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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Récession en vue au Royaume-Uni : la part du Brexit, la part du reste…

Tue, 25/07/2017 - 17:40

L’institut de macro-économie Fathom prévient d’un risque de récession en Grande-Bretagne qui « n’a jamais été aussi grand », pointant du doigt le Brexit combine au recul de la consommation des ménages. Que penser de ce scénario ? N’est-il pas un peu alarmiste selon vous ?

Le Brexit crée évidemment de l’incertitude économique. Par ailleurs, la situation économique britannique connait une certaine dégradation, liée en bonne partie à ses déséquilibres macro-économiques généraux et antérieurs au référendum.

L’opposition à la sortie de l’UE semble nourrir des interprétations assez partiales et emphatiques de la conjoncture. Les économistes britanniques ont quand même l’habitude, in fine, de reconnaître leurs erreurs et nombreux sont ceux qui ont fait leur mea culpa au sujet de ce que les Brexiters ont nommé « Project fear », l’annonce d’une apocalypse économique dès le lendemain du vote. La conjoncture britannique a été préservée par la résilience de la consommation des ménages mais le phénomène connaît des limites liées au niveau déjà très bas de l’épargne. Par ailleurs, la dépréciation de la livre, bien qu’elle accroisse l’inflation et comprime le pouvoir d’achat à court terme, peut aussi permettre un certain rééquilibrage pour cette économie qui connait de larges déséquilibres sur le plan commercial et financier. Notons tout de même que, bien que les salaires stagnent et que la croissance fléchisse, le pays n’est pas loin du plein emploi. Il semble, à certains égards, que nous soyons dans une sorte de bis repetita du « project fear », une version bien plus modérée que la version initiale pré-référendum mais visant tout de même à orienter les faits sans relâche. Toutefois, au Royaume-Uni le jeu interprétatif ne dépasse pas une certaine limite fixée par l’observation des chiffres. L’empirisme britannique reste un garde fou, tout comme ce bon vieux sens de la politesse qui interdit aux débats certes très tendus sur le fond de dégénérer en scènes de transe télévisuelle.

 

Si le risque de récession au sens technique est évidemment présent, ne s’explique-t-il pas en grande partie par les faiblesses sous-jacentes (structurelles ?) de l’économie britannique ?

Les incertitudes du Brexit ajoutent une dimension à l’affaiblissement de la conjoncture britannique. Mais lorsque l’on regarde justement les chiffres d’épargne présentés par Fathom, on constate une dynamique cyclique qui accompagne les régimes de croissance. La baisse continue du taux d’épargne vient nourrir la demande pendant les périodes d’expansion économique. Le cycle des années 2000 s’est fracassé sur la crise financière de 2008, avec une remontée brutale du taux d’épargne à environ 12% des revenus, qui est ensuite repartie à la baisse tout au long de la période de reprise. Nous sommes aujourd’hui à un niveau particulièrement bas de l’ordre de 2%. Alors que l’économie britannique a pu résister à l’incertitude du Brexit par la stabilité de la consommation, on voit qu’il n’y a plus beaucoup de marge de manœuvre sur ce plan là, dans un contexte de stagnation des salaires. Le Royaume-Uni connait des déséquilibres importants, en particulier avec son déficit courant à de plus de 4% du PIB ces dernières années. Le modèle est assez clair : consommation forte, faible épargne et larges déficits. Notons que, comme souvent, les politiques d’austérité mises en place par David Cameron, n’ont guère permis de rééquilibrer cette situation, en se focalisant sur la seule question budgétaire plutôt que sur les déficits de l’économie en général. La plupart des économistes ont passé les quatre dernières décennies à nier l’importance des déséquilibres commerciaux (et leur pendant financier de ce fait). Où que l’on porte son regard dans l’économie mondiale, on ne peut que constater la gravité de cette erreur, sur le plan économique mais aussi politique.

 

Quelles difficultés ajoute alors le Brexit à ce contexte ?

D’un côté la dépréciation de la livre permet un certain rééquilibrage commercial au bout d’un certain temps. De l’autre, à court terme, elle sonne la fin du mélange instable de surconsommation, d’afflux massif d’investissements étrangers et de délitement productif. Ces périodes de sevrage sont toujours compliquées à gérer. La question de la réindustrialisation vise la question des inégalités et du redéveloppement du territoire, mais aussi l’équilibre financier du pays. On a vu réapparaître le spectre de Tony Blair dans les médias depuis le référendum, mais le vent a néanmoins tourné de façon résolu dans ce pays chez les Brexiters comme chez la majorité des Remainers.

On fait poliment dérouler à l’ancien premier ministre ses arguments en faveur de l’annulation du vote du Brexit, car il reste un bon communicant, mais même les journalistes les plus défavorables à la sortie de l’UE ne manquent pas, la plupart du temps, de concéder qu’il n’a plus guère de crédibilité dans le pays.

Le rééquilibrage de l’économie britannique peut être rendu particulièrement difficile dans un contexte d’incertitude politique, comme celui des négociations du Brexit. On parle énormément de la hausse de l’inflation à court terme, qui a atteint 2.9% avant de refluer vers 2.6% le mois dernier. La dépréciation de la livre a certes alimenté l’inflation ; mais sauf à parier sur un effondrement continu du taux de change, le pays ne se trouve pas dans une spirale inflationniste, d’autant plus que les salaires stagnent, comme les mêmes analystes ne cessent de le rappeler. Ce qui menace davantage l’économie britannique sur le long terme c’est le spectre d’une incertitude juridique et commerciale dans ses relations avec l’Europe. La City risque de devoir évoluer vers un modèle encore plus résolument offshore, en perdant une partie de ses revenus entretemps. Plus généralement, la situation est asymétrique car le Royaume-Uni serait bien plus affecté que le reste de l’Europe par le rétablissement de barrières douanières dans le cadre régi l’OMC et surtout par le surplus de paperasse. Notons toutefois que de plus petits pays comme l’Irlande mais aussi les Pays-Bas et la Belgique serait presque autant affectés que le Royaume-Uni par ce scénario. Par ailleurs, une telle rupture serait politiquement, économiquement et juridiquement aberrent pour gérer les relations entre l’UE et un ancien membre qui continuera d’appliquer la quasi-totalité des normes de l’union, ne serait-ce que par souci de continuité.

Taxe carbone et divisions sociopolitiques au Canada

Tue, 25/07/2017 - 12:15

En mai dernier, le gouvernement fédéral canadien a annoncé une série de mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le prolongement de l’Accord de Paris. Le plan n’est pas sans réveiller les tensions intestines de la société canadienne, largement engagée dans un modèle de développement productiviste depuis plusieurs décennies.

La politique environnementale du gouvernement Trudeau se pare des atours communicationnels les plus brillants pour s’afficher comme le bon élève de la classe mondiale concernant les dispositifs de lutte contre le changement climatique. En mai dernier, la ministre de l’Environnement dévoilait un plan de réduction des émissions de méthane, un gaz qui représente le quart des émissions de gaz à effet de serre du pays. S’y agrège une mesure bien connue outre-Atlantique : la taxe carbone, qui s’élèverait à dix dollars la tonne dès 2018, pour augmenter graduellement de dix dollars chaque année et atteindre 50 $ en 2022. Une taxe qui ne devrait s’appliquer que pour les provinces de la Saskatchewan et du Manitoba.

Ces mesures sont cependant loin de faire consensus. La concorde sociopolitique, durement bâtie durant de longues décennies autour d’une économie politique néolibérale et productiviste, est en train de se fissurer. Le gouvernement Trudeau a perdu la confiance de la majorité des Canadiens et seuls 19 % d’entre eux soutiennent le projet. Leurs craintes ? La hausse de leur facture énergétique et la délocalisation des entreprises canadiennes, notamment les plus polluantes. Cela explique la forte opposition des provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta (autour de 70 % d’avis négatifs), deux provinces productrices de pétrole ; l’extraction pétrolière représente un quart du PIB de l’Alberta. Le risque serait de voir partir les entreprises et les investisseurs, alors même que les Etats-Unis de Donald Trump tournent le dos aux engagements de l’administration Obama lors de la COP 21, tenue à Paris en décembre 2015.

La contestation du projet met en exergue le paradoxe axiologique qui traverse le gouvernement canadien : d’une part, la force d’inertie d’une orthopraxie néolibérale, héritière directe du libéralisme d’un Pierre Eliott Trudeau (le père de l’actuel Premier ministre), fondée sur le productivisme et l’action de l’État pour décloisonner le marché, au mépris des considérations écologistes ; et d’autre part, la montée en puissance symbolique ces dernières années d’une construction diégétique autour de politiques de protection de l’environnement. Cette communication politique autour de mesures écologistes est d’autant plus efficace qu’elle frappe les esprits en s’opposant diamétralement au climato-scepticisme de l’ancien Premier ministre conservateur, Stephen Harper, lequel en son temps avait rejeté le protocole de Kyoto, défendu l’exploitation des sables bitumineux et tenté d’écarter les militants écologistes de l’espace public.

Dit d’une autre manière, Justin Trudeau est tiraillé entre un néolibéralisme débridé, écologiquement néfaste par essence mais idéologiquement puissant, et le capital politique que procure la mise en place d’une politique de protection de l’environnement, tant sur la scène politique intérieure que dans le jeu des relations internationales. Alors que Donald Trump apparaît comme un dirigeant imprévisible à tous égards et fait montre de mépris vis-à-vis des valeurs partagées par les démocraties libérales, le Canada a une carte à jouer : faire entendre sa voix et accroître son autorité politique dans le concert des nations, au moment où les sociétés occidentales sont travaillées par des courants anti-libéraux, de droite comme de gauche.

