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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Colombie : « Nous saurons si le processus de paix avance ou recule, après la présidentielle »

Tue, 20/06/2017 - 14:30

A ce stade, quels facteurs pourraient empêcher le processus de paix avec les FARC d’aboutir ?

La Colombie a une longue tradition de culture de la violence, qui s’alimente elle-même. L’obstacle principal à ces accords est que les acteurs de la violence dans le pays ne se limitent pas aux FARC. L’ELN [armée de libération nationale, guévariste], la deuxième guérilla de Colombie après les FARC, a refusé de participer aux accords de paix initiaux, bien qu’elle soit, maintenant, en négociation de son côté.

Mais ce sont surtout les bandes mafieuses qui posent problème. Elles investissent les territoires ruraux laissés derrière par les FARC, notamment la côte pacifique colombienne. Mêlés à des trafics de drogue, de voitures ou encore de minerais, ces groupes ont des intérêts privés économiques et ne sont aucunement politisés, contrairement aux FARC ou à l’ELN. Ces groupes de délinquants agissent par appât du gain, mais ils parviennent à s’afficher comme de véritables opposants au processus de paix.

La réforme agraire est l’un des principaux points de l’accord de paix. Elle pourrait permettre de restituer leurs terres aux paysans expropriés par un demi-siècle de conflit. Sauf que les groupes mafieux se sont positionnés contre ces paysans, en défendant les intérêts des actuels occupants, allant jusqu’à assassiner certains. Le processus de paix se poursuit, mais il prend du retard et est indiscutablement handicapé par toute cette violence.

Un demi-siècle de conflit ; 7,1 millions de personnes déplacées ; 260 000 morts et plus de 60 000 disparus… Trois années de tractations entre le gouvernement du président Juan Manuel Santos (centriste) et les FARC sont-elles vraiment suffisantes pour réunifier le pays et réintégrer les FARC dans la société ?

Certainement pas. Les Colombiens en périphérie des villes sont ceux qui ont le plus souffert de la guerre durant toutes ces décennies. Eux veulent la paix. C’est pour cela que les campagnes ont bien plus voté en faveur du référendum sur l’accord de paix en octobre 2016 que ne l’ont fait les villes. Ce sont les habitants de ces dernières qui ont finalement fait gagner le « non » à l’issue de ce référendum. La Colombie devient de plus en plus urbaine et les habitants les villes voient les FARC comme des criminels avec qui il n’y a pas de raison de faire la paix.

Cet accord est aussi influencé par un phénomène d’opposition à la politique globale du président Santos. Nous nous retrouvons dans une situation étrange où ce processus de paix avec les FARC est bien plus populaire à l’internationale qu’à l’intérieur de la Colombie. Juan Manuel Santos est véritablement le seul en ce moment à défendre l’accord de paix dans son pays. Et tout cela est en partie à cause d’un agenda politique dû à l’élection présidentielle en 2018.

Cette élection présidentielle pourrait-elle vraiment mettre en péril le processus de paix ?

Historiquement, les élections présidentielles ont toujours entravé les processus de paix en Colombie. Chaque accord trouvé entre un groupe armé et le gouvernement finit par être conspué à la présidentielle suivante, et la violence se perpétue par le biais d’autres groupes armés. L’élection de 2018 pourrait ne pas faire exception. L’ex-président Alvaro Uribe (2002-2010) de la droite conservatrice ne cesse de se montrer critique envers les accords avec les FARC. Les petits partis de gauche ne disent rien, alors qu’ils sont pour la paix. Mais ils ne veulent pas faire de publicité au camp du président Santos.

En fait, on ne parle de l’accord de paix à l’intérieur du pays que pour en dire du mal, ce qui n’est pas pour aider son acceptation par une population urbaine de moins en moins intéressée par le sujet. Le 20 juin est une étape supplémentaire, mais sans réel impact. Cet accord de paix, nous saurons s’il avance, ou recule, après l’élection présidentielle colombienne.

Samedi 18 juin a eu lieu un attentat à la bombe dans capitale Bogota, qui a fait trois victimes, dont une Française. Les auteurs de cet acte n’ont toujours pas été identifiés. Mais le gouvernement semble penser que c’était bel et bien le processus de paix qui était visé à travers cet attentat…

Il faut analyser le déroulement de cet attentat. Il a eu lieu dans des toilettes réservées aux femmes dans un centre commercial. L’acte était ciblé. Les personnes visées étaient clairement des femmes urbaines, issues de classes aisées. Je suis d’accord avec les suppositions du gouvernement colombien. Cet attentat visait à réintégrer un contexte de violence dans les villes et le timing permet de faire le lien avec l’avancée du processus de paix. Cet acte a pour but de créer une instabilité, donc d’instiller l’angoisse au sein des électeurs urbains qui sont, comme je le disais, les plus opposés à l’accord.

Perpétrer un attentat sans le revendiquer permet de garder la population dans une zone de brouillard et de faire passer l’idée qu’un accord de paix avec des « criminels » va ramener la violence dans les villes. Nous savons à qui cette angoisse pourrait profiter : les groupes mafieux et ceux qui pensent que la place des FARC est en prison.

Propos recueillis par Camille Mordelet

Gazoduc East Med : quel rôle pour la coopération énergétique en Méditerranée orientale ?

Mon, 19/06/2017 - 18:17

Les dirigeants d’Israël, de Chypre et de Grèce se sont réunis à Thessalonique le 15 juin. Ils y ont évoqué le projet de gazoduc sous-marin East Med devant relier la Méditerranée orientale au sud de l’Europe. L’analyse de Nicolas Mazzucchi, chercheur associé à l’IRIS.

Ce projet de gazoduc East Med est-il vraiment « révolutionnaire » dans le secteur énergétique, comme l’annonce le Premier ministre israélien ?

Tout dépend sous quel angle nous entendons le terme « révolutionnaire ». Les grandes nouveautés du gazoduc East Med sont majoritairement d’ordre technique. Il s’agira du gazoduc le plus profond jamais vu et également l’un des plus longs gazoducs sous-marins au monde. Poser un gazoduc à une telle profondeur représente donc une évolution majeure, plutôt qu’une révolution.

En revanche, d’un point de vue purement énergétique, il n’y a aucune révolution compte-tenu de la taille modeste de ce gazoduc. En effet, lorsque sa première phase – pour l’instant la seule annoncée – sera achevée, il présentera un volume de seulement 10 milliards de mètres cube de capacité annuelle. À titre de comparaison, en Europe, le gazoduc Nord Stream en provenance de Russie et qui passe sous la Baltique fait déjà 55 milliards de mètres cube. Et lorsqu’il sera étendu en deuxième phase avec la signature des accords Nord Stream 2, il fera alors 110 milliards de mètres cube, soit une capacité dix fois plus grande que le gazoduc East Med.

S’agit-il pour l’Europe de diminuer sa dépendance au gaz russe ? Le prix de ce dernier n’est-il pourtant pas imbattable ?

Il s’agit plutôt d’une réflexion de long-terme, davantage d’ordre politique que de questions réellement économiques. On observe une volonté très claire de la part de l’Europe de diversifier ses approvisionnements. Depuis 2008 et les différents projets se rattachant au grand plan communautaire du Corridor Sud-européen, l’Europe s’est effectivement lancée dans une diversification des routes depuis l’Est, au sens large (Asie centrale, Caucase, Méditerranée orientale). Il s’agit ainsi de contourner la Russie par le flanc Sud-Est du continent.

Le gazoduc East Med ne fait certes pas directement partie des projets de ce corridor gazier sud-européen – puisqu’il n’appartient pas aux projets financés dans l’Europe dans ce cadre – mais il reste financé par l’UE dans le cadre des Projets d’intérêt commun, tout au moins pour l’étude de faisabilité qui s’est terminée il y a peu. East Med s’intègre donc dans cette stratégie globale de l’Union européenne initiée depuis la deuxième moitié des années 2000 de diversifier ses sources de gaz.

Pour en revenir à la question de la taille, un premier projet appartenant au corridor sud-européen Trans Adriatic Pipeline (TAP) fera lui aussi 10 milliards de mètres cube. En ajoutant cette capacité à celle du gazoduc East Med, on atteint 20 milliards de mètres cube. En comparaison, le volume global en provenance de Russie – en considérant tous les projets russes en cours de développement (Nord Stream 1 et 2, TurkStream, gazoducs terrestres, etc.) – s’élève à plus de 200 milliards de mètres cube annuels. La diversification gazière de l’Europe au travers des gazoducs reste donc très lente.

Quel rôle joue la coopération énergétique pour la paix et la stabilité dans la région de Méditerranée orientale ?

La coopération énergétique représente le point majeur de coopération pour nombre de ces pays. Sur ces questions, on pourrait réussir à trouver des clefs d’entente entre des pays qui s’évitent beaucoup. Au travers de ce projet East Med, on voit par exemple un partenariat qui se dessine entre Israël et Chypre. La situation des frontières maritimes entre ces deux pays n’a été fixée qu’en 2010, grâce notamment aux questions gazières. Par ailleurs, en octobre 2016 lors du Congrès énergétique mondial à Istanbul, la Turquie voulait pousser à un rapprochement entre la République turque de chypre du Nord (RTCN) et Chypre, sous couvert de questions énergétiques pour donner à Istanbul une place prépondérante dans les projets de Méditerranée orientale.

Néanmoins, énormément de problématiques demeurent ouvertes. Les gisements de gaz impliqués dans le East Med Gas Pipeline font partie du bassin levantin, qui se trouve au beau milieu d’une problématique de frontières maritimes, notamment avec le Liban. Des problèmes de frontières maritimes existent en effet entre Israël, le Liban, Chypre et éventuellement la Syrie. Et si par exemple, demain, les territoires de Gaza devenaient des États avec des frontières maritimes, la question des droits de tirage dans des champs gaziers offshore se poserait également.

La coopération énergétique est donc à la fois un facteur d’entente pour des pays qui sont relativement peu opposés mais, pour des pays très antagonistes (comme Israël et le Liban), ces questions peuvent au contraire jeter de l’huile sur le feu.

« France-Algérie » – 3 questions à Serge Pautot

Mon, 19/06/2017 - 11:28

Serge Pautot est avocat au Barreau de Marseille. Diplômé de droit et d’économie des pays d’Afrique (Paris-Panthéon), il participe à la construction de l’Algérie postindépendance. Fondateur de l’excellent site legisport (www.legisport.com), il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « France-Algérie : du côté des deux rives », aux éditions L’Harmattan.

Peut-on qualifier la relation France-Algérie de passionnelle ?

Oui, bien sûr. La longue Histoire (avec un grand H) de notre pays avec l’Algérie est riche et ne fut pas un long fleuve tranquille. La colonisation, même si on ne peut pas la qualifier de « crime contre l’humanité » au sens historique et juridique du terme, fut réalisée au prix de combats difficiles et meurtriers et constitua un système inégalitaire qui ne pouvait aboutir, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qu’à une lutte pour l’indépendance. Cette dernière, acquise au prix du sang, fut assortie des Accords d’Evian en 1962 en vue d’une coopération entre les deux pays : économique, politique, culturelle, financière… Ces accords n’ont pas tous été exécutés « à la lettre », d’où la persistance de nombreux sujets de conflits et d’oppositions jusqu’à ce jour. Les exemples ne manquent pas : nationalisations des biens vacants laissés par les pieds noirs sans indemnisation, décision unilatérale de nationaliser le gaz et le pétrole, indemnisation des victimes des essais nucléaires au Sahara en attente, arabisation de l’enseignement au détriment du français, querelles politiques voire diplomatiques (Maroc – Algérie), instauration du 49 – 51 dans les relations de partenariat économique…

La France est toujours soucieuse de rester le premier partenaire de l’Algérie sur le plan économique, ainsi que vient de le rappeler le président Emmanuel Macron. La relation passionnelle/frictionnelle qui lie les deux pays l’est également sur le plan de la coopération militaire, sécuritaire et défense dans le Sahel, même si celle-ci est aujourd’hui forte.

