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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 8 hours ago

La réélection de Rohani « change le rapport de forces en sa faveur »

Mon, 22/05/2017 - 09:53

Quelles sont les attentes des électeurs qui ont choisi de réélire Hassan Rohani ?

Les attentes sont énormes. Il y a actuellement beaucoup de problèmes économiques et sociaux dans le pays et notamment la question du chômage chez les jeunes entre 15 et 24 ans (le taux de chômage des jeunes sur cette tranche d’âge s’élevait à 27,8 % au printemps 2016). Cela peut expliquer en partie le score obtenu. Il symbolise également le souhait de la population envers M. Rohani de continuer sa politique d’ouverture vers l’Occident avec une démarche plus conciliante et plus diplomatique à son égard. Entre autres, l’accord sur le nucléaire a contribué à améliorer la situation du pays. Le peuple place aussi beaucoup d’espoirs dans la défense des droits de l’homme, des libertés individuelles et de l’ouverture culturelle.

Dans quelle mesure pourra-t-il gouverner librement sous la coupe du guide suprême ?

Cette élection va laisser des traces puisqu’elle change le rapport de forces en faveur de Hassan Rohani. Il a été très offensif à l’égard du guide suprême durant la campagne, ce qui a même surpris ses propres partisans. Les Iraniens croient fortement au pouvoir du vote et Rohani sait qu’il ne pourra pas décevoir. Il a placé la barre très haut pendant la campagne et si rien ne change, cela pourrait même remettre en question la stabilité de l’Iran. Or la situation est compliquée. Le guide suprême a toujours beaucoup de pouvoir et garde la mainmise sur le judiciaire et le militaire. Les radicaux ont cependant conscience de l’état de la société et savent qu’il faut lâcher du lest, sinon ils risquent d’engendrer de la colère chez les jeunes. Rohani va donc devoir jouer de ce rapport de force, tout en étant obligé de composer et négocier pour gouverner afin de montrer sa capacité à réformer.

Quelles sont les leçons politiques à tirer du résultat du scrutin pour le camp conservateur ?

C’est une défaite cuisante pour les radicaux, qui s’ajoute à celle des législatives de 2016. Il n’est pas possible de nier l’importance du résultat du scrutin. Malgré la mobilisation du guide suprême ou encore de la chaîne de télévision nationale en faveur d’un populisme total, cela n’a séduit que les populations rurales et les moins éduquées. Ce vote montre notamment les traces qu’a laissées Mahmoud Ahmadinejad derrière lui. Les conservateurs sont automatiquement associés à lui. La population se méfie particulièrement de leur programme en matière de libertés individuelles. Mais les radicaux n’ont pas l’intention de capituler. Il faut donc rester prudent, car en dépit de leur défaite, ils contrôlent toujours plusieurs pans du pouvoir iranien.

Paris 2024 : À nous la victoire ?

Fri, 19/05/2017 - 16:15

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Le chef de l’État intérimaire, Michel Temer, accusé de corruption : où va le Brésil ?

Fri, 19/05/2017 - 15:56

Suite à la révélation de corruption accusant le président brésilien Michel Temer, oppositions, grande presse et bourse réclament sa démission. L’analyse de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.

Ce scandale pourrait-il mener à la destitution ou à la démission du président Michel Temer ? Quelle serait alors l’alternative politique envisageable ?

Les faits reprochés au président pourraient effectivement le conduire à démissionner. À la suite de révélations similaires, le sénateur et président du Parti social-démocrate brésilien (PSDB) – candidat malheureux aux présidentielles de 2014 -, Aecio Neves, vient de se voir retirer son mandat de sénateur. Il a en conséquence démissionné et remis à disposition du PSDB sa charge de président du parti. Sa principale collaboratrice – qui se trouve être sa sœur – est actuellement en prison. Ainsi, pour le même type d’accusation, ce sénateur a été contraint de s’écarter du jeu politique.

Le cas du président Michel Temer est certes différent. En tant que président de la République, il bénéficie d’un statut judiciaire particulier – comme dans d’autres pays. Cela étant, compte-tenu de l’ampleur du scandale, combien de temps va-t-il pouvoir résister ? Déjà une demi-douzaine de demandes de destitution ont été présentées à la justice brésilienne par des parlementaires. Beaucoup d’élus considèrent que la meilleure solution serait que le président présente volontairement sa démission. Néanmoins, si effectivement sous la pression des élus, de la presse – en particulier du groupe Globo, dont le rôle avait déjà été très important en 2016 pour la destitution de Dilma Rousseff – de la bourse et de la rue, Michel Temer démissionnait, une grande inconnue demeurerait : dans quelles conditions le Brésil pourrait-il être dirigé jusqu’aux prochaines élections d’octobre 2018 ? La Constitution prévoit l’organisation d’élections pour suppléer la vacance au sommet de l’État survenue durant les deux premières années d’un mandat présidentiel. Ce délai étant dépassé, c’est au vice-président d’assurer la fin du mandat. Le pays est déjà dans ce cas de figure puisque l’an dernier, la présidente Dilma Rousseff, élue en 2014, a été écartée du pouvoir par un coup d’État parlementaire dont les motivations strictement politiques n’ont rien à voir avec des scandales de corruption – contrairement à ce que disent souvent les médias français. La Constitution ne prévoit pour une nouvelle relève en fin de mandat présidentiel qu’une seule option : l’élection de l’éventuel successeur du chef de l’État, ou du vice-président intérimaire, par un candidat élu par les parlementaires. Or, quand on connaît l’état politique et éthique du Parlement élu en 2014, il est difficile de penser que cette solution serait acceptée comme satisfaisante par les Brésiliens.

La destitution constitutionnelle, au cas où le président refuserait de démissionner, suppose la mise en œuvre d’une procédure initiée par les élus. Dilma Rousseff avait été instruite par une commission d’enquête créée avec l’aval et les encouragements du président du Congrès de l’époque, Eduardo Cunha, actuellement emprisonné pour corruption. Celui-ci, avec une majorité d’élus eux-mêmes accusés de corruption, avaient écarté la présidente en détournant les dispositifs requis par la Constitution. Cette dernière ne prévoit une relève présidentielle que dans le cas où une violation grave de la Constitution et de la morale publique était constatée. Ce cas de figure pourrait être appliqué avec pertinence pour destituer Michel Temer. Mais cette voie apparait peu crédible compte tenu du sinistre moral, politique et économique ambiant, de même que du discrédit du Parlement et des élus.

En quoi la corruption représente-t-elle un sujet particulièrement sensible au Brésil ?

La corruption est un thème de débat sociétal et politique dans tous les pays se trouvant dans une situation socio-économique compliquée, ce qui est le cas du Brésil. Depuis le rétablissement de la démocratie dans le pays, le fonctionnement du système politique et des règles électorales pose des problèmes récurrents, politiques comme éthiques. Dans ce pays fédéral, le système électoral éclate la représentation partisane. Ainsi, depuis le rétablissement de la démocratie, tous les gouvernements ont été à majorité composite avec des têtes de file venant la plupart du temps du PSDB ou PT (les deux grands partis). Cependant, ces partis ont toujours été très minoritaires au Parlement et ont donc dû négocier avec cinq à dix autres formations, plus ou moins importantes. Bien souvent, des compensations sont exigées par ces alliés de circonstance, ce qui ouvre la voie à toute sorte d’abus et de fait, de corruption.

La réforme politique et électorale est un serpent de mer de la vie politique brésilienne. Tout le monde sait qu’il faudrait assainir la vie politique en modifiant le mode d’élection pour simplifier le fonctionnement de la vie partisane, ainsi que procéder à de profondes réformes institutionnelles. Néanmoins, aucun président n’a eu soit le courage d’affronter les petits partis du Congrès, soit n’a eu la capacité de pouvoir le faire. La crise de l’an dernier a été démonstrative de ces dysfonctionnements. Les députés politiques opposés au programme économique de Dilma Rousseff ont voté sa destitution, alors qu’ils étaient en théorie membres de sa majorité. Ils ont basculé de la majorité vers l’opposition du jour au lendemain, du fait de leur manque de « consistance » idéologique et morale. Dilma Rousseff a fait l’objet d’une manipulation parlementaire et politique visant à l’écarter du pouvoir pour changer de politique économique et sociale. Parallèlement, des collaborateurs des présidents Lula et Rousseff ont été mis en examen et condamnés pour des faits de corruption, relevant du mode de fonctionnement institutionnel brésilien, signalé supra.  L’ex-président Lula a fait l’objet de poursuites nombreuses, qui n’ont pas abouti mais qui se sont accentuées depuis l’an dernier.

Mais l’affaire actuelle, qui vise Michel Temer, l’ex-sénateur Aecio Neves, ainsi que leurs amis politiques du PMDB et du PSDB, a révélé qu’une fois lancée, la justice ne peut pas s’arrêter aux affaires concernant le seul PT : tout le système étant gangrené, de fil en aiguille tous les partis politiques sont aujourd’hui sur la sellette. On assiste, comme en Italie avec l’opération « Mani pulite », à l’explosion du système politique brésilien, ce qui pose trois sortes de problèmes. Le premier concerne la gouvernabilité du pays. Le deuxième a trait au devenir de la démocratie brésilienne. Le troisième concerne les conséquences sur le contexte économique déjà difficile dans lequel est plongé le pays depuis plusieurs années.

Un an après sa prise de fonction controversée, quel est le bilan global de la présidence Temer ? La multiplication des manifestations illustre-t-elle une crise politique et socio-économique d’une ampleur sans précédent dans le pays ?

Le président Temer est arrivé au pouvoir au terme d’un coup d’État parlementaire, alimenté par un certain nombre d’élus proches des milieux d’affaires et des medias dominants. Ceux-ci considéraient la politique suivie par Dilma Rousseff et le PT comme trop favorable aux catégories populaires, empêchant la mise en œuvre d’une autre politique économique, nécessaire au rétablissement « des grands équilibres ». Selon eux, le Brésil se devait de pratiquer une politique d’austérité, coupant dans les budgets sociaux et d’investissements et réorientée vers les États-Unis et l’Europe.