Seulement, le Canada n’est pas épargné par la montée de courants de pensée illibéraux dans sa société. Le printemps érable de 2012 n’en est qu’un exemple. Certains militants de gauche, alliés circonstanciels ou plus durables des séparatistes, gardent un poids politique notable au Québec. Le modèle multiculturaliste, qui s’est imposé au Canada comme une valeur dominante et identificatoire de la société, est lui-même attaqué ; en particulier par des courants islamophobes qui, sous prétexte de défendre la laïcité, aspirent tacitement au retour d’une société blanche mythifiée de tradition chrétienne. Ces courants contestataires mettent en lumière les contradictions qui parcourent la société canadienne jusqu’au sommet de l’État et irriguent l’ensemble des démocraties libérales. Des contradictions qui se résument à une alternative : abandonner ou maintenir les « frontières ».

Lutte contre le VIH : des progrès malgré des situations alarmantes dans certaines régions

Mon, 24/07/2017 - 14:06

ONU Sida a publié un rapport jeudi 20 juillet sur l’état des lieux de l’épidémie du VIH dans le monde[1] .

Le point de vue du Dr Anne Sénéquier, chercheuse associée à l’IRIS.

Globalement, ce rapport apporte-t-il de bonnes nouvelles dans la lutte contre le VIH ?

Ce rapport marque le mi-parcours du défi 90-90-90 lancé il y a 3 ans de ça, avec pour objectif d’atteindre 73% de l’ensemble des personnes vivant avec le VIH ayant une charge virale indétectable en 2020. Ce chiffre revient à obtenir 90% des personnes vivant avec le VIH connaissant leur statut, 90% de ces personnes ayant accès au traitement et enfin 90% d’entre elles ayant une charge virale indétectable. Sept pays ont déjà atteint ces objectifs, dont des pays à revenus faibles et intermédiaires (Botswana, Cambodge). cCela signifie que l’écart – jusqu’à présent important – entre les pays à hauts revenus et ceux à faibles revenus commence à se réduire, et que l’objectif de mettre fin à l’épidémie du Sida pour 2030 n’est plus une utopie. C’est la vraie bonne nouvelle.

Ce n’est pas la seule. Le taux de mortalité lié au Sida a été divisé par deux depuis 2005. On assiste également à une accélération du dépistage et du traitement avec davantage de pays et villes qui proposent un traitement dès le diagnostic, comme le préconise l’Organisation mondiale de la santé (OMS). On a une approche plus globale de la maladie, ce qui a permis une baisse mondiale de 48% des décès liés au Sida entre 2010 et 2016, ainsi qu’une baisse de 16% des nouvelles infections. Pour la première fois, la moitié des personnes vivant avec le VIH dans le monde ont accès à un traitement antirétroviral, ce qui est clef dans les nouvelles politiques de lutte contre le Sida.

L’approche globale a permis l’émergence de divers partenariats. Ceux avec la société civile permettent de mener des projets innovants pour atteindre des populations – notamment jeunes, masculines et rurales – que l’on n’arrive pas à cibler avec des programmes nationaux. Par exemple, le projet « Sustainable East Africa Research in Community Health » (SEARCH) en Ouganda et au Kenya qui a obtenu de vraies victoires. Des partenariats avec l’industrie pharmaceutique ont également permis l’encadrement du prix de test de dépistage des charges virales. Enfin, l’initiative « Ville Fast-Track » initiée à Paris et qui compte aujourd’hui plus de 200 villes à travers le monde où l’on réfléchit a des approches novatrices, et accès universels aux soins.

Selon le rapport, la situation reste alarmante en Afrique de l’Ouest et centrale, Moyen-Orient/Afrique du Nord et surtout en Europe de l’Est et en Asie centrale. Comment expliquer la vulnérabilité de ces zones ?

Les raisons sont certes différentes selon les régions, mais certains facteurs sont convergents. Parmi eux figurent ceux liés aux systèmes de santé : problème d’accès aux soins, lacunes dans la chaîne d’approvisionnement de médicaments, manque de financement, manque de professionnel de santé qualifié/sensibilisé au VIH… La discrimination et la stigmatisation des patients séropositifs peuvent encore être très présentes et sont toujours des obstacles majeurs à l’accès aux soins. Il est alors compliqué pour certains patients d’avoir confiance en un système de soins qui les marginalise, ce qui retarde encore le diagnostic/le traitement/la prévention secondaire… un cercle vicieux dont il est difficile de sortir.

Au niveau de la trithérapie, on pose deux problématiques. La disponibilité et le prix. Même si le traitement est disponible, la question reste épineuse quand il est question de faire un choix entre la trithérapie ou la nourriture pour la famille.

Le manque de sensibilisation des populations aux problématiques sanitaire et du VIH en particulier reste un problème majeur de ces régions. Notamment chez les jeunes, avec une mauvaise compréhension du VIH et de son mode de transmission. Les fausses croyances et la peur du virus sont également impliquées dans l’augmentation des nouveaux cas et un retard dans leur prise en charge.

Concernant l’Europe de l’Est et l’Asie Centrale en particulier, le rapport met en avant une faible utilisation de la trithérapie, puisque 28% seulement des patients VIH sont sous traitement et seulement 22% des patients sous traitement ont une charge virale indétectable.
Le test de dépistage VIH est encore confidentiel (12% en Azerbaijan, 26% en Georgie ) parmi les patients toxicomanies, c’est aussi le cas dans une moindre mesure dans la communauté homosexuelle et chez les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes : 57% en Ukraine.
Dans certains pays, les lois pénalisant l’homosexualité, la possession de drogue découragent les populations clef dans leurs recherches de soins autant préventif que curatif. Enfin il est important que noter qu’en 2016, 81% des nouvelles infections au VIH sont dévolus au seul pays de la Russie.

Quelles sont les perspectives futures dans la lutte contre le VIH ?

Il est primordial d’avoir une approche plurisectorielle. La prévention primaire fait le focus sur la limitation des cas de nouvelles infections : Éducation à la santé, notamment les jeunes de 15 à 24 ans (qui ont parfois à tort banalisé le Sida en maladie chronique) et les hommes, message de prévention, sensibilisation dans les populations clefs…

Ensuite, la prévention secondaire met l’accent sur la suppression de la charge virale chez les personnes vivant avec le VIH. Les études ont effectivement montré qu’avoir une charge virale indétectable protège le patient, mais aussi ses partenaires sexuels, ce qui limite donc la transmission du virus. C’est pourquoi on recommande aujourd’hui de commencer le traitement dès le diagnostic.

Il est également nécessaire de faire tomber les obstacles. Et c’est l’affaire de tout le monde. Il est question de normes de genre, inégalités sociales, difficulté accès aux soins, entrave à l’éducation, discrimination du séropositif, homophobie… À travers les divers partenariats et programmes évoqués, il s’agit d’harmoniser les politiques de santé et les législations au niveau mondial afin d’améliorer l’accès aux soins pour tous les patients. Il est en effet utopique de penser que l’on puisse éradiquer le VIH sans que tous les pays et continents n’avancent main dans la main, car l’épidémiologie nous a prouvé maintes fois qu’elle n’a que faire de la géographie.

Enfin, le quatrième pilier concerne l’aspect recherche et développement afin d’améliorer la tolérance et l’efficacité de la trithérapie. Aujourd’hui, de nombreuses résistances émergent (à l’image des résistances aux ATB) et cela risque de devenir un enjeu de demain. La recherche continue de travailler également sur un vaccin que l’on rêve aussi bien thérapeutique que préventif.

 

[1] http://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/Global_AIDS_update_2017_en.pdf

Changement climatique et terrorisme : pour éviter le simplisme

Mon, 24/07/2017 - 10:32

« On ne peut pas prétendre lutter efficacement contre le terrorisme si on n’a pas une action résolue contre le réchauffement climatique ». La déclaration récente d’Emmanuel Macron, maladroite car insuffisamment justifiée, en clôture du sommet du G20 à Hambourg le 8 juillet dernier a déclenché un tollé.

La facilité de la formule a, comme souvent, eu pour effet d’encourager le simplisme des réactions. A cela s’ajoute que le changement climatique et le terrorisme sont deux thèmes sur lesquels se projettent un certain nombre de clivages participant ainsi à l’hystérisation du débat. Parmi les détracteurs les plus visibles a figuré l’ancien ministre de l’Education nationale, Luc Ferry. Ce dernier a en effet publié deux tweets rageurs (« La déclaration d’Emmanuel Macron sur l’impossibilité de lutter contre le terrorisme sans action contre le climat franchit le mur du çon… », le 8 juillet ; puis « La ritournelle écolodélirante selon laquelle Daech serait lié au réchauffement plus qu’à l’islamisme est un insensé déni de réalité », le 10 juillet). L’avantage de cette nouvelle polémique reste qu’elle fournit l’occasion d’une nouvelle clarification concernant les corrélations existantes entre le changement climatique et d’autres défis sécuritaires comme le terrorisme.

Le changement climatique n’est évidemment pas une cause directe du terrorisme, ce que personne n’a jamais sérieusement avancé. Il agit en revanche comme un amplificateur de risques ; c’est-à-dire qu’il contribue, par ses manifestations géophysiques, à accentuer certains risques existants et connus, comme le risque inondations par exemple, l’érosion côtière ou les sècheresses. Il ne les crée pas mais il en renforce l’intensité et la fréquence. Ce sont notamment les conclusions des modélisations des différents spécialistes (climatologues, glaciologues, hydrologues, météorologues, océanographes, etc.) travaillant sur l’évolution du climat et dont les travaux sont regroupés dans les rapports du GIEC.

A long terme, les différents impacts du changement climatique peuvent conduire à d’importantes dégradations des milieux naturels dont l’état est vital pour certaines populations. C’est par exemple le cas du Sahel où l’agriculture vivrière et l’élevage sont indispensables à la survie des communautés rurales. Confrontées à la lente détérioration des conditions de leur subsistance et à l’absence de perspectives économiques autres que la migration, l’alternative pour certaines parties de la population peut revêtir le visage de la criminalité organisée, voire de la filière terroriste, tout simplement parce qu’il s’agit en dernier recours d’une manière de subvenir financièrement au besoin du foyer[1]. La misère est en effet un facteur à prendre en compte dans les processus de radicalisation, même si ceux-ci ne s’y résument pas.