Le sport est-il un vecteur de rapprochement des deux pays ?

Qu’il soit individuel ou collectif, le sport constitue d’abord un moyen d’éducation des jeunes, de préparation à la vie en société et aussi de promotion sociale. Le sport a été introduit en Algérie par la colonisation mais très rapidement, dans le football et la boxe notamment, malgré des pratiques discriminatoires – clubs de colons moins accessibles aux musulmans – des sportifs ont émergé et sont devenus des champions. Le football, sport le plus populaire d’Algérie, a eu de grands champions comme Rachid Mekhloufi et Rabah Madjer qui ont joué en France. Il y a aussi l’épopée de l’équipe du Front de libération nationale (FLN) où, cette fois, les joueurs ont quitté les clubs français dans lesquels ils évoluaient pour constituer « l’équipe de la Révolution ».

Aujourd’hui, des footballeurs algériens sont en Ligue 1 même si l’Algérie n’est pas le pays le plus représenté dans nos championnats et nous sommes comme beaucoup favorables à la libre circulation des joueurs. Notre jeunesse issue de l’immigration doit trouver dans le sport un moyen de promotion sociale et d’affirmation de soi en gagnant. Nous ne pouvons pas oublier le fabuleux parcours du français Zinedine Zidane, joueur puis entraîneur. Un jeune des cités qui nous déclare après un match de boxe « j’ai gagné » ou un footballeur qui exprime sa joie après avoir marqué un but rappelle que le sport est facteur de rapprochement. Les deux fédérations de football devraient ainsi organiser un nouveau match amical entre les deux équipes.

La France a-t-elle un problème particulier avec l’islam ?

La France a toujours du mal à assumer son héritage colonial et, avec l’arrivée d’une immigration massive au cours des trente-quarante dernières années, l’islam est devenu la deuxième religion dans notre pays. Nos gouvernants se sont privés d’une véritable réflexion sur leur conception de la pratique religieuse et de la laïcité. La République brandit « à tout bout de champ » le concept de laïcité alors que les enjeux culturels et cultuels de notre société nécessitent des solutions concrètes qui ne soient pas le calque de l’Eglise catholique mais qui ne soient pas non plus l’application de textes de droit interdisant telles ou telles pratiques d’habillement ou autres

La France comptera bientôt – ou déjà – plus de dix millions de musulmans. Elle ne peut plus proposer sa propre culture et rejeter toutes les pratiques, us et coutumes de l’islam. Chaque citoyen de notre pays doit avoir la possibilité (liberté, égalité et fraternité) d’exprimer son identité dans la sphère privée, individuelle et familiale (liberté et possibilité de pratique du culte…) alors que nos gouvernants ne voient dans l’espace public, avec l’expression d’une autre religion, qu’un affaiblissement de l’État. En brandissant, trop souvent, le concept et la règle de droit de la laïcité, nous ressentons constamment des attaques contre la religion.

Aujourd’hui, dans quelle structure un adolescent, issu de l’immigration, hormis la pratique sportive, peut-il s’exprimer ? Pas d’espace, pas de structure donc pas de parole alors qu’un jeune recherche avant tout une expérience valorisante et de la reconnaissance. Nous savons aujourd’hui où se tourne une partie de cette jeunesse pour s’exprimer et trouver ce qu’elle croie être un idéal. On découvre chaque jour les résultats de cette politique d’exclusion et la lutte des pouvoirs publics contre la radicalisation qui en découle.

La dette grecque toujours sous pression

Fri, 16/06/2017 - 17:59

Jeudi 15 juin, de nouvelles négociations se sont déroulées entre la Grèce, les ministres des Finances de l’Eurogroup et le Fond monétaire international. L’analyse de Rémi Bourgeot, économiste, chercheur associé à l’IRIS.

Cette réunion marque-t-elle une avancée dans la résolution de la crise en Grèce ? L’appel d’Aléxis Tsípras pour un allègement de la dette grecque peut-il enfin être entendu ?

À court terme, le but de cette réunion était de débloquer la prochaine tranche d’aide dans le cadre du troisième programme, de 86 milliards d’euros, qui avait été mis en place en 2015. La négociation a ainsi abouti à l’allocation de 8,5 milliards d’euros.

La question d’un allègement de la dette a toujours été source de problème. Cependant, par rapport aux négociations antérieures, la nouveauté aujourd’hui est que le Fond monétaire international (FMI) avance vraiment l’idée de cet allègement de dette. Mais, dans le même temps, il s’est retiré du programme et n’accepte de le réintégrer qu’à condition que les Européens, notamment l’Allemagne, reconnaissent la nécessité d’un allègement de dette. Or, pour Berlin, il est important que le FMI soit inclus dans l’accord de façon à ménager le Bundestag.

La solution trouvée est donc alambiquée. Le FMI reviendrait dans le programme en échange d’une promesse de prendre en compte la question de l’allègement de la dette l’an prochain. Pour autant, le FMI ne participe pas financièrement pour l’instant mais seulement en termes d’expertise ; il a certes accepté de contribuer à hauteur d’un peu moins de 2 milliards mais c’est un accord suspendu, pour plus tard. Autrement dit, à court-terme le FMI ne contribue pas financièrement mais participe à l’accord d’un point de vue institutionnel.

L’Allemagne est-elle ouverte à revoir sa position inflexible face aux pressions du FMI, voire de la France ? Le sort de la Grèce dépendra-t-il des élections fédérales allemandes de septembre prochain ?

Quasiment tout le monde est en faveur d’un allègement de la dette grecque, d’un niveau actuel d’environ 180% du PIB du pays. Au vu de la situation économique grecque, il est évident que cette dette n’est pas finançable à long terme.

Le problème est que la question de l’allègement est un tabou fondamental en Allemagne, aussi bien au sein de la population, très critique des plans de sauvetage, qu’au sein d’une large partie du monde politique. Le gouvernement allemand souhaite ainsi repousser cette question au lendemain des élections fédérales de septembre. L’insistance du FMI sur la question de l’allègement de la dette a évidemment influencé Berlin, qui a dû quelque peu transiger pour débloquer à court-terme la tranche d’aide à la Grèce. L’Allemagne a donc trouvé une sorte de compromis avec le FMI et les autres responsables européens, consistant à aborder concrètement la question de l’allègement de la dette en 2018.

Précisons que l’idée d’un effacement d’une partie de la dette est totalement rejetée par l’Allemagne. On parle donc plutôt d’un abaissement supplémentaire des taux d’intérêts payés aux créditeurs européens et d’un allongement des maturités. C’est déjà ce qui a été fait à plusieurs reprises mais à chaque fois, les négociations étaient dramatiques. D’où l’idée de la France de rendre cela plus systématique en liant le montant des remboursements à la situation économique de la Grèce, notamment son niveau de croissance, afin d’éviter des négociations de dernière minute, souvent aussi théâtrales que chaotiques.

Après plusieurs années de coupes budgétaires drastiques, dans quelle situation se trouve aujourd’hui la Grèce au niveau économique et politique ?

La situation est globalement très mauvaise pour la Grèce. Depuis le début de la crise, elle a perdu un quart de son activité économique, ce qui rend le poids de la dette d’autant plus insupportable. Le gouvernement actuel est arrivé sur la base d’un rejet des mesures d’austérité liées aux plans d’aide. Toutefois, après avoir gagné un référendum contre les conditions européennes, Alexis Tsipras avait dû capituler en acceptant des mesures d’austérité supplémentaires.

Aujourd’hui, on observe une amélioration, à la marge. La Grèce est revenue à la croissance économique et elle a réussi à afficher un excèdent budgétaire primaire – c’est-à-dire en dehors des paiements d’intérêts sur la dette – de l’ordre de 4%, soit un montant très supérieur à ce qui était attendu. Ce sont donc des signaux positifs. Le problème est que ce redressement fragile provoque un jugement trop optimiste de la part de l’Allemagne quant aux capacités de remboursement de la Grèce. Ainsi, paradoxalement, la relative amélioration de la situation économique grecque a rendu les négociations d’autant plus compliquées.

Les signaux de redressement restent ancrés sur une base d’affaiblissement économique extrême. En dépit de l’accord actuel et des projets d’allègement de dette à partir de 2018, la Grèce restera sous forte pression politique et financière. Il s’agit donc plutôt de lisser ses remboursements pour éviter des négociations trop dures qui nuisent à la crédibilité européenne.

Qatar Ban : le pyromane Trump / le pompier Macron ?

Fri, 16/06/2017 - 15:24

Le 14 juin 2017, au cours de la visite du président français au Maroc, l’Élysée a indiqué que ce dernier recevrait séparément l’émir du Qatar et le prince héritier d’Abu Dhabi à Paris, en vue de faire baisser les tensions dans la région.

L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn ont décrété un blocus à l’encontre de l’émirat du Qatar, lui reprochant de soutenir le terrorisme. Cette décision est lourde de conséquences, bien plus importantes encore que la rupture des relations diplomatiques. Cela faisait très longtemps qu’une telle sentence internationale n’avait pas été prononcée. Une dégradation de la situation dans une région où les tensions sont déjà très fortes serait extrêmement négative, non seulement pour les pays concernés, mais également pour le reste du monde.

Quelle est l’origine du conflit entre l’Arabie saoudite et le Qatar ? Paradoxalement, c’est le fait qu’ils soient tous deux des pays sunnites et wahhabites qui les oppose. Le petit émirat a toujours voulu se distinguer de son voisin plus grand et plus puissant et a donc cultivé une politique différente pour exister sur la scène internationale. Ainsi depuis plus de vingt ans, l’émirat multiplie les initiatives pour exister face aux Saoudiens, qui se sentent à leur tour défiés par ce qu’ils considèrent comme une simple extension de leur royaume.

Dans cet esprit, le Qatar a lancé la chaîne Al Jazeera qui agace les monarchies du Golfe. L’émirat a également soutenu les printemps arabes, alors que les monarchies du Golfe y étaient opposées. De plus le Qatar soutient les Frères musulmans, tandis qu’aux yeux du royaume saoudien, l’islam politique est une aberration, voire une menace. Enfin, les Saoudiens reprochent aux Qataris d’entretenir de bonnes relations avec l’Iran, alors qu’eux voient en Téhéran une menace existentielle. Le Qatar a effectivement de bonnes relations de voisinage, entre autres raisons parce qu’il partage un gigantesque champ de gaz naturel avec l’Iran, mais y voit là également une façon de se distinguer de l’Arabie saoudite.

Les accusations de soutien au terrorisme sont très graves et largement exagérées. Les Frères musulmans constituent un mouvement politique que l’on peut éventuellement combattre politiquement mais ce n’est en aucun cas un mouvement terroriste. Quant à l’Iran, bien que l’on puisse avoir des différends sur la nature du régime, il est faux de dire que Téhéran soutient le terrorisme. Ces accusations n’ont en réalité que pour but de disqualifier les Qataris.

Pour expliquer cette crise, l’élément le plus récent reste la visite de Donald Trump en Arabie saoudite. Les Saoudiens étaient très critiques à l’égard du président Barack Obama pour trois raisons majeures. Tout d’abord, ils lui reprochaient d’avoir lâché très rapidement Hosni Moubarak, sapant de la sorte la garantie de sécurité américaine. La monarchie estimait notamment que le pacte du Quincy – selon lequel les Américains, en échange de l’accès au pétrole saoudien abondant et bon marché, garantissaient la sécurité du régime -, était remis en cause par le fait qu’un allié aussi solide et docile qu’Hosni Moubarak ait été abandonné si rapidement par Washington. Ensuite, la découverte de gisements importants de gaz de schiste et de pétrole aux États-Unis rendait ces derniers moins dépendants des matières premières énergétiques saoudiennes, remettant donc encore en question le pacte du Quincy. Enfin et surtout, l’accord sur le nucléaire iranien et la réconciliation qu’Obama a entamé avec l’Iran était insupportable pour les Saoudiens.