Conformément à cette orientation, Michel Temer a pris des mesures d’austérité. La plus spectaculaire a consisté à geler le budget de l’État fédéral pendant vingt ans au niveau de celui de 2016. Cela a provoqué des troubles et des revendications sociales, ainsi qu’un regain de popularité pour l’ex-président Lula. Ces mesures n’ont par ailleurs pas redressé la situation de l’économie. La croissance n’est toujours pas au rendez-vous, tandis que le chômage réel s’élève aujourd’hui à 24% de la population active, soit deux points de plus qu’en 2016. La crise que vivait le Brésil à l’époque de Dilma Rousseff, loin de s’atténuer, s’est donc approfondie. C’est peut-être l’une des clefs des révélations faites par le journal brésilien O Globo, qui avait aussi été à la manœuvre pour la destitution de Rousseff et que l’on retrouve en première ligne aujourd’hui. Les milieux d’affaires sont insatisfaits. Michel Temer n’a non seulement pas su redresser la situation économique mais il n’a pas réussi non plus à arrêter les processus judiciaires en cours, qui déstabilisent la plupart des grandes entreprises brésiliennes ayant donné de l’argent aux partis politiques. Le délateur à l’origine des déboires de Michel Temer n’est rien moins que Joesey Batista, le patron du numéro 1 mondial de la viande froide, JBS.

Peut-on concilier valeurs et diplomatie ?

Fri, 19/05/2017 - 10:41

Jean de Gliniasty est ancien diplomate, directeur de recherche à l’IRIS. Il répond à nos questions à propos de son ouvrage « La Diplomatie au péril des ‘valeurs’ : pourquoi nous avons eu tout faux avec Trump, Poutine et d’autres… », paru aux éditions L’Inventaire :
– En quoi la notion de « valeur » est-elle opposée à celle de « diplomatie » ?
– Comment expliquer qu’au nom d’intérêts commerciaux, des États puissent mettre de côté leur attachement à des valeurs ?
– Pourquoi malgré l’échec des États-Unis en Irak, la France tente toujours d’exporter des valeurs universelles à l’étranger ?
– En quoi la France a-t-elle « eu tout faux » avec Donald Trump et Vladimir Poutine ?

De Hollande à Macron, quelle politique pour la France en Asie ?

Thu, 18/05/2017 - 15:11

L’arrivée aux commandes du président de la République Emmanuel Macron, et de son Premier ministre Édouard Philippe correspond aussi à celle d’une nouvelle génération de dirigeants français face à l’Asie. Le rôle du nouveau ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, qui s’est rendu régulièrement en Asie pendant son quinquennat au ministère de la Défense, sera bien entendu essentiel.

Édouard Philippe a une pratique concrète – au niveau local – de la Chine. En tant que maire du Havre, ville portuaire tournée vers l’Atlantique mais aussi, par extension, les autres océans, le nouveau chef du gouvernement a pu développer des relations de haut niveau avec la Chine. Le Havre a ainsi accueilli à cinq reprises la convention d’affaires China-Europa, devenue entre 2006 et 2014 l’un des rendez-vous prisés des entreprises chinoises en Europe. Le maire du Havre s’est de son côté rendu à plusieurs reprises en Chine, notamment pour rencontrer le Premier ministre Li Keqiang en novembre 2013 à l’occasion d’une réunion Chine-UE sur les questions urbaines, et pour co-présider l’édition chinoise de la convention China-Europe dans la ville de Shenyang en septembre 2014.

Le « couple exécutif » Macron-Philippe prend la suite de François Hollande dont on se souvient en 2012 qu’il avait – grâce à son conseiller diplomatique d’alors, le sinologue Paul Jean-Ortiz – finement orchestré sa politique asiatique. Nommé sherpa pour les questions internationales alors qu’il avait effectué presque toute sa carrière en Asie, « PJO » avait pour acolyte à l’Élysée un certain Emmanuel Macron, secrétaire général adjoint de la Présidence de la République en charge des questions économiques.
Parmi les réussites de Paul Jean-Ortiz, décédé en juillet 2014, la France était parvenue à établir des relations de confiance avec la plupart des pays asiatiques, et pas seulement la Chine (qui eut maille à partir avec Nicolas Sarkozy) et le Japon. Dès 2012, l’Asie du Sud-Est devient un objectif-clé pour l’Élysée. Sous le mandat de François Hollande, de nombreux pays d’Asie-Pacifique ont reçu une visite présidentielle : de l’Inde au Japon, en passant par la Corée du Sud, la Malaisie, les Philippines, le Laos, Singapour, la Chine, le Vietnam, l’Indonésie et l’Australie ; ce qui s’ajoute aux nombreuses visites du Premier ministre ou de ministres entre 2012 et 2017.

Le poids de la défense

L’industrie de la défense française entretient depuis longtemps des liens étroits avec la région. La Malaisie, l’Indonésie et Singapour sont notamment des clients de longue date de Thalès et DCNS. En 2016, l’Australie a passé une commande de 40 milliards de dollars pour des sous-marins construits par DCNS. Quant à l’Inde, elle a passé commande de 36 avions Rafale à Dassault Aviation pour 8,8 milliards de dollars, également l’an dernier.

Dans ce contexte, la nomination au Quai d’Orsay du très respecté ministre sortant de la Défense Jean-Yves Le Drian, longtemps maire de Lorient, autre ville portuaire connue pour son industrie militaire navale, est déjà remarquée en Asie. Car le patron de la région Bretagne est un ministre de la Défense intéressé par l’Asie : en juin 2016, lors du Shangri-La Dialogue à Singapour (réunion annuelle des spécialistes de défense en Asie), il avait surpris les participants en proposant la mise en place de patrouilles navales de l’Union européenne en mer de Chine. Les accords de défense avec l’Asie du Sud-Est ou avec l’Inde, c’est sous son mandat qu’ils ont été renforcés.

Au moment où Pékin multiplie les initiatives en Asie du Sud-Est, le discours de 2016 de l’ex-ministre de la Défense avait été compris comme une volonté française de peser sur le débat stratégique dans la région. La France, comme la plupart des Européens, s’était félicitée du jugement du Tribunal arbitral international de La Haye le 12 juillet 2016 concernant la mer de Chine du Sud – une décision qui dénonçait le renforcement de la présence chinoise sur plusieurs des îles contestées. « Si nous voulons réduire les risques de conflit, il convient de défendre le droit de la mer », ajoutait le ministre.

Stratégiquement, la marine française dispose d’une présence non négligeable dans le Pacifique : en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie et sur Wallis et Futuna (sans oublier l’Océan Indien). Détentrice du deuxième domaine maritime mondial, la France travaille également en étroite coopération avec les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande – autres puissances maritimes régionales – à travers le groupe de coordination quadripartite sur la sécurité maritime dans le Pacifique. La France est aussi l’un des soutiens de la politique de l’Union européenne en mer de Chine, portée par la Haute représentante Federica Mogherini. On peut compter sur la nouvelle ministre de la Défense Sylvie Goulard pour mettre en exergue la coopération européenne dans ce secteur-clé.

L’autre grand sujet asiatique qui attend le nouveau gouvernement français concerne la montée en puissance économique de la Chine. A l’image du sommet dit des « Nouvelles routes de la soie » (Belt and Road Initiative) qui vient de se tenir à Pékin en présence d’une trentaine de chefs d’État ou de gouvernement – mais pas la France, élections obligent -, la Chine ne cesse de pousser ses pions sur le plan économique en direction de l’Europe. C’est ainsi qu’en 2016, les investissements directs chinois ont atteint 35 milliards de dollars, soit une hausse de 77 % par rapport à l’année précédente. Plusieurs pays européens, dont la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Pologne et l’Italie avaient rejoint en tant que membres fondateurs la Banque Asiatique pour les Investissements dans les Infrastructures, lancée par Pékin en 2015. Des projets tels que la construction d’une ligne de train à grande vitesse Belgrade-Budapest confiée à un groupe chinois, ou la gestion du port du Pirée (Athènes) assurée par un autre groupe chinois, ne peuvent laisser indifférents.

Du coup, les propositions présidentielles d’Emmanuel Macron de renforcer la cohésion européenne face à la Chine, puissance commerciale et investisseur global, semblent raisonnables. Le nouveau président a perçu la Chine comme acteur économique majeur lors de son passage ministériel à Bercy entre 2014 et 2016, et a vécu de près la visite d’État du président chinois Xi Jinping (à l’occasion du cinquantième anniversaire des relations diplomatiques) en avril 2014. Le programme de Macron mentionnait explicitement la nécessité de collaborer avec Pékin (et avec New Delhi) sur les questions climatiques, dans le prolongement de l’accord de la COP21 à Paris. Concernant les investissements chinois, le nouveau président fait la part des choses : on ne peut pas demander que les Chinois nous achètent des Airbus et refuser qu’ils investissent dans l’aéroport de Toulouse, avait-il déclaré. L’ancien ministre de l’Économie a également visité l’Inde, le Japon et la Corée du Sud, autant de pays ayant tissé des relations étroites avec la France pendant la présidence Hollande.

On est loin des propositions protectionnistes de l’ex-candidate à la présidentielle Marine Le Pen, qui avait dénoncé lors d’une séance au Parlement européen « le quasi-libre échange avec la Chine provoquant la destruction des millions d’emplois européens et français, et leur remplacement par des employés chinois ». Cinq mois après le discours de Xi Jinping à Davos, dans lequel il se faisait le chantre de la mondialisation, la question chinoise ne risque pas de disparaître du débat politique. Dans le cadre de la campagne pour les élections législatives des 11 et 18 juin, il y a fort à parier que le débat sur la place réservée à l’Asie soit au minimum abordé par les candidats à la députation, ainsi que par les principaux ministres chargés des relations internationales, Jean-Yves Le Drian (Europe et Affaires étrangères) et Bruno Le Maire (Économie).