Personne n’a jamais affirmé que l’apparition et l’expansion de Daech étaient liés au seul réchauffement climatique, ou, comme on a pu le lire sur de nombreux sites, que les auteurs des attentats en France en avait subi l’influence directe. Entrevoir la possibilité d’un lien à long terme entre impacts du changement climatique, dégradations d’un environnement, misère et radicalisation revient simplement à reconnaitre qu’un phénomène a bien souvent plusieurs causes.

Le risque incendie est une autre illustration de cette relation, que l’on peut observer dans l’actualité du moment. Le changement climatique intervient ici en effet en favorisant les sècheresses (plus longues et/ou plus fréquentes) et contribuant à l’augmentation de la température, qui conduit à terme à un allongement de la période de risque (de juin à septembre actuellement). S’il ne cause pas directement les incendies, il compte parmi les facteurs renforçant leur pouvoir de destruction et leur dangerosité car le feu se propagera plus facilement, plus loin et durera plus longtemps. Les dégâts seront plus importants, les victimes également, comme les risques pris par les pompiers. On observe d’ailleurs d’importants incendies estivaux dans l’ensemble des régions de moyenne et haute latitude, de la Californie au Portugal en passant par l’Australie, l’Italie, la Russie ou encore la France. Evidemment, les incendies sont généralement d’origine humaine, accidentelle ou criminelle. Alors certes, le changement climatique ne favorise pas l’apparition des pyromanes ou les comportements irresponsables chez les fumeurs jetant leur mégot dans les broussailles mais offre aux premiers un terrain de jeu plus important et aux seconds un environnement plus sensible à leur négligence.

Il ne faut donc évidemment pas faire du changement climatique l’alpha et l’oméga de toutes les questions de sécurité mais nier sa contribution au renforcement de certains risques ou au développement de certaines menaces, par idéologie ou opportunisme, est tout aussi absurde[2].

 

[1] Voir Katharina Nett, Lukas Rüttinger, Insurgency, Terrorism and Organised Crime in a Warming Climate, Adelphi, octobre 2016  et IRIS,

[2] Bastien Alex, Alice Baillat, François Gemenne, Rapport d’étude n°1 – Retrospective et typologie de crise, Observatoire des enjeux des changements climatiques en termes de sécurité et de défense, février 2017.

Macron, le gaullo-mitterandisme et sa limite

Fri, 21/07/2017 - 17:30

Considéré comme novice sur le plan diplomatique, Emmanuel Macron a plutôt réussi ses premiers pas sur la scène internationale.

Victorieux de Marine Le Pen, il rassurait les capitales étrangères sur la poursuite d’une politique française pro-Europe et pro-mondialisation, et d’une société apaisée. Peu connu et donc suscitant la curiosité optimiste, souriant et captant la lumière, il fut au centre des attentions au sommet du G7 et de l’OTAN.

Les propos dithyrambiques tenus par Donald Trump de retour de Paris à l’égard d’Emmanuel Macron semblent justifier son invitation, contestée par certains, au défilé du 14 juillet. Et également la stratégie choisie de ne pas le prendre frontalement et de jouer sur son ego.

Emmanuel Macron s’était montré ferme auparavant, tout d’abord en résistant au bras de fer physique imposé par le président américain en marge du sommet de l’OTAN mais surtout en enregistrant une vidéo en français et en anglais pour critiquer sa décision de sortir de l’accord de Paris. Ce choix était d’ailleurs l’un des arguments mis en avant pour ne pas inviter Donald Trump. D’autres raisons existent, liées tout simplement au caractère catastrophique et très réactionnaire de la politique du président américain. Mais le fait d’avoir de nombreux différends ne doit pas empêcher de se voir, ni effacer le rôle historique des États-Unis à nos côtés dans la première guerre mondiale. On peut trouver Donald Trump très désagréable, il n’empêche qu’il est impossible d’ignorer les États-Unis. Faire preuve d’ouverture et de bonne volonté à l’égard de ce pays peut éventuellement renforcer notre position lorsqu’il s’agira d’être plus ferme. Ce qu’il faudra sans doute faire à un moment ou à un autre.

L’invitation faite à Vladimir Poutine de venir à Versailles, à l’occasion du 300ème anniversaire de l’ouverture des relations diplomatiques entre la France et la Russie, fut un autre moment clé.

En invitant le président russe, Emmanuel Macron n’a pas tenu compte des rancœurs personnelles qu’il pouvait avoir du fait des interférences russes pendant la campagne électorale française. Surtout, il n’a pas craint d’affronter l’opprobre médiatique que suscite en France toute relation avec Vladimir Poutine. Cela ne l’a pas empêché d’avoir une relation ouvertement calée sur les rapports de force que ce dernier pratique et apprécie.

Dans les deux cas, Emmanuel Macron s’est bien inscrit dans une ligne gaullo-mitterrandienne qu’il revendique. Allié mais non-aligné sur les Etats-Unis, ouvert et décomplexé face à Moscou, il s’est de surcroit adapté au tempérament de chacun de ses deux interlocuteurs : câlinothérapie pour Trump, franchise brutale avec Poutine.
La rencontre avec Benyamin Netanyahou est d’un autre ordre.

Benyamin Netanyahou avait en effet grossièrement séché la conférence internationale pour la paix au Proche-Orient organisée par la France en janvier 2016. Le chef du gouvernement israélien s’oppose nettement à tout accord de paix et intensifie la colonisation israélienne en Palestine. Il est à la tête d’un gouvernement de droite et d’extrême droite. On pourrait ajouter les attaques qu’il avait lancé à l’encontre de Yitzhak Rabin avant son assassinat et qui avaient conduit Léa Rabin à toujours refuser de lui serrer la main après. Là encore, quelle que soit l’ampleur des divergences que les autorités françaises peuvent avoir avec le premier ministre israélien, il est tout simplement impossible de l’ignorer. Le principe de réalité doit prévaloir : on parle avec tous ceux qui comptent.

Mais parler ne signifie pas passer sous silence les divergences aussi bien avec Poutine, Trump et, également, Netanyahou. Et si le président français a rappelé son opposition à la colonisation israélienne, il ne semble tirer aucune conséquence du fait que le gouvernement israélien la poursuive allègrement. On peut recevoir Netanyahou mais, face à tout ce qui devrait nous séparer, faut-il lui donner du « Cher Bibi » ?

L’autre point gênant concerne le moment choisi. Recevoir Netanyahou, certes. Le faire au moment de la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv est plus discutable. Cela contribue à assimiler juifs français et Israéliens. Emmanuel Macron a bien fait de rappeler la responsabilité de la France dans la déportation des juifs. De Gaulle et Mitterrand affirmaient que la France n’était pas responsable parce que Vichy ne représentait pas la France. Dans un discours habile, Emmanuel Macron n’a pas critiqué leur position, peut-être nécessaire à l’époque, pour reconstruire un récit national. Mais la vérité, c’est que ce sont bien des fonctionnaires français obéissant à des autorités françaises qui ont déporté les juifs. Ce n’est pas là qu’Emmanuel Macron se distingue fondamentalement de Mitterrand et de De Gaulle. Il s’en écarte en prenant sur le conflit israélo-palestinien et ses conséquences en France, les positions du Crif, également pour plaire à cette institution, en invitant Netanyahou à la commémoration du Vél d’Hiv qui, contrairement à la fin de la première guerre mondiale, devrait être une affaire franco-française.

De même, l’assimilation entre antisémitisme et antisionisme, thèse qui ne résiste ni à l’histoire ni aux réalités contemporaines, semble être reprise avant tout pour faire plaisir au Crif.

Pour des raisons de politique intérieure, sur le conflit du Proche-Orient, Emmanuel Macron s’est écarté de la ligne du gaullo-mitterrandisme qu’il revendique – et incarne – par ailleurs.

Lula à la rue : Brésil, de coup d’État parlementaire à coups d’État judiciaires

Fri, 21/07/2017 - 10:03

La résidence principale ainsi que tous les biens de l’ex-président brésilien Lula ont été saisis le 18 juillet 2017 sur décision du juge fédéral Sergio Moro. Curieusement, cette décision a été prise le 14 mais a été révélée à l’intéressé par voie de presse. Condamné le 12 juillet 2017 à neuf ans et demi de prison par le même magistrat, Lula avait décidé de faire appel et avait annoncé dans la foulée sa candidature aux élections présidentielles de l’année prochaine.

Ce n’est pas la première fois que le juge Sergio Moro agit de la sorte par répliques judicaires violentes. Le 4 mars 2016, passant outre aux règles de droit, il avait sans convocation préalable envoyé la police au domicile de Lula à 6h du matin pour procéder à un interrogatoire dans les locaux d’un commissariat d’aéroport. La presse avait été informée et était sur place pour rapporter et filmer cette descente politico-judiciaire. Quelques jours plus tard, le 16 mars, dès l’annonce de l’éventuelle entrée de Lula dans le gouvernement de la présidente Dilma Rousseff, le juge Moro avait fait diffuser par les médias une conversation téléphonique de la présidente enregistrée à son insu. Cela avait provoqué un rappel au droit par les juges du Tribunal supérieur de justice (STF). Le 12 juillet 2017, Sergio Moro a fondé les neuf années et demie d’incarcération infligées à l’ex-président sur une présomption de corruption ; la condamnation ne s’appuyait donc pas sur des faits vérifiés. L’entreprise de travaux publics OAS aurait, selon le juge, fait cadeau au président Lula d’un appartement en échange de contrats avec Petrobras sans appel d’offre. L’appartement existe bel et bien et appartient à l’entreprise OAS mais les avocats de l’ex-président ont communiqué au juge les actes de propriété. Le 14 juillet 2017, le juge a donc durci a posteriori la condamnation prononcée deux jours plus tôt en l’assortissant d’une saisie des biens de l’ex-président ; ceci afin d’assurer la réparation minimale des dommages causés à Petrobras, est-il signalé dans l’exposé des motifs de la décision. Ont donc à cet effet été saisis la résidence principale de l’ex-président, deux appartements situés à proximité, un terrain, deux véhicules, ses quatre comptes en banque crédités d’environ 200 000 euros, ainsi que son plan de retraite.