Dès lors, les Saoudiens, conscients de l’aversion de D. Trump à l’égard de l’Iran, s’étaient réjouis de son arrivée au pourvoir. Ce dernier a effectué sa première visite bilatérale en Arabie saoudite, alors qu’habituellement, un président américain l’accorde au Canada ou au Mexique. À cette occasion, D. Trump a signé d’importants contrats, dont 110 milliards de contrats d’armements, relançant ainsi les tensions et la course aux armements dans la région. Les Saoudiens ont toutefois été rassurés et confortés, ce qui n’est pas sans lien avec la mise en place d’une politique relativement agressive à l’égard du Qatar.

Le problème majeur de cette politique est qu’elle risque de ne produire in fine que des perdants. Il est en effet peu probable que le Qatar change complètement de position et cède aux injonctions saoudiennes, au risque de perdre son indépendance. Les Qataris seront en effet poussés davantage dans les bras iraniens. En agissant de la sorte, les Saoudiens créent donc une prophétie auto-réalisatrice…

D’autre part, ces événements prouvent que la thèse souvent répandue selon laquelle le clivage majeur dans la région résiderait dans l’opposition sunnites/chiites n’est pas aussi exacte. Le Qatar et l’Arabie saoudite sont en effet deux puissances sunnites. L’émirat a des bonnes relations avec Téhéran et est soutenu non seulement par le Koweït et Oman mais également par la Turquie. On voit donc deux blocs pouvant éventuellement se constituer, ce qui serait très dangereux. Une fois encore, ces profondes divisions montrent bien que l’unité arabe si souvent évoquée n’est qu’un mythe.

Il est d’une importance capitale que les tensions diminuent. Pour cela, le blocus doit être suspendu et un accord doit voir le jour entre les Saoudiens, les émiratis et les Qataris, afin que chacun puisse sortir de la crise la tête haute. En ce sens, l’initiative du président français, E. Macron, de servir d’intermédiaire est excellente – Oman pourrait également jouer ce rôle, de même que le secrétaire général de l’ONU -. C’est donc honorable pour la France de tenter cette médiation sans avoir de certitudes d’y parvenir. Le clivage entre l’incendiaire Trump et le pompier Macron ne pouvait pas mieux s’illustrer.

Qatar ban : le pyromane Trump vs le pompier Macron

Thu, 15/06/2017 - 16:49

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Maroc et Algérie : quelles relations avec le nouveau président français ?

Wed, 14/06/2017 - 15:12

Emmanuel Macron rend visite à un Maroc en proie à des tensions internes, tandis que Jean-Yves le Drian, ministre des Affaires étrangères, s’est rendu à Alger. Le point de vue de Kader Adberrahim, chercheur à l’IRIS.

Quels sont les intérêts stratégiques que le président français va chercher à développer avec le Maroc ? La récente réintégration de ce dernier dans l’Union africaine ouvre-t-elle la porte à un partenariat plus poussé avec la France et l’UE ?

La visite du président de la République française au Maroc est toujours importante et attendue. En l’occurrence, il s’agit de la première visite à l’étranger d’Emmanuel Macron en dehors de Berlin.

Aujourd’hui, les intérêts français au Maroc restent très importants, bien que la France y soit en train de perdre du terrain – tout comme en Algérie – au profit de la Chine. Il y a malgré tout plus de 70 000 Français vivant au Maroc et 38 entreprises du CAC 40 qui y sont installées. Le royaume présente donc des enjeux économiques et commerciaux, ainsi que de population puisque des centaines de milliers de Marocains sont installés en France.

Cette relation privilégiée franco-marocaine continue d’être importante mais pour autant, on ne peut plus dire que la France reste le seul partenaire du royaume. En effet, depuis quelques années, le Maroc a décidé de diversifier ses partenariats afin de sortir de ce tête-à-tête avec la France. La réintégration du Maroc dans l’Union africaine montre qu’il cherche à avoir des relations avec à la fois le continent africain et le continent européen. Les dirigeants marocains voient bien que l’Europe est en crise depuis maintenant dix années et qu’elle a beaucoup de mal à en sortir. Il y a également eu des tensions diplomatiques entre l’Europe et le Maroc sur un certain nombre de questions, comme les visas, la question du Sahara, les droits humains… Les Marocains ont donc décidé de diversifier leurs partenariats pour éviter d’être totalement liés à une relation exclusive.

En parallèle, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian s’est rendu à Alger les 12 et 13 juin. S’agit-il pour la France de ménager la susceptibilité de ces deux pays rivaux ? La France a-t-elle un rôle à jouer sur la question du Sahara occidental ?

Il y avait de l’inquiétude côté marocain car pendant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait beaucoup parlé de l’Algérie, notamment avec sa fameuse déclaration à Alger de « crime contre l’humanité » à propos de la colonisation. Le Maroc se demandait donc si Emmanuel Macron n’avait pas plutôt un tropisme algérien.

La visite du ministre des Affaires étrangères qui intervient juste avant celle du président au Maroc est une manière d’envoyer des signaux clairs en disant : « oui, le président va à Rabat mais il va venir également à Alger très prochainement et nous n’oublions pas notre relation particulière avec l’Algérie ». Dans cette rivalité ancienne entre l’Algérie et le Maroc, les deux pays tentent toujours d’obtenir de la France un statut privilégié. Le locataire de l’Élysée doit donc toujours assurer un jeu d’équilibriste entre les frères ennemis du Maghreb.

Concernant la situation du Sahara occidental, la France a certes les moyens d’intervenir sur la question mais elle ne le fera pas car elle ne souhaite se fâcher ni avec le Maroc, ni avec l’Algérie, bien que l’on sache pourtant que la France a toujours soutenu la position marocaine. Aujourd’hui, on ne voit pas comment sortir de cette crise devenue chronique. La France va donc se tenir à égale distance de ce dossier particulièrement sensible au Maroc et également très délicat à gérer en Algérie.

Cette visite française se déroule dans un contexte tendu au Maroc, en proie à des révoltes dans la région du Rif. Quelles en sont les raisons ? Le gouvernement marocain peut-il être mis en difficulté face ce mouvement ?

Il s’agit de la crise la plus grave à laquelle est confrontée le Maroc depuis l’accession au trône de Mohamed VI en 1999. La situation s’est dégradée et est aujourd’hui inquiétante. Cette crise n’est pas bien gérée de la part du gouvernement marocain puisqu’aucun dialogue n’est amorcé avec les dirigeants de la contestation dans le Rif. Ces derniers ont pourtant émis des revendications en termes social, de droits humains, d’emplois, etc. Certains endroits de cette région aride, enclavée et montagneuse, sont dépourvus d’hôpitaux, de maternités et ont très peu d’industries installées. Les jeunes y ont très peu de perspectives.

Or, on assiste à une répression et à l’arrestation des dirigeants de ce mouvement, qui ont été déférés en pleine nuit à Casablanca devant un tribunal de première instance. Il aurait sans doute été préférable que le gouvernement envoie au contraire des signaux d’apaisement. L’État doit envoyer un signal fort, par exemple en libérant soit une partie, soit l’intégralité des dirigeants de ce mouvement pacifiste, afin d’entamer un véritable dialogue et sortir de cette crise.

La manifestation importante qui a eu lieu dimanche dernier à Rabat a rassemblé au-delà des Rifains. Il existe au Maroc cette sensation de « hogra », c’est-à-dire d’abus de pouvoir de la part de l’administration et de tous les symboles de l’État, doublé d’une corruption endémique. Il ne faudrait pas que ce mouvement du Rif puisse faire la jonction avec d’autres mouvements de contestation ailleurs dans le pays car cela pourrait amener à une situation nouvelle, peut-être équivalente à celle vécue par le monde arabe en 2010-2011.

Afrique / France : une relation nouvelle ?

Wed, 14/06/2017 - 11:04

Le président français, Emmanuel Macron, va effectuer son deuxième déplacement en Afrique en un mois, après avoir reçu à Paris les présidents ivoirien et sénégalais. En conformité avec son annonce de campagne électorale, il fait ainsi du continent africain une priorité.

Nul n’est besoin de rappeler la longue histoire qui unit la France à l’Afrique, ses pages parfois glorieuses et parfois honteuses, ses bienfais et ses méfaits. Mais, ce socle historique ne peut être suffisant pour déterminer l’avenir des relations franco-africaines. En Afrique francophone, la France ne bénéficie plus du monopole stratégique, économique et culturel dont elle disposait auparavant. L’Afrique est entrée de plain-pied dans la mondialisation et multiplie les partenariats avec des puissances non européennes. C’est une opportunité pour les pays africains et un challenge pour la France. À cette dernière de le relever. De son côté, la France ne peut pas se contenter de son pré-carré francophone et doit également se tourner vers l’Afrique anglophone et lusophone.

Au sein de la zone sahélienne, où va se rendre E. Macron, la véritable bataille à mener – et à gagner – par la France et ses partenaires africains est celle de la sécurité et du développement. Ces deux voies ne sont pas antagonistes mais, au contraire, fondamentalement complémentaires. Il faut agir sur les deux fronts de manière simultanée afin de provoquer un cercle vertueux : une sécurité qui permet le développement, gage lui-même de sécurité, et non pas se laisser entraîner dans le cercle vicieux de l’insécurité et du sous-développement.

La France bénéficie d’une présence militaire ancienne de soutien à la sécurité et la stabilité au sein du Sahel et du Sahara, renouvelé après 2013 et l’opération Serval. Lors de sa visite aux troupes françaises à Gao, E. Macron a déclaré : « J’agirai en Afrique en toute transparence loin des réseaux de connivence ». Il n’y a qu’envers l’Afrique que de tels propos sont régulièrement émis, soit pour les justifier, soit pour les critiquer. Il faut « simplement » traiter l’Afrique comme les autres pays, dans le même esprit de partenariat aux intérêts réciproques.

Né une génération après les indépendances de 1960, E. Macron doit éviter les discours largement ressassés sur le passé et ceux dépassés de culpabilisation qui arrangent et déresponsabilisent les élites dirigeantes en Afrique sans régler les problèmes de fond politiques et économiques. Il ne s’agit pas de nier l’Histoire mais de se projeter vers un avenir où chacun assume sa part de responsabilité immédiate et future.

L’Afrique a besoin de moins d’État si cela signifie une bureaucratie étouffante et paralysante mais plus d’État s’il s’agit de mettre en place les infrastructures nécessaires. La consolidation des administrations est indispensable afin d’éviter un retour aux clans et tribus de la période précoloniale. Les armées des pays africains doivent être non seulement plus professionnelles mais également plus nationales avec des bases moins ethnico-régionales ou religieuses.

La lutte contre le terrorisme ne doit pas plus justifier aujourd’hui les manquements à la bonne gouvernance, au respect des droits de l’homme et à l’État de droit que ne le faisait la lutte contre le communisme hier. Cette dernière a permis de blanchir le soutien à des régimes détestables qui ont laissé des héritages catastrophiques, source de nombreux maux actuels. Les pratiques flagrantes de corruption qui discréditent les régimes, désespèrent les jeunes, en les poussant à la rébellion, au trafic divers ou à l’immigration, doivent être combattues.

Le combat indispensable contre le terrorisme ne peut se faire en acceptant les pratiques délétèrent qui le nourrissent. La France n’a pas à choisir les régimes africains à leur place mais, au moment où elle connaît un renouvellement de son personnel politique de très forte magnitude, elle ne peut soutenir de façon inconditionnelle tous les régimes africains. Elle doit avoir des relations avec tous mais conserver ses distances avec certains. Il faut surtout, dans les pays où la démocratie est encore imparfaite, développer les liens avec la société civile. Il ne s’agit pas ici de moralisme mais de realpolitik.

Article co-signé avec Ahmedou Ould Abdallah, ancien Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et président du Centre pour la stratégie et la sécurité dans le Sahara Sahel (Centre4s).