Donald Trump destitué : un scénario envisageable ?

Thu, 18/05/2017 - 14:49

Le président états-unien accumule les scandales politiques, au point que certains évoquent la possibilité d’un impeachment. Le point de vue de Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’IRIS.

Comment interpréter les agissements, décriés, de Donald Trump envers la justice états-unienne ?

Le limogeage brutal, le 9 mai dernier, du directeur du FBI James Comey, puis les justifications discordantes des différents porte-parole du président – que celui-ci a même contredits en renchérissant sur son compte Twitter -, montrent que rien ne va plus à Washington.

Cette semaine, le New York Times a dévoilé que Donald Trump avait demandé à Comey d’arrêter d’enquêter sur Michael Flynn, son éphémère conseiller à la sécurité nationale. Celui-ci avait été remercié en février dernier car il est soupçonné d’avoir laissé entendre aux Russes, avant même sa prise de fonction à la Maison blanche, que Trump annulerait les sanctions contre Moscou sur la question ukrainienne, ce qui est illégal. Le président aurait notamment formulé cette demande à Comey – cela a son importance – après l’éviction de Flynn.

La veille de cet article du New York Times, le Washington Post a révélé que Trump avait déclassifié des informations secrètes sur les modus operandi de Daech (en particulier sur la manière de commettre des attentats dans les avions). Selon le journal, le président aurait communiqué ces renseignements lors d’une réunion dans le bureau ovale au ministre russe des Affaires étrangère et à l’ambassadeur russe aux États-Unis. Une « course à l’enquête russe » s’est engagée entre les deux grands quotidiens nationaux, que Trump critique sans cesse et qui n’ont donc pas de raison de lui faire de cadeau. C’est pour cela aussi que la comparaison avec le Watergate est souvent évoquée, car ce sont deux journalistes du Washington Post qui ont fait tomber Richard Nixon. Trump risque de payer le prix de son goût du conflit et du clivage, oubliant que la grande presse nationale est un contre-pouvoir redoutable, surtout quand elle est attaquée comme c’est le cas depuis la dernière campagne présidentielle.

Comey a rédigé des notes après ses échanges avec le président relatant la teneur de leurs conversations. C’est donc, pour l’heure, sa parole contre celle de Trump. Mais ce dernier a une image de menteur et de manipulateur qui lui colle à la peau ; sa crédibilité est donc plus qu’entachée.

Le Congrès s’intéresse de près à cette affaire. Jason Chaffetz, président républicain de la commission de surveillance du travail gouvernemental à la Chambre des représentants, a envoyé une lettre le 16 mai au directeur par intérim du FBI pour lui demander de lui faire parvenir « tous les mémos, notes, résumés et enregistrements relatifs à une quelconque communication entre Comey et le président ». De plus, un procureur spécial vient d’être nommé par le département de la Justice pour mener une enquête sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle et sur un éventuel lien avec l’entourage de Trump. Il s’agit d’un ancien directeur du FBI, Robert Mueller, qui a servi sous G. W. Bush et Obama et qui est très respecté de part et d’autre de l’échiquier politique.

La suite dira si Trump a commis une faute juridique mais il est évident qu’il a commis en tout cas une, et même plusieurs, fautes politiques. Le président agit comme s’il craignait quelque chose et comme s’il paniquait qu’on le découvre.

Diplomatiquement, quelles peuvent être les conséquences de la supposée révélation par de Donald Trump d’informations confidentielles à la Russie ? Est-il alors réellement envisageable qu’il soit destitué alors que le Congrès est majoritairement républicain ?

En soi, la déclassification d’informations secrètes par le président n’est pas illégale mais elle le décrédibilise auprès des alliés, notamment d’Israël d’où semblent venir ces informations. La presse israélienne a laissé entendre que le projet de voyage officiel de Trump en Israël pourrait être repoussé, bien que cela ne semble pas être le cas pour l’instant. Le président états-unien s’isole sans doute un peu plus chaque jour sur la scène internationale ; ses alliés peuvent alors être tentés de le court-circuiter et de privilégier les réseaux diplomatiques et des services secrets pour partager des informations confidentielles.

Mitch McConnell, le leader de la majorité républicaine au Sénat, demande à ses troupes de se concentrer sur l’agenda au Congrès mais les élus démocrates sont vent debout. Quelques élus républicains – seront-ils plus nombreux dans les prochains jours ? – font notamment la comparaison avec le Watergate, à l’image de John McCain.

Cependant, la procédure de destitution n’est pas près d’être engagée et encore moins d’aboutir. La mise en accusation doit être votée par la Chambre des représentants à la majorité simple, puis un procès du président serait engagé devant le Sénat, sous la présidence de la Cour suprême. Une majorité des deux tiers est alors nécessaire pour mettre en cause la responsabilité pénale individuelle du président et le destituer. La forte majorité dont Trump dispose à la Chambre des représentants et celle, plus modeste, au Sénat le protègent actuellement d’une destitution. Il est utile de rappeler qu’en 1974, Nixon n’avait la majorité ni au Sénat, ni à la Chambre des Représentants et que la procédure d’impeachment n’est pas allée jusqu’au bout mais l’a poussé à la démission.

Dans l’histoire des États-Unis, une telle procédure n’a, pour l’heure, jamais abouti. Mais le seul fait qu’on évoque cette éventualité quatre mois après son arrivé à la Maison Blanche montre combien Trump est fragile et peu légitime, ce qui l’irrite d’autant plus : il ne supporte pas d’avoir été mal élu – il a obtenu trois millions de voix de moins qu’Hillary Clinton. C’est un cercle vicieux, potentiellement dévastateur parce que Trump multiplie les coups de force, voire les « crises d’autoritarisme » pour montrer qu’il est le chef ; en oubliant qu’il est en démocratie et qu’il y a des règles.

Certains observateurs invoquent aussi le 25e amendement de la Constitution américaine, qui permet entre autres de démettre le président de ses fonctions s’il est jugé inapte par son cabinet ou le Congrès. On n’en est pas là non plus mais il est évident que chez ses adversaires, et même dans son propre camp, toutes les options sont actuellement étudiées pour se débarrasser de lui.

Face à ces nombreux scandales, le bilan global de la présidence Trump depuis son investiture n’est-il donc que négatif ?

Décidément, l’ombre de la Russie plane sur cette présidence Trump… D’autant que Vladimir Poutine prend aujourd’hui encore sa défense ! Trump, qui ne cesse de dire qu’il existe un complot contre lui, ne fait qu’alimenter un peu plus la thèse – bien plus tangible celle-ci – d’une corruption de son entourage, et peut-être de lui-même, avec les autorités russes dont le rôle dans sa victoire en novembre dernier n’est sans doute pas nul.

Concernant son bilan, il a échoué sur plusieurs de ses promesses (immigration) ; est très fragile sur d’autres (réforme de la santé, vote du budget fédéral au Congrès) ; en a enterré certaines (sanctions contre l’Iran, politique commerciale et monétaire agressive contre la Chine) ; et a fait volte-face sur de nombreux sujets de politique étrangère (OTAN, relations avec l’Union européenne, etc.). Néanmoins sur d’autres thèmes de l’agenda, comme la lutte contre les droits des femmes et le retour en arrière sur la protection de l’environnement, il a donné des gages aux ultra-conservateurs. C’est aussi pour cela qu’ils le soutiennent encore. Mais pour combien de temps ?

« La diplomatie au péril des valeurs » – 3 questions à Jean de Gliniasty

Thu, 18/05/2017 - 10:50
Jean de Gliniasty est directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des questions russes. Ancien ambassadeur de France au Sénégal, au Brésil et en Russie, il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage : « La diplomatie au péril des valeurs :  pourquoi nous avons eu tout faux avec Trump, Poutine et d’autres », aux éditions lInventaire. En quoi l’invocation des valeurs est-elle incompatible avec la défense de nos intérêts géopolitiques ?

Nos valeurs constituent le socle de la société française et une base, à peu près partagée par tous en Europe Occidentale, sur laquelle s’édifie l’Union européenne. Mais cet héritage commun, condition de la construction européenne (les principes de Copenhague), ne permet pas pour autant une action efficace pour la paix et la stabilité dans le monde et plus particulièrement dans notre voisinage. Au contraire l’invocation permanente de nos valeurs dans notre action extérieure est perçue comme une immense hypocrisie camouflant des intérêts de puissance et nous conduit souvent à des erreurs d’analyse, sources d’affaiblissement de notre politique étrangère et de nouveaux troubles dans notre environnement géopolitique (Libye, Syrie, Ukraine…). C’est une véritable idéologie des relations internationales que l’on a appelée « néo-conservatisme » aux États-Unis et qui s’oppose à une vision raisonnée des rapports de force internationaux, des buts que nous devons poursuivre et des moyens pour y parvenir. Le droit d’ingérence, devenu la responsabilité de protéger, est une invention française qui a souvent été perçue, dans le monde arabe notamment, comme un nouvel esprit de croisade dès lors qu’il court-circuitait les processus intergouvernementaux, à l’ONU ou ailleurs, communément admis comme le seul moyen légal de régler les problèmes internationaux. La méfiance qu’il suscite affaiblit le message et risque de discréditer notre politique extérieure car nous sommes souvent obligés d’agir selon l’adage « deux poids, deux mesures » et d’épargner les puissants.

Cette invocation des valeurs peut-elle être le masque d’une politique de puissance ?

