c’est ce qu’il a obtenu. Mais peut-il faire confiance à un partenaire qui a alterné le chaud et le froid avec tant d’insistance ces derniers mois qu’on ne sait plus vraiment quelle est la température à laquelle la situation sécuritaire dans la péninsule coréenne est jugée menaçante pour Washington ? D’ailleurs, Trump a martelé en compagnie de son invité que « la patience stratégique avec le régime nord-coréen a échoué. Honnêtement, la patience est terminée. » Réengager avec Pyongyang sur cette base relève de l’équilibrisme. Le président coréen a suffisamment d’expérience pour savoir que si le degré de confiance accordé à Pyongyang doit être proche de zéro, il est désormais à peine plus élevé dans le cas de Washington.

La question de savoir quelle attitude adopter si Pyongyang oppose une fin de non-recevoir à cette doléance – et ce sera sans doute le cas – n’est pas non plus soulevée, parce que c’est justement sur ce point que Washington et Séoul sont en total désaccord. Moon souhaite renouer le dialogue, coûte que coûte, parce que c’est l’absence de dialogue qui a pourri tout effort de négociation depuis une décennie, et c’est sur cette base que la question nucléaire pourra être abordée. Mais côté américain, on semble faire de la dénucléarisation de la Corée du Nord un préalable à toute négociation. Bref, les deux alliés vont avoir du mal à s’entendre, et on attend presque avec impatience les réactions américaines si Moon réussit son pari, à savoir renouer le dialogue avec Kim Jong-un. Le président sud-coréen est resté en retrait sur ce point à Washington, sans doute conscient que ce n’était ni le moment, ni le lieu, pour détailler sa stratégie nord-coréenne. Affaire à suivre donc.

« STILL MADE IN KOREA »

Si le dossier nord-coréen est plus épineux que jamais, c’est cependant sur la relation avec la Corée du Sud que Donald Trump a jeté des braises, en critiquant vivement l’accord de libre-échange entre les deux pays, qui selon lui profite plus à Séoul qu’à Washington. Le diagnostic n’est pas mauvais, les chiffres l’attestent, et sur ce point le constat de Trump ressemble à celui qu’il avait fait avant d’annoncer le retrait des États-Unis du TPP. La méthode laisse cependant sérieusement à désirer, et aura des conséquences fâcheuses sur la relation entre les deux Etats. « Nous sommes en train de renégocier un accord commercial qui sera, je l’espère, équitable pour les deux parties », a précisé le président américain. Allusion faite à l’accord actuel, signé sous l’administration Bush et entré en vigueur en 2012, pendant la présidence Obama, et que Trump a qualifié d’ « horrible ». Côté coréen, cet accord n’est pas perçu de la même manière, l’excédent commercial n’en étant que renforcé.

Mais Trump a demandé une plus grande ouverture du marché sud-coréen dans des secteurs comme l’automobile et l’acier, espérant que les consommateurs coréens roulent dans des voitures américaines. Dans ces deux secteurs, la balance commerciale est très fortement à l’avantage de la Corée du Sud, qui exporte en très grande quantité vers les États-Unis. En clair, l’accord « équitable » espéré par Trump se résume à un rétablissement de cette balance, et donc soit à la mise en place de mesures protectionnistes côté américain, soit à la hausse des importations de produits américains en Corée du Sud. Dans les deux cas, ces déclarations auront très peu de portée, sinon à faire du tort à la relation entre les deux pays.

Les habitudes de consommation des Coréens, qu’on peut qualifier de patriotisme économique, ne vont pas être modifiées simplement parce que le président des États-Unis en a émis le souhait. Ou alors c’est très mal connaître la société sud-coréenne – et ne nous voilons pas la face, c’est de cela dont il s’agit. De l’autre côté, renforcer le protectionnisme américain vis-à-vis des importations de produits coréens serait non seulement une violation de l’accord de libre-échange entre les deux pays, mais aurait en plus pour conséquence de pousser Séoul vers d’autres partenaires économiques et commerciaux, la Chine en tête. On comprend dès lors pourquoi Moon a préféré rester silencieux sur ce sujet sensible, pour ne pas contredire son hôte, et en pensant sans doute que l’idée lui passera.

MOON N’EST PAS LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE

Et il ne le sera jamais. Pas plus qu’il ne représente les intérêts de la Chine quand il se déplace à Washington. C’est pourtant à Pékin que Donald Trump semble s’être adressé lors de la déclaration conjointe, plus qu’à son allié sud-coréen, qui ne s’y attendait sans doute pas. A moins justement que Trump n’ait cherché, en pointant du doigt les responsabilités de Pékin sur les sanctions à l’égard de Pyongyang, à faire pression sur son invité. Car Moon est désireux d’apaiser les tensions de son pays avec la Chine, très fortes depuis que le THAAD est venu s’inviter dans les débats sécuritaires dans la région. Trump a un agenda, Moon a le sien, et ils ne convergent que sur quelques éléments de langage.

En touchant à la question commerciale avec Séoul, c’est également Pékin que l’administration Trump a en tête. D’ailleurs, l’un des conseillers économiques du président américain, Gary Cohn, a évoqué cette question avec ses interlocuteurs coréens lors de leurs rencontres à la Maison-Blanche, faisant mention des « pratiques prédatrices de la Chine », et se montrant curieux de savoir comment la Corée du Sud s’y prend avec son puissant voisin. Cette discussion est éclairante à deux égards. D’une part, elle est révélatrice des difficultés qu’éprouve la Maison-Blanche à définir sa relation économique et commerciale avec Pékin, au point d’aller demander conseil à un allié, qui est par ailleurs un pays engagé dans une relation commerciale très étroite avec la Chine. D’autre part, elle ne fait que confirmer l’idée selon laquelle l’obsession de l’administration Trump dans la région est la Chine, et que la politique asiatique de Washington est en fait une politique chinoise, tout le reste n’étant qu’accessoire. Pas nécessairement le genre de message que Moon souhaitait entendre.

UNE POLITIQUE ASIATIQUE À PLUSIEURS VITESSES ?

Donald Trump a décidé de donner un grand coup de pied dans la politique asiatique de Washington, on le sait. Et il n’a pas véritablement de ligne directrice, on ne peut que le déplorer. Mais il y a en parallèle aux gesticulations du président américain des constances, et l’alliance des Etats-Unis avec le Japon et la Corée du Sud en font partie. Lors de leur entrevue, les deux chefs d’Etat ont sans doute évoqué leurs divergences, mais ils ont choisi de les laisser de côté pendant leur déclaration commune. C’était cependant sans compter sur Donald Trump, qui a profité de cet épisode pour se mettre en position de force et mettre en avant ses exigences, sans entendre celles de son invité, comme si celles-ci n’avaient pas la moindre importance. Si la Corée du Sud n’était pas un des alliés les plus proches et les plus solides de Washington – il conviendra cependant de s’interroger sur la fiabilité et la solidité de ce partenariat à l’avenir – et si Monsieur Moon n’était pas poli et expérimenté en politique, l’incident diplomatique était proche.

Les différentes vitesses dans le traitement de la question coréenne à Washington sont également le fait de l’ancien président américain, Barack Obama, qui s’est rendu à Séoul juste après la visite de Moon aux États-Unis, pour y rencontrer des dirigeants coréens, actuels et passés. On imagine que les propos tenus par Obama n’ont pas grand-chose à voir avec ceux de Trump, et que l’ancien président se voit « en mission » pour tenter de sauver la relation avec Séoul. Un vœu pieux, peut-être, mais pas nécessairement une bonne idée, qui en plus ne fait pas les affaires de Washington. Car un pays qui montre le visage d’une politique étrangère ambivalente et dissonante est un pays qui voit son influence et sa crédibilité menacées. Or, vu la situation actuelle dans la péninsule coréenne et de manière élargie en Asie, c’est justement sur ce terrain précis que les États-Unis ont de sérieux efforts à produire.

« La Corée du Nord et les États-Unis ont intérêt à maintenir une apparente tension »

Wed, 05/07/2017 - 16:24

En quoi le tir de mardi diffère-t-il des précédents essais nord-coréens ?

Vu le temps de tir et sa distance, il semble en effet qu’on soit en face d’un essai de tir d’un genre nouveau, d’un missile balistique intercontinental. Si c’est bien le cas, la Corée du Sud serait en mesure d’attaquer, depuis son territoire, le sol américain, bien que l’Alaska ne soit pas des plus peuplés…

Mais il faut relativiser ce risque: d’une part parce que, même si le missile était effectivement capable d’atteindre l’Alaska, rien ne dit que la Corée du Nord soit capable de monter dessus une tête nucléaire, très lourde. D’autre part, parce que les deux pays ont intérêt à maintenir l’apparence d’une montée des menaces. La Corée du Nord pour se maintenir politiquement et les Etats-Unis pour justifier l’augmentation du budget de l’armée et dire aux Américains qu’ils doivent toujours mieux se protéger.