Le jour se lève en Macédoine

Mon, 12/06/2017 - 18:43

Après une décennie de ce que la Commission européenne a elle-même fini par nommer une « capture de l’État » par le parti au pouvoir nationaliste VMRO-DPMNE, un nouveau gouvernement issu des élections de décembre dernier a finalement été formé. Il est dirigé par Zoran Zaev, président du parti social démocrate SDSM, en coalition avec plusieurs partis albanais ; cela malgré les résistances du président Gjorge Ivanov, homme de paille du VMRO-DPMNE et de son leader, Nikola Gruevski.

Ce dénouement est le résultat à la fois de pressions venues d’en haut, en particulier de Bruxelles et de Washington, puisque le sous-secrétaire d’État en charge de l’Europe est toujours en place et que les États-Unis n’ont pas prévu de changements majeurs dans leur attitude vis-à-vis des Balkans ; mais aussi d’en bas, de la société civile et des milliers de citoyens qui sont descendus dans la rues ces deux dernières années pour réclamer le départ du VMRO et la fin de son système.

C’est en soi une excellente nouvelle dans une région où les pratiques autoritaires se sont fortement développées ces dernières années ; cela non pas en dépit mais grâce au processus d’intégration européenne, dans la mesure où Bruxelles préfère donner quitus à des hommes forts au nom d’une illusoire stabilité, plutôt que de favoriser l’enracinement de pratiques démocratiques et libérales.

Pour autant, c’est maintenant que le plus dur commence pour le nouveau gouvernement macédonien, tant la tâche est immense pour remettre le pays sur les rails économiquement et sur le chemin de l’intégration euro-atlantique. Cela implique une double dimension dans l’action.

En interne, la priorité est de restaurer l’État de droit, c’est-à-dire à la fois en finir avec les pratiques de népotisme et de corruption, et surtout faire en sorte que la justice passe. La procédure de limogeage du procureur général Marko Zvrlevski va dans ce sens, tant ce dernier n’a cessé de faire obstruction à toutes les procédures touchant le VMRO. Celles-ci sont désormais traitées par un bureau du procureur spécial (SPO), qui travaille tant bien que mal dans un univers judiciaire peuplé de fidèles du VMRO. La marge de manœuvre est étroite dans la mesure où le SPO, dont la création était une exigence européenne dans le cadre des accords de Przino de 2015, a besoin d’un large consensus politique pour survivre. Or, la tentative de prise d’assaut du Parlement par des hommes de main liés au VMRO le 27 avril dernier montre que ses leaders ne sont pas du tout prêts à abandonner le pouvoir, et encore moins à se laisser traîner en justice.

Sur le plan extérieur, le nouveau gouvernement macédonien devra œuvrer sur deux fronts. La principale priorité est de relancer le processus d’intégration euro-atlantique bloqué depuis des années par la Grèce, en raison de la querelle sur le nom même de Macédoine. Sur ce point, les premiers contacts entre Skopje et Athènes semblent indiquer de la bonne volonté des deux côtés. Dès lors, un accord pour débloquer les processus vers l’Union européenne (UE) et l’OTAN ne posant pas comme condition préalable la résolution de la question du nom serait un signal très fort. Le nouveau ministre des Affaires étrangères Nikola Dimitrov, ancien négociateur très respecté sur le sujet, est la personne idéale pour mener à bien cette tâche. L’autre priorité sera d’apurer les relations de voisinage, en particulier avec la Serbie dont on a appris qu’elle avait, avec l’aide de la Russie, cherché à soutenir coûte que coûte le VMRO ; y compris par la présence le jour de la prise d’assaut du Parlement d’un membre de ses services de renseignement. La presse tabloïd serbe, sous contrôle de Belgrade et en étroite liaison avec les organes de propagande russe, n’a pas ménagé sa peine pour répandre le spectre d’une grande Albanie et attaquer Zoran Zaev.

Le compte à rebours est donc lancé pour un gouvernement fragile, dont la majorité ne tient à rien et sur lequel repose une responsabilité immense. De ce point de vue, il y a une fenêtre d’opportunité historique et sans doute éphémère pour les acteurs occidentaux de reprendre pied dans la région, avec d’autres intentions affichées en matière d’exigence démocratique, un véritable plan et un calendrier, afin de contrer l’influence d’autres acteurs comme la Russie qui profitent du vide politique laissé par Bruxelles.

Personne n’oublie que l’assassinat de Zoran Djindjic en Serbie en 2003 a fermé une fenêtre d’opportunité pro-européenne et politiquement libérale historique, au cours de laquelle le destin de la Serbie, et sans doute de la région, aurait pu basculer du bon côté avec davantage de soutien international.

Ni les Balkans ni l’Union européenne ne peuvent plus se permettre de voir les fenêtres s’ouvrir puis se fermer, pendant que des dizaines de milliers de jeunes diplômés quittent la région par la porte de derrière.

Quelles solutions à la crise environnementale en Chine ?

Mon, 12/06/2017 - 18:31

Jean-Francois Huchet est vice-président du Conseil scientifique de l’INALCO. Il répond à nos questions à propos de son ouvrage « La crise environnementale en Chine : Evolutions et limites des politiques publiques », Presses de Sciences Po (2016) :
– Comment la crise environnementale en Chine a-t-elle atteint une telle ampleur ? Quel a été le déclic pour que le gouvernement s’attaque au problème ?
– Quelles sont les politiques chinoises mises en place ? Sont-elles efficaces ?
– Le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris est-il l’occasion pour la Chine de devenir le leader mondial dans la lutte contre le réchauffement climatique?

Le Royaume-Uni dans le flou

Fri, 09/06/2017 - 18:53

Jeudi 8 mai se sont déroulées les élections législatives au Royaume-Uni. Theresa May y a laissé sa crédibilité et sa majorité politique. L’analyse d’Olivier de France, directeur de recherche à l’IRIS.

Comment expliquer la défaite des Tories et le pari manqué de Theresa May d’organiser des élections anticipées ?

L’objectif premier de ces élections anticipées était de donner davantage de légitimité populaire et un mandat politique plus solide à Theresa May, afin qu’elle puisse entrer en négociation avec l’Union européenne (UE) en position de force. Rappelons d’une part qu’elle avait été nommée Première ministre par défaut, sans avoir été élue. D’autre part, qu’elle s’était opposée au Brexit – certes du bout des lèvres – dans le gouvernement de David Cameron. Non seulement l’objectif de ces élections n’a pas été atteint mais il s’est retourné contre elle. C’est donc un pari manqué pour May.

C’est la deuxième fois successive qu’un Premier ministre britannique convoque des élections sans y être contraint, et contre qui le vote populaire se retourne. Pourquoi depuis 2015 les dirigeants britanniques se tirent-ils des balles dans le pied sans y être contraints ? Est-ce dû à un manque de sens politique ? L’hypothèse avancée récemment par The Economist est un manque de qualité du personnel politique britannique. Theresa May a été nommée par défaut, justement parce qu’elle n’avait exprimé aucune opinion forte sur le sujet principal alors à l’ordre du jour, à savoir le Brexit. Jeremy Corbyn n’a certes pas beaucoup de charisme mais il a le mérite d’afficher des principes auxquels il se tient. La Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, est davantage charismatique et s’est proposée d’aider Corbyn à former une alliance progressiste, qui pourrait peut-être construire les prémices d’un Brexit moins dur. Quant au nouveau maire de Londres, il incarne un véritable renouveau et parait posséder un certain sens politique.

Avoir un sens politique signifie deux choses pour un dirigeant. Tout d’abord, être capable de comprendre son pays : notamment le fait qu’aujourd’hui, le Royaume-Uni est un pays parcouru de fractures, y compris aujourd’hui parfois au sein d’une même famille ou d’une même communauté. Deuxièmement, il faut un dirigeant qui ait conscience des enjeux internationaux qui pèsent sur son pays. Or, Theresa May n’a jamais compris Bruxelles et le fonctionnement de l’UE. Elle a mis six mois pour réaliser qu’elle serait contrainte de sortir du Marché unique et elle n’a toujours pas formulé de plan pour le Brexit.

Aujourd’hui, sans leader fort et dans un pays divisé, les dirigeants britanniques n’arrivent pas à sortir le Royaume-Uni de cette situation chaotique. Enfin, rappelons que le chaos politique actuel a été provoqué par les conservateurs puisque c’est David Cameron qui a convoqué le référendum du Brexit. Ce sont donc les conservateurs eux-mêmes qui l’y ont plongé au départ. Sans cette erreur non forcée, le pays n’en serait pas là.

Doit-on interpréter ce résultat comme un rejet des Britanniques de la voie du hard Brexit au profit de celle du soft ?

Pour l’instant, la première certitude est que ces élections vont retarder les choses du point de vue de Londres. Côté européen, Jean-Claude Juncker a déjà dit que l’UE était prête et que l’article 50 avait été activé. Le délai de deux ans est donc déjà en train de s’écouler. Or, avec ces élections, la formulation d’une position britannique est encore retardée. Va-t-elle s’effectuer dans le délai de deux ans ? Rien n’est moins sûr et le calendrier se resserre davantage. Ce scrutin a donc empiré la situation car la position de négociation du Royaume-Uni est maintenant encore plus faible.

La deuxième certitude, c’est que ces élections compliquent encore davantage la situation. Alors que Theresa May voulait raffermir sa position sur le Brexit par ces élections, elles l’ont affaiblie au final.

Comment se profile l’avenir politique du pays ?

Trois hypothèses sont envisageables. La première serait celle d’un gouvernement May construit avec le soutien des unionistes d’Irlande du Nord (DUP), qui sont pro-Brexit et très conservateurs. Dans ce cas, on passerait d’un gouvernement majoritaire à un gouvernement de coalition, ce qui serait un pis-aller par rapport à la situation précédente.

La deuxième option consisterait en un gouvernement travailliste soutenu par le Parti national écossais (SNP). On est loin de savoir si ce cas de figure est possible et quelles en seraient les conséquences. Même dans l’hypothèse où les travaillistes avaient obtenu la majorité absolue, il n’est pas sûr qu’ils aient pu remettre en cause le principe même du Brexit. Ils ont déclaré souhaiter respecter la souveraineté populaire. Au mieux, ils auraient pu adoucir le Brexit, notamment sur les questions d’union douanière, de Cour européenne de justice, etc.

Ces deux options auraient non seulement des conséquences sur le plan européen mais également sur le plan interne au regard de la question écossaise et de la question irlandaise. En effet, si le DUP s’allie avec les Tories, cela aurait des implications sur les questions de réunification entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord. Si le Labour Party s’allie avec et le SNP, cela aurait un impact sur les négociations pour un second référendum écossais. Les enjeux européens et internationaux sont donc inextricablement liés avec des conséquences à la fois à Bruxelles, à Edimbourg et à Belfast.

La troisième hypothèse serait celle d’un gouvernement conservateur minoritaire faible, qui ne parviendrait pas à gouverner et qui serait donc dans l’obligation de provoquer de nouvelles élections dès cet été.

Au final, alors que ces élections étaient censées clarifier les choses, elles les ont rendues encore plus floues, tant sur les négociations du Brexit, que sur le plan intérieur pour les questions écossaise et irlandaise. Ainsi, l’argument de campagne principal voire exclusif construit par Theresa May, qui se présentait comme la seule à proposer un leadership stable et ferme, est remis en question par ce scrutin de manière possiblement irrévocable.

L’Iran, pièce maîtresse de nombreux enjeux régionaux et internationaux

Fri, 09/06/2017 - 16:29

La République islamique d’Iran est régulièrement sous les feux de l’actualité diplomatique, de par son importance stratégique tant sur le plan régional qu’international. Le point de vue de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.

Trump, mise au ban du Qatar… Pourquoi la République islamique iranienne cristallise-t-elle beaucoup de tensions diplomatiques dans la région ?

Depuis plusieurs jours, beaucoup évoquent une crise diplomatique. Il s’agit, en réalité, bien plus d’une crise politique profonde, susceptible d’entraîner des conséquences économiques.