C’était sans doute le cas des États-Unis sous Georges W. Bush en Irak, qui voulait remodeler le Moyen-Orient au profit de son pays. Cela a été aussi le cas pour la France sous Napoléon où l’idéologie révolutionnaire coïncidait presque totalement avec les intérêts de puissance de la France. À l’heure actuelle, c’est plus ambigu. L’idéologie de l’interventionnisme au nom des droits de l’homme et de la démocratie, exacerbée par l’immédiateté de l’information et par les réactions émotionnelles de l’opinion publique, peut inspirer des actions irréfléchies. C’est aussi que la notion d’intérêt national a perdu de sa clarté : doit-on raisonner en Occidentaux, en Européens, en Français ? Dans l’incertitude, les « valeurs » font office de boussole : la politique qu’elles induisent est défendable devant l’opinion et suscite le consensus auprès de nos alliés. Donc, paradoxalement, l’invocation des « valeurs » peut aussi camoufler une démission, une renonciation par le gouvernement à son autonomie d’analyse et d’action.

Vous mettez en lumière un danger potentiel de la réintégration dans l’OTAN qui passe inaperçu, « distraire les meilleurs cadres de notre armée d’un théâtre majeur pour la France : l’Afrique ». Pouvez-vous développer ?

L’Afrique est un des derniers théâtres où les intérêts spécifiques de la France sont évidents et où notre pays a encore les « moyens de sa politique ». La stabilité et le développement de ce continent sont des facteurs importants pour l’avenir de notre pays (terrorisme, francophonie, migrations, relations commerciales…). Nos meilleurs soldats y ont été formés sur le terrain dans la connaissance des réalités locales et souvent dans l’expérience du combat. Traditionnellement, ils constituaient les hauts cadres de l’armée française et le « cursus » africain se retrouvait dans les parcours de nos chefs d’État-Major et de la plupart des titulaires de grands commandements. Il est à craindre que l’immense machine bureaucratique de l’OTAN ne suscite une nouvelle génération de cadres, imprégnés d’une pensée militaire formatée, auréolés d’une prétendue technicité et d’une expérience multilatérale assez standardisée et promis aux carrières les plus brillantes. Cette situation que connaissent la plupart de nos alliés risque de se produire en France. Elle marquerait une étape supplémentaire dans l’uniformisation de notre armée et, contrairement à ce que pensent ceux qui se réjouissent de cette évolution, un obstacle à la construction d’une défense européenne autonome.

France and Germany Remain in a Stalemate on the Euro

Tue, 16/05/2017 - 16:53

Despite the general relief over the far right’s defeat in France, the idea that this electoral outcome marks the ebb of the global populist tide is somewhat illusory. When it comes to its economic implications for Europe in particular, the notion of a long-term normalization seems to rely on the assumption that populism amounts to little more than a bout of political fever – which is expected to dissipate as a result of structural reforms and a federal inflexion of European politics. The likely persistence of populism in the coming years will require a more accurate understanding of Europe’s imbalances and the ills of national economies, especially on the technological front.

French officials tend to insist on the symbolic nature of economic reform and the need to send the right signals to Brussels and Berlin. The main paradox of this administrative line of thought consists in understating the root causes of the French economic malaise, and the actual change needed to tackle mass unemployment and spur technological catch-up. Its proponents expect economic salvation to come from an institutional turning point at the European level and the embrace of a common official doctrine, perhaps more than from an actual rebalancing in terms of competitiveness.

It is often said in Paris that German Chancellor Angela Merkel has a secret plan for a leap towards federalism and a “union of transfers” in the Euro zone, which would eventually loosen the grip on the French economy. “After effort comes comfort,” as the French saying goes. That plan would allegedly be activated once Paris has done its “homework” and restored its credibility, by means of fiscal consolidation and labour market reforms. Although these beliefs could appear to be substantiated by some inner knowledge of German politics, they rather illustrate a trend of misunderstanding among national elites in Europe.

The notion of potentially unlimited transfers is taboo to a vast majority of Germans, across the political spectrum. The establishment of a small and symbolic common budget for the Euro zone, or an investment mechanism, might be considered acceptable, under strict conditions. Meanwhile, an administrative construct allowing for massive transfers would not only be controversial, it would be rejected as unconstitutional.

Economic debates obviously take place in Germany too, and there would be no point in ignoring the gap that separates various schools of thought. Yet, the reality of these debates does not quite fit with what French administrative circles identify as being Germany’s vision for an integrated Europe. Very few people in Germany advocate the kind of federal construct that is nevertheless presented, in Paris, as being Berlin’s plan for a brilliant future when everyone has done its fiscal homework. Even though Emmanuel Macron’s campaign was judged very positively by the Great Coalition in Berlin, the news of his election was also accompanied with sharp comments on the risk that Germany might have to pay the bill for new institutional initiatives.[1]

Even Martin Schulz, the social-democratic chancellor candidate, when he discussed the issue of debt pooling during his time as President of the European Parliament made it clear that these talks merely took place for the sake of intellectual speculation. Even though he clearly opposes such plans, his timid conceptual foray into the subject of debt pooling is nonetheless being used by his opponents as an argument to discredit his current electoral bid.

Despite some clear red lines, a growing number of German economists – although still a minority – lament their country’s unbalanced economic model, of which the trade surplus is the most striking illustration. Germany’s current account surplus neared 9 percent of GDP in 2016 (or almost $300bn, more than that of China, whose economy is three times as large.) Some of these economists subsequently advocate more domestic investments and wage hikes. Their efforts, in a tense intellectual environment, should undoubtedly be hailed as courageous. It is of equal importance, however, for their European counterparts not to indulge in wishful thinking over institutional constructs that will never materialize.

“Sending positive signals to Berlin,” as French officials often put it, will not suffice either to restore competitiveness or to convince Germany to embark on a system of unlimited transfers that would make up for unlimited economic imbalances. Despite winning by a large margin, Emmanuel Macron will have to tread a fine line in a context of severe political tensions. Marine Le Pen has undoubtedly proved incompetent and unable to break with her party’s long history of extremism. After defeating such a controversial and antagonizing adversary, Macron has not yet received a strong mandate to carry out radical reforms.

The politics of “positive signals” would carry the risk of producing yet another series of crablike steps with no overall strategy — a pattern that has dominated French politics for the past four decades. There is an obvious need for reforms that would help to stimulate France’s fossilized business scene and, at the same time, of a genuine economic stabilization at the European level. Illusions over the “Franco-German couple” (as the French emphatically call what is commonly known in Germany as “German-French relations” or “cooperation”) might further delay adjustments that are urgently needed, especially on the industrial front.

French manufacturing has remained stuck in midrange production over the past couple of decades. The loss of competitiveness induced by the euro’s introduction and Germany’s strategy known as “Agenda 2010” has been magnified by the French industry’s lack of modernization. This failure results not so much from a lack of capital in the corporate sector as from timorous investment decisions, under the weight of an ever growing bureaucratic burden. Automation in particular lags behind other industrialized nations. Although robots are particularly suited for the car industry, which helped Germany to modernize fast thanks to its specialization on the sector, France’s lag persists even when accounting for sector specialization.

Populism fuels antagonistic visions which remain trapped in the often superficial distinction between supply-side and demand-side strategies. The idea of an electoral split between an educated elite that benefits from globalization and a working class relegated to peripheral areas is backed by statistical evidence in France, as in most other industrialized nations. Meanwhile, it paradoxically perpetuates the vain and sketchy vision of a divide between enlightened visionaries and a mass of workers doomed to be replaced by machines…

It is true that the rigidity of the French labour market and high labour costs (given the current industrial positioning) fuel unemployment. An equally worrying pattern has emerged, however, in terms of investments, while France suffers from weak productivity gains and a particularly low level of potential growth per capita (which barely reaches 1 percent per annum).

An economic strategy that would only focus on labour market deregulation and lowering labour costs might help to reduce unemployment in the short term and regain market shares to some extent. Without addressing productivity and technological issues, it would however fail to remedy the imbalances facing France and Europe more generally. While automation might destroy low-skilled jobs on the short term, technological backwardness remains, on the other hand, the most certain path to long-term mass unemployment.

The race to the bottom that is currently taking place in the EU not only aggravates imbalances among nations and generations; it further distracts policymakers’ attention away from the most urgent reforms in terms of modernization and innovation. The economic model that has dominated Euro zone policies so far has proved economically short-sighted and fuels a dangerous spiral. As popular discontent is far from receding, there is no alternative to a genuine and ambitious rebalancing among European economies.

[1] “Deutsche Politiker kritisieren Macrons Europapläne”, Spiegel Online, 9 May 2017

 

Le dialogue franco-allemand reste dans l’impasse sur l’euro

Tue, 16/05/2017 - 16:51

Malgré le soulagement suscité par la défaite de l’extrême droite, l’idée selon laquelle l’élection présidentielle française marquerait le reflux de la vague populiste apparaît toutefois illusoire. En ce qui concerne ses implications européennes en particulier, l’espoir d’une normalisation de long terme repose sur l’hypothèse que le populisme relèverait d’un simple accès de fièvre politique appelé à se dissiper sous l’effet de réformes structurelles et d’une inflexion fédérale de la politique européenne. La probable persistance du populisme dans les années à venir devrait rendre nécessaire une compréhension politique plus approfondie des déséquilibres européens et des failles qui affectent les économies nationales, en particulier sur le plan technologique.

Les responsables politiques français ont tendance à insister sur la nature symbolique des réformes économiques et sur le besoin d’envoyer les « bons signaux » à Bruxelles et à Berlin. Le principal paradoxe de cette approche administrative tient de ce qu’elle consiste à minimiser les racines des difficultés économiques, ainsi que la nature des changements requis pour combattre le chômage et permettre un certain rattrapage technologique. Ses promoteurs semblent attendre davantage le salut économique d’un tournant institutionnel à l’échelle européenne et de la mise en avant d’une doctrine commune, que d’un rééquilibrage effectif en termes de compétitivité.