De toute évidence, un certain nombre de juges ont rejoint les élus et les patrons qui ont décidé d’écarter de façon durable l’alternative sociale et politique que représente le Parti des travailleurs et de son leader historique Lula da Silva ; et ce quelles qu’en soient les conséquences institutionnelles. L’acharnement judiciaire de Sergio Moro, au prix du droit, est parallèle à celui des députés et sénateurs qui ont destitué la présidente Dilma Rousseff en détournant l’article 85 de la Constitution. La grande presse, le groupe multimédia Globo et l’hebdomadaire Veja, accompagnent cette curée politique. Le soi-disant quatrième pouvoir a donc mis sous le boisseau la déontologie de l’information et se comporte en acteur de l’offensive politique anti-Lula, fabricant un récit reflétant les intérêts de ses actionnaires. Cette offensive judicaire, parlementaire et médiatique sous couvert de chasse à la corruption a permis l’adoption de mesures budgétaires faisant porter le poids des ajustements sur les catégories les plus démunies.   Depuis un an, le pouvoir intérimaire a écrêté les budgets sociaux, gelé les dépenses publiques pour une durée de 20 ans et modifié le code du travail au détriment du droit des travailleurs.

Accessoirement – mais cela l’est-il vraiment l’esprit des lois ? – de la morale collective, la déontologie de l’information a été gravement remise en question avec la complicité active de juges, de journalistes et d’élus, ainsi que de députés et sénateurs. Lula donc est revenu à la case départ. Il y a une soixantaine d’années, il avait migré un baluchon sur le dos du Nord-Est du Brésil à Sao Paulo. Ses biens modestes (voir supra) lui ont été retirés par une justice de classe. Un juge du Tribunal suprême ou de Cour fédérale gagne en effet plus de 13000 dollars par mois, comme les députés et sénateurs. Quant aux magistrats de rang inférieur, ils peuvent gagner jusqu’à dix fois plus selon l’enquête publiée par Michael Reid, ancien correspondant au Brésil de l’hebdomadaire britannique The Economist [1].  Lula est ainsi victime d’un juge ayant un comportement d’accusateur partisan au nom de la vérité de la « casa grande » (l’habitation du maître à l’époque esclavagiste), comme on dit au Brésil. L’Eglise catholique ne s’y est pas trompée : la Commission justice et paix de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB), a rendu public un message appelant les fidèles à défendre la démocratie et l’ex-président Lula. « Le pouvoir judiciaire », signale le document, « sur un certain nombre de sentences s’est laissé influencer par des intérêts qui n’ont rien de républicain ». Le message est manifestement passé puisque 17 grandes villes brésiliennes avaient programmé le 20 juillet des manifestations de soutien à Lula, à la démocratie et contre la modification du code du travail.

 

[1] Michael Reid, « Brasil a esperança e a deceçao », Lisbonne, Presencia, 2016

« Rien ne justifie la crise d’autoritarisme du président »

Thu, 20/07/2017 - 12:41

Quels sentiments vous inspire la crise qu’on vient de traverser ?

Il s’est passé des choses différentes : la réduction budgétaire -une habitude chez les politiques- ; la gestion d’une déclaration avec la faillite de l’éthique d’un député qui sort de la commission les propos du général de Villiers ; un président qui fait des reproches au chef d’état-major des armées (CEMA).

Est-elle inédite ? 

À ce point-là, c’est du jamais vu. En 2015, il y avait eu un bras de fer entre le président Hollande et quatre chefs d’état-major… Là, ça intervient dans un contexte particulier : deux mois après son arrivée au pouvoir, Macron a réussi à virer quatre de ses ministres, à reclasser son directeur de campagne, et à virer le CEMA. Ça se serait passé chez Erdogan, on hurlerait à l’autoritarisme ! Personne ni rien ne peut justifier la crise d’autoritarisme du président : ça ressemble plus à celle d’un enfant gâté qu’à celle d’un chef d’État responsable.

Les militaires, dans leur ensemble, soutenaient-ils de Villiers ?

Le sentiment était d’autant plus partagé qu’il y avait des promesses de campagne extrêmement claires, pro-militaires. Il y a même eu de la communication très poussée : Emmanuel Macron a rendu visite aux blessés à l’hôpital de Percy, puis au Mali. Et lorsqu’il s’agit d’une première opération concrète, on en arrive là ! Ce n’est pas admissible par les militaires : il y a une telle distorsion entre les promesses et les actes. Il a réussi à se mettre à dos en une seule fois tous les militaires. C’est d’autant plus difficile quand on combat au Mali, avec des véhicules hors d’âge ou d’usage. Comment 3 000 hommes peuvent-ils sécuriser 5 millions de km² au Sahel ? Les politiques sont totalement déconnectés de la réalité sur ces questions-là. La France n’a plus les moyens des ambitions clientélistes et communicationnelles de ses présidents.

Israël/Palestine : quelle situation 50 ans après la guerre de juin 1967 ?

Thu, 20/07/2017 - 11:26

Jean-Paul Chagnollaud est le président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO) et de la revue Confluences Méditerranée. Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Israël/Palestine, la défaite du vainqueur » (Actes Sud, mai 2017) :
– Comment expliquer qu’aujourd’hui, la violence du conflit israélo-palestinien soit devenue moins ‘visible’ ?
– Comment analysez-vous la politique d’Israël envers les territoires palestiniens ?
– Quelles sont les solutions envisageables pour sortir de l’impasse et trouver une paix juste ?

Fleuve Congo : où en est Inga, le projet du plus grand barrage du monde ?

Thu, 20/07/2017 - 10:05

Sur le fleuve Congo, le projet de Grande Inga – équivalent de 24 centrales nucléaires – pourrait satisfaire 40% des besoins énergétiques du continent africain. Sa réalisation est prévue à 250 km de Kinshasa sur le fleuve. Sa réalisation, qui devra suivre plusieurs phases, se heurte toutefois à de nombreuses difficultés dans un pays – la RD Congo – caractérisé par son instabilité politique quasi endémique.

L’idée d’exploiter les capacités hydroélectriques du fleuve Congo est ancienne. En 1925, le Colonel Pierre Van Deuren publia un rapport sur la mise en valeur intégrale du fleuve dans la région des cataractes par la construction des barrages de régulation. Il prévoyait en plus de barrages, des centrales hydroélectriques et une industrie lourde centrée sur l’électrométallurgie et l’électrochimie. On lui doit aussi la création du Syndicat d’études du Bas-Congo (SYNEBA) qui estima en 1931, dans son rapport au ministre des Colonies, qu’il était possible de construire à Inga des installations de production d’énergie électrique satisfaisant tous les besoins de la colonie belge, « même dans un avenir très éloigné ».

S’il venait à être réalisé, avec un coût voisin de 50 à 80 milliards de dollars, ce gigantesque projet de six barrages – installé sur le site exceptionnel des chutes d’Inga qui débitent selon les saisons entre 30 000 et 60 000 m3 d’eau par seconde – pourrait produire jusqu’à 40 gigawatts d’électricité, soit deux fois plus d’énergie que le barrage des Trois Gorges en Chine, ou l’équivalent de plus de 24 réacteurs nucléaires de troisième génération. De quoi bouleverser la donne énergétique régionale puisque l’énergie serait exportée jusqu’en Afrique du Sud mais aussi vers le Nigeria, voire plus au Nord vers l’Egypte, pour, en théorie, satisfaire 40% des besoins du continent.

Le projet est ainsi présenté comme le moyen d’« illuminer l’Afrique ». Grand Inga figure parmi les projets prioritaires de la Communauté de développement d’Afrique Australe (SADC), du New Partnership for African Development (NEPAD) et du Conseil mondial de l’énergie (CME).
Projet inscrit dans le très long terme, « Grand Inga » prévoit plusieurs phases d’extension des capacités de production électrique. En un premier temps, 22 000 hectares de terres seront submergés par la rivière Bundi, un affluent du fleuve Congo, pour alimenter les onze turbines du futur mégabarrage « Inga III » et produire 4 800 mégawatts, puis dans un second temps, 7 800 MW. Et ce ne serait qu’un début. Cinq autres barrages sont ensuite prévus pour achever le rêve du « Grand Inga » et ainsi produire les 40 000 MW escomptés.

En gestation depuis plus de dix ans, Inga III – d’un coût total estimé à 12 milliards de dollars – a été ressuscité en 2013 par la promesse faite par l’Afrique du Sud d’acheter plus de la moitié de la production d’électricité du futur barrage, garantissant de la sorte une viabilité financière au projet. Deux consortiums étrangers ont été sélectionnés pour faire une offre unique : China Three Gorges Corporation et SinoHydro (Chine) et ACS et Eurofinsa (Espagne). Le contrat de concession qui sera signé chargera le concessionnaire de trouver les financements, de construire, d’exploiter et de commercialiser l’électricité produite.

Néanmoins, le mauvais entretien ainsi que les problèmes financiers qu’ont connus les barrages existants Inga I et Inga II, de même que le coût des réseaux de distribution, soulèvent des nombreuses questions sur les risques de rentabilité d’Inga III et a fortiori de Grand Inga. Dans un rapport de juin 2017, l’ONG californienne International Rivers porte une sévère estocade au projet : « Inga va enfoncer la RDC plus profondément dans la dette, tandis que d’autres pays et les investisseurs internationaux vont récolter les bénéfices ». Le meilleur scénario, qui prévoit des revenus annuels de 749 millions de dollars, est jugé irréaliste car basé sur l’absence de dépassement de budget, sur des prix élevés pour l’électricité générée et des pertes faibles de transmission. La contribution de l’Etat congolais de 3 milliards de dollars porterait la dette publique actuelle de 6,5 à au moins 9,5 milliards.

Pour l’heure, moins de 9 % des Congolais ont accès à l’électricité. La production d’Inga I et II, d’une capacité totale de 1 775 MW, stagne à moins de 500 MW. Ils tournent au ralenti, obérés par la mauvaise gestion et le déficit de la maintenance. Un plan de réhabilitation entrepris en 2003 a absorbé 200 millions de dollars d’aide de la Banque mondiale. Il en faudrait désormais 900 millions pour permettre à ces deux barrages l’exploit jamais atteint de fonctionner à plein régime.