Contrairement à ce que l’on entend régulièrement, la véritable obsession que conçoit l’Arabie saoudite à l’égard de l’Iran ne s’explique pas essentiellement par des raisons confessionnelles, de rivalité sunnite-chiite, mais bien par des raisons politiques et géopolitiques. Si le paramètre religieux est bien sûr à prendre en compte, il s’agit d’un paramètre parmi d’autres. Riyad éprouve une véritable inquiétude, une peur même, à voir Téhéran s’imposer comme la force déterminante des équilibres régionaux dans les années à venir. Il s’agit donc d’une classique question de rapport de puissance.

L’inquiétude des Saoudiens est, en ce sens, compréhensible. L’Iran jouit d’une histoire multiséculaire et c’est probablement l’un des seuls pays de la région à posséder une tradition d’État, contrairement aux monarchies pétrolières arabes du Golfe. L’Iran compte par ailleurs 80 millions d’habitants, une main d’œuvre qualifiée, d’importantes richesses en hydrocarbures (gaz et pétrole), autant d’éléments objectifs de concurrence avec Riyad. Par ailleurs, si l’Iran est bien une république, islamique, une consultation électorale a eu lieu en moyenne tous les ans depuis la Révolution de 1979. S’il ne s’agit certes pas d’une démocratie à l’occidentale, le régime bénéficie d’une légitimité populaire, doublée d’une légitimité théocratique.

L’Iran va probablement s’imposer dans la région dans les 10-15 ans à venir, ce qui n’est évidemment pas du goût des Saoudiens. Raison pour laquelle ces derniers – avec les Israéliens et les néo-conservateurs américains, à l’époque opposés à Barack Obama – n’ont cessé de tenter d’empêcher, sans succès, la signature de l’accord sur le nucléaire en juillet 2015.
Depuis son arrivée au pouvoir, Donald Trump tente de détricoter méthodiquement ce qu’avait réalisé son prédécesseur. Dans cette veine, le président américain a prononcé un tissu de stupidités lors de sa visite officielle en Arabie saoudite, où il a notamment déclaré que l’Iran était le foyer du terrorisme. Depuis, des attentats, revendiqués par l’Etat islamique, ont frappé le Parlement iranien et le mausolée de l’imam Khomeini…

Trump a soutenu de façon inconsidérée la politique de Riyad, alors que nous savons parfaitement que des hommes d’affaires saoudiens – il ne s’agit pas d’accuser le gouvernement sans preuve – ont soutenu, notamment en Syrie, les groupes les plus extrémistes de la rébellion, des djihadistes. Le président américain ne devrait par ailleurs pas non plus oublier que lors des attentats du 11 septembre à New York, sur les 19 kamikazes qui sont allés s’écraser sur les Twin Towers 15 étaient d’origine saoudienne. Aussi, sans verser dans une comptabilité macabre, si des individus ou des groupes d’intérêt ont déjà directement soutenu des groupes terroristes, ils ne sont probablement pas iraniens mais plutôt issus de certaines monarchies arabes du Golfe.

Quelles peuvent être les conséquences de l’isolement de l’Iran entrepris par les États-Unis et par certains pays voisins ? Comment le régime peut-il réagir ?

Contrairement à ce que l’on entend fréquemment ces dernières semaines, l’Iran ne semble pas être un pays isolé, ce pour deux raisons. Premièrement, les tentatives de l’administration Trump, des Saoudiens et des Israéliens n’ont pas encore abouti. L’accord sur le nucléaire iranien en date du 14 juillet 2015 est encore en vigueur ; bien que Trump essaie de le vider de sa substance, cela s’annonce compliqué. Deuxièmement, dire que l’Iran est isolé traduit une vision américano-centrée ou occidentalo-centrée. Téhéran continue d’entretenir des relations importantes avec de grands pays tels que la Russie, la Chine, des pays d’Asie et d’Amérique du Sud. Quant à l’Union européenne, elle a eu un rôle positif – bien que tardif – dans la signature de l’accord du 14 juillet 2015 et elle devrait tenter d’approfondir la mise en œuvre de la réinsertion de l’Iran dans le jeu international. L’Iran est donc tout sauf isolé, même si de fortes pressions s’exercent à son encontre.

Non seulement l’Iran est un pays d’une importance géopolitique déterminante, c’est aussi une puissance potentiellement stabilisatrice. Aujourd’hui, les dirigeants iraniens ont tout intérêt à poursuivre leur réintégration dans le jeu régional et international.

Depuis près de deux ans, il y a eu beaucoup d’illusions côté iranien concernant les suites de l’accord sur le nucléaire, la population espérant que les investissements directs étrangers augmenteraient massivement en Iran. Mais la réalité est plus complexe, car nombre d’entreprises ou de banques françaises et européennes hésitent par exemple encore à investir en Iran par crainte de sanctions américaines. Les Européens devraient aujourd’hui faire preuve de plus de courage car il n’y a aucun intérêt à maintenir une politique d’ostracisme à l’égard de Téhéran, bien au contraire.

La réaction des Iraniens s’est déjà exprimée, le 19 mai dernier, lors des élections présidentielles puisque le président sortant, Hassan Rohani, a été réélu dès le premier tour. Or, sa ligne politique est celle d’une ouverture au reste du monde et d’une volonté de réinsérer le pays au sein de ladite communauté internationale, d’un point de vue économique, politique et diplomatique. Le peuple iranien a ainsi démocratiquement infligé une défaite à ceux qui restent en faveur d’une stratégie de la citadelle assiégée.

Quel rôle peut jouer l’Iran dans la lutte contre le terrorisme ?

L’Iran joue d’ores et déjà un rôle positif dans la lutte contre le terrorisme. En Syrie, Téhéran soutient certes Bachar al-Assad, ce qui marque une réelle divergence politique avec les Européens. Mais la question à poser consiste plutôt à se demander qui aujourd’hui en Syrie, voire en Irak, est notre ennemi principal ? Ce sont bien les groupes djihadistes, en particulier Daech, position qui a été défendue par François Hollande et désormais par Emmanuel Macron. Dès lors, nous sommes dans le même camp que l’Iran pour lutter contre cet ennemi commun ; cela n’exclut pas des divergences politiques concernant le régime d’Assad. En politique, il s’agit de faire preuve de réalisme et de hiérarchiser les défis et les objectifs. Les attentats ayant touché Téhéran indiquent également clairement que l’Iran est un ennemi de Daech, tout comme la France, le Royaume-Uni, etc.

Il est par ailleurs dans notre intérêt de raisonner politiquement avec l’Iran. Sur le dossier anti-terroriste, établir le maximum de contacts permettrait aux services de renseignements d’échanger des informations plus complètes, ce qui rendra la lutte contre le terrorisme plus efficace.

Notre intérêt n’est donc véritablement pas d’isoler l’Iran mais de tout faire pour le réintégrer pleinement sur tous les dossiers au sein de l’échiquier international et, par conséquent, de s’opposer à ceux qui s’opposent à cette vision. Dans le même mouvement il convient aussi, sans ultimatum ni condescendance, d’aider à l’élargissement des droits démocratiques individuels et collectifs dans ce pays.

« Les Torries paient leurs multiples revirements »

Thu, 08/06/2017 - 16:34

La majorité de Theresa May est-elle menacée ?

Quand Theresa May a annoncé la tenue des élections législatives anticipées, on prédisait un score très faible pour les travaillistes qui était placé sous un leadership chaotique. Aujourd’hui, la situation est très différente pour le Labour. Theresa May peut se trouver dans une situation moins avantageuse que prévu ce qui risque de fragiliser sa position notamment dans les négociations du Brexit.

Pourquoi ce revirement dans l’opinion ?

Normalement, le Brexit aurait dû être l’enjeu principal de cette campagne. Si cela avait réellement été le cas, on ne se poserait pas la question de la majorité ou non des conservateurs. Le Brexit n’a au final pas été le seul slogan de ces élections à cause notamment des attentats. Les travaillistes ont habilement pointé les revirements de Theresa May sur le Brexit. Cela leur a permis d’enfoncer un coin dans la crédibilité de Theresa May. En effet, dans l’équipe de David Cameron, elle avait d’abord fait campagne pour le «Remain» c’est-à-dire pour le maintien dans l’Union européenne, contre le Brexit.

La succession des attentats a-t-elle joué un rôle dans la campagne ?

Normalement ce genre de drame profite aux partis forts sur les questions de sécurité. Cette fois-ci, cela n’a pas été le cas pour les Torries à cause notamment de la position personnelle de Theresa May.

Pourquoi ?

Pendant sept ans, elle a été ministre de l’Intérieur et était donc en charge de ces questions. Aujourd’hui, il est difficile pour elle de se dissocier de ce qui a été fait alors qu’elle était aux manettes. On lui reproche des réductions des effectifs dans les forces de police et de sécurité. Tout cela met à mal sa cohérence et sa crédibilité. L’opinion publique se dit que si elle n’est pas cohérente sur des sujets aussi sensibles que la protection des citoyens britanniques, sera-t-elle cohérente lors des négociations sur le Brexit ?

Ce sont ces revirements qui la desservent aujourd’hui ?

Oui en partie. Défendre le maintien dans l’Union européenne puis négocier les modalités de départ est difficilement compréhensible. Par ailleurs, elle a aussi retiré une proposition contestée de contribution des seniors pour le financement de la santé. Autant d’accros qui comptent aujourd’hui.

Ce que les attentats de Téhéran pourraient changer au Moyen Orient en général et entre l’Arabie Saoudite et l’Iran en particulier

Thu, 08/06/2017 - 14:41

L’Iran a été la cible de deux attaques terroristes, ce mercredi, qui ont frappé le Parlement iranien et le mausolée de l’imam Khomeyni à Téhéran. Pour la première fois de son histoire, l’Iran a été la cible de l’Etat Islamique, qui revendique les attentats. Quelles peuvent être les conséquences de ce « djihadisme sunnite » pour le pays?

Cet attentat va sans doute être « utilisé » comme argument de politique intérieure par les « radicaux » qui viennent de subir une lourde défaire aux élections présidentielles avec la victoire de Rohani.

On peut penser qu’ils vont dire que du fait cet « attentat », il faut que l’Iran affirme une ligne « dure » dans la région et ne fasse aucune concession notamment sur les dossiers syrien et irakien. Pour les durs en Iran, Daesh est « manipulé » par les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite. Les radicaux vont donc accroître leur pression sur le président Rohani et tout faire pour qu’il suive une politique plus dure dans la région et vis-à-vis des occidentaux. L’un des principaux objets de discorde entre les modérés et les radicaux est que ces derniers disent qu’il n’est pas question de faire un Barjam (nom en persan de l’accord sur le nucléaire) 2 ou 3 ou 4 à propos d’autres questions (comme éventuellement la Syrie). Ils signifient ainsi qu’il ne faut plus que l’Iran fasse de concessions dans le domaine diplomatique, notamment vis-à-vis des Etats-Unis. Or, lors de la campagne présidentielle, Rohani a promis qu’il ferait lever le reste des sanctions qui pèsent toujours sur l’économie iranienne. Or, ces sanctions viennent des Etats-Unis et y mettre fin impliquerait donc des négociations directes avec les Etats-Unis… On peut noter à ce sujet que Rohani a appelé après ces attentats à plus de coopération internationale pour lutter conter le terrorisme.

Sur le plan intérieur, on peut s’attendre à un affrontement entre deux visions. En effet, l’Etat Islamique à travers ces attentats tente de faire monter les tensions entre les chiites qui représentent 90 % de la population iranienne et les sunnites (près de 9 %). Or, on sait qu’il existe des discriminations et ethniques contre certaines parties de la populations comme les Baloutches (qui sont sunnites). Les « radicaux » vont sans doute appeler à une approche plus « sécuritaire » vis à vis de ces populations. Il est intéressant de noter qu’en Iran du fait de la modernisation des mentalités depuis la révolution (on peut noter à ce sujet qu’il y près de 47 % de filles dans les universités au Sistan-Baluchistan), les minorités ethniques et religieuses en Iran, en dépit de réelles discriminations ne croient pas à l’action violente et privilégient la lutte politique et culturelle. On peut ainsi noter que ces minorités sont allées massivement voter pour Rohani lors des deux dernières élections présidentielles. Ce dernier est plutôt favorable à accroître les droits politiques et culturels de ces minorités (les élèves des collèges et lycées au Kurdistan iranien peuvent ainsi apprendre le kurde depuis 2015). On verra si ce dernier arrivera à répondre aux demandes de ces minorités dans ce nouveau contexte. Les autorités iraniennes venant d’annoncer que les auteurs des attaques terroristes étaient iraniens (probablement sunnites) qui avaient fait allégeance à l’Etat islamique en Iran, on peut penser qu’il va y avoir dans les prochains mois de fortes tensions entre ces deux lignes politiques.