Donc le tir ne change pas fondamentalement la menace ?

Pas fondamentalement. C’est spectaculaire aujourd’hui parce que Trump est à la Maison Blanche et que Pyongyang a choisi de tirer le jour de la Fête nationale américaine, mais il n’y a pas de nouvelle menace.

Face aux provocations de Kim Jong-Un, que peuvent faire les Américains et les Sud-coréens ?

Le nouveau président sud-coréen n’a pas intérêt à hausser le ton face à Pyongyang, car il ne veut pas risquer de compromettre ses relations avec la Chine. Donald Trump, de son côté, a choisi d’augmenter la pression sur Pékin. Personne ne veut faire un pas vers une réelle agression, car tous savent qu’ils ont beaucoup à y perdre. Ce qui est sûr, c’est que le régime Nord-coréen ne renoncera jamais à son programme d’armement nucléaire, car le régime ne veut pas subir le sort de Mouammar Kadhafi et de Saddam Hussein.

Criminality in the sports betting market: which challenges?

Wed, 05/07/2017 - 11:45

Pim Verschuuren is a research fellow at IRIS, coordinator of the EU Programme PreCrimBet. He answers our questions about the release of the final PreCrimBet report dealing with the prevention of criminal risks linked to sports betting market:
– What are the 6 key findings of the PreCrimBet programme ?
– What are the key recommandations to protect the betting market from criminal risks ?

Madrid-Barcelone, poker menteur au risque de l’Espagne

Tue, 04/07/2017 - 18:13

Le 1er octobre 2017, les autorités de Barcelone – le gouvernement dit de la « Généralité catalane » et sa majorité parlementaire (composée du Parti démocratique de Catalogne ; de la Gauche républicaine de Catalogne et du parti d’extrême gauche, CUP-Candidature d’unité populaire) – ont décidé d’organiser un référendum sur l’indépendance. À Madrid, le gouvernement a d’ores et déjà fait savoir qu’il mettrait tout en œuvre pour empêcher cette consultation. Selon la formule consacrée pour décrire les évènements politiques répondant à une dynamique similaire, « un choc de train » est d’ores et déjà programmé.

Les deux acteurs du drame sont enfermés dans un autisme à hauts risques. Bien que répondant au bluff pratiqué par les joueurs de poker, il est porteur d’accident aux conséquences imprévisibles mais en tous les cas dommageables à l’Espagne comme à la Catalogne. Le président de la Généralité, Carles Puigdemont, a officialisé le 9 juin 2017 ses intentions séparatistes. Sa coalition « Junts por el si » en a rappelé la date et les objectifs mardi 4 juillet, dans les locaux du « Teatre nacional de Catalunya ». Les électeurs inscrits sur les listes électorales de la Généralité catalane auront à répondre à une question relative à l’autodétermination de la Généralité catalane. Le gouvernement central a de son côté rappelé qu’il empêcherait avec tous les moyens dont il dispose la tenue d’un vote inconstitutionnel. Des avertissements ont d’ores et déjà été envoyés aux entreprises qui accepteraient de répondre aux appels d’offre pour fournir urnes, bulletins, enveloppes et isoloirs.

Côté nationaliste catalan, on avance le droit imprescriptible à décider démocratiquement qui serait reconnu par la Charte des Nations unies et les résolutions relatives au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Sont cités à l’appui de cette thèse les référendums organisés à ce sujet au Québec, province canadienne, et en Ecosse, partie du Royaume-Uni. Les responsables de la coalition indépendantiste signalent par ailleurs qu’il n’est pas question pour Barcelone d’abandonner l’Union européenne, l’euro et le dispositif Schengen. Ces messages ont été colportés aux quatre coins du monde occidental par les membres actuels du gouvernement catalan, comme par Artur Mas, initiateur de la proposition de rupture avec Madrid et l’Espagne.

Mariano Rajoy, du Palais de la Moncloa, a multiplié les mises en garde. La Constitution espagnole autorise l’organisation de référendums « régionaux » sous réserve d’un feu vert donné par le Parlement national espagnol. Le Parti populaire (PP), formation du président du gouvernement espagnol, est totalement opposé à l’organisation de cette consultation. Comme d’ailleurs à toute réforme de la Constitution accordant des droits élargis à la Catalogne. En saisissant le Tribunal constitutionnel, le PP avait fait capoter en 2010 toute perspective de statut d’autonomie rénové reconnaissant le caractère national de la Catalogne. Les rumeurs d’un recours par Madrid à l’article 155 de la Loi fondamentale, la suspension de l’autonomie existante par l’autorité centrale, se font de plus en plus entendre.

Le pire est-il l’hypothèse la plus pertinente ? Rien n’est moins sûr. Il ne faut pas désespérer de la culture transitionnelle héritée des années fondatrices de la démocratie. Certes les nouvelles générations, à Barcelone comme à Madrid, abusant des libertés si chèrement acquises, contestent les compromis des années 1976-1978. Au Parti populaire, on a oublié Adolfo Suarez et Manuel Fraga. Au sein de la Gauche républicaine catalane on ne parle plus de Josep Tarradellas. Au Parti démocratique de Catalogne, on préfère passer sous silence Jordi Pujol. Au Parti communiste et à Podemos, on a oublié Santiago Carrillo, Rafael Alberti et la Pasionaria. Les socialistes andalous ont tourné les pages de Ramon Rubial le basque et de Joan Reventos le catalan.

George Orwell, peu de temps après la fin de la guerre civile espagnole, avait rendu un hommage posthume à la Catalogne républicaine[1]. « L’ennemi », avait-t-il écrit, venait en dernier. La priorité c’était « le bois à bruler, les vivres, le tabac ». Les politiques d’aujourd’hui auraient-ils relégué au second plan ressources et compétences pour donner le premier rôle à l’ennemi ? Les Catalans, si l’on en croit les sondages, sont en attente d’une troisième voie[2]. Rien à voir avec Tony Blair mais beaucoup avec l’exigence adressée aux responsables politiques, ou prétendus tels, d’imagination constitutionnelle pour mettre « le bois à brûler, les vivres et le tabac » avant l’ennemi. La maire de Barcelone, Ada Colau, « leader » d’un parti regroupant la gauche contestataire, refuse de participer à une consultation non négociée avec Madrid. Podemos rejette la sécession, tout en approuvant le principe d’une consultation populaire. Au-delà de ces positions exprimant un malaise plus qu’une troisième voie, il y a depuis le 18 juin 2017 une proposition très concrète. Celle faite par le nouveau Secrétaire général du PSOE, Pedro Sanchez, de changer la Loi fondamentale afin de la fédéraliser et de permettre la reconnaissance dans son article 2 de la Catalogne comme nation[3]. À suivre donc… Même si les uns et les autres ont exclu au grand soir du 1er octobre, tout recours aux armes.

[1] George Orwell, « Hommage à la Catalogne », Paris, 10/18 n°3147
[2] Voir El Pais, 16 avril 2017, sondage Demoscopia
[3] Proposition figurant dans le livre publié par Josep Borrell, Los idus de octubre, Madrid, Catarata, 2017

Le G5 anti-djihadiste peut-il venir à bout du terrorisme au Sahel ?

Tue, 04/07/2017 - 17:46

Dimanche 2 juillet, les chefs d’État du Mali, du Tchad, de la Mauritanie, du Niger et du Burkina Faso étaient à Bamako, en présence également d’Emmanuel Macron, pour lancer une force anti-djihadiste dans le Sahel. Le point de vue de Philippe Hugon, directeur de recherche à l’IRIS.

Cette alliance pour le Sahel est-elle une initiative inédite sur le continent africain ? A-t-elle vraiment les moyens d’être efficace ?

Ce n’est pas complètement inédit puisque quatre pays – le Nigéria, le Cameroun, le Tchad et le Niger – avaient déjà entrepris une action conjointe pour lutter contre Boko Haram. Ceci étant, ce G5 Sahel regroupant le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso, affiche davantage d’ambition en prévoyant une force de 5 000 hommes, pour un montant d’un peu plus de 400 millions d’euros. Cette initiative est importante car elle témoigne de l’existence de forces africaines régionales. Cela montre aussi qu’il y a des problèmes d’insécurité croissante dans ces cinq pays. Cette force va s’ajouter à Barkhane, la Minusma, ainsi qu’aux forces anti Boko Haram.