Il est fréquent d’entendre, à Paris, qu’Angela Merkel aurait un plan secret visant à procéder à un saut fédéraliste et à mettre en place une sorte d’union de transferts au sein de la zone euro ; ce qui permettrait, dès lors, de desserrer l’étau qui pèse sur l’économie française. Ce plan serait prétendument activé une fois que Paris aurait « fait le boulot » et restauré sa crédibilité, en réduisant son déficit public et en réformant le marché du travail. Bien qu’il puisse sembler, à première vue, que ces attentes découlent d’une connaissance étroite de la politique allemande, elles illustrent davantage l’incompréhension qui tend à s’installer entre les diverses élites européennes.

L’idée de transferts potentiellement illimités est taboue aux yeux d’une large majorité d’Allemands, par-delà les clivages partisans. La mise en place d’un budget commun à la zone euro ou d’un mécanisme d’investissement pourrait être envisagée s’il s’agit de montants limités et si elle s’accompagne de strictes conditions budgétaires. À l’opposé, une construction administrative qui permettrait des transferts massifs ne serait pas seulement l’objet de controverses, elle serait jugée anticonstitutionnelle.

Il ne s’agit en aucun cas de nier l’existence de débats économiques en Allemagne, comme dans les autres pays, ni d’ignorer le fossé qui sépare les diverses écoles de pensée. Néanmoins, la réalité de ces débats ne correspond pas vraiment à la vision que les responsables politiques français attribuent à l’Allemagne en ce qui concerne l’intégration européenne. On peine à trouver outre-Rhin des partisans du type de construction fédérale que l’on présente pourtant souvent en France comme la vision qu’aurait Berlin pour un avenir radieux où les déficits publics auraient été supprimés. Bien que la campagne d’Emmanuel Macron ait été jugée très positivement par la Grande coalition, l’annonce de son élection a été accompagnée de commentaires acerbes sur le risque que l’Allemagne ait à payer la facture de nouvelles initiatives institutionnelles.[1]

Même Martin Schulz, candidat social-démocrate à la Chancellerie, a pris soin de préciser lorsqu’il discutait de la question d’une mutualisation des dettes publiques à la tête du Parlement européen que ces considérations relevaient de la pure spéculation intellectuelle. Bien qu’il soit clairement opposé à de telles mesures de mise en commun, sa timide incursion intellectuelle dans ce sujet controversé lui vaut de voir sa candidature régulièrement discréditée.

Malgré d’évidentes lignes rouges, de plus en plus d’économistes allemands – bien que toujours minoritaires – déplorent les déséquilibres du modèle économique allemand, dont l’excédent commercial est l’illustration la plus frappante. L’excédent courant allemand s’est approché en 2016 de 9% du PIB (ou environ 300 milliards de dollars, soit plus que l’excédent de la Chine, qui a un PIB environ trois plus important que celui de l’Allemagne). Sur cette base, certains parmi ces économistes préconisent un accroissement des investissements domestiques, ainsi que des hausses de salaires. Leur effort doit naturellement être salué, dans un contexte intellectuel tendu. Il est toutefois d’égale importance que leurs confrères européens ne se complaisent pas dans la contemplation d’improbables constructions institutionnelles.

« Envoyer des signaux positifs à Berlin », comme l’énoncent souvent les responsables français, ne suffirait ni à restaurer la compétitivité française, ni à convaincre l’Allemagne de se lancer dans un système de transferts aussi illimités que les déséquilibres qu’ils seraient censés compenser. Malgré son écrasante victoire, Emmanuel Macron doit faire face à un contexte politique particulièrement troublé. Marine Le Pen s’est montrée à la fois incompétente et incapable de rompre avec la longue tradition d’extrémisme de son parti. En vainquant une adversaire aussi controversée, le nouveau président français ne semble pas avoir obtenu un mandat pour mettre en œuvre des réformes radicales.

Une politique de « signaux positifs » risquerait de produire une nouvelle série de mesures dépourvues de stratégie de fond, conformément à la tendance des quatre dernières décennies. Le besoin de changement pour stimuler une économie française sclérosée est évident, tout comme celui d’un véritable rééquilibrage européen. Les illusions quant au « couple franco-allemand » (ce que les Allemands désignent, au passage, de plus en plus comme une simple « relation » ou « coopération ») risquent de retarder encore davantage les ajustements les plus urgents, en particulier en ce qui concerne les questions industrielles.

Le secteur manufacturier français reste confiné dans une production moyen de gamme depuis une vingtaine d’années. La perte de compétitivité liée à l’introduction de l’euro et à la stratégie allemande connue sous le nom « d’Agenda 2010 » a été amplifiée par le manque de modernisation de l’industrie française. Cet échec ne résulte pas tant d’un manque de capitaux dans le secteur que de décisions d’investissement peu audacieuses, sous le poids d’un fardeau bureaucratique toujours plus important. Le processus d’automation en particulier a pris un retard important sur les autres pays développés. Bien que la robotique soit particulièrement adaptée au secteur automobile – ce qui donne naturellement un avantage à l’Allemagne en la matière -, le retard français demeure, même en prenant en compte l’effet de spécialisation.

Le populisme nourrit des visions antagonistes qui restent toutefois enfermées dans l’opposition souvent superficielle entre politique de l’offre et politique de la demande. L’idée d’un clivage électoral entre une élite éduquée qui bénéficie de la mondialisation et des couches populaires reléguées aux zones périphériques se confirme statistiquement, aussi bien en France que dans nombreux pays développés. Pour autant, ce constat semble, paradoxalement, perpétuer la vision vaine et caricaturale d’un fossé entre une élite éclairée et une masse de travailleurs qui seraient condamnés à être remplacés par des machines…

Il est vrai que la rigidité du marché du travail français et les coûts salariaux élevés par rapport au positionnement industriel actuel tendent à alimenter le chômage. Mais un phénomène tout aussi inquiétant s’est fait jour en ce qui concerne les décisions d’investissement, alors qu’il apparait que la France souffre de faibles gains de productivité et donc d’une basse croissance potentielle (d’à peine 1% par an) si l’on prend en compte la dynamique démographique du pays.

Une stratégie économique qui se focaliserait uniquement sur la dérégulation du marché du travail et l’abaissement des coûts salariaux permettrait d’abaisser le taux de chômage un certain temps et, dans une certaine mesure, de restaurer des parts de marché à l’exportation. Toutefois, une stratégie qui négligerait le problème de la productivité et de l’évolution technologique ne permettrait pas de remédier aux déséquilibres qui affectent la France et l’Europe. Bien que l’automation détruise certains emplois à court terme, le retard technologique reste la voie la plus certaine vers le chômage de masse sur le long terme.

Le nivellement par le bas qui caractérise actuellement les relations économiques au sein de l’Union européenne, sur le plan salarial et technologique, ne fait pas qu’aggraver les déséquilibres entre pays et entre générations ; il détourne également l’attention des responsables politiques des mesures les plus urgentes en ce qui concerne la modernisation industrielle et l’innovation. Le modèle économique qui domine les politiques de la zone euro depuis ses débuts nourrit une spirale dangereuse. La colère populaire étant probablement loin de s’estomper, il ne semble pas y avoir d’alternative à un rééquilibrage véritable et ambitieux entre pays européens.

[1] « Deutsche Politiker kritisieren Macrons Europapläne », Spiegel Online, 9 Mai 2017

Du manichéisme en géopolitique

Tue, 16/05/2017 - 14:37

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

La (longue) route pour modifier la constitution japonaise

Mon, 15/05/2017 - 17:43

Le Premier ministre japonais Shinzo Abe a déclaré mercredi 3 mai espérer pouvoir modifier la Constitution nippone d’ici 2020 afin d’y inclure le statut de puissance militaire du Japon, une modification majeure de cette loi fondamentale en vigueur depuis 70 ans.

Dans un message vidéo diffusé lors d’un rassemblement marquant l’anniversaire de ce texte fondateur, Shinzo Abe a souhaité qu’il soit fait explicitement référence aux Forces d’auto-défense (FAD), l’armée japonaise, dans la Constitution. « En rendant explicite le statut des FAD dans la Constitution, nous écarterons toute contestation de la constitutionnalité des FAD », a-t-il expliqué dans cette vidéo diffusée par les chaînes de télévision. « J’espère fermement que 2020 sera l’année où la nouvelle Constitution entrera en vigueur », a-t-il ajouté. « Le temps est venu », a déclaré lundi 1er mai devant mille personnes le Premier ministre dans un discours à l’attention des partisans d’un amendement. « Nous allons faire au cours de cette année charnière un pas historique vers notre objectif majeur d’une révision constitutionnelle ».

L’article 9 de la loi fondamentale japonaise adoptée en mai 1947 interdit l’entretien de forces militaires. Les gouvernements successifs ont interprété cette disposition d’une manière plutôt extensive afin de permettre la création des Forces d’auto-défense en 1954. Pour la majorité des Japonais, l’article 9 de la Constitution, qui consacre la renonciation « à jamais » à la guerre, est précieux : il tourne la page de l’impérialisme et des atrocités de l’armée japonaise avant et pendant le conflit, ainsi que de l’horreur des bombes atomiques larguées par l’armée américaine en août 1945 sur Hiroshima et Nagasaki.

De leur côté, les nationalistes estiment que ses défenseurs sont dangereusement déphasés par rapport aux réalités géopolitiques actuelles, comme les programmes nucléaire et de missiles balistiques de la Corée du Nord et le renouveau militaire chinois. Nippon Kaigi et d’autres organisations conservatrices et de droite considèrent la Constitution comme imposée par un pays et une culture étrangers, émasculant le Japon tout en le séparant de ses traditions et de son riche passé. Elles présentent également des points de vue révisionnistes sur le rôle du Japon en tant qu’État agresseur en Asie de l’Est, rejetant farouchement les revendications des « femmes de réconfort » en Corée et estimant que le Japon était engagé dans une guerre de libération, souligne le Japan Times.

Ces positions expliquent que les adversaires d’une révision de la Constitution les présentent comme des ultranationalistes et des révisionnistes d’extrême droite, interdisant toute discussion sur ce qui devrait ou pas être révisé.