Alors que l’Arabie Saoudite et ses voisins ont annoncé avoir rompu toute relation diplomatique avec le Qatar,et suite aux déclarations offensives de Donald Trump à l’égard de Téhéran, dans quel contexte cet attentat intervient-il ? Quelles sont les tensions profondes qui traversent la région actuellement ?

Très clairement, la région est marqué par deux grands conflits. Il y a d’abord l’action de Daesh et d’Al Qaeda qui menace tous les pays de la région que ce soit Turquie, les pays arabes du Golfe Persique, l’Iran, l’Afghanistan. Parallèlement, il existe une lutte pour la suprématie régionale entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Chacun de ces deux pays est persuadé que l’autre le menace. Le narratif iranien est de de considérer que l’Arabie Saoudite a entraîné et soutenu ces groupes sunnites extrémistes (Etat Islamique, Al Qaeda) dans leur lutte en Syrie et en Irak pour faire « tomber » les gouvernements de ces pays et affaiblir l’Iran.

Et les Iraniens considèrent donc qu’ils sont obligés de soutenir les gouvernements syrien et irakien pour éviter que ces pays tombent aux mains des djihadistes. Du côté saoudien, depuis la chute de Saddam Hussein et plus récemment l’accord sur le nucléaire, le sentiment est que le Moyen-Orient tombe progressivement aux mains de l’Iran. Les autorités saoudiennes sont « obsédées » par la « menace » iranienne dans la région.C’est pour cela notamment qu’ils se sont lancés dans la guerre contre les Houthis au Yémen alors que le soutien iranien à ces derniers est sans doute très limité.

Dans un tel contexte, on peut être assez critique vis-à-vis du voyage récent de Trump dans lé région. Tout d’abord, est-ce qu’il n’est pas risqué de prendre parti aussi violemment pour l’Arabie Saoudite dans son conflit avec l’Iran. Quelles vont être les conséquences à long terme d’un soutien aussi aveugle à l’Arabie Saoudite ? Est-ce que cela ne risque pas d’accroître les tensions entre ces deux pays ? Est-ce qu’une sortie de crise en Syrie ne passe pas au contraire par une amélioration des relations entre l’Arabie saoudite et l’Iran ? Est-ce que la volonté du gouvernement américain de sanctionner encore plus l’Iran pour son rôle soi-disant « déstabilisateur » dans la région ne risque pas de renforcer le camp des plus radicaux en Iran qui se nourrit de l’antiaméricanisme ?

Mais je pense que l’erreur stratégique la plus grave du président américain est de mettre sur le même plan en tant que risque pour la région l’Iran et l’Etat islamique. C’est une erreur d’analyse fondamentale car elle met sur le même plan un pays où existe une société civile moderne qui rejette le fondamentalisme religieux et un groupe comme l’Etat Islamique. C’est également une erreur grave car cela revient à se priver de toute collaboration de l’Iran dans la lutte contre l’Etat islamique. C’est également une erreur potentiellement dangereuse à long terme car elle dénote une absence totale de réflexion quant à l’origine de l’extrémisme religieux dont se nourrit l’Etat islamique. Dans un article récent, un sociologue (1) établit un lien entre le fondamentalisme religieux et le monopole en matière d’offre de religions allié à une absence de démocratie (comme en Arabie Saoudite). Il est donc dangereux d’encourager comme le fait Donald Trump des pays qui refusent la tolérance religieuse ainsi que l’ouverture politique. Cela peut favoriser à terme des groupes d’opposants qui choisissent pour leur lutte politique une vision encore plus extrême du modèle religieux déjà imposé dans ces pays.

Le soutien aveugle de Trump à tous les régimes autoritaires de la région ne peut pas conduire à l’émergence de sociétés ouvertes qui refusent l’extrémisme religieux ou la violence. On peut rappeler également que quelques jours après le séjour de Trump en Arabie saoudite le gouvernement du Bahrain a tué 5 manifestants lors d’une manifestation pacifique d’opposants chiites. A quoi va ressembler la région à terme si les régimes autoritaires locaux pensent qu’ils ont un blanc-seing américain pour réprimer toute opposition comme bon leur semble ?

Engagé contre l’Etat Islamique en Irak comme en Syrie, comment peut on anticiper la réaction de Téhéran à l’égard de l’Etat Islamique, mais également en rapport aux différentes rivalités existantes dans la région ?

Je pense que cet attentat va de toute façon renforcer la volonté de l’Iran de lutter dans la région contre l’Etat islamique. Par contre, comme je l’ai dit plus haut, deux options vont s’affronter en Iran. Les radicaux qui estiment que ces attentats sont bien, le preuve que l’Iran ne doit jamais baisser la garde face aux Etats-Unis et à l’Arabie Saoudite. Les modérés avec Rohani comme chef de file qui estiment que, si c’est dans l’intérêt de l’Iran, il faut être prêt à négocier, même avec les ennemis d’hier …

Brésil, Amérique latine : la démocratie en danger ?

Thu, 08/06/2017 - 12:34

Les années 1990, celles du rétablissement de la démocratie en Amérique latine, auraient-elles épuisé leurs vertus civiques et morales ? Du Brésil au Venezuela, en passant par le Mexique et le Nicaragua, la démocratie cuvée 2017 est bousculée. Il est vrai qu’un 11 septembre en 2001 aux États-Unis a effacé le précédent celui de 1973, au Chili. Il est tout aussi vrai que le Mexique et le Venezuela n’ont pas eu d’expérience dictatoriale « pure et dure » à la chilienne. La page des alternances électorales et de la tolérance mutuelle est-elle pour autant tournée ?

À en croire un président des États-Unis expert en pratiques démocratiquement discutables, Richard Nixon, la voie brésilienne a vocation continentale : « Nous savons » avait-il dit à son homologue, le général-dictateur Emilio Garrastazu Médici, le 7 décembre 1971, « que la route tracée par le Brésil, est suivie par tôt ou tard par l’Amérique latine ».

Le Brésil a donné en 2016 un signal de détresse démocratique. La présidente élue en 2014, Dilma Rousseff, a été destituée par députés et sénateurs au prix de contorsions anticonstitutionnelles, bénéficiant d’un aval médiatique massif. Un Parlement aux abois, dont une part importante était convaincue de corruption, a légitimé la violation de l’article 85 de la Loi fondamentale pour chasser un chef de l’État jugé coupable de perpétuer en période de crise la politique économique keynésienne de Lula da Silva, son prédécesseur. Le Brésil étant un pays présidentialiste, face à l’impossibilité de sanctionner politiquement le chef de l’État, les élus ont sans état d’âme choisi de l’accuser de corruption constitutionnelle pour l’écarter du pouvoir. Le 17 avril 2016, aucun n’a d’ailleurs fondé « le dégagement » de Dilma Rousseff sur l’article 85 de la Constitution de 1988, qui définit les conditions de suspension d’un mandat présidentiel. Les plus rationnels ont évoqué la nécessité de changer de politique économique. Les autres ont justifié leur vote en référence à l’un ou l’autre des membres de leur famille, voire à Dieu, comme le président de la Chambre, Eduardo Cunha, depuis condamné à 15 ans d’emprisonnement pour fraude fiscale.

Ce signal de détresse démocratique, loin de s’estomper, s’est au fil des mois perpétué. Aecio Neves, chef du parti social-démocrate brésilien (PSDB), formation partisane au titre trompeur, a perdu les présidentielles de 2014. Il en a contesté la validité devant le Tribunal suprême électoral, qui a engagé une procédure en cours d’examen. Aecio Neves n’est plus président du PSDB, a été suspendu de toute responsabilité parlementaire et mis en examen par le procureur général de la République. Ses principaux collaborateurs, sa sœur Andrea, son cousin, Frederico Pacheco et le collaborateur de l’un de ses collègues PSDB, Mendherson Souza Lima, ont été emprisonnés : tous sont soupçonnés de crimes de corruption et d’obstruction à l’action de la justice. Le président intérimaire de la République, Michel Temer, fait l’objet d’une enquête pour faits de corruption depuis les révélations faites par le responsable de l’entreprise agro-alimentaire JBS-Friboi, Joesley Batista. L’un des amis politiques du chef d’État intérimaire et député du PMDB, Rodrigo Rocha Loures, a été filmé avec une valise de billets remis par l’entreprise citée. Il est actuellement sous les verrous, tout comme José Yunes, avocat et conseiller de Michel Temer, Tadeu Filippelli, autre conseiller présidentiel, Sandro Mabel, Henrique Eduardo Alves, ancien ministre, ex-président de la Chambre des députés, etc.

La « grande presse », les médias du groupe Globo et l’hebdomadaire Veja, réservent pour autant l’essentiel de leur couverture à l’ex-président Lula et au Parti des travailleurs (le PT). Les dénonciations les plus spectaculaires se succèdent avec pour objet de criminaliser le PT et de façon plus générale la vie politique. Les journaux télévisés et la presse écrite font l’impasse sur les propositions des partis et leurs programmes ; seules sont traitées les « affaires » et les scandales, réels ou supposés. Le 6ème congrès du PT qui a été organisé à Brasilia les premiers jours de juin a ainsi été passé sous silence par les medias : le 3 juin en plein congrès des travaillistes brésiliens, le principal quotidien de Brasilia a traité de façon préférentielle – illustré d’une photo couvrant une demi-page du journal – l’élection de Miss Brésil-Globo 2017, qui se tenait dans l’un des hôtels de la capitale. Dans le discours de clôture au 6ème congrès du PT, l’ex-président Lula a rappelé qu’il avait fait la « une », des « unes » critiques, de l’hebdomadaire Veja une cinquantaine de fois ; et qu’il était régulièrement convoqué par des juges, qui, sans preuves, estiment par conviction qu’il pourrait être ou devrait être coupable de quelque chose. Tout cela, a-t-il conclu, a été entrepris pour l’écarter de toute activité politique avant les présidentielles de 2018.

Cette combinaison du pouvoir judiciaire et des grands médias butte pour l’instant sur les réalités sociales, désastreuses, et la capacité du PT et de la CUT (le principal syndicat) à résister à ce qu’il faut bien appeler par son nom : un coup d’État à la sauce du XXIème siècle, sophistiqué et sans victimes mortelles. Mais le vœu signalé par Richard Nixon a paradoxalement pris corps par des chemins multiples qui tous en Amérique latine convergent vers une interprétation restrictive, unilatérale et donc tendancieuse des principes démocratiques. Les grands groupes de presse donnent le « la » politique d’Argentine avec Clarin, au Chili avec El Mercurio, au Pérou avec El Comercio. La judiciarisation de la politique et des élections, en vue d’écarter les présidents jugés trop à l’écoute des plus pauvres en ces temps de crise économique, a forcé le départ du président Manuel Zelaya au Honduras en 2009 et de Fernando Lugo au Paraguay en 2012. Mais le plus inattendu a été la réponse anticipée inventée par des présidents se considérant progressistes et démocrates au Nicaragua et au Venezuela. Le Nicaraguayen Daniel Ortega et le Vénézuélien Nicolas Maduro ont suivi, à leur bénéfice, la voie ouverte par les forces conservatrices du Brésil, du Honduras et du Paraguay. Le principal candidat d’opposition nicaraguayen a été interdit avant les élections générales du 6 novembre 2016, auxquelles il n’a donc pas pu participer. Au Venezuela, les autorités au nom d’un supposé complot impérialiste empêchent toute expression libre du suffrage universel. L’Assemblée nationale, où l’opposition est majoritaire, a été privée de toute capacité législative effective. Le recours constitutionnel au référendum révocatoire a été empêché par des juges nommés par le pouvoir exécutif et les élections régionales de 2016 ont été suspendues. Le pouvoir a annoncé l’élection d’une Constituante, dont un tiers des membres seront « élus » par des corporations jugées plus représentatives que le suffrage universel.