Le coût supérieur à 400 millions d’euros par an sera pour l’instant financé à hauteur de 50 millions par l’Union européenne (UE) ; chacun des cinq États membres apportera 10 millions d’euros ; tandis que la France apportera, en complément de Barkhane, un peu moins de 10 millions d’euros. Il reste toutefois un manque à gagner financier majeur, notamment du fait de la position américaine. En effet, bien que Donald Trump ait accepté au Conseil de sécurité un vote favorable à cette force, il n’a pas donné le mandat des États-Unis donc cette force ne bénéficie d’aucun financement de la part des Nations unies. Reste donc à combler ce manque à gagner financier, qui pourrait être trouvé auprès des membres de l’UE, en particulier de l’Allemagne.

Les États-Unis refusent d’aider financièrement cette initiative pour deux raisons. D’une part, Donald Trump veut globalement réduire tous les appuis aux organisations internationales et aux actions militaires des Nations unies. D’autre part, il considère que l’intervention de cette force du G5 renvoie davantage aux intérêts stratégiques français qu’américains. Peut-être est-ce une raison pour laquelle Emmanuel Macron a invité le président états-unien pour le 14 juillet, afin de faire avancer ce dossier.

Quel est l’état de la menace terroriste sur les territoires des pays de ce G5 ?

Il ne s’agit pas uniquement de menace terroriste mais plus généralement d’une monté croissante de l’insécurité. En particulier, la région du centre du Mali est totalement insécurisée du fait de conflits locaux qui réapparaissent entre les éleveurs et les agriculteurs, entre les autochtones et les allogènes, entre les migrants et les sédentaires, etc. Se rajoutent les différentes factions djihadistes qui font front commun sous la responsabilité principale d’Ansar Dine dirigé par Iyad Ag Ghali. Des alliances apparaissent entre Al-Mourabitoune de Mokhtar Belmokhtar, Aqmi, la katiba Macina peul… Aujourd’hui, ces groupes rattachés à Al-Qaïda s’allient et rendent les actions terroristes davantage possibles.

Le Mali a failli à assurer ses fonctions régaliennes. La police, la gendarmerie et les militaires ne parviennent plus à assurer la sécurité. Les problèmes de fonds demeurent à cause de l’absence de lien entre sécurité et développement et le terreau du terrorisme se trouve notamment dans le chômage des jeunes, le trafic de drogues…

Ce qui est nouveau, c’est que l’insécurité et le terrorisme ne concernent plus simplement le centre du Mali mais également les pays limitrophes, à savoir le Burkina Faso et le Niger.

Quel rôle joue la France dans la lutte et la coopération anti-terroriste en Afrique ?

La France joue un rôle majeur dans ces pays étant pour la plupart francophones et qui ont toujours fait partie des zones privilégiées d’intervention française. La France a été la première présente au Mali avec l’opération Serval lorsque les djihadistes ont menacé Bamako à l’époque du président Hollande. Cette opération Serval est devenue l’opération Barkhane d’envergure régionale, regroupant environ 4 000 hommes et avec un coût de 600 millions d’euros par an. L’effort français est donc très important.

La France joue également un rôle central puisqu’en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, elle a fait passer plusieurs dossiers, dont le G5 Sahel. Paris cherche aussi à intégrer les pays membres de l’UE ; la forte alliance entre Emmanuel Macron et Angela Merkel rend l’Allemagne plus ouverte à l’idée que les questions sécuritaires sont aussi du ressort de l’Europe et pas simplement de la France.

Reste à gagner la guerre contre le terrorisme. Endiguer des actions terroristes ne signifie pas éradiquer le terrorisme. La France est certes présente pour longtemps avec Barkhane mais les défis majeurs concernent la mise en place de projets de développement qui créent un tissu économique permettant aux jeunes de s’insérer sans entrer dans des réseaux mafieux et terroristes ; la mise en place de systèmes décentralisés de sécurité, etc.

Actuellement, seules des batailles ont été gagnées mais pas la guerre contre le terrorisme et il reste beaucoup de points d’interrogation sur l’appui de la France à cette initiative du G5. L’Africanisation des forces armées est une priorité si l’on ne veut pas que les troupes d’intervention ne soient perçues avec le temps comme des troupes d’occupation. Sur le terrain, on sait aussi que les forces africaines sont souvent – à l’exception du Tchad et du Niger – peu efficaces, notamment les troupes du Mali.

Al Jazeera : au cœur de la crise au Moyen-Orient

Tue, 27/06/2017 - 12:40

Le 5 juin dernier, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn, l’Egypte et le Yémen ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar, accusé de soutenir le terrorisme djihadiste.Depuis, un embargo s’est abattu sur la micro-monarchie gazière.

Si Al Jazeera s’est imposée en un laps de temps relativement bref comme l’un des principaux médias au monde, son existence a toujours été contestée et critiquée, même si l’identité de ses détracteurs elle a pu évoluer.

Aujourd’hui, la chaîne est au cœur de la crise diplomatique entre les alliés de l’Arabie Saoudite d’un côté et le Qatar, de l’autre. Plusieurs bureaux de la chaîne d’information qatarie ont déjà été fermés dans la région, y compris en Egypte.

Pis, la fermeture de la chaîne Al Jazeera ferait partie de la liste d’injonctions exprimées par les voisins du Qatar pour mettre fin à la crise. Il est piquant de voir le micro-Etat en appeler à la liberté d’expression dans la région pour rejeter cette demande, alors même que ce droit fondamental est loin d’être respecté au sein de la micro-monarchie…

La requête de l’Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Unis, de Bahreïn et de l’Egypte n’en reste pas moins fondamentalement anachronique et liberticide (pour l’Etat qatari comme les individus). Elle se fonde sur les liens supposés d’Al Jazeera avec Daech, Al-Qaïda et le Hezbollah chiite libanais, ainsi que le soutien à peine voilé aux Frères musulmans, ennemis politiques des différents pouvoirs en place dans ces régimes.

Cet épisode, au-delà des explications liées au contexte actuel, s’inscrit aussi dans l’histoire récente de la région. Dès son origine, Al Jazeera, s’attire l’ire des gouvernements voisins qui mettent en place une stratégie contre la chaîne.

En 2001, Moubarak, en visite dans les locaux d’Al Jazeera, dit cette phrase qui traduit bien le mépris et la méfiance des dirigeants de la région pour la chaîne : « C’est donc de cette boîte d’allumettes que sort tout ce vacarme ».

A la suite de sa prise de pouvoir au Qatar par un coup d’Etat contre son père en juin 1995, le cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani cherche à mener une politique de modernisation de son pays mais aussi d’influence et de puissance. Cette politique de puissance et de modernisation passe par des réformes comme l’édiction d’une nouvelle constitution mais aussi par la création de la chaîne satellitaire Al Jazeera (la Péninsule) le 1er novembre 1996.

Créée par l’émir du Qatar en 1996, Al Jazeera représente ainsi la première chaîne arabe d’information en continue. Si elle est d’abord critiquée et caricaturée comme « la chaîne de Ben Laden », ce qui lui vaut l’hostilité du monde occidental, Etats-Unis en tête, Al Jazeera s’impose progressivement.

Véritable instrument du soft power du pays, la chaîne détrône rapidement les médias – principalement saoudiens – de la région. Un succès qui est lié à une ligne éditoriale hybride, mêlant arabisme, islamisme et libéralisme (Mohammed El Oifi).

Mais ce n’est cependant qu’après les évènements du 11 septembre 2001 que la chaîne Qatari va passer de la visibilité régionale à la consécration mondiale. S’agissant de la guerre en Afghanistan, Al Jazeera bénéficie d’un monopole sur la couverture des évènements.

Les médias occidentaux n’ont d’autres choix que de retransmettre les images de la chaîne Qatari qui se fait alors connaître de l’opinion publique de l’Ouest.

Al Jazeera développe un discours critique et autonome lors de la deuxième Guerre d’Irak, ce qui lui permet de s’ériger en forum d’expression de l’opinion arabe dominante.

La création de sa version globale en langue anglaise puis la couverture de l’intervention israélienne à Gaza en 2008 augmentent encore l’influence régionale et mondiale de la chaîne.

Toutefois, avec le soulèvement des peuples arabes en 2011, on assiste à une rupture de l’équilibre entre liberté éditoriale de la chaîne et autoritarisme de son financeur étatique.