La géopolitique va jouer un rôle dans ce projet. La Banque africaine de développement s’est imposée comme chef de file du côté des bailleurs de fonds, avec une attitude pour le moins flexible envers un Etat jugé fragile et donc à fort risque. De son côté, la Banque mondiale a décidé fin 2016 d’interrompre ses financements à l’assistance technique de tous les projets d’Inga. Elle est en effet insatisfaite par le montage institutionnel et opérationnel du projet, et s’interroge également sur la faisabilité de la construction du « plus grand barrage du monde dans un des pays les plus instables du monde ».

Un an après le putsch raté, où va la Turquie ?

Tue, 18/07/2017 - 16:32

Le week-end dernier en Turquie, des commémorations ont été organisées pour célébrer l’échec du coup d’État de l’an dernier. Le point de vue de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, sur la situation du pays.

Un an après la tentative ratée de coup d’État, quelle est la situation politique en Turquie ?

Rappelons tout d’abord qu’il s’agissait d’une véritable tentative de coup d’État puisque près de 250 personnes sont mortes lors de la nuit du 15 au 16 juillet 2016 et que le Parlement turc a été bombardé. Dans un premier temps, le pouvoir a riposté en organisant une vague d’arrestations dans les semaines qui ont suivi la tentative de coup d’État. Le problème, c’est que ces arrestations – qui dans un premier temps pouvaient être justifiées et légitimes – se sont poursuivies sans interruption. Actuellement, 45 000 personnes sont en prison et la grande majorité d’entre elles attendent toujours de connaître les actes précis d’accusations. Outre ces arrestations, un peu plus de 140 000 fonctionnaires ont été limogés, surtout sous le coup d’accusation de « complicité avec les terroristes ». Cette dénomination reste assez vague et laisse une marge d’interprétation problématique du point de vue de la justice.

Dans les mois qui ont suivi les événements du 15 et 16 juillet 2016, on a donc assisté à un contre coup d’État civil qui a pris une ampleur telle que l’État de droit n’a pas été respecté. Il est également inquiétant d’assister à une sorte de reformatage de l’État turc, qui devient de plus en plus un « État AKP », le parti majoritaire dirigé par Recep Tayyip Erdoğan. La concentration des pouvoirs a de plus été codifiée lors du référendum constitutionnel du 16 avril dernier.

La Turquie traverse ainsi depuis un an une intense polarisation politique, ainsi qu’une fuite en avant dans le tout répressif. Cette stratégie de la tension est utilisée par le pouvoir comme un moyen de se maintenir et de justifier qu’Erdoğan et son parti soient les seuls capables de maintenir la « démocratie » et de défendre les intérêts fondamentaux de la Turquie. C’est le narratif utilisé par le pouvoir.

Les droits démocratiques sont aujourd’hui en danger en Turquie, même si l’on ne peut encore parler de dictature, ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, lors des semaines précédant le référendum du 16 avril, le pouvoir avait massivement et abusivement utilisé les médias en faveur du « oui ». Or, il ne l’a emporté que d’une courte majorité (51,4%), ce qui signifie qu’une grande partie de la population s’est servie du scrutin pour manifester sa réprobation. Ce fut un échec politique pour Erdoğan qui visait au minium les 60%. Le deuxième élément est la « marche pour la justice » d’Ankara à Istanbul organisée ces dernières semaines par le principal parti de l’opposition, le Parti républicain du peuple. Celle-ci fut un succès ayant réuni des dizaines de milliers de personnes et ayant permis la tenue d’un immense meeting politique à Istanbul.

Des formes de résistance d’une partie de la société s’expriment donc au grand jour et sont des éléments porteurs d’optimisme pour l’avenir.

Quel message Erdoğan a-t-il cherché à délivrer lors des commémorations patriotiques organisées ce week-end ?

Le message d’Erdoğan est violent, ainsi lorsqu’il déclare vouloir « arracher les têtes » des responsables de la tentative de coup d’État. Ce genre de formulation n’est pas très responsable dans la bouche d’un dirigeant qui se veut être un homme d’État de premier plan.

Ces journées de commémoration des 249 victimes sont certes légitimes mais elles font l’objet d’une instrumentalisation politique de la part du pouvoir. Celui-ci s’en sert en effet pour délivrer le message suivant : « la Turquie et son régime démocratique ont été menacés ; heureusement que les citoyens sont descendus dans la rue pour soutenir Erdoğan, les responsables politiques turcs actuels sont les seuls capables de préserver le pays et son avenir ». Ces commémorations représentaient donc un enjeu de communication politique pour le pouvoir (cela reste le propre de toute célébration de ce genre). Elles interviennent toutefois dans un climat très tendu car rappelons que des dizaines de journalistes, d’intellectuels et de responsables de partis politiques sont en prison.

Quelles sont les perspectives futures pour la Turquie alors que sa société est profondément divisée ?

Il est important de distinguer la conjoncture de la période. La première n’est clairement pas bonne pour toutes les raisons déjà évoquées et il y a clairement une perte de temps et le gâchis de fortes opportunités pour la Turquie. En effet, rappelons que du début des années 2000 aux années 2008-2009, on a assisté à un élargissement du champ des libertés démocratiques individuelles et collectives. Or, nous sommes aujourd’hui dans une phase de régression problématique. De même au niveau économique puisque la Turquie avait atteint des taux de croissance de presque deux chiffres dans les années 2009-2010, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

Pour autant, si l’on raisonne au niveau de la période, la Turquie n’est pas à genoux. Elle continue d’être un pays incontournable pour la région et ses équilibres d’un point de vue démographique, géographique, géopolitique et économique. Ce serait une erreur de l’isoler et une vision à court terme alors qu’il faut plutôt raisonner sur le moyen terme, tout en restant exigeant sur les atteintes aux libertés démocratiques. Rien ne serait pire que de geler officiellement les relations avec la Turquie, comme le préconise un vote récent du Parlement européen. Au contraire, il faut maintenir un dialogue exigeant et ferme. Rappelons que les Européens ont eux aussi besoin de la Turquie pour nombre de défis, notamment celui des questions migratoires et des réfugiés.

Enfin, la question kurde reste le défi numéro un de la société turque. Aujourd’hui, celle-ci est presque exclusivement traitée d’un point de vue militaire, ce qui est une erreur. Il est nécessaire que les dirigeants turcs aient la volonté de reprendre un contact politique avec le PKK. Il faut reprendre le chemin de la négociation telle que menée dans les années 2012-2015 ;  le plus tôt cela se réalisera, le mieux ce sera pour la stabilisation de la Turquie.

Le JEFTA : un message pour Washington et Pékin

Tue, 18/07/2017 - 14:45

Le sommet du G20 de Hambourg ne fut pas un succès. Ceux qui espéraient un retour des Etats-Unis dans l’Accord de Paris ont rapidement déchanté devant la détermination de Donald Trump ; et derrière de longues rencontres entre les dirigeants des grandes puissances et un engagement commun contre le terrorisme, ce sommet ne restera pas dans les annales. Au niveau commercial, aucune avancée notable et des difficultés illustrées par les velléités protectionnistes de Donald Trump.

Prenant presque à contre-courant les impasses que l’actualité politique et commerciale nous impose, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, le président du Conseil européen Donald Tusk et le Premier ministre japonais Shinzo Abe annoncèrent la veille des rencontres de Hambourg, à l’occasion d’un sommet Union européenne (UE)-Japon, un accord de principe sur un accord de libre-échange entre l’UE et le Japon, désigné sous le sigle de JEFTA (Japan-Europe Free Trade Agreement). Si cet évènement fut peu médiatisé, il s’agit tout de même de l’accord commercial le plus important jamais signé par l’UE. Et chaque milliard d’euros d’exportations vers le Japon, troisième partenaire commercial de l’UE, supporte par ailleurs 14 000 emplois en Europe, estime la Commission. Il s’agit donc d’un accord majeur, beaucoup plus important que le CETA avec le Canada par exemple.

Le JEFTA est aussi et surtout un message très clair adressé à Washington et à Pékin. En abandonnant le TPP (Trans Pacific Partnership) en dépit des efforts d’Abe Shinzo pour l’en dissuader, Donald Trump a laissé le Japon orphelin. En se montrant hostile au TAFTA (accord UE – Etats-Unis), le président américain semble vouloir refermer des négociations qui ont duré des années et imprime sa volonté de privilégier un protectionnisme commercial renforcé. Avec le FEFTA, dont les négociations durent depuis quatre ans et dont il convient malgré tout de signaler qu’elles ne sont pas terminées, l’UE réussit le tour de force d’apparaître comme le champion du libre-échange et de récupérer un accord avec une puissance commerciale de premier plan, par ailleurs troisième économie mondiale et connue pour ses droits de douane particulièrement élevés. Côté chinois, on se réjouit depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump du retrait progressif des Etats-Unis  de la scène économique et commerciale asiatique et Pékin n’a pas tardé à récupérer les anciens membres du TTP. Le Japon, pour des raisons multiples, était le plus réticent à répondre aux sirènes de la Chine, et les dirigeants chinois gageaient sans doute sur un épuisement progressif de son voisin, qui aurait fini par frapper à sa porte. Le JEFTA est une réponse par la négative et la promesse d’une ouverture vers l’Europe de la deuxième puissance asiatique. Nul doute d’ailleurs que l’échec du TTP et les craintes liées à l’hégémon chinois en Asie orientale ont joué un rôle important dans la volonté de Tokyo de trouver un accord rapidement avec Bruxelles. Et les partenaires européens ont bien saisi pour leur part l’opportunité offerte par ces réajustements politico-économiques.

« Histoires extraordinaires des matières premières » – 3 questions à Alessandro Giraudo

Tue, 18/07/2017 - 10:49

Alessandro Giraudo, économiste, est Chief Economist du groupe international Viel Tradition. Il enseigne la finance et l’histoire économique de la finance à l’Institut Supérieur de Gestion (ISG). Dans son dernier ouvrage paru aux éditions François Bourin, il livre sur un ton plaisant, un pot-pourri de brèves histoires et anecdotes économiques qui ont forgé l’économie du monde à travers les matières premières.