La morale de l’histoire n’est pas encore écrite mais elle préoccupe de toute évidence. Le sénateur Ronaldo Caiado (parti DEM, droite brésilienne) s’en inquiétait le 3 juin dans la Folha de São Paulo : « … la destitution de Dilma Rousseff paraissait enfin avoir éliminé le PT de notre histoire (… mais) la permanence de Temer au gouvernement (donne) de l’oxygène au PT ». Tout comme celle de Maduro au Venezuela donne de l’air aux opposants les plus à droite.

Le retrait des Accords de Paris sur le climat et les « trumperies »

Wed, 07/06/2017 - 18:37

Le 1er juin 2017, Donald Trump a dénoncé l’Accord de Paris sur le climat conclu fin 2015 par 195 signataires et ratifié par 147, à commencer par les États -Unis contrairement au protocole de Kyoto non ratifié. Les États-Unis se sont engagés, alors, à réduire de 26 à 28% leur émission de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2025 par rapport à 2005. Ce retrait repose sur l’article 28 de l’Accord de Paris permettant aux signataires d’en sortir et la sortie officielle des Américains se fera à l’horizon 2020. Donald Trump a dénoncé un accord qu’il juge injuste pour son pays, déclarant que « l’heure est venue de quitter l’accord de Paris… J’ai été élu pour représenter les habitants de Pittsburg pas de Paris ».

La dénonciation de l’Accord de Paris sur le climat est une illustration du populisme, du nationalisme étroit et ignorant, de la planète « America first ». Les règles et les accords sont perçus comme des contraintes nuisibles aux intérêts nationaux et non comme des opportunités pour prévenir les conflits, favoriser des jeux coopératifs et inciter à faire les transitions écologiques nécessaires. Ce retrait renvoie à nouveau aux « trumperies », mélange de mensonges, de certitudes énoncées sans preuves, de fausses informations (fake news) et de raisonnement primaire.

Les effets de ce retrait se situent au niveau national des États-Unis et international par la perte du leadership américain dans la diplomatie climatique. Elle isole Washington et peut avoir des effets boule de neige.

Des effets nationaux qui risquent d’être fortement négatifs.

Le choix de Trump conduit à privilégier la vieille économie carbonée aux dépens de la nouvelle et donc d’obérer fortement le futur. Le retrait des Accords de Paris, mondialement condamné, fait l’objet d’un débat violent aux États-Unis et accroît les fractures politiques et territoriales internes. Il exprime, comme sur la plupart des autres sujets, la volonté de rompre avec l’héritage de Barack Obama. Le chef du Sénat, Mitchell McConnell, de même que Paulo Ryan, président de la Chambre des Représentants, ont applaudi cette mesure qui « défend les classes moyennes et les ouvriers du charbon ». Ce retrait est considéré comme positif par un peu plus d’un quart des Américains. On estime que 46% des électeurs de Donald Trump (sondage de mai 2017) étaient favorables à ce retrait et 22% sans opinion. En revanche, les électeurs de Hillary Clinton étaient pour 92% favorables au maintien. De nombreux leaders républicains, à commencer par Mitt Romney, candidat républicain à la Maison blanche en 2012, étaient par contre favorables au maintien. Les démocrates se sont mobilisés mais également les responsables des entreprises innovantes de la nouvelle économie. Le retrait a été condamné notamment par Elan Musk, le patron de Tesla, Llyod Blankfein, le PDG de la banque d’affaires Goldman Sachs, ainsi que par les leaders de la Silicon Valley. Les gouverneurs des États de New-York, de Washington et de Californie ont décidé de maintenir les objectifs de réduction des GES.

Les « trumperies » ont un certain écho auprès de l’électorat républicain car elles annoncent la baisse du coût économique pour les Américains que représenterait cet accord. Les arguments mensongers concernant ces intérêts résultent de rapports biaisés et d’absence de consultations des acteurs concernés. Ils portent sur :

– Les coûts économiques des accords en termes de pertes de 3 milliards de dollars et de 6,6 millions d’emplois industriels. Ces chiffres issus d’une seule source, NERA, très controversée (cf. World Ressources Institute) reposent sur un scénario extrême qui ne prend pas en compte les gains liés aux nouvelles sources d’énergie, aux transitions écologiques ou aux effets liés aux mesures des autres États signataires. Les engagements de 100 milliards par an d’ici 2030 pour favoriser l’adaptation des pays en développement et avoir un effet préventif sur les catastrophes, soit 3 milliards de dollars pour les États-Unis, n’a conduit jusqu’à présent qu’à un déboursement de 1 milliard de dollars. Celui-ci n’a pas, à l’encontre des déclarations de Trump, été prélevé sur les budgets de lutte contre le terrorisme.

– Les contraintes liées aux Accords de Paris : ceux-ci ne sont pas contraignants, n’intègrent pas la question du charbon et n’engagent pas la responsabilité légale des partenaires. Les États sont libres de choisir leur mix énergétique. Or, les spécialistes de l’énergie américaine considèrent que l’avenir ne se trouve pas dans le charbon. La question est celle de la reconversion des travailleurs sinistrés dans d’autres activités. La demande de charbon risque de se réduire dans l’avenir et les emplois liés à une énergie du XIXe siècle risquent de ne pas croître (cf. les propos de Murray, le leader du géant américain). Les emplois liés au charbon transférés à l’étranger renvoient plus à un fantasme qu’à une réalité prouvée.

– Les avantages donnés à la Chine qui va continuer de construire des centrales à charbon. En réalité, la Chine est en train, sous la pression de la population, de changer de modèle énergétique. Elle a annulé la construction de milliers de centrales à charbon et a promis de réduire de 60 à 65% d’ici 2030 la place du charbon dans son activité économique par rapport au taux de 2005, ainsi que d’augmenter la part des énergies non fossiles d’environ 20%. Un boulevard est donné à la Chine pour qu’elle domine les énergies renouvelables à l’échelle mondiale.

– Le faible poids du retrait des États-Unis vis-à-vis des GES et des effets sur le climat. Le non-respect des Accords de Paris par Washington ferait, selon le MIT, croître seulement (!) de 2/10 de degrés la température d’ici 2020. La hausse de 3 milliards tonnes équivalant CO2 d’ici 2030 serait responsable de 0,1 ° à 0,2°, soit un effet minime.  En réalité, les États-Unis sont le deuxième émetteur de GES après la Chine. Leur croissance économique énergivore et carbonée fera croître fortement les GES et ralentira la transition énergétique favorable à un nouveau modèle de croissance.

Des effets internationaux considérables.

Le retrait américain a une portée symbolique et le fait que la première puissance mondiale dénonce un accord signé et ratifié est une première. Cela peut avoir des effets boule de neige vis-à-vis des pays qui avaient été réticents lors de la signature de l’Accord de Paris comme l’Arabie saoudite, le Japon, l’Australie, la Russie (qui n’a pas ratifié l’accord), voire le Canada. Les risques de détricotage sont attendus par les États -Unis.

Le comportement nationaliste de free rider s’opposant aux jeux coopératifs est le signe d’une absence de prise en compte des interdépendances planétaires et des effets de représailles des autres États. La planète est menacée de l’avis de la quasi-totalité des scientifiques (sauf ceux payés par les lobbies, la liste est connue). Comme l’a déclaré Emmanuel Macron en paraphrasant Donald Trump : « Make our planet great again ».  La dette environnementale est intergénérationnelle car elle résulte des pratiques antérieures et se répercutera sur les nouvelles générations.

Cette décision unilatérale fait fi de toutes les prévisions concernant le devenir de la planète et les catastrophes naturelles ou anthropiques possibles. Le réchauffement climatique, lié aux difficultés de répondre aux effets en termes de stress hydrique et de désertification, est un des facteurs premier des tensions et des conflits armés, des réfugiés et des déplacés. Refuser une politique préventive et de précaution, au nom d’intérêts mercantiles, conduit à favoriser le terrorisme et les coûts des conflits. Cette politique peut répondre à des marchés obtenus avec des États qui soutiennent l’intégrisme islamique ; elle peut aussi répondre aux intérêts des lobbies énergétiques et militaro-industriels américains. Elle n’aura pas d’effets sur les baisses de dépenses publiques américaines que Trump fait miroiter aux contribuables.

S’en prendre au multilatéralisme et aux accords internationaux de la part de la première puissance du monde ne peut que renforcer les compétitions commerciales, les mesures de représailles et de rétorsions, ainsi qu’appliquer la loi du plus fort sans règles. La politique unilatérale de protectionnisme ou bilatérale d’accords commerciaux entre États répond certes à une attente des perdants de la mondialisation et exprime des rapports de force qui peuvent à court terme favoriser la puissance dominante ; mais elle est en totale contradiction avec les enseignements de la théorie économique, de l’économie de l’environnement, du contexte de mondialisation et de l’acceptation des règles internationales. Elle repose sur une vision mercantiliste du monde des affaires où « nul ne gagne que l’autre ne perd ». Elle répond certes à des intérêts de territoires ou de catégories victimes de l’innovation destructrice, correspondant à la vieille économie ; mais elle ne prend pas en compte les coûts et avantages au niveau macro-économique, les activités innovantes et les interdépendances existant au niveau transnational.

Les mesures prises par les États-Unis de Trump (grosses cylindrées, oléoducs, etc.) ont pour conséquence de renforcer le modèle énergivore, carboné et générateur d’externalités négatives. Elles contribueront vraisemblablement à accroître les catastrophes naturelles aux États-Unis et donc les coûts pour les sociétés d’assurance, ainsi qu’à donner le leadership technologique aux pays investissant dans les nouvelles énergies, à commencer par la Chine.

Le modèle proposé par Trump fait abstraction de toutes les interrogations du monde scientifique sur la faible durabilité de l’American way of life et sur les limites de l’American first. La politique est un art de compromis. La paix durable suppose que les forts n’humilient pas les faibles (Carl von Clausewitz). Le monde des affaires, mesuré à l’aune du dollar et des milliardaires, n’est pas un modèle de gestion d’un pays dans un monde complexe. Les « trumperies » sont des opportunités pour se ressaisir. Le devenir du monde dépendra des politiques des grandes puissances émergentes et de l’Union européenne en relation avec les pays en développement.

European defence: can Macron apply the touch?

Wed, 07/06/2017 - 14:57

You know that something is afoot when the French start forgetting to be grumpy. Irrespective of one’s politics, it would be stating the obvious to say that Emmanuel Macron pulled off a master tactical coup in beating all the country’s seasoned politicians to the presidential post. In the process he uncommonly remembered to give assurances outside of his domestic audience: he gave Berlin its due and he was not shy to speak with Anglo-Saxon newspapers, thus laying the ground for his current European charm offensive.

Macron is now riding the wave: he introduced himself to the world by swaggering into the NATO-leaders meeting on 25 May last, and endeared himself to it by mischievously tapping into the global anti-Trump backlash on the Paris Climate Accord. In doing so, he has been hitting all the French « feel-good » buttons: standing up to what has been perceived as Donald Trump’s bullying, short-sighted, transactional, zero-sum and interest-driven politics. He now has some tricky parliamentary elections around the corner, but all goes to show that the French have surprised themselves into being proud of their new president, and are prepared to give him a real mandate to reform in June.

Giraffe theory

As a political strategist recently put it, Macron has unveiled his plans for France like the spots of the giraffe, but without the giraffe. He has proceeded in small impressionist touches which have built trust and confidence, and which have laid the ground for further action. But the bigger plan itself is only slowly becoming clear. During the previous presidency François Hollande similarly proceeded in small impressionist touches, but the giraffe itself never appeared. You saw the spots, yet the bigger picture never became clear, and so his mandate ultimately ended in a blur. It appears that Macron did actually have a plan for France. Once the hurdle of the June elections is over the EU will be asking whether Macron, unlike his predecessor Hollande, has a plan for Europe too.