Face aux enjeux de la reconstruction politique en Tunisie, en Egypte, en Libye, en Syrie et ailleurs, le pouvoir qatari rompt de fait l’indépendance relative de la chaîne.

L’alignement de la ligne éditorial d’Al Jazeera avec les intérêts de l’émirat, en particulier à travers le soutien manifeste apporté aux Frères musulmans arrivés au pouvoir en Egypte, a souligné le problème d’indépendance de la chaîne.

Aujourd’hui le lien organique entre l’Etat du Qatar et Al-Jazeera se retourne contre la chaîne. Plus que jamais, leurs destins sont liés…

Nomination d’Ana Brnabić comme Première ministre serbe : l’arbre qui cachait la forêt

Mon, 26/06/2017 - 11:10

Élu dans des conditions particulières il y a quelques semaines, le nouveau président serbe Aleksandar Vučić a décidé de nommer au poste de Première ministre Ana Brnabić, déjà ministre sous le précédent gouvernement. Celle-ci présente la quadruple particularité d’être une femme, jeune (42 ans), d’origine croate et ouvertement homosexuelle. C’est évidemment une grande première dans la région et même au-delà, le contre-pied est tellement parfait que l’on se pince pour y croire. Or, c’est précisément là qu’il faut s’arrêter. Symboliquement, cette nomination ne représente certes pas une mauvaise nouvelle en soi, sauf pour ceux qui pensaient que leur tour était venu. Seulement, la politique n’est pas qu’une affaire de symbole, ce sont à la fois des actes et un rapport de force dans l’exercice du pouvoir.

Dans le cas présent, cette nomination pose deux problèmes. Le premier est que sa force symbolique est telle que personne, malheureusement pour elle d’ailleurs, ne va s’intéresser à ses compétences en tant que professionnelle, ni à son bilan de ministre dans le précédent gouvernement. On ne la jugera pas sur pièce, ni en positif, ni en négatif. Le second problème, qui renforce le premier, est que Brnabić est une technicienne sans autre soutien que celui de Vučić. Autrement dit, aucun rapport de force possible ne pourra exister entre les deux et chacun sait que tous les arbitrages sérieux se feront à la présidence, bien que la Constitution serbe confère l’essentiel du pouvoir au Premier ministre.

Malgré cela, comme au moment de sa visite à Srebrenica et au moment de l’envoi du train estampillé « Le Kosovo est la Serbie » au Kosovo, Aleksandar Vučić manœuvre une nouvelle fois très bien pour endosser le beau rôle, celui du conciliateur et modéré qui recherche courageusement le compromis, malgré sa propre base électorale et les démons de son peuple. Et on le félicite chaudement à Bruxelles pour cela. Il y a clairement un côté Frank Underwood (le personnage principal de la série télévisée House of Cards, ndlr) chez Vučić. Le commissaire Hahn, interrogé sur les pratiques autoritaires dans la région et sur la liberté de la presse qui recule, préfère parler de « realpolitik positive », sans que l’on sache très bien ce que cela signifie. Ce qui compte, c’est la stabilité, ce douteux mantra derrière lequel se cache une formule qui, en langue locale, se décline ainsi : « samo nek’ se ne puca », pouvant se traduire par « du moment que personne ne se tire dessus ». Ainsi, dans la crainte d’un introuvable conflit violent de même ampleur que dans les années 1990, on a pris le parti de se contenter d’adouber des hommes forts qui ont pour mission de veiller à ce que la région ne pose plus de graves problèmes. Aleksandar Vučić a très bien compris cette priorité européenne, c’est pourquoi il se présente depuis des années comme le garant de la stabilité de la région. Et c’est ainsi qu’il est effectivement perçu.

Or, dire que la Serbie de Vučić est un pôle de stabilité dans la région signifie deux choses. D’une part, on réhabilite l’idée qu’il n’y a rien de tel qu’un régime porté vers l’autoritarisme ou un homme à poigne pour assurer la stabilité d’un État. Cet argument, dévoyé de la théorie réaliste des relations internationales, est déjà discutable vis-à-vis du reste du monde (l’Égypte est-elle stable ?) ; mais il est surtout inconcevable à brandir à propos de pays candidats à l’intégration européenne légalement tenus d’en appliquer les principes démocratiques inscrits dans les traités européens. Au reste, on entendait déjà ce refrain de la garantie de stabilité du temps de Slobodan Milošević, avec le succès que l’on sait.

D’autre part, on se rend tout simplement aveugle sur l’action réelle de la Serbie envers ses voisins. Guerre des mots, révisionnisme et course aux armements avec la Croatie, provocation ferroviaire envers le Kosovo, participation active à la déstabilisation de la Macédoine depuis la défaite du VMRO – y compris en soutenant la prise d’assaut du parlement à Skopje le 27 avril dernier -, soutien feutré aux Serbes de Bosnie et du Monténégro que l’on peut difficilement qualifier d’éléments constructifs… Bref, de près ou de loin, il est tout simplement faux de prétendre que la Serbie de Vučić joue un rôle stabilisateur dans la région, c’est même tout le contraire. Ou alors, il faut comprendre cette assertion en la prenant dans l’autre sens : la Serbie de Vučić fait tellement la preuve de sa capacité à déstabiliser ses voisins que cela lui confère par contraste un rôle clé de pôle de stabilité, si toutefois elle se décidait à se comporter différemment.

Comment mener une politique intelligente et rationnelle lorsqu’elle repose sur un postulat erroné ? À moins que l’on en soit parfaitement conscient et que tout cela ne soit qu’un théâtre d’ombre, c’est très possible. Dans les deux cas, les jeunes – diplômés ou non – de toute la région s’en vont car ils n’y croient plus. L’échec européen dans les Balkans se trouve dans les bus et les trains qui vont vers l’Allemagne, l’Autriche ou ailleurs et qui emportent les forces vives de la région.

Pourtant, les faits sont là et ils sont têtus pour peu qu’on daigne y prêter de l’attention. Avant de nommer Ana Brnabić au poste de Première ministre, la cérémonie d’investiture de Vučić a été marquée par l’agression de plusieurs journalistes par des hommes de l’entourage direct du nouveau président, un sort également subi par les manifestants. Charge à chacun dans cette affaire de nomination de distinguer l’arbre de la forêt et d’en tirer les conclusions qui s’imposent, pour la Serbie et pour les Balkans.

Le conflit du Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan risque-t-il de dégénérer ?

Fri, 23/06/2017 - 12:48

Un rapport publié par l’International Crisis Group alerte sur les tensions croissantes entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui, selon les auteurs, seraient proches d’un conflit ouvert, alors que la situation autour du Haut-Karabakh n’est toujours pas réglée depuis près de 25 ans.Le point de vue de Samuel Carcanague, chercheur à l’IRIS.

Où en sont les tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan depuis la résurgence du conflit en avril 2016 ?

Faisons tout d’abord un court rappel historique. Le Haut-Karabakh est une région qui fut rattachée à la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan sous Staline, majoritairement peuplée d’Arméniens. À la fin des années 1980, le Haut-Karabakh, soutenu par l’Arménie, réclame son indépendance, ce qui déclenche un conflit ouvert entre Erevan et Bakou. Celui-ci se termine en 1994 à la défaveur de l’Azerbaïdjan, avec un accord de cessez-le-feu signé le 16 mai 1994. L’Arménie occupe environ 15 à 20% du territoire azerbaïdjanais, dont le Haut-Karabakh mais également des territoires à l’Ouest, au Sud et à l’Est. Le conflit a provoqué plus d’un million de réfugiés, dont la grande majorité en Azerbaïdjan.

En avril 2016, une résurgence de ce conflit d’une ampleur inédite, appelé parfois « guerre des 4 jours » a provoqué environ 200 victimes. Le rapport de l’International Crisis Group fait le point sur les conséquences de ce « réchauffement » sur la dynamique du conflit.

Les affrontements d’avril 2016 ont effectivement représenté un point d’inflexion dans les rapports de force qui prévalaient depuis la signature du cessez-le-feu en 1994. L’Azerbaïdjan a récupéré environ 2000 hectares de territoires occupés par l’Arménie depuis 1994, cette dernière n’ayant pas su résister aux assauts de son voisin.  Côté azerbaïdjanais, la sensation que le rapport de force a évolué en sa faveur risque d’encourager les partisans d’une solution militaire, qui se sont fait plus vocaux cette dernière année.