S’il est peu probable que les conservateurs visent le retrait de l’article 9, ils prônent un changement dans les termes qui y sont employés, en y inscrivant la reconnaissance des forces d’autodéfense en tant qu’armée et une affirmation claire du droit du Japon à se défendre. La Constitution n’a jamais été amendée mais interprétée de manière à assouplir certaines contraintes, comme lors du passage en septembre 2015 de lois qui permettent en théorie aux forces d’autodéfense d’appuyer un allié en difficulté à l’étranger.

Dans une des premières mises en œuvre de ces nouvelles lois, le Japon a déployé lundi 1er mai son plus grand bateau de guerre – l’Izumo, un porte-hélicoptères géant de 250 mètres de longueur -, pour escorter des navires de ravitaillement américains, alors que les tensions s’exacerbent autour de la péninsule coréenne.

Si les sondages montrent qu’une très grande majorité des Japonais s’inquiètent des missiles nord-coréens qui tombent de plus en plus près de leur archipel, ils sont moins uniformes sur une révision de l’article 9.  Les électeurs japonais restent divisés sur ce projet de révision. Une enquête d’opinion Nikkei Inc/TV Tokyo montrait mercredi 3 mai 2017 que 45% des personnes interrogées sont favorables au projet du chef de l’exécutif japonais, soit cinq points de moins que l’an dernier à la même époque. En revanche, 46% souhaitent que le texte soit maintenu en l’état, une baisse de quatre points. Une autre enquête Kyodo montrait, elle, que 49 % des sondés souhaitent que l’article 9 soit révisé, contre 47 % y étant opposés. Mais 51 % sont opposés à tout amendement constitutionnel portant sur l’article 9, contre 45 % favorables.

En fait, la plus grande majorité des Japonais sont conscients que l’article 9 a maintenu le caractère pacifique du pays, 75 % estimant qu’il a permis à éviter que le Japon ne soit entraîné dans des conflits internationaux.

Des positions qui pourraient basculer en faveur d’un amendement, de l’avis de bien des Japonais, si un missile frappait le pays. Or, la Corée du Nord, État voisin au Nord de l’archipel nippon, multiplie les tirs de missiles balistiques. Le quotidien français L’Humanité remarque ainsi : « Alors que la Corée du Nord a procédé à plusieurs tirs de missiles balistiques – dont un s’est abîmé en mer de Japon – l’opinion japonaise semble avoir évoluée quant à la révision constitutionnelle. Selon un sondage réalisé pour le quotidien Asahi Shimbun, 41% de la population y serait désormais favorable. Le taux monte même à 48%, selon le Mainichi. Contre 26% au moment des débats en 2015 ».

Le temps est peut-être venu pour le camp Abe d’avancer. Or, à la suite d’une série de victoires électorales, le parti de Shinzo Abe – le parti libéral démocrate (LDP) – et d’autres partis favorables à une révision constitutionnelle ont maintenant une majorité des deux tiers dans les deux chambres de la Diète (le Parlement nippon), seuil nécessaire pour pouvoir proposer un amendement. Selon le sondage Kyodo, quand on les interroge sur la façon dont l’article devrait être modifié l’article 9, 39 % ont déclaré que l’existence des forces d’autodéfense japonaises (FAD) devrait être stipulée, suivie de 24 % qui ont proposé d’ajouter une clause pour restreindre les activités internationales des FAD et 16 % qui ont déclaré que les FAD devraient être clairement déclarées comme étant une force militaire.

Il y a cependant des limites quasi insurmontables. Alors que le public reste divisé sur l’idée de la révision constitutionnelle, il est cependant clair qu’il ne soutiendra pas des changements qui entraîneraient des troupes sur le terrain, des opérations antiterroristes à l’étranger ou la participation d’opérations militaires en dehors de la sphère d’intérêts du Japon.

Pour atteindre avec succès son objectif de révision de la Constitution, Abe devra donc travailler avec les structures de sécurité (y compris les ministères de la Défense et des Affaires étrangères) pour continuer à accumuler un capital politique en vue des changements proposés. Un bon moyen pour commencer serait de mettre en évidence des missions réussies et non violentes liées aux FAD qui respectent l’article 9 tout en contribuant à la paix et à la prospérité internationales. De cette façon, Abe et le LDP peuvent dissiper la méfiance du public à l’égard de l’action militaire du Japon, en particulier des actions unilatérales. Cela démontrerait au public et à ceux qui émettent des doutes sur les initiatives de sécurité de Shinzo Abe qu’il envisage de maintenir la position de sécurité du Japon dans une posture purement défensive, de maintenir l’article 9 et de se conformer au droit international.

Le président Macron et l’Amérique latine : en marche vers l’inconnu

Fri, 12/05/2017 - 17:55

L’élection d’Emmanuel Macron, président de la République française, a été suivie avec voyeurisme, nostalgie et sympathie en Amérique latine.

D’abord parce qu’il s’agit de la France. La France n’ayant pas colonisé l’Amérique latine, elle bénéficie d’un traditionnel a priori favorable. L’esprit des  « Lumières » a été revendiqué pour construire les indépendances. Ses peintres et écrivains, ainsi que certains de ses chefs d’État ont laissé une empreinte durable. L’art de vivre à la française, vu d’Amérique latine, est pavé au long des Champs Elysées, de haute couture, parfums, vins et alcools capiteux.

Ensuite, la jeunesse d’Emmanuel Macron – et de son couple -, insolites, ont capté la curiosité. Mais de ce point de vue, « EM » est bien en tout point français, héros d’une telenovela sur fond de tour Eiffel. D’un quotidien à l’autre, les chapitres de cette histoire imaginaire ont confirmé sa place d’acteur conjoncturel et central de la saga française. Le quotidien argentin Clarin, tout comme La Tercera au Chili et bien d’autres, ont consacré de longs articles à Brigitte Macron, le plus souvent qualifiée de « future Michelle Obama de France ». En cela, avec elle le président est comme tout français qui se respecte : romantique. Sa victoire – elle aussi inattendue et surprenante, sans organisation partisane et très souvent signalée -, a été perçue comme une marque supplémentaire de la différence française.

Les messages de félicitation envoyés par ses pairs latino-américains – il est vrai de rigueur en ces circonstances, ainsi que celle de l’élection du responsable de l’une des cinq nations disposant d’un siège permanent au Conseil de sécurité -, ont été immédiats. Du Mexique à l’Argentine, en passant par le Venezuela, les gouvernants en place ont envoyés leurs meilleurs vœux. Les uns saluent « son triomphe électoral », comme l’argentin Mauricio Macri et le colombien Juan Manuel Santos. D’autres, du Chili, d’Equateur et du Guatemala insistent sur le « civisme démocratique » des électeurs. Tout au plus pourra-t-on remarquer les quelques messages, lancés à toutes fins utiles, en direction du président-Godot, si longtemps attendu depuis de Gaulle et Mitterrand. Espérant donc comme les chefs d’État colombien, équatorien et vénézuélien « un renforcement de la coopération pour la paix, l’éducation et le commerce » avec la France.

À leur décharge, le vainqueur de la présidentielle n’a pratiquement pas évoqué dans ses débats électoraux ses propositions sur l’Amérique latine ; pas plus d’ailleurs que ses nombreux concurrents. C’est à peine s’il a glissé une allusion ciblant ironiquement la proposition d’adhésion de la France à l’Alliance bolivarienne des Amériques faite par son adversaire de gauche, Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci a rectifié oralement en précisant que cette proposition en fait ne concernait que les départements français des Amériques. Les choses en sont restées là. Emmanuel Macron aurait pu s’étonner du correctif. Les DFA depuis bien longtemps coopèrent avec le Venezuela au sein de l’Association des Etats de la Caraïbe (AEC). Il est vrai que la Guyane, évoquée pour son actualité sociale, a été « insularisée » de façon inopportune par le candidat Macron. Mais les Français ne sont-ils pas connus pour leur dédain des contingences géographiques ?

Les praticiens de l’exégèse thérapeutique ont bien tenté d’extrapoler afin de remplir la case Amérique latine du président élu. La BBC en espagnol a relevé le défi, dès avant le deuxième tour, en demandant « quel est le président qui conviendrait le mieux à l’Amérique latine ? ». Réponse : Emmanuel Macron, qui va poursuivre la diplomatie économique de François Hollande. Pourquoi pas ? A condition d’avaliser un certain nombre de préalables non démontrés. Celui d’une continuité avec la politique du chef de l’Etat sortant. Continuité fondée sur la participation du président élu au gouvernement du président sortant. Continuité effectivement explicite en matière économique et européenne et donc étendue par hypothèse au domaine des relations extérieures.

Les prises de position ont en effet été rares. Propos libre-échangistes de circonstance, plaidant pour la concrétisation d’un accord Mercosur-UE tenus par « EM », ministre de l’économie à l’occasion d’un colloque sur l’Amérique latine organisé à Bercy avec la BID et l’OCDE. Et dans son programme de politique étrangère, une brève inclusion latino-américaine, placée effectivement dans le droit fil du quinquennat de François Hollande : « Nous sommes encore trop peu présents en Asie, en Russie et en Amérique latine, bien que le gouvernement actuel ait fait des efforts importants dans cette dernière région ».

Quelques indices supplémentaires, relevant pourquoi pas de la kremlinologie, viennent compléter ce tableau plus impressionniste qu’hyperréaliste. Emmanuel Macron écoute la Marseillaise la main sur le cœur, comme le font les présidents des États-Unis. Il perpétue et valide ainsi une attitude civique introduite par Nicolas Sarkozy, le président qui a rompu avec l’établissement diplomatique gaullo-mitterandien. Il affiche en toutes circonstances, suivant le même modèle atlantique, son épouse Brigitte Macron. Confirmerait-il là une autre rupture, celle de la vérité qui serait désormais la même en deçà et au-delà de l’Atlantique ?

« Il faut un ‘Plan Macron’ pour l’Europe »

Thu, 11/05/2017 - 16:39

À présent élu président, quelle orientation Emmanuel Macron voudra-t-il donner à l’Union européenne (UE) ?