On a du mal à imaginer qu’il y a plus de vingt siècles le prix du sel était le même que celui de l’or…

Dans le passé, la demande de sel a toujours été très forte et l’offre relativement faible. En effet, bien qu’on le trouve dans l’eau de la mer et dans les mines, il faut le transporter sur de longues distances : il est très lourd et la déperdition est importante.

La raison essentielle de la cherté du sel tient à ses nombreuses propriétés et utilisations. Avant tout, il a été le seul « réfrigérateur » pour tous les hommes dans les différents continents et pendant longtemps. Viandes, poissons, fruits et légumes ont été conservés et ont pu être transportés grâce au sel et aux différentes méthodes de salaison. Par exemple, le développement de la pêche dans la mer du Nord et dans le bassin Baltique a été largement favorisé par la disponibilité de sel provenant des côtes françaises et des mines de sel gemme polonaises et du centre de l’Europe. Il ne faut pas oublier que la salinité du bassin Baltique est bien inférieure à celle des autres mers…Par ailleurs, l’Homme – comme les animaux – a absolument besoin de sel dans son alimentation. En Hollande, la peine capitale a ainsi pu prendre la forme d’une alimentation entièrement dépourvue de sel ; la victime dépérissait à vue d’œil progressivement jusqu’à la mort…On rappelle toujours que la cavalerie du général Lee, au cours de la guerre de Sécession, a été décimée par manque de sel ; les montures souffraient de gonflement de la langue et du bas des jambes. Tout au long de cette guerre très meurtrière, les combattants ont essayé de conquérir ou de détruire les centres de production de sel pour saboter les capacités de l’ennemi de conserver les aliments et priver les animaux (chevaux et bétail) de sel, aliment essentiel.  De plus, le sel a toujours été utilisé par les carabins des armées pour désinfecter les petites blessures, méthode largement adoptée par toutes les populations. Et les mineurs, aussi, ont employé du sel pour l’extraction de certains métaux (argent, cuivre, par exemple).

Donc l’équation sel = pouvoir a été valable pendant longtemps et les producteurs, les marchands et les distributeurs ont toujours pratiqué des prix très élevés pour ce produit irremplaçable dans la vie de l’Homme. Certaines régions ont largement profité du fait de disposer de sel : c’est le cas des centres de production de la Sicile occidentale, de Venise qui, initialement, a basé son pouvoir sur le monopole du commerce du sel dans l’Adriatique. Le Yunnan, la riche province chinoise, a pu garder une certaine liberté d’action car elle ne dépendait pas des arrivages de sel de la côte de la mer de Chine. De même, les empereurs Inca ont été protégés par la disponibilité du sel des salars des Andes, sans dépendre du sel du Pacifique.

Par ailleurs, on remarque que les trésors publics ont toujours imposé une fiscalité très lourde sur le sel, l’équivalent du pétrole de nos jours. Dans les Alpes franco-italiennes les contrebandiers de sel ont toujours détesté les gabelous[1].Beaucoup de guerres ont eu pour cause la fiscalité sur le sel. Un de ces conflits les plus connus s’est déroulé en 1540 à Pérouse, région contrôlée par le Pape qui souhaitait augmenter la pression fiscale sur le sel. La population s’était révoltée ; le Pape envoya le condottiere Pier Luigi Farnese (son fils) qui écrasa les citoyens de la ville. Ils durent accepter la hausse. Mais la réaction des boulangers fut très nette : ils commencèrent à produire du pain sans sel…tradition qui perdure encore maintenant.

Vous expliquez que c’est pour obtenir la noix de muscade de l’île de Run en Indonésie que les Néerlandais ont laissé Manhattan aux Anglais. Pouvez-vous développer ?

La noix de muscade figure parmi les épices les plus chères de toute l’Histoire. Le centre principal de production a été concentré au sein de l’île de Run, faisant partie de l’archipel de Banda, en Indonésie. Deux grandes puissances commerciales – l’Angleterre et la Hollande – se battent très durement pour contrôler cette production et le commerce. La possession de l’île passe d’un pays à l’autre, à la suite d’un conflit qui se déroule aussi dans le Ponant et touche Manhattan. En 1525, la péninsule de Manhattan est explorée par Giovanni da Verrazzano, un Italien au service de François Ier. Plus tard, Manhattan est occupée par Henry Hudson, un Anglais qui travaille pour la VOC (la compagnie des Indes hollandaise). Le délégué de la Compagnie, Peter Minuit, l’achète aux Indiens Lenape pour 60 florins, payés en wampuns (coquillages très appréciés par les tribus indiennes de l’Amérique du Nord). En 1664 ce sont les Anglais qui occupent Manhattan ; ils rebaptisent la ville (anciennement New Amsterdam) New York, en honneur du duc de York et d’Albany. Cet événement figure parmi les causes de la seconde guerre anglo-hollandaise. En 1667, trois ans après le début du conflit, les participants (Londres, Amsterdam et Copenhague) signent le traité de Bréda ; une des clauses prévoit que la péninsule de Manhattan reste sous contrôle des Anglais, tandis que les îles de Banda et le Surinam demeurent sous contrôle néerlandais. Londres est la grande perdante de cette guerre ; l’Angleterre est affaiblie par la peste et par le grand incendie de 1666 qui frappe la capitale.

Les hommes de la VOC sont très contents de conserver le contrôle de l’île de Run qui, à leurs yeux, vaut beaucoup plus que Manhattan, où le seul commerce est réalisé avec les Indiens qui vendent des fourrures. Pour protéger les prix de la noix muscade, les marchands hollandais n’hésitent pas à brûler le surplus des stocks dans les magasins d’Amsterdam. Au cours de la troisième guerre anglo-hollandaise, les Néerlandais reprennent Manhattan (1673), mais la paix de Westminster de l’année suivante met fin au conflit et confirme que Manhattan reste dans les mains des Anglais et que les îles de Banda (avec le Surinam) demeurent hollandaises. Une curiosité : la guerre en Extrême-Orient continue neuf mois après la signature de la paix…C’est le temps qu’il faut pour communiquer aux combattants locaux la fin des hostilités!

Quelle est cette première crise énergétique, qui a lieu au XVIIe siècle, mentionnée dans votre ouvrage ?

Au cours du XVIIe siècle, la crise énergétique qui a bouleversé l’Europe a également eu un impact important sur le reste du monde. Il s’agit de la première crise énergétique de toute l’Histoire.

En premier lieu, la demande par les artilleries de « bouches à feu » a explosé avec une série presque ininterrompue de guerres dans le vieux continent. Pour fondre le bronze et le fer (surtout en Suède et en Russie), des forêts entières sont coupées (pour produire du charbon de bois) et la déforestation autour de Londres devient dramatique. Au même moment, les marines militaires et commerciales se déploient sur les mers et les océans. Pour lancer un galion il faut disposer de 4 000 arbres de grande qualité et la consommation de bois dépasse l’offre. Certaines marines sont forcées de faire fabriquer plusieurs de leurs bateaux dans les Caraïbes, au Brésil, en Inde et en Indonésie. Par ailleurs, une vague importante d’urbanisation se manifeste avec une forte demande de bois pour la construction des maisons et aussi la restructuration et la construction des murailles de fortification des villes pour contrecarrer une nette amélioration des capacités de destruction des artilleries (canons de plus gros calibre, obus plus puissants, nette amélioration de la précision des tirs). La réponse, naturellement, est dans l’utilisation de la brique destinée aux maisons de la grande majorité des populations, de la pierre pour les classes bourgeoises et du marbre pour les bâtiments habités par les puissants et pour ceux destinés aux fonctions publiques.

De plus, le climat change d’une façon significative : on parle de la petite glaciation qui commence au cours du XVIIe siècle et dure pendant plus de deux siècles. Les peintres flamands sont des témoins très attentifs de cette réalité et peignent des patineurs s’amusant sur des rivières et des canaux gelés. À Londres, un marché hebdomadaire est même organisé sur la Tamise, totalement glacée. Les peintres italiens, aussi, sont des témoins précis de ce changement climatique : les femmes de la Renaissance aux décolletés généreux sont progressivement remplacées par des dames arborant des collerettes et des vestes très lourdes ; les hommes se font peindre avec de pesantes fourrures qui les protègent contre le froid et montrent leur richesse.

Les conséquences sont incroyables : au cours du XVIIe siècle, les prix du bois sont multipliés par quatre en moyenne, avec des pics en fonction des lieux et de la qualité. On essaye de prospecter et développer des champs de tourbe dans les Flandres (où on signale une forte utilisation des moulins à vent) et d’employer la houille qui affleure en surface dans certains bassins anglais, franco-belges, de l’Allemagne rhénane, des montagnes du centre de l’Europe et du Donbass. Des mouvements tectoniques des équilibres entre les nations se préparent à cause – ou grâce – à cette crise qui relance la compétition et la compétitivité en Europe et, progressivement, dans le monde entier, avec une grande redistribution des cartes du pouvoir…

[1] Le mot gabelle provient de l’arabe et signifie taxe.

La diplomatie climatique du Bangladesh : le « weak power » en action

Mon, 17/07/2017 - 12:03

Pays particulièrement vulnérable aux impacts du changement climatique, le Bangladesh a développé au fil des années un arsenal politique et institutionnel, ainsi qu’une expertise locale en matière d’adaptation qui lui ont permis d’acquérir un certain « weak power » pour défendre ses intérêts dans les négociations climatiques. Explications d’Alice Baillat, chercheuse à l’IRIS ayant rédigé sa thèse sur « Le weak power en action : la diplomatie climatique du Bangladesh » sous la direction de Guillaume Devin à Sciences Po.

Vous qualifiez le Bangladesh de « weak power », en quoi cela consiste-t-il ?