Côté arménien, les dysfonctionnements au sein de l’institution militaire lors de la « guerre de 4 jours », souvent liés à la corruption latente, ont alimenté la colère des citoyens, ce qui réduit la marge de manœuvre du gouvernement de Erevan pour négocier. Les partisans d’une reprise des négociations sont quasiment inaudibles (à l’instar de l’ancien président Levon Ter-Petrossian, qui a récolté moins de 2% des suffrages). Le lancement d’une initiative « Armée Nation » fait craindre la militarisation progressive de la société, et en particulier des jeunes générations, obérant encore davantage les espoirs d’apaisement dans le futur.

On est face à ce que les théoriciens ont appelé un « dilemme de sécurité », où les actions de l’un renforce la détermination de l’autre. Ce cercle vicieux d’une course à l’armement qui continue et la polarisation progressive des deux sociétés après le conflit d’avril 2016 qui a été observée par certains chercheurs, dont ceux de l’ICG, font craindre que les initiatives de paix potentielles ne récoltent que peu d’écho.

Quel rôle joue la Russie dans ce conflit ?

De par sa présence historique dans la zone, ses intérêts stratégiques toujours là et sa position de co-présidente du Groupe de Minsk (avec la France et les États-Unis), elle en est un acteur central. La Russie joue toutefois un rôle ambigu.

Elle est considérée comme l’alliée traditionnelle de l’Arménie, à qui elle fournit la majeure partie de son équipement militaire à prix réduit. Elle possède également deux bases militaires, l’une terrestre, l’autre aérienne, sur le sol arménien. L’Arménie s’inscrit également dans les projets d’intégration régionale chapeautée par Moscou, comme l’OTSC et l’Union économique eurasiatique. Deux organisations dont l’Azerbaïdjan ne fait pas partie. La Russie n’est en revanche pas présente au Haut-Karabakh en tant que tel, elle n’y possède aucun contingent et n’en contrôle pas directement les dirigeants de facto.

Malgré cette alliance stratégique avec l’Arménie, la Russie semble, depuis quelques années, s’être rapprochée de l’Azerbaïdjan, ce qui s’est notamment traduit par des ventes d’armements importantes. La Russie est ainsi vue comme jouant sur les deux tableaux, en maintenant un équilibre des forces entre Arménie et Azerbaïdjan, ce qui favorise davantage un statu quo qu’une résolution du conflit. Moscou agit de la sorte pour préserver son influence dans le Sud-Caucase où elle a des intérêts stratégiques. Erevan comme Bakou ne sont pas dupes et déplorent cet état de fait, mais n’ont pas vraiment d’alternative.

La Russie se pose malgré tout en médiateur et a notamment proposé un plan de résolution en 2015, qui n’a pas convaincu les deux pays. La proposition d’envoyer des forces russes de maintien de la paix au Haut-Karabakh est notamment refusée par les deux parties. Si les capacités du gouvernement russe de dialoguer avec Bakou et Erevan sont indéniables, il ne faut pas sous-estimer la méfiance des deux belligérants envers le Kremlin, ce qui ne favorise pas les négociations dans le cadre du Groupe de Minsk.

Pourquoi le groupe de Minsk est-il incapable de trouver une résolution pacifique au conflit ?

Le groupe du Minsk est co-présidé par la France, les États-Unis et la Russie. Il y a eu plusieurs phases de négociations au sein de ce groupe et la phase de la deuxième moitié des années 2000 a pu porter certains espoirs. L’un des principaux facteurs qui influe sur la capacité du Groupe de Minsk à trouver des solutions communes et viables réside dans la qualité des relations bilatérales entre les co-présidents. Or, depuis le début des années 2010, les relations entre la Russie d’un côté et les États-Unis et la France de l’autre se sont fortement dégradées.

Ces dernières années, la Russie a davantage été à l’initiative sur le dossier du Haut-Karabakh. Cela étant, la France pourrait profiter du moment de flottement autour du leadership américain et du fait que Moscou se heurte à la défiance conjointe de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan pour occuper cet espace diplomatique, afin de lancer une initiative. Il sera intéressant de voir si le président Emmanuel Macron profitera de son momentum international (s’il perdure) pour se risquer à relancer les négociations au sein du Groupe de Minsk.

Victoire présidentielle et crise démocratique

Thu, 22/06/2017 - 15:57

Si certains commentateurs voient dans les dernières élections présidentielle et législatives une forme de renouveau de la Ve République, celui-ci s’inscrirait alors sur fond de profonde crise démocratique. Ce nouveau quinquennat renvoie en effet à une situation pour le moins paradoxale : d’un côté, le président Emmanuel Macron dispose d’une majorité parlementaire écrasante ; de l’autre, cette assise politique et institutionnelle ne saurait masquer le fait que la majorité présidentielle comme la majorité parlementaire procèdent d’une minorité du corps électoral. Le niveau record atteint par l’abstention à l’occasion du second tour des élections législatives confirme et aggrave une tendance structurelle.

Si le phénomène abstentionniste donne lieu à des interprétations diverses et contradictoires (acte passif ou actif, voire militant), il témoigne manifestement d’une réaction de rejet du politique et de «crise de foi civique». Outre l’ambiguïté autour de l’offre politique des candidats des principaux partis en lice, la défiance à l’égard de la classe politique et le sentiment que l’élection ne «changera rien» continuent en effet de dominer. Sur ce plan, «l’effet Macron» est pour le moins limité. Certes, les Français ne se désintéressent pas de la chose publique, loin s’en faut, mais ils ne sont pas convaincus ni de la réalité du principe d’alternance, ni de la capacité du politique à changer le réel.

En sus d’un déficit de représentativité politique et sociologique, la crise démocratique – confirmée plus que révélée par ce début de quinquennat – connaît un autre aspect : la situation de l’opposition parlementaire. Non seulement ce bloc est particulièrement hétérogène et fragmenté, mais au sein même des groupes ou franges de cette opposition parlementaire – de gauche comme de droite – les tensions risquent de réduire la lisibilité de l’échiquier parlementaire et de renforcer la porosité entre majorité et opposition. Dans ces conditions, c’est l’effectivité même de la fonction politique de l’opposition qui est posée.

«Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire.» La célèbre apostrophe du député André Laignel  soumet le droit et la démocratie à la loi de la majorité. Alexis de Tocqueville fustigea cette forme de «tyrannie de la majorité», ce mode de gouvernement où «la majorité d’un peuple a le droit de tout faire». Certes, la démocratie implique par définition que le pouvoir politique soit exercé par la majorité que le peuple a désignée.

Toutefois, le respect de la minorité politique – en général – et de l’opposition parlementaire – en particulier – est également inhérent à la théorie de la démocratie. Celle-ci inclut la faculté de concurrencer l’offre politique de la majorité et de contrôler son action au pouvoir. C’est précisément dans ce cadre que s’inscrit la fonction de contre-pouvoir de l’opposition parlementaire, comme représentation institutionnelle d’une minorité politique. Dans un régime présidentialiste régi par le fait majoritaire, la pratique politique aboutit à une fusion du «couple exécutif/législatif» qui rend partiellement fictif le principe de séparation des pouvoirs.

Plus précisément, le fait majoritaire et la solidarité instituée entre le gouvernement et la majorité parlementaire mettent à mal la pertinence du principe de séparation des pouvoirs, auquel se substitue la configuration incarnée par le couple «opposition/majorité gouvernementale». Autrement dit, la véritable «séparation» est la séparation entre pouvoir majoritaire qui d’un seul tenant est à la fois exécutif et législatif, et opposition. C’est pourquoi, «[u]ne démocratie […] c’est un exécutif appuyé sur la Nation et contrôlé par une opposition parlementaire» (G. Vedel, Le Monde, 20 juillet 1958).

L’opposition parlementaire est au cœur du jeu démocratique et de l’équilibre des pouvoirs. Outre sa fonction de représentation (celle d’une minorité du corps électoral), la raison d’être de l’opposition parlementaire réside, il est vrai, dans l’action de contrôler la majorité parlementaire/gouvernementale et de proposer des solutions politiques alternatives. En cela, elle a vocation à exercer un contre-pouvoir politique, qui tire sa légitimité du suffrage populaire. A contrario, l’absence d’opposition parlementaire effective (qui se serait en incapacité d’exercer des droits élémentaires tels que le dépôt d’une motion de censure et la saisine du Conseil constitutionnel) élèverait d’un cran le niveau de la crise démocratique d’une Ve République qu’on dit en perpétuelle renouveau…

Le retour du Maroc au sein de l’Union africaine et son adhésion à la CEDEAO : quelles conséquences pour les ensembles régionaux ?