La belle histoire voulait que la France – éternel pays des Lumières – montre la voie à l’Europe et fasse barrage à une révolution populiste dont les dominos étaient tombés successivement outre-Atlantique et outre-Manche. On s’était réveillé avec la gueule de bois après cette année 2016 mais cette série s’arrêterait aux frontières de l’hexagone, comme le fit jadis le nuage de Tchernobyl.

La mobilisation des électeurs français a été forte et la France a élu un président de 39 ans europhile, optimiste et énergique. Pour l’image du pays en Europe et à l’international, son élection est positive. Cela signifie-t-il pour autant le reflux de la vague populiste ? L’élection de M. Macron incarne-t-elle la France des Lumières, phare de l’Europe ? Le Front national est à un niveau historique et il serait erroné de croire que l’élection de M. Macron fera taire les colères, les insatisfactions, voire les haines suscitées par les dégâts d’une mondialisation que l’on disait heureuse. Les passer sous silence reviendrait à s’exposer à un retour de bâton sérieux en 2022. Donald Trump a bien succédé à Barack Obama.

Concernant l’Europe, Emmanuel Macron dispose d’un capital politique qu’il serait peu judicieux de ne pas utiliser. C’est assez rare pour le souligner mais sa campagne ne s’est pas uniquement focalisée sur le plan intérieur. Il a donné maintes interviews aux médias étrangers et européens en particulier. Il est allé en Allemagne pour exprimer sa solidarité face aux attentats. Cette dimension européenne a ressurgi lors de son discours de dimanche dernier, lorsqu’il est entré sur l’hymne européen. Ce geste a été apprécié à l’étranger et associe ainsi l’UE à la jeunesse et au renouveau, alors que les gazettes de ces dernières années ont offert l’image d’une Europe désunie, en proie aux crises économiques ou migratoires.

Enfin, il a pu lier cet aspect européen au récit national français dans le décor du Louvre. Cela illustre la double dimension du projet d’Emmanuel Macron : rejeter le nationalisme car la France n’est grande que lorsqu’elle est européenne, tandis que l’UE n’est grande que lorsqu’elle est entraînée par Paris. Nul doute que les intérêts économiques divergents de l’Allemagne ressurgiront à la première occasion mais le nouveau président français s’est au moins assuré un réservoir de bonnes volontés. Il semble de ce point de vue avoir la capacité à mettre en œuvre une stratégie et à penser au coup d’après.

Emmanuel Macron est également en faveur d’une Europe de la défense. Concrètement, comment compte-t-il développer ce projet?

Du point de vue de la défense, Emmanuel Macron s’inscrit dans la continuité de François Hollande. Le nouveau président est favorable au renouvellement des deux composantes de la dissuasion nucléaire française : la composante maritime (SNLE NG et M-51) et la composante aéroportée. Cette décision est tout à fait engageante du point de vue budgétaire et structurante pour la politique de défense française, même si peu de gens en ont pris la mesure. M. Macron a ainsi annoncé qu’il souhaitait atteindre les 2% de PIB en dépenses de défense d’ici 2025.

Sur les questions d’Europe de la défense, le projet du nouveau président français s’inscrit là aussi dans la continuité de celui de François Hollande, qui était plutôt réussi sur le plan extérieur. La différence avec le quinquennat précédent réside toutefois dans la rupture stratégique que constitue l’administration Trump. Elle ouvre une fenêtre d’opportunité pour que l’Europe réalise enfin qu’elle ne peut pas dépendre indéfiniment de la garantie américaine. Il faudrait donc que l’UE prenne ses responsabilités pour assurer sa sécurité et ses intérêts, au moins dans un environnement proche.

Comment faire pour essayer de profiter de cette fenêtre d’opportunité ? En réalité, toute la boîte à outils nécessaire est déjà présente dans les traités européens. De plus, lors du quinquennat Hollande, Bruxelles s’est doté d’outils supplémentaires. Par exemple, la Commission européenne a franchi un Rubicon en s’investissant sur les questions de recherche en défense. De même, la création d’une structure européenne de commandement des opérations extérieures de l’UE constitue une avancée, alors que les Britanniques ont longtemps été opposés à ce projet. La Haute-représentante de l’UE a aussi couché sur papier une stratégie globale en matière de politique étrangère et de sécurité européenne, ce qui permet de formuler une philosophie commune. À présent, il faut actionner la machine politique, au moins parmi les grands pays européens, et c’est là où le capital politique de Macron peut être utile.

Pour ce faire, il faudrait proposer un plan Macron – qui pourrait facilement devenir un plan Macron-Merkel ou Macron-Schultz. Ce plan devrait être enclenché après les élections allemandes fin septembre : Emmanuel Macron pousserait pour tenir un conseil de défense franco-allemand avec le nouveau leader allemand et les ministres concernés. Cette réunion bilatérale aurait vocation à s’élargir, en préparant un conseil européen pour décembre 2017 afin de se concentrer sur la volonté politique. Cela serait suivi au printemps par une réunion des ministres de la Défense coordonnée par l’Agence européenne de défense (AED), afin de mettre en application cette volonté politique de haut niveau. Enfin, ces ministres devraient rendre compte aux chefs d’États et de gouvernement en juin 2018 de l’avancement sur les questions de défense.

In fine, cela permettrait de voir si la fenêtre d’opportunité ouverte par le président américain a été comblée par l’Europe. Si ce n’était pas le cas, cela signifierait que l’UE n’a pas réussi à prendre en compte les changements stratégiques incarnés par le Brexit et l’élection de Donald Trump. Alors, il est possible que les peuples européens se disent que l’UE a abandonné une fois pour toute l’idée de s’adapter, ce qui distendra son lien avec les citoyens de manière presque définitive.

Du point de vue du contenu, ce projet devrait toucher et lier différents aspects : capacitaire, opérationnel, financier et politique. Il faut discuter de projets phares qui permettraient de faire comprendre aux Européens que l’UE se démène pour progresser. On pourrait imaginer une réflexion sur un futur système aérien européen qui mutualiserait les capacités existantes en matière d’avions de chasse, de drones, de ravitaillement en vol et de transports stratégiques. Cela impliquerait une spécialisation des tâches entre pays européens, l’Allemagne s’occupant du bas du spectre et la France du haut. Pour ce type de projet, on peut utiliser les mécanismes à disposition, telle qu’une coopération renforcée. Il faut privilégier l’efficacité à la dimension institutionnelle ; autrement dit, la priorité est que les choses avancent, pas que l’on parle indéfiniment de l’inclusivité. À moyen terme, il faut enfin constituer une plateforme pour partager les moyens militaires, voire les développer en commun. Car si pour son futur système de combat aérien, les Européens finissent par choisir le F35 américain, cela porterait un coup significatif à l’industrie de défense européenne.

Quelle est la position de M. Macron vis-à-vis de l’OTAN ?

Là encore, Emmanuel Macron s’inscrit dans la continuité de François Hollande. Le nouveau président ne sortira pas du commandement militaire intégré de l’OTAN. Lors du sommet de l’organisation le 25 mai, où sera forcément de nouveau abordée la question du 2%, Macron devrait tenter de construire une narration proprement européenne sur ce sujet. Actuellement, l’UE subit une vision des 2% qui ne correspond ni à ses intérêts, ni à ses objectifs, ni à sa vision. L’Europe étant une puissance économique et commerciale qui a des intérêts et objectifs propres, elle devrait être capable de formuler des objectifs de politique étrangère en adéquation avec ses objectifs politico-commerciaux, qui ne sont pas forcément les mêmes que les États-Unis. Or, quand l’OTAN parle de 2%, c’est devenu un 2% américain.

Autrement dit, on devrait s’inscrire dans un 2% européen qui envisagerait la sécurité et la défense au-delà de la simple force militaire. Pour résoudre les crises, la force militaire est certes déterminante mais pas suffisante car il faut aussi des leviers diplomatiques, politiques, économiques, etc. Si l’UE y réfléchissait, elle se rendrait compte qu’un 2% européen n’est probablement pas un 2% pur. Ce serait un autre critère, qui devrait être à cheval sur les dimensions de sécurité et de défense. Surtout, ce devrait être un critère intelligent. Aujourd’hui, le 2% est un critère d’input, c’est-à-dire se rapportant à l’argent investi mais non pas aux effets retirés. L’OTAN n’a jamais réussi à construire un critère de l’output, à savoir un critère s’interrogeant sur l’effet recherché, sa mesure et son objectif. Le rôle de l’UE pourrait donc être de développer une méthodologie propre de l’input et de l’output.

La propagande de Daech : quelle stratégie de communication ?

Thu, 11/05/2017 - 16:19

François-Bernard Huyghe est directeur de recherche à l’IRIS. Il répond à nos questions à propos de son ouvrage « Daech : la stratégie de communication dévoilée », paru aux éditions VA Presse.– Quelle est la rhétorique de fond et de forme employée par la propagande de Daech ?
– Vous évoquez une “culpabilité française”. Que reproche Daech à la France ?
– Pourquoi les campagnes de contre-propagande occidentales sont-elles peu efficaces ? Que préconisez-vous ?

Election de Moon Jae-in : un tournant stratégique en péninsule coréenne ?

Wed, 10/05/2017 - 18:42

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

Nouveau président en Corée du Sud : vers une redéfinition de la diplomatie dans la péninsule ?

Wed, 10/05/2017 - 15:22

Le 9 mai, Moon Jae-in (Parti démocrate) a été élu président de la Corée du Sud avec environ 41,4% des voix en prenant une position différente de ses prédécesseurs sur la Corée du Nord et les États-Unis. L’analyse de Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Comment interpréter cette large victoire après dix ans d’un régime conservateur à Séoul ?