Emmanuel Macron has much of what Europe needs. It does not lack treaties, laws, regulations, institutional expertise and technical know-how – but it lacks youth, hope, energy, belief, trust, solidarity, and a connection to its peoples.

Much of the Union’s internal debates are symptomatic of these ills. It has become clear, for example, that waiting for everybody to agree around the table to make progress on European defence is not working. To break the deadlock, one logical conclusion was to let a core group of member states make progress in the field, unhindered by those who were less keen. But when this very sensible idea was digested by the EU’s machine and came out the other side, it had become indigestible.

The recent discussion on flexible integration in defence, which is what the Lisbon Treaty calls “permanent structured cooperation”, has once more divided EU capitals instead of driving them forward. It got caught in legal turf wars before it was even clear what it was actually for, and has since been beset by bad tempered, small-minded politics and institutional infighting. It needs perspective, vision and good politics. Can Macron deliver this?

A Macron Plan for Europe?

There is a window of opportunity casted wide open by the new American president. It is much easier today to make the case that it is time for Europe to take its fate into its own hands, as the German Chancellor put it in the wake of the NATO meeting in May. After the June parliamentary race and in the run-up to the German elections in September, Emmanuel Macron can set about capitalising on the good will and political credit he has garnered. True, he may soon find out that making concrete progress on common EU defence is the external equivalent of trying to reform the French labour market. The level of inertia and reticence in national defence establishments across Europe is similar to French attachment to the status quo in labour reform.

The new French president’s path is therefore a narrow one. To give himself a fighting chance, he will need to steer clear of the institutional entrenchments, technical discussions and bad politics of EU defence, and inject some good sentiment, trust, and energy. EU defence discussions are often too political, but in a bad way: they divide more than they bring Europeans closer. Macron needs to be hyper-political, but in a good way. He will have to strike a grand political bargain in the autumn with the new German Chancellor, which covers not just security but also economic and social reforms. It might helpfully include some form of division of labour in defence (support vs. first entry, high intensity vs. low or mid intensity) with 3 or 4 big flagship projects.

In the run-up to the 2017 December Council, this Franco-German plan should strive to be as inclusive as possible, and rope in all EU capitals that show good will and wish to move forward in good faith. The European Commission announced this week its bold new plan to support EU defence cooperation. European capitals should take a leaf out of the Commission’s book: they need to be daring, lead the agenda, and then just do it.

La crise diplomatique entre le Qatar et des pays arabes, expression de vieilles rivalités

Wed, 07/06/2017 - 10:12

Lundi 5 juin, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Yémen et l’Égypte ont déclaré rompre leurs liens diplomatiques avec le Qatar, l’accusant de soutenir le terrorisme. L’analyse de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.

L’accusation portée par les Saoudiens et leurs alliés est-elle justifiée ou cache-t-elle d’autres motifs profonds de rivalité avec Doha ? S’agit-il d’une crise diplomatique inédite ?

On croit assister à l’histoire du pompier pyromane car c’est à la fois le Qatar et l’Arabie saoudite – et probablement davantage de la part de cette dernière – qui ont apporté leur aide à des groupes de rebelles et islamistes, voire djihadistes, sur le terrain syrien. Dénoncer unilatéralement le Qatar d’être à la fois complice des Frères musulmans, de Daech et d’Al-Qaïda est pour le moins simplificateur et, si l’on considère que l’accusation est fondée, elle doit être alors aussi appliquée à l’Arabie saoudite elle-même.

Cette accusation est en réalité l’expression d’une rivalité ancienne entre Riyad et Doha. Sur les trois organisations dont l’Arabie saoudite accuse le Qatar d’être le soutien, seule la relation entre Doha et les Frères musulmans est avérée et d’ailleurs clairement assumée. Depuis 2011 et les débuts de l’onde de choc politique qui a traversé le monde arabe, le Qatar a systématiquement tenté d’élargir son influence dans la région en soutenant la mouvance des Frères musulmans. Or, ces derniers développent depuis longtemps une orientation très critique à l’égard de la monarchie saoudienne. Cela signifie que Riyad et Doha s’opposent donc frontalement et développent des politiques radicalement divergentes à l’égard des Frères musulmans. Pour mémoire, en Égypte, Doha a par exemple apporté un actif soutien au président élu Mohamed Morsi jusqu’au coup d’État fomenté à son encontre en 2013 qui fut approuvé par Riyad.

Quant à Daech et Al-Qaïda – dont l’origine de la création n’est pas étrangère à la politique des Saoudiens, probablement bien plus que celle des Qataris -, la complaisance à leur égard est partagée à la fois par l’Arabie saoudite et par le Qatar. Enfin, mettre dans la même catégorie Frères musulmans, Daech et Al-Qaïda ne résiste guère à l’analyse.

On assiste donc à une instrumentalisation par les Saoudiens des raisons invoquées pour justifier la rupture des relations diplomatiques avec le Qatar et, de facto, la mise en œuvre d’une politique de sanctions économiques extrêmement brutale, puisqu’elle prend la forme de ce qui s’apparente à un embargo.

Cette crise est inédite par son ampleur. Le Conseil de coopération du Golfe (CCG, comprenant tous les États arabes du Golfe à l’exception du Yémen), fondé en 1981, a connu des divergences et des différences d’appréciation, notamment concernant la relation avec l’Iran. Pour autant jusqu’alors, ces crises étaient sous contrôle et n’ont jamais atteint l’intensité actuelle. Notons au passage que les États membres du CCG sont dans une situation d’asymétrie à l’égard de l’Arabie saoudite qui, de par sa taille et sa puissance économique, les surplombe. Enfin, n’oublions pas qu’il n’existe pas d’homogénéité politique entre ces États puisqu’Oman et le Koweït ne sont pas d’accord avec l’Arabie saoudite, notamment quant à la politique à l’égard de l’Iran et, pour le coup, du Qatar ; alors que Bahreïn est de facto une sorte de protectorat saoudien…

La première crise sérieuse s’est produite en 2014 lorsque les Saoudiens ont fait pression envers Doha – demandant aux États membres de retirer leurs ambassadeurs du Qatar, ce qui fut le cas durant quelques mois -, déjà à propos de la politique de Doha à l’égard des Frères musulmans et de l’Iran, mais plus généralement pour faire « rentrer Doha dans le rang ». Finalement, le Qatar semblait avoir accepté les injonctions de Riyad et la crise avait été close.

Déjà à l’époque, l’Arabie saoudite ne semblait plus supporter la montée en puissance du Qatar et la prétention de ce dernier à s’imposer sur la scène régionale, voire internationale. Riyad cherchait ainsi à s’affirmer comme le leader incontestable de la région et de la sous-région, obsédé à la fois par les risques de contestation révolutionnaire se développant dans le monde arabe et par la puissance grandissante de l’Iran.

Aujourd’hui, la configuration est différente. Non seulement la rupture est diplomatique mais il y a de plus un jeu de sanctions économiques puisque la frontière terrestre entre l’Arabie saoudite et le Qatar – pourtant vitale pour ce dernier – a notamment été fermée. Les lignes aériennes entre le Qatar et les États arabes qui soutiennent l’Arabie saoudite sont également désormais coupées. La situation est donc préoccupante et il est difficile de savoir comment la crise se dénouera. La tension atteint aujourd’hui un niveau jamais connu par les pays membres du CCG depuis sa création.

Quel impact pour l’émirat qatari cette crise peut-elle avoir sur le plan diplomatique, politique et économique ? A qui profite cette crise ?

Il est encore difficile de mesurer les impacts. Au niveau diplomatique, le Qatar se retrouve relativement isolé. Ceci étant, un certain nombre d’États de la région, parmi lesquels la Turquie – qui considère que ces sanctions ne « sont pas bonnes » selon l’expression utilisée par R. T. Erdogan -, ont exhorté les parties à trouver un terrain de négociation. Aussi, si l’isolement est réel de par l’importance des pays ayant rompu leur relation avec Doha, il ne s’agit ni de la totalité du monde arabe, ni bien sûr de la totalité de la région – loin de là -, qui ont rompu avec Doha.

D’un point de vue niveau économique, le Qatar reste une importante puissance financière de par ses richesses en hydrocarbures et de par l’ampleur de ses investissements à l’étranger. Cependant, les cours du pétrole et du gaz sont à la baisse, ce qui peut causer une difficulté au pays, bien qu’il ait encore de la réserve. La Coupe du monde de football de 2022 nécessitant plus de 200 milliards d’investissements, ces sanctions économiques arrivent au plus mauvais moment car même si le pays est très solvable, il aura besoin de beaucoup de liquidités pour cet évènement.

Au niveau des équilibres politiques intérieurs, il n’y a aucun risque dans le court terme. Le PIB/habitant au Qatar est le plus élevé au monde. La plupart des sujets de l’émir sont largement pourvus en termes de richesse et de couverture sociale donc dans, l’immédiat, ces sanctions ne vont pas susciter un mouvement de contestation. Quant à la partie de la population qatarie immigrée qui est surexploitée et ne dispose d’aucun droit, elle n’est pas en situation de se révolter. La seule difficulté, qu’on ne doit d’ailleurs pas sous-estimer, c’est la faiblesse des stocks alimentaires du Qatar, qui correspondent à environ seulement trois semaines de consommation.

La visite de Donald Trump deux semaines auparavant a-t-elle joué un rôle dans cette crise diplomatique ? Le président états-unien peut-il contribuer à déstabiliser la région ?

Donald Trump a effectivement joué un rôle de déstabilisation indéniable. Toute la politique intelligemment menée par Barack Obama dans la région, consistant à réinsérer l’Iran comme puissance normalisée et potentiellement stabilisatrice, est mise à dure épreuve depuis que Trump est arrivé à la Maison blanche. De façon caricaturale et grossière – mais respectant ses promesses électorales -, le président américain a violemment pris parti contre l’Iran, l’accusant d’être un soutien du terrorisme.

Il a clairement réinstallé l’Arabie saoudite au centre du jeu régional lors de son voyage officiel dans ce pays. Il ne s’agit pas de dire que Trump a demandé aux Saoudiens de rompre avec le Qatar – ce serait manichéen et complotiste – mais il est clair que les Saoudiens se sont sentis confortés par ce soutien actif public de Washington. Cela leur a permis de lancer l’offensive politique actuelle, dont l’arrière fond est évidemment la rivalité avec l’Iran, qui représente le nœud du problème.

Le Qatar ne partage en effet pas les mêmes positions que l’Arabie saoudite à l’égard de la République islamique d’Iran. Tout d’abord parce que le Qatar a des intérêts économiques à ne pas se brouiller avec Téhéran. Notamment, une énorme poche de gaz est exploitée à la fois par les Qataris et par les Iraniens, d’où l’intérêt d’un modus vivendi entre ces deux pays pour une exploitation raisonnable et, si possible, raisonnée. Deuxièmement, les Qataris ont parfaitement conscience de l’asymétrie qui existe avec l’Iran, de par leur différence en termes de superficie, de démographie, de puissance militaire… Les Qataris ont donc eu l’intelligence de comprendre qu’il valait mieux négocier et considérer l’Iran comme partenaire plutôt que comme ennemi.

La décision des Saoudiens, encouragée par la posture binaire de Donald Trump, est donc négative et radicalement contre-productive mais elle doit aussi se comprendre par le fait que Riyad est aussi dans une situation problématique. Son intervention militaire au Yémen est un échec absolu et l’économie du pays est en proie à un relatif affaiblissement. Si l’Arabie saoudite veut affirmer son leadership sur la région pour parer à tout mouvement révolutionnaire et contrer l’Iran, elle n’est en réalité pas capable de le faire et se croit obligée de prendre ce type de sanctions à l’encontre des États qui affirment des divergences.

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