Thu, 22/06/2017 - 14:41

La réintégration du Maroc au sein de l’Union africaine le 30 janvier 2017, ainsi que l’accord de principe de son adhésion à la CEDEAO les 5 et 6 juin 2017 au 51e sommet de la CEDEAO à Monrovia, sont deux grandes réussites diplomatiques pour le royaume. Elles ont été longuement préparées par les divers volets de la diplomatie marocaine qui combine diplomatie des voyages et du portefeuille, influence religieuse, accords de sécurité et coopération militaire, et surtout diplomatie économique avec les pays africains. Elles témoignent du retour de l’un des fondateurs de l’OUA en 1963 qui l’avait quitté en 1984. Cette réintégration modifie la donne vis-à-vis de l’Algérie, peut s’accompagner d’une intégration au sein de la CEDEAO et de l’UA, ainsi que peut-être participer au dénouement de l’impasse du Sahara occidental.
Nous rappellerons dans cet article : (I) les différents volets de la diplomatie marocaine et l’histoire des relations entre le Maroc et l’OUA devenue UA, notamment concernant le Sahara occidental ; avant de présenter (II) les principaux enjeux régionaux africains de cette réintégration au sein de l’UA et de son adhésion à la CEDEAO ; puis dessinerons (III) quelques perspectives.

Les liens entre le Maroc et l’UA et la question du Sahara occidental

Le Sahara occidental est longtemps resté le caillou dans la chaussure marocaine, représentant à la fois un facteur majeur de tension avec l’Algérie et de blocage de l’UMA.

Le Maroc a été actif dans la création de l’OUA. Le principe d’intangibilité des frontières a été alors adopté pour éviter d’ouvrir la boîte de Pandore concernant le caractère arbitraire des frontières, cicatrices de la violence de l’histoire, ainsi que pour réduire les risques des guerres de sécession. Il y a toutefois eu de nombreux contentieux. La question s’est posée de savoir quelle était la définition des frontières spécifiques au Sahara espagnol en 1975 : un rattachement au Maroc ou une autonomie ? Lors de son indépendance en 1956, le Maroc a demandé le respect des droits sur le Sahara espagnol antérieurs au protectorat français. Ultérieurement, la Mauritanie a réclamé le rattachement du Sahara occidental au nom de la continuité territoriale. En 1973, le front Polisario a réclamé l’indépendance soutenue par l’Algérie. En 1975, après le retrait de l’Espagne, une administration tripartite Espagne- Mauritanie-Maroc était envisagée lorsque la marche verte de 35 0000 Marocains a conduit au maintien du Sahara occidental dans l’espace national du Maroc. En 1976, la République arabe sahraouie démocratique (RASD) est reconnue par 72 États des Nations unies (40 aujourd’hui). En 1984, 26 des 50 États membres de l’UA ont admis la République sahraouie (RASD) au sein de l’UA. Le Maroc a alors décidé de quitter cette organisation et des affrontements armés ont eu lieu jusqu’en 1992. L’Algérie a fait de la question sahraouie et du soutien au Polisario un cheval de bataille. La force des Nations unies MINURSO est présente depuis 26 ans (1991), avec pour mandat de surveiller le cessez-le-feu, de vérifier le départ des troupes marocaines et initialement d’organiser un référendum. La bataille juridique a été menée par le Maroc et de fortes tensions sont apparues en 2016 entre le royaume et Ban Ki Moon, qui avait parlé d’occupation. Le Polisario a, quant à lui, perdu de sa capacité armée, tout en présentant un risque de liaison avec les trafiquants, les djihadistes et de non contrôle de la sécurité des frontières.

Les Nations unies ont préconisé une autonomie mais pas une indépendance du peuple sahraouie (25 0000 pour 540 000 habitants). Le principe d’un référendum a été accepté mais avec contentieux pour savoir si les Marocains présents avaient un droit de vote.  La donne a toutefois changé avec le temps. On note une lassitude des Nations unies face au coût de la MINURSO ; tandis que le Maroc a intégré de fait le Sahara occidental dans son espace territorial par des infrastructures et des implantations de population et d’entreprises.

Le Maroc a surtout changé de stratégie via quatre principaux volets de diplomatie :

– par les ambassades, les voyages et les accords diplomatiques. Il a patiemment noué des liens avec la majorité des États africains par une diplomatie des voyages et un élargissement des alliances. Le roi Mohamed VI a ainsi effectué plus de 40 voyages en Afrique.

– par le soft power religieux et une lutte contre le salafisme et le wahhabisme. De nombreuses relations ont ainsi été mises en œuvre dans le champ religieux (mosquées, formations d’Imam dont 500 au Mali, confréries Tidjane avec le Sénégal, islam malékite).

– par une coopération sécuritaire renforcée. Le « roi Africain » a su trouver la majorité des alliés lui permettant de réintégrer l’UA contre les positions de l’Algérie, de l’Afrique du Sud, de l’Angola ou du Nigeria. Il n’a plus posé comme condition de sa réintégration le départ de la RASD. Certains opposants considèrent toutefois que le loup était rentré dans la bergerie pour éliminer ensuite le mouton noir.

Les enjeux internationaux et régionaux    

Une diplomatie Sud/Sud

Le Maroc a une diplomatie Sud/Sud qui se situe dans la longue histoire de l’État Maghzen, tout en intégrant les changements de la donne nationale, régionale et mondiale.

Le royaume s’insère dans un contexte mondial multipolaire caractérisé par un essoufflement du multilatéralisme, une montée du multi-partenariat et une prolifération des accords régionaux ou bilatéraux.  Il s’insère dans les chaînes de valeur mondiale, tout en ayant une politique active d’industrialisation. Sa compétitivité résulte à la fois d’une politique territoriale (par exemple, les écosystèmes industriels de Tanger) ; d’avantages compétitifs transférés par les firmes multinationales (savoir-faire, brevets, licences, sous-traitance etc.) ; d’une stratégie d’attractivité des capitaux (la Place financière de Casablanca est devenue la première d’Afrique) ; et d’une construction d’avantages compétitifs par les holdings du roi et des firmes publiques (capitalisme d’État).

Sur le plan national, la nouvelle Constitution de 2011, le plan émergence et le poids du parti islamiste (le PJD) dominant face au parti du pouvoir royal (le PAM), traduisent un relatif consensus sur la politique internationale. Quant à la politique sociale, elle essay=ie d’atténuer les énormes inégalités et le très fort chômage, notamment chez les jeunes (plus de 30%).

Sur le plan régional, le Maroc combine une politique de fortes relations avec l’Union européenne (UE), bien qu’en déclin, avec une réorientation vers le Proche et Moyen-Orient, ainsi que vers l’Afrique. La demande d’intégration de l’UA se situe dans une nouvelle diplomatie Sud/Sud de la part de l’Empire chérifien, longtemps lié à l’Europe et au monde occidental. On note, en outre, une ouverture vers la Russie et plus récemment vers la Chine mais également vers les pays du Golfe, parallèlement à un certain relâchement avec l’UE. Le risque de rupture avec la Suède a été grand à propos du dépôt en septembre 2015 d’un projet de loi reconnaissant la République sahraouie démocratique, avant que ce projet soit retiré par Stockholm. Le Maroc a progressivement développé une politique de non alignement et, en tant que pays francophone et arabophone, il a noué des liens au sein de ces deux mondes. À la différence de son rival algérien, le Maroc accepte de s’engager hors de ses frontières et a une diplomatie active avec son Sud. Le Comité d’État-major opérationnel conjoint (CEMOC, regroupant l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger) reste une coquille vide, même si l’Algérie a pesé dans les accords d’Alger sur le devenir du Mali.

Les enjeux régionaux

Le Maroc adopte une approche pluridimensionnelle du développement Sud/Sud qui a été initié il y a 10 ans en Afrique de l’Ouest et s’étend en Afrique orientale. Les projets sont sécuritaires, religieux et sociaux. Il importe de différencier le régionalisme – règles et appartenance à des organisations régionales – de la régionalisation – projets, coopération et acteurs.

Les organisations régionales

Le Maroc fait partie de deux organisations régionales : l’UMA et la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD).

L’UMA est une coquille vide du fait des relations tendues entre l’Algérie et le Maroc. Elle traduit la paralysie de la construction maghrébine et la question du Sahara occidental ne fait que cristalliser ces antagonismes. Elle est également un prétexte qui n’a pas empêché la création de l’UMA en 1989 et une réouverture momentanée des frontières. On peut espérer que sa solution favorise la fin des blocages dont le coût est considérable pour le Maroc comme pour l’Algérie. Le Maroc reste le pays le plus intégré au sein de l’UMA. En revanche, son adhésion à la CEDEAO est le signe d’un désengagement vis-à-vis de l’organisation.