Le Bangladesh est le plus souvent connu pour être l’un des pays les plus pauvres de la planète et l’un des plus vulnérables au changement climatique. Plusieurs classements internationaux, comme celui de Maplecroft, place ainsi le pays en tête des pays les plus vulnérables, tandis que de nombreux rapports d’ONG et d’organisations internationales le présentent comme une victime emblématique du changement climatique, aux côtés des petits États insulaires. Si cette vulnérabilité lui a permis de gagner en visibilité sur la scène internationale, elle s’est aussi révélée être un levier d’action publique et diplomatique pour le gouvernement bangladais.

On a souvent tendance à confondre la vulnérabilité avec l’incapacité à agir. Cependant, au Bangladesh, on observe au contraire depuis les années 2000 une forte mobilisation du gouvernement et des acteurs de la société civile – notamment les ONG et les chercheurs – pour s’attaquer de front aux impacts du changement climatique qui menacent le développement économique et social du pays. Loin d’être une victime passive, le Bangladesh est donc au contraire une victime agissante. Proactif dans le développement d’instruments d’action publique nationaux, le Bangladesh est aussi devenu l’un des principaux porte-paroles des pays les moins avancés et les plus vulnérables dans les arènes climatiques.

La notion de « weak power » renvoie ainsi à la capacité d’un pays comme le Bangladesh à transformer sa faiblesse, en l’occurrence sa vulnérabilité aux aléas climatiques, en levier d’action publique et en avantage comparatif pour défendre ses intérêts dans une négociation internationale marquée par des rapports de force asymétriques qui lui sont a priori défavorables. Par exemple, la vulnérabilité du Bangladesh a rapidement transformé le pays en terrain d’expérimentation et de nouveaux savoirs sur l’adaptation au changement climatique pour des acteurs étrangers et locaux (chercheurs, organisations internationales, ONG, etc.), ce qui lui a permis de développer une expertise locale qui fait aujourd’hui figure d’exception parmi les pays les moins avancés. Subissant déjà des impacts visibles du changement climatique, le pays est en effet « assis » sur le problème climatique. Il est devenu un laboratoire de l’adaptation, avec le développement de nombreux programmes de recherche, de nouvelles méthodes et de projets pilotes sur le terrain. Cette expertise a conféré au pays un certain leadership scientifique auprès des autres pays vulnérables, qui s’inspirent désormais des leçons apprises au Bangladesh pour développer leurs propres programmes d’adaptation.

Dans les négociations internationales sur le climat, la vulnérabilité peut aussi devenir un ‘avantage’ pour le Bangladesh pour défendre ses intérêts nationaux. La situation et les besoins spécifiques des pays les plus vulnérables sont en effet reconnus par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui prévoit ainsi des mesures particulières pour les aider à s’adapter. La reconnaissance internationale de la vulnérabilité du Bangladesh légitime notamment ses revendications en matière de transferts technologiques et financiers des pays développés vers les pays en développement.

Plus précisément, quelles sont les stratégies développées par le Bangladesh pour conduire une telle diplomatie ?

Le Bangladesh met en avant, de manière stratégique, à la fois sa vulnérabilité et son statut de « champion de l’adaptation » pour jouer un rôle dans les négociations internationales, se faire entendre et influencer le processus. La Première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, s’est d’ailleurs vu décerner en septembre 2015 par le Programme des Nations unies sur l’Environnement le prix des Champions de la Terre dans la catégorie « leadership politique », en reconnaissance des efforts gouvernementaux pour lutter contre le changement climatique.

D’un côté, on observe la mobilisation de stratégies discursives de victimisation et de dramatisation pour convaincre le reste du monde de la vulnérabilité du pays et de ses besoins d’adaptation, qui supposent notamment d’importants transferts financiers. Des déclarations sont ainsi tenues dans les négociations par la Première ministre du Bangladesh et par le ministre de l’Environnement pour mettre en avant la fragilité du pays face aux aléas climatiques. Ils insistent en particulier sur le risque d’importants déplacements de population liés aux impacts du changement climatique, que le gouvernement ne pourra gérer seul et qu’ils présentent comme un facteur de déstabilisation nationale et internationale. Par la mise en avant de sa vulnérabilité, le Bangladesh exerce ainsi un « leadership moral » visant à exercer une pression sur les pays développés pour les contraindre à remplir leur devoir moral d’aider les pays les plus vulnérables à lutter contre le changement climatique, ces derniers étant aussi les moins responsables du réchauffement planétaire et les moins dotés en ressources technologiques, économiques et politiques.

D’autre part, le Bangladesh s’efforce de s’imposer comme un acteur moteur et proactif de l’action climatique mondiale en développant des stratégies individuelles et collectives. Il se positionne tout d’abord comme un « bon élève » de la lutte contre le changement climatique, capable de donner des leçons et de servir de modèle à d’autres pays en matière d’adaptation. Outre la valorisation de son expertise mentionnée précédemment, le pays a aussi été précoce dans le développement d’instruments de politiques publiques, avec et sans le soutien de l’aide internationale. Il a mis en place en 2009 une stratégie nationale de lutte contre le changement climatique ambitieuse, afin d’intégrer les enjeux d’adaptation à ceux de développement et de lutte contre la pauvreté. Il a ainsi été le premier pays parmi les moins avancés à proposer une telle stratégie et à l’accompagner de mécanismes de financement innovants et alimentés sur les fonds propres du gouvernement.

Dans les négociations internationales, le Bangladesh noue aussi des alliances politiques pour renforcer ses capacités de négociation et accroître son influence. Si tous les Etats négocient à travers des groupes de négociation dans une enceinte multilatérale, la nécessité de mettre en place une diplomatie collective est d’autant plus importante pour les pays faiblement dotés en ressources diplomatiques : l’union fait la force. En s’alliant, ces pays peuvent ainsi défendre leurs intérêts communs – la reconnaissance de leur droit au développement et de leur vulnérabilité, le besoin de transferts technologiques et financiers, la reconnaissance des pertes et dommages, etc. – et porter une voix commune dans les négociations internationales. En mutualisation ainsi leurs ressources – humaines, politiques, scientifiques, économiques –, ils accroissent collectivement leur pouvoir de négociation et peuvent davantage peser sur le processus et la mise sur agenda de nouveaux enjeux. Tous ces pays font ainsi partie du G77+Chine, le groupe de négociation qui rassemble l’ensemble des pays en développement. Néanmoins, l’hétérogénéité de ce groupe – largement dominé par les pays émergents comme la Chine et l’Inde – a conduit les plus vulnérables à former des sous-groupes d’influence afin de défendre les intérêts qui leur sont propres. C’est ainsi qu’on a vu apparaître le groupe des pays les moins avancés et plus récemment, le Climate Vulnerable Forum et le V20.

Concrètement, aujourd’hui, quel est le rôle joué par les ‘petits’ pays dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

Ces ‘petits pays’, qu’il s’agisse des petits États insulaires du Pacifique ou des pays africains et asiatiques en développement, peuvent jouer principalement deux rôles. D’une part, ils peuvent faire pression sur les pays développés pour élever le niveau d’ambition de l’action climatique mondiale et notamment les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Grâce à la règle onusienne « d’un État égal une voix » en vigueur dans toutes les négociations multilatérales onusiennes et du poids numérique des pays les plus vulnérables, ces derniers peuvent peser sur le processus plus que leur pouvoir structurel ne peut le laisser penser a priori. Ils peuvent également jouer de leur leadership moral pour rappeler aux pays pollueurs leur responsabilité historique et les pousser à agir, au risque d’être montrés du doigt par les médias et les opinions publiques. Ainsi, lors de la COP21, les États vulnérables se sont mobilisés dès le premier jour de la négociation pour appeler à une limitation de l’augmentation de la température à la surface du globe à 1,5°C au lieu de 2°C, en insistant sur le risque de disparition des territoires insulaires et de pertes et dommages irréversibles que même une augmentation de 2°C représentait pour eux. Si le seuil des 2°C a été maintenu dans l’Accord de Paris, ces petits pays ont néanmoins connu une victoire symbolique, le texte final reconnaissant la nécessité de limiter si possible la hausse de la température à 1,5°C.

D’autre part, ces petits pays ont la capacité de mettre à l’agenda de nouveaux enjeux qui les concernent tout particulièrement. Alors que les négociations climatiques étaient à leurs débuts principalement orientées vers la question de la répartition des efforts d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre entre les pays industrialisés, les pays en développement, par le biais du G77+Chine, sont parvenus progressivement à inscrire de nouveaux enjeux comme l’adaptation et la reconnaissance de la primauté du droit au développement. Plus récemment, les pays les plus vulnérables – à travers les groupes des pays les moins avancés et l’Alliance des petits insulaires du Pacifique – sont parvenus à imposer la question des pertes et dommages dans les négociations internationales, ainsi que celle des migrations.

Si les petits pays peinent à véritablement peser sur les résultats des négociations, encore dominés par les rapports de force entre pays développés et émergents, ils peuvent néanmoins peser sur le processus de négociation à travers la mise à l’agenda de nouveaux enjeux qui leur sont chers ; usant ainsi de leur leadership moral pour rappeler l’urgence de répondre au problème climatique par une action mondiale et ambitieuse.

La condamnation de l’ex président Lula, va-t-elle bouleverser le jeu politique brésilien ?

Thu, 13/07/2017 - 18:52

Alors qu’il était favori pour les prochaines élections présidentielles, l’ancien président brésilien a été condamné à neuf ans et demi de prison pour corruption et blanchiment d’argent. L’analyse de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.

La condamnation de l’ancien président Lula représente-elle un coup de tonnerre au Brésil ?

Le mot est un peu fort car l’affaire a tout de même démarré il y a déjà trois ans, la décision du juge était donc attendue. Cela étant, la condamnation, elle, ne l’était certainement pas dans la mesure où si elle était confirmée en appel, elle interdirait à l’ancien président, favori des sondages, de se représenter aux élections présidentielles de l’année prochaine, comme il en avait l’intention.

D’autre part, pour la première fois un ancien président du Brésil, si la condamnation est confirmée en appel, serait condamné pour corruption. La décision du juge a créé de la jubilation chez les adversaires de Lula, tandis que ses amis ont exprimé leur sentiment de profonde injustice, pour une condamnation considérée comme politique à leurs yeux.