Il convient d’abord de rappeler que le nouveau président Moon Jae-in était déjà candidat en 2012 et a échoué de peu face à Park Geun-hye. Il n’est donc pas inconnu du grand public sud-coréen et incarne depuis quelques années l’opposition de centre-gauche face au parti conservateur, au pouvoir depuis 2007.

Les facteurs expliquant sa victoire sont nombreux mais trois ont joué un rôle particulièrement notable. D’une part, la croissance économique sud-coréenne est au ralenti, après des décennies de « miracle ». Les présidences conservatrices de Lee Myung-bak et de Park Geun-hye, qui misaient sur l’économie, ont à ce titre échoué. En toute logique, l’alternance semblait presque inévitable. Les scandales entourant Park Geun-hye, qui a été destituée il y a quelques mois, ont par ailleurs plombé le parti conservateur et mis en relief un style de gouvernance opaque, accumulant les conflits d’intérêts et les arrangements avec les Chaebols (les conglomérats). Depuis des années déjà, de nombreux économistes sud-coréens tirent la sonnette l’alarme sur le fait que ce système est voué à terme à l’échec. Les événements récents n’ont fait que leur donner raison.

Enfin, il serait incomplet d’analyser ce résultat sans tenir compte du contexte sécuritaire et stratégique actuel. La relation avec la Corée du Nord est tendue comme rarement ; tandis que les États-Unis ont multiplié les signes d’ingérence depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et la population ne souhaite pas faire les frais d’un durcissement de la relation Pyongyang-Washington.

Moon semble en faveur de la politique de la main tendue envers la Corée du Nord. Son élection ouvre-t-elle une nouvelle phase dans la péninsule coréenne, marquée par le dialogue avec Pyongyang ?

Elle est indiscutablement porteuse d’espoir sur ce sujet très sensible et marque une rupture avec l’intransigeance affichée par les conservateurs depuis 2007. En 2012, Park avait déjà promis d’adoucir le ton mais elle fut rapidement rattrapée par les éléments les plus conservateurs de sa majorité. La Corée du Nord a su jouer habilement sur cette intransigeance et Kim Jong-un a même pu s’affirmer comme un dirigeant fort en réaction au refus de Séoul de rouvrir le dialogue.

Moon a promis de repenser la relation intercoréenne et même de rencontrer le dirigeant nord-coréen. Les premiers signes de sa présidence seront importants et nous saurons alors si la « sunshine policy » du début des années 2000, marquée par un dégel important de la relation entre les deux entités rivales, sera remis au goût du jour ; ou si le nouveau président proposera une nouvelle donne. Il devra en tout cas agir très vite sur ce dossier.

Moon semble aussi vouloir une relation plus équilibrée avec les États-Unis. S’agit-il d’un tournant diplomatique majeur entre les deux alliés ?

Tout dépendra surtout de l’attitude de Washington suite à cette élection, qui n’est en rien une surprise et a donc a priori été anticipée par l’administration Trump. La question sensible actuellement concerne le déploiement du système de défense antimissile THAAD, que les États-Unis installent dans la péninsule, officiellement pour défendre la Corée du Sud d’une attaque du nord. Pékin réclame l’abandon de ce programme, qui par ailleurs ne reçoit pas une forte adhésion de l’opinion publique sud-coréenne. Moon devra trancher très rapidement. S’il parvient à maintenir THAAD tout en approfondissant le dialogue avec Pyongyang et rassurant Pékin, il ne remettra pas en cause l’alliance avec les États-Unis. S’il décide d’abandonner THAAD, on peut aisément imaginer à l’inverse que les réactions américaines ne tarderont pas. Derrière cette élection, la question géopolitique est clairement de voir si les États-Unis ne sont pas en train de « perdre » l’allié sud-coréen, Moon étant visiblement favorable à une forme d’émancipation et d’affirmation de son indépendance, comme il l’a notamment indiqué dans un récent entretien au Washington Post.

« Le conflit israélo-palestinien » – 3 questions à Alain Dieckhoff

Wed, 10/05/2017 - 10:48

Alain Dieckhoff est directeur du Centre de recherches internationales, Sciences Po Paris. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « Le conflit israélo-palestinien – 20 questions pour vous faire votre opinion », aux éditions Armand Colin.

Pourquoi la victoire de juin 1967 constitue-t-elle un cadeau empoisonné pour Israël ?

La guerre de 1967 modifie le statu quo territorial hérité de 1948 puisqu’Israël finit après six jours de combat par contrôler militairement la péninsule du Sinaï, le plateau du Golan, la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et la bande de Gaza. Mais contrairement à l’espoir de certains décideurs israéliens, cette retentissante victoire militaire et humiliante défaite pour les États arabes, ne conduit pas ces derniers à engager des pourparlers de paix. Au contraire, ils adoptent une posture intransigeante qui encourage Israël, gagné par un certain triomphalisme, à emprunter la voie de l’unilatéralisme (qui se manifeste dès fin juin par l’extension de la souveraineté israélienne à la vieille ville et aux faubourgs de Jérusalem). Israël s’engage alors, d’abord avec prudence, puis, sous la pression de groupes nationalistes religieux, habités par une idéologie messianique, dans une stratégie de colonisation qui ne connaîtra, en réalité, jamais de cesse. Aujourd’hui, plus de 370 000 Israéliens habitent en Cisjordanie (plus 200 000 à Jérusalem Est). Cette situation contribue en fait à rendre extrêmement problématique la création d’un État palestinien puisque son assise territoriale potentielle est grignotée par cette densification démographique régulière.

La guerre des six jours a également conduit à véritablement unir Israël aux États-Unis qui sont devenus son unique partenaire stratégique (à la place de la France). Ironiquement, la victoire d’Israël aura permis le retour des Palestiniens comme acteurs, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) étant reconnue dans les années 1970 comme leur seule représentante, d’abord par les États arabes, puis par un large segment de la communauté internationale.

En quoi l’Europe est-elle « non acteur » dans ce conflit ?

La position de l’Europe par rapport au conflit israélo-arabe est profondément paradoxale. D’un côté, le Proche-Orient a été, depuis les années 1970, un sujet de préoccupation constant de la Communauté économique européenne (devenue Union européenne en 1993) qui aura permis une coordination croissante des positions nationales des États membres et la constitution d’un véritable acquis de politique étrangère commune. D’un autre côté, l’Europe n’a pas été en mesure de traduire en action politique efficace cette convergence de vues, elle est demeurée un acteur marginal sur la scène régionale. Cet écart a toutes les chances de persister.

La position européenne s’est dès le début des années 1980 structurée autour de trois grands principes : le droit à l’existence de l’État d’Israël, le lien entre la restitution territoriale des territoires occupés en 1967 et l’instauration de la paix, le droit à l’autodétermination du peuple palestinien (qui passe donc par la création d’un « État souverain démocratique, viable et pacifique »). Dans la prise en compte du facteur palestinien, l’Europe a été incontestablement pionnière.  Pour autant, l’Europe pèse finalement peu sur les évolutions régionales. À cela il y a deux raisons majeures. D’abord, le caractère inter-gouvernemental de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) nécessite la constitution d’un consensus, toujours difficile à atteindre, entre 28 États membres. Ensuite, deux acteurs importants, à savoir les États-Unis et Israël, ne sont guère désireux de laisser une marge de manœuvre politique à l’UE, préférant rester dans un certain entre-soi.

Du coup, l’UE a surtout recours à ce qui est le plus facile : la diplomatie du carnet de chèque. Cette dernière s’est traduite par une aide massive aux Palestiniens dans trois domaines : aide au développement (infrastructures, projets économiques), aide humanitaire et soutien budgétaire à l’Autorité palestinienne.

Au Proche-Orient, plus qu’ailleurs sans doute, l’Europe mesure les limites évidentes du soft power. Aider, inciter, déplorer, dialoguer permet tout au plus d’accompagner les événements, pas de peser sur eux. Le déficit de puissance de l’UE persistera tant qu’elle n’aura pas une politique étrangère et de défense plus intégrée, ce qui n’est pas pour demain.

La paix est-elle impossible ?

Au cours des vingt-cinq dernières années, deux tendances parfaitement contradictoires sont apparues. D’un côté, l’idée que la solution au conflit israélo-palestinien passe par la coexistence entre deux États, Israël et la Palestine, a rallié un consensus de plus en plus large : des forces politiques dans les deux camps, des opinions publiques comme de la communauté internationale. Tous les plans de paix, déclarations et initiatives diplomatiques sont fondés sur ce paradigme.

D’un autre côté pourtant, les conditions de réalisation concrète d’un État palestinien ont paru s’éloigner de plus en plus avec la multiplication de faits accomplis par Israël : construction de colonies et de routes de contournement ; édification de check points, de barrages, de murs… Le nombre de résidents juifs en Cisjordanie (hors Jérusalem) est passé de 1200 en 1972 à 370 000 aujourd’hui ; 39 % des terres de Cisjordanie sont inclus dans le périmètre administratif des colonies et donc fermés à toute construction palestinienne. À cela s’ajoute la division politico-géographique persistante entre Gaza et la Cisjordanie qui compromet encore davantage la perspective de voir naître un État palestinien.

De plus, dans les deux camps, il existe des forces politiques puissantes, le Hamas et d’autres groupes islamistes du côté palestinien, des groupes nationalistes et religieux du côté israélien qui rejettent, pour des raisons évidemment diamétralement opposées, la perspective d’un partage territorial.

Dans un tel contexte, il est compréhensible de penser que la paix ne se réalisera jamais. Qu’elle soit aujourd’hui improbable est certain ; qu’elle soit particulièrement délicate à mettre en œuvre est tout aussi certain. Mais rien ne dit qu’elle ne pourra advenir un jour, lorsque, par un mélange de lassitude et d’intérêt bien compris, les deux protagonistes aux prises les uns avec les autres mesureront que les vertus de la paix l’emportent sur celles de la guerre.

Emmanuel Macron : une diplomatie gaullo-miterrandiste ?

Tue, 09/05/2017 - 18:39

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS

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