La CENSAD créée le 4 février 1998 comprend  28 Etats africains. Le Maroc y joue un rôle important.

Le royaume a demandé son intégration à la CEDEAO. Des liens institutionnels ont été noués depuis 2000 avec 24 visites dans onze des quinze pays membres. Le Maroc a fait sa demande d’adhésion après avoir intégré l’UA et le 24 février dernier, une lettre a été envoyée à la présidence de la CEDEAO pour passer du statut d’observateur à celui de membre à part entière. La décision a été prise les 5-6 juin 2017 à Monrovia d’un accueil de principe dont il reste à définir les modalités juridiques, alors que la Tunisie a obtenu un statut d’observateur et que la Mauritanie n’a pas été intégrée. Il fallait un accord à l’unanimité et donc lever la réserve du Nigeria. Cette intégration permet au Maroc de contourner l’échec de l’UMA et d’institutionnaliser son ancrage au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Cependant, de nombreuses dispositions juridiques doivent être prises pour rendre cette décision effective ; tandis que plusieurs dossiers devront être réglés, notamment monétaires et commerciaux avec la mise en place d’un Tarif extérieur commun (TEC) pour un marché de 350 millions de consommateurs réels ou potentiels. La CEDEAO deviendrait avec le Maroc la 16e puissance économique mondiale

Concernant la prolifération des accords bilatéraux, on estime à 500 le nombre d’accords juridiques de coopération avec les pays africains, dont 14 accords commerciaux bilatéraux de type NPF (nation la plus favorisée).

La régionalisation de facto et le multi-partenariat

Le Maroc demeure largement polarisé sur l’Europe. Il bénéficie du statut avancé avec l’UE et est à la fois un interlocuteur privilégié des pays du Conseil de coopération du Golfe. Le commerce avec l’Afrique s’élève à 6% du commerce mais les échanges commerciaux avec le continent croissent rapidement, notamment du fait de la montée en puissance d’une classe moyenne : ils sont passés de 1 milliard de dollars (2004) à 4,4 milliards (2014) et l’Afrique de l’Ouest correspond à la moitié de ses exportations. Les indices d’intégration régionale (16 indicateurs dans cinq domaines : commerce, production, infrastructures, libre circulation des personnes, finance) sont élevés. L’essentiel du processus d’intégration régionale résulte des secteurs privé et public marocains. Le Maroc est ainsi devenu le second investisseur africain dans le continent via les holdings du palais et les firmes multinationales, tels Saham dans la santé, Maroc Telecom, Royal Air Maroc, les banques Attijariwafa Bank implantées dans 14 pays africains, la Banque centrale populaire dans les huit pays de l’UEMOA, le partenariat avec Commercial Bank of Ethiopia, l’hydraulique, la construction et les BTP…

Le Maroc se positionne comme intermédiaire dans la division internationale du travail. Il joue notamment le rôle de hub entre les investissements étrangers, notamment européens, vers les pays africains. Il a une position subordonnée envers les investissements européens mais dominante face aux pays africains. 1/3 des exportations vers l’Afrique sont à haute valeur ajoutée. Les groupes d’intérêt économique se constituent avec des pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire et des joint-ventures se développent.

Certains secteurs sont entraînants, notamment à partir de Tanger. Parmi eux, le secteur aéronautique marocain est au 15e rang mondial avec 121 entreprises, 11 000 emplois et 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires. Il participe de l’écosystème industriel de la zone de Tanger et doit doubler d’importance avec le récent accord avec Boeing. Le secteur automobile (avec une usine Renault/Nissan à Tanger) a permis le développement de sous-traitants (moteurs de transmission, câblage, batterie, etc.) et occupe la première place des exportations devant le phosphate et les produits agricoles. L’Office chérifien des phosphates (OCF) est à la conquête de l’Afrique avec une capacité de 1 million de tonnes d’engrais destiné au continent (Africa Fertilizer complex) ; 14 filiales ont ainsi été implantées, notamment au Rwanda et en Ethiopie. Le Maroc est aussi spécialisé dans l’offshoring et les activités liées au tourisme ; tandis que les grands chantiers structurants concernent le gazoduc Maroc-Nigeria ou l’autoroute Tanger-Lagos. Enfin, le Maroc est aussi en pointe dans les nouvelles technologies du numérique.

L’influence du royaume concerne également l’économie verte et les énergies renouvelables (cf. la COP 22 à Marrakech). Dépendant en énergies fossiles (97% est importée pour l’électricité), le Maroc a prévu que 42% de l’électricité proviennent d’énergies renouvelables en 2020 (solaire ou éolienne, cf. la centrale solaire de Noor à Ouarzazate pour un investissement de 9 milliards de dollars). L’objectif est de réduire de 32% les émissions de GES d’ici à 2030.

Par ailleurs, le Maroc est une terre d’asile pour les migrants et les réfugiés. En 2014, 30 000 migrants et réfugiés ont été régularisés malgré un taux de chômage de plus de 30% pour les jeunes. Le pays est aussi un lieu de transit pour les migrants cherchant à atteindre les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.

Quelles perspectives ?

De nombreuses inconnues demeurent dans un pays où la monarchie assure l’unité politique et religieuse, où de nombreux secteurs émergent mais où les risques de sociétés à deux vitesses demeurent et les fractures sociales et territoriales sont grandes. La politique extérieure est également fonction de la stabilité politique et de la puissance économique. Les liens entre le Maroc et les pays d’Afrique subsaharienne remettent en question le clivage Afrique sub-saharienne et Afrique arabo-musulmane qui caractérise les découpages internationaux à commencer par l’UE qui différencie des accords de libre échange (processus de Barcelone) avec l’Afrique septentrionale et les APE post-Cotonou avec l’Afrique subsaharienne, exceptée l’Afrique du Sud.

Un rôle important au sein de l’UA

Le Maroc va jouer un rôle important au sein de l’UA. Il est un poids lourd qui modifie les équilibres et le rôle dominant de quelques États comme l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Algérie. L’UA, copie des institutions européennes, a été une avancée sur le plan institutionnel mais non un facteur important de régionalisation par les projets et les acteurs. Elle reste un syndicat de chefs d’État, dépendante financièrement et manquant de moyens et de volonté. Déchiré entre une intégration continentale ou régionale et la souveraineté nationale (point de vue algérien et sud-africain), le Maroc va peser pour une intégration régionale plus forte. Il va également renforcer le poids des pays francophones par rapport au poids des pays anglophones.

Dans l’architecture de paix et sécurité, le Maroc est la 45e puissance militaire mondiale et la première force aérienne africaine.

Dans le domaine diplomatique, le royaume joue un rôle d’intermédiaire entre le monde occidental et l’Afrique sub-saharienne.

Un dénouement de la question du Sahara Occidental ?

Le devenir du Sahara occidental est évidemment central. Il peut y avoir une évolution conduisant à une autonomie plus grande, même si les symboles de la souveraineté marocaine demeurent (drapeau, monnaie). Pour l’heure, le Polisario est sous perfusion caritative et algérienne. Les pays du Maghreb n’ont pas nécessairement intérêt à un vote d’autodétermination qui conduirait à l’indépendance d’un espace dominé par tous les trafics, alors que la menace terroriste a été relativement endiguée.

Trois scenarii sont envisageables : le moins probable est l’indépendance après référendum du Sahara occidental ; le second est le statu quo ; le troisième, favorisé par l’entrée du Maroc au sein de l’UA, est une autonomie accompagnée d’une politique de développement économique et social, qui affaibliraient les revendications indépendantistes et traduiraient une victoire du Maroc sur l’Algérie. Les solutions se jouent au sein de l’UA mais surtout des Nations unies. Pour le moment, un bras de fer entre l’Algérie, le Polisario et le Maroc a lieu dans la zone de Guerguerat. La route nationale allant de Tanger à la Mauritanie de 2379 km est coupée sur 4 km le long de la frontière mauritanienne. Cette zone de non-droit est au cœur des différents trafics. Récemment, l’ancien président du Mozambique, Joachim Chissano, soutenant le Polisario a été boycotté par le Maroc.  Pour l’Algérie, la question sahraouie est coloniale et la demande reste celle d’un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU, comme le Maroc et la RASD s’y sont engagés. La RASD reste soutenue par une vingtaine d’États africains, dont deux francophones (Mali et Mauritanie) et douze anglophones.

Quel modèle de gouvernance dans la pensée politique indienne ?

Thu, 22/06/2017 - 14:19

Jean-Joseph Boillot est docteur en économie et co-fondateur de Euro-India Group. Il répond à nos questions à l’occasion de la sortie de son ouvrage « L’Inde au chevet de nos politiques : L’art de la gouvernance selon l’Arthashâstra de Kautilya », éditions du Félin (2017).
– En quoi ce traité indien du IVe siècle éclaire-t-il sur la « bonne gouvernance » d’un État ?
– Comment expliquer la crise de gouvernance que vivent les démocraties libérales aujourd’hui ?
– Comment analyser la politique de Narendra Modi ? Qu’entendez-vous par « despotisme oriental » ?

La RD Congo condamnée à une crise sans fin ?

Wed, 21/06/2017 - 18:30

Face aux violences meurtrières perpétrées en RDC, l’armée locale et les forces onusiennes apparaissent inefficaces. Le point de vue de Pierre Jacquemot, chercheur associé à l’IRIS et ancien ambassadeur en RDC.

Quelles sont les origines du conflit et de la dégradation de la situation politique ?

Aujourd’hui, la situation politique en RDC est bloquée. L’actuel président Joseph Kabila, arrivé au pouvoir en 2001 à l’âge de 29 ans, à la suite du décès de son père, a été conforté à ce poste à l’issue de deux scrutins électoraux, largement contestés. Son mandat aurait normalement dû s’achever fin 2016.

L’organisation matérielle et technique du processus électoral dans ce pays immense – quatre fois la superficie de la France, 70 millions d’habitants et des infrastructures défaillantes – est particulièrement compliquée. Le fichier électoral n’est pas tenu à jour. Il faut pourtant fournir une carte électorale à tous les nouveaux électeurs. Le matériel électoral doit aussi être installé. Or, le centre du pays est difficilement accessible – notamment la région du Kasaï et le cœur forestier – sans des moyens logistiques lourds. L’argument de la complexité matérielle est avancé par Joseph Kabila pour expliquer le retard du processus électoral. Il est réel.

Le deuxième facteur réside dans l’impossibilité pour l’opposition de s’organiser pour préparer ces élections et proposer une option alternative à Kabila. Ceci s’explique largement par l’importance du fait régional et ethnique. Les personnalités de l’opposition sont d’abord des représentants de leur fief : le Kasaï pour Felix Tshisekedi, le Kivu pour Vital Kamerhe ou le Katenga pour Moïse Katumbi. Ils ont une dimension régionale et peu nationale, ce qui n’était pas le cas Tshisekedi père, opposant de toujours et récemment décédé. Ainsi, par exemple, un kasaïen aura toujours du mal à voter pour un katangais à cause d’histoires anciennes et douloureuses entre ces communautés.

Les Églises jouent un rôle très important dans la vie politique. Le cardinal Laurent Monsengwo, personnalité charismatique, a joué un rôle clé depuis les années 2000 en tant que président de la Conférence nationale. Les Églises veulent éviter toute violence et sont parvenues in extremis avant le 1er janvier de cette année à un accord dit de la Saint-Sylvestre. Cependant, celui-ci n’arrive pas à se mettre en place. Il prévoyait que Kabila reste un an mais que l’opposition lui propose trois candidatures de Premier ministre. Il a au final choisi lui-même son Premier ministre au sein de l’opposition mais ce dernier n’est pas accepté par toute l’opposition, notamment à cause du fait régional.

Depuis son indépendance en 1960, marquée par l’assassinat de Patrice Lumumba, puis avec les 30 ans du régime dictatorial de Mobutu, suivis de l’occupation du pays par les forces rwandaises et ougandaises et enfin l’installation des Kabila, père et fils, l’histoire du Congo est une tragédie. Il n’empêche, vaille que vaille, le pays est toujours parvenu à sortir de ses impasses en trouvant des compromis plus ou moins stables. Des poches de violence existent toujours dans le pays mais la RD Congo demeure, coûte que coûte, dans ses frontières. Un miracle en quelque sorte !

Aujourd’hui, le cas congolais reste particulier en comparaison d’autres pays. En Afrique de l’Ouest, l’alternance est devenue un fait démocratique (Ghana, Sénégal, Gambie, Nigéria) avec l’élection comme processus exemplaire de maturité politique et la reconnaissance de l’opposition. Ce n’est par contre pas le cas en Afrique centrale, encore régie par des autocrates installés depuis une trentaine d’années pour certains (Paul Biya, Yoweri Museveni, Sassou Nguesso, Teodoro Obiang, Bongo père et fils). Au regard de ces derniers cas, la RD Congo, régulièrement montrée du doigt comme le mauvais élève, n’affiche pas une situation aussi pire qu’on le dit.

Peut-on envisager des négociations ? Avec quels acteurs ?

En réalité, les communautés internationale, américaine et européenne ont une faible influence en RDC. On aurait tort de penser que les résolutions de l’ONU ou les prises de positions de capitales du Nord puissent agir efficacement pour instaurer la stabilité du pays et établir un consensus politique. Les Belges, les anciens colonisateurs, suivent de près la situation et tentent d’interférer mais trop souvent de manière maladroite ; ils sont perçus comme des donneurs de leçons.

C’est plutôt en interne que les solutions doivent être trouvées. La balle est du côté du clan de Kabila et celui-ci doit se rendre compte de la nécessité de quitter le pouvoir fin 2017, en obtenant en contrepartie des garanties sur son immunité future.

Plutôt que les communautés européenne et internationale, c’est l’Union africaine qui peut être influente. En son sein, certains chefs d’États ont un poids incontestable comme Paul Kagamé (Rwanda) et Yoweri Museveni (Ouganda). Le problème est que ces deux pays ont occupé le Congo il y a une quinzaine d’années et sont les voisins malaimés de la population. Il faudrait plutôt trouver des personnalités du côté du Kenya, de la Tanzanie, du Mozambique… Denis Sassou-Nguesso, président de la République du Congo, a aussi un rôle à jouer en tant que voisin ; d’autant plus que son pays peut être directement affecté par la situation en RDC.

Comment expliquer l’impuissance de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) ?

La RDC a toujours connu la présence des Casques bleus puisque certains pays occidentaux ont pratiquement envoyé des troupes depuis l’indépendance en 1960. Lors de l’arrivée de Kabila père en 1994 et surtout après son assassinat en 2001, les forces des Nations unies ont grossi pour assurer la sécurité du territoire, jusqu’à atteindre 20 000 personnes (militaires, policiers et administrateurs), pour un coût dépassant le milliard de dollars. Les Casques bleus sont principalement concentrés au Nord et au Sud Kivu mais l’insécurité est croissante dans le Kasaï, tandis que le Nord-Katanga n’est pas stabilisé. Dans les régions les plus fragiles, le conflit trouve surtout son assise dans l’exploitation des minerais (coltan, étain, or) et dans les intérêts fonciers.

Les forces de l’ONU sont globalement considérées comme inefficaces par la population. Lorsque celle-ci est victime de razzia d’un groupe Maï Maï ou de prédation de l’armée, elle juge que les Casques bleus tardent à intervenir. De son côté, l’armée nationale est particulièrement inopérante, mal payée, mal équipée, mal formée et mal nourrie. Elle représente un conglomérat d’une cinquantaine d’anciens groupes rebelles et on assiste à l’intérieur de l’armée à la reconstitution de fait de ces groupes rebelles, autour de leur ancien chef ayant obtenu un grade élevé. L’armée est donc fragmentée, inefficace et mal organisée avec des chefs menant parfois des actions pour leurs propres intérêts, parfois au détriment des populations (pillage, contrôle du marché des minerais…).

En parallèle, les Casques bleus sont trop souvent barricadés dans leur campement et ont peu de relations directes avec la population. Les seules forces onusiennes véritablement efficaces sont les troupes d’origine africaine car elles ont une plus grande proximité et une meilleure compréhension de la situation des Congolais. On se souvient que lorsque les forces de l’ONU étaient dirigées par le général sénégalais Babacar Gaye, elles étaient probablement plus efficaces.

L’éternelle question, dans une zone d’insécurité et de grande vulnérabilité de la population, est de savoir si l’on peut engager des combats préventifs pour neutraliser des rebelles. Le pouvoir d’intervention des Casques bleus a certes été étendu mais ils restent encore très réticents à aller au combat sans la garantie d’une forte protection, ce qui entrave leur efficacité.

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