La condamnation de Lula peut-elle aggraver les tensions politiques et sociales dans le pays ?

Tout à fait, dans la mesure où l’interdiction éventuelle pour Lula de se représenter aux élections présidentielles – si la condamnation était confirmée en appel – bouleverserait le jeu politique l’année prochaine.

En effet, Lula était en tête dans les sondages avec plus de 30% des intentions de vote. En face de lui, pratiquement personne n’était un véritable outsider. Aecio Neves, ex candidat des élections précédentes contre Dilma Rousseff est actuellement en difficultés devant la justice. Il a toutefois bénéficié d’un traitement de faveur de la part du tribunal fédéral qui a suspendu les poursuites dont il faisait l’objet. Quant au président intérimaire actuel, Michel Temer, il est sous le coup d’une demande destitution pour corruption ; la demande s’apprête à être soumise au vote du Parlement dans les prochaines semaines.

L’ex président Lula apparaissait donc comme le candidat le mieux placé pour les prochaines élections. Sa mise à l’écart bouleverse la donne et, de fait, donne des cartes à ses opposants qui ont dès lors la possibilité – notamment dans la mesure où la quasi-totalité des médias est opposé au PT – d’essayer de fabriquer un candidat qui pourrait bénéficier de l’effacement de Lula par la justice.

Que révèle cette condamnation sur l’état de la corruption au Brésil ? Et face à cette situation, observe-t-on l’émergence d’alternatives politiques ?

La corruption au Brésil est systémique. En effet, le système brésilien fabrique de la corruption qui touche les partis politiques, les présidents, les membres du gouvernement, ainsi que le Parlement. Cette corruption a lieu presque par ‘nécessité’ compte-tenu du fait que la désignation et les prises de grandes décisions sont effectuées par le président après accord du Parlement. Or, le système électoral brésilien ne permet pas au président de bénéficier d’une majorité. Il est donc obligé – et cela de façon permanente – de négocier avec beaucoup de petits groupes pour prendre ses décisions afin de gouverner. Dès lors, cela facilite des marchandages de toutes sortes et ouvre ainsi la porte à un système structurellement générateur de corruption.

Notons qu’il est très facile de montrer du doigt tel ou tel responsable politique mais pour être crédible, il faudrait les désigner tous. Or, le paradoxe est que pour l’instant, la justice brésilienne paraît être sélective dans la lutte contre la corruption en ne s’attaquant presque uniquement qu’au Parti des travailleurs.

Face à une telle situation, une réforme de la vie politique est nécessaire. Le problème est que l’on ne peut pas attendre une telle initiative de la part des partis qui ont exercé le pouvoir, ni des majorités actuelles au Parlement, dans la mesure où ces acteurs bénéficient du système actuel.

Aux dernières élections municipales, les options alternatives au PT, à l’opposition et au parti de Michel Temer (le PMDB), qui ont pu tirer leur épingle du jeu, sont notamment des candidats évangélistes. Par exemple, à Rio de Janeiro, le maire élu a été un évêque de l’Église universelle du royaume de Dieu. Par ailleurs, dans les sondages pour les prochaines élections présidentielles, le candidat arrivant derrière Lula est un ancien militaire de la dictature, qui ne cache pas sa sympathie ultra-conservatrice et militariste. Aujourd’hui, les options politiques alternatives apparaissent donc dissonantes et ne sont pour l’instant pas crédibles, qu’il s’agisse des évangélistes ou de l’extrême droite militariste.

 

Euro imbalances: « Merkron » Might Differ from « Merkozy »

Thu, 13/07/2017 - 18:37

This Thursday, Emmanuel Macron received Angela Merkel; they notably talked about economic issues. The point of view of Rémi Bourgeot, associate research fellow at IRIS.

Macron has called on Berlin to “move forward and help to fix a dysfunctional euro zone.” Is Germany really benefitting from the currency union’s flaws, as Macron suggested?

There is some novelty in Macron’s statement. He had not stressed the issue of the euro zone’s real imbalances, and Germany’s huge trade surplus in particular, since he was economy minister. At that time, he talked about the existential risks facing the euro zone. Since he was elected, and especially at the latest EU summit in June, he only raised issues that were of concern to Germany too, in order to reach a consensus.

Germany is benefiting from the euro zone, as it has been able to increase its trade surplus endlessly, and suppress domestic unemployment without facing any kind of exchange rate adjustment within the euro zone, by definition.

What Macron means is that Germany has not accepted major concessions in terms of solidarity and transfers in return for this commercial advantage. Since the euro crisis, many commentators have argued that more systematic transfers, sometimes even debt pooling, should be put in place, as well as a genuine banking union, to make for these imbalances before they translate into an economic or financial crisis again.

Macron seems to take a more incisive tone, in a context less formal than large EU meetings. He might be wary that embracing the European status quo, with only limited institutional advances, would eventually undermine his presidency. In brief, he might be seeking to escape his predecessors’ fate. If there is such a thing as “Merkron”, the French president will not want this partnership to resemble what many called “Merkozy”.

What economic roadmap could the EU follow under a Franco-German impulse?

On the institutional front, the main step consists in increasing financial transfers to make for the loss of competitiveness that Germany’s partners are facing as a result of the euro. Macron has ditched the idea of pooling national debts, a major taboo in Germany. Instead, he promotes the notion of a joint budget for the euro zone and completing the banking union, with a common deposit insurance mechanism in particular. Ahead of the Franco-German cabinet meeting, he also advocated concrete and more accessible steps like the creation of joint investment funds, especially in favour of IT and nanotechnologies.

Macroeconomic coordination is another major issue. Germany’s budgetary and labour policies do not take account of the euro zone’s economic equation, its trade imbalances in particular, which leads many to blame the country for having a mercantilist approach to trade. Macron therefore begins to address that issue, as Donald Trump does, with a very different style of course.

The European Union suffers from the absence of any true coordination in terms of macro-economic policies. The only type of coordination since the crisis has resulted in a race to the bottom in terms of labours costs, which weighs on aggregate demand. Despite the ECB’s tremendous support, with huge liquidity injections and the euro’s depreciation, today’s situation is akin to the logic of the gold standard.

Is Berlin ready to embark on a new economic vision?

Germany’s economic taboos reveal difficulties of a political nature, when it comes to its European commitment. Berlin’s official speech adheres to a profoundly pro-European – even federalist – approach; but in reality, debt pooling or the risk sharing associated with a genuine banking union are unconceivable. Germany’s concessions on these issues are likely to be of a symbolic nature. For instance, Angela Merkel has signalled that she might be willing to accept the idea of a joint euro zone budget, even if this means infuriating the more Eurosceptic members within her own camp. This budget would however have to be of a very limited order, with little macro-economic impact. Germany sticks to a national approach of economic policy, which is not conducive to a rebalancing of the euro zone.

There will be no advances before the federal election, of course. Afterwards, if Merkel wins by a comfortable margin or builds a solid coalition, she might consider that she has a sufficient mandate to impose institutional concessions in favour of Europe. Taboos will remain omnipresent however, and the Chancellor’s room for manoeuvre limited, as a result of the internal balance within her party. This might lead Macron and other European leaders to focus more on macroeconomic coordination, which actually plays the most important part in preventing devastating crises.

Zone euro : Macron pourrait dévier du « Merkozy »

Thu, 13/07/2017 - 18:28

Emmanuel Macron a reçu Angela Merkel ce jeudi dans le cadre du 19e conseil des ministres franco-allemand. L’analyse de Rémi Bourgeot, chercheur associé à l’IRIS, sur les déclarations d’ordre économiques.

Macron a appelé à Berlin à « bouger » pour corriger « les dysfonctionnements » de la zone euro. Quels sont-ils et l’économie allemande en bénéficie-t-elle vraiment comme le suggère Macron ?

Tout d’abord, il faut noter qu’il est relativement nouveau que Macron aborde ce sujet puisqu’au dernier sommet en juin, il avait fait attention à n’aborder que des thèmes consensuels entre la France et l’Allemagne. Aujourd’hui, le président français reprend un thème qu’il avait déjà évoqué en tant que ministre de l’Économie : celui des déséquilibres existant au sein de la zone euro et notamment du gigantesque excédent commercial allemand (avec un excédent primaire de l’ordre de 9% du PIB). L’Allemagne profite des dysfonctionnements de la zone euro dans le sens où elle a pu, par la disparition des variations de taux de change et par l’abaissement de ses coûts salariaux, étendre presque sans limite son excédent commercial et supprimer progressivement le chômage.

Ce qu’Emmanuel Macron veut dire, c’est que l’Allemagne n’a pas accepté les contreparties de cette situation. En effet depuis la crise de l’euro, on a dit qu’il fallait compenser les déséquilibres par des transferts budgétaires et par une union bancaire pour couvrir les risques financiers. Le président français estime donc que l’Allemagne profite du cadre de la zone euro sans contribuer de façon suffisante à la solidarité financière. De la sorte, Macron semble prendre un ton plus incisif, dans un contexte moins formel que celui des sommets européens. Peut-être qu’inquiète-t-il que le respect du statu quo européen, avec des avancées institutionnelles seulement limitées, puissent compromettre son mandat. En bref, il semble vouloir échapper au sort de ses prédécesseurs et souhaite probablement que le « Merkron » ne ressemble pas à ce que l’on appelait « Merkozy ».

Quelle serait la feuille de route économique à suivre pour l’UE, sous impulsion franco-allemande ?

D’une part, se pose la question institutionnelle consistant à accroître les transferts, notamment en cas de crise pour compenser la perte de compétitivité des voisins de l’Allemagne. Il s’agit du plus grand chantier de Macron. Il a d’ailleurs abandonné l’idée d’une fédéralisation des dettes puisque c’est un sujet tabou en Allemagne. Le président français essaye plutôt d’avancer sur l’idée d’un budget commun à l’échelle de la zone euro et de compléter la structure de l’union bancaire – qui reste très partielle aujourd’hui -, notamment avec un mécanisme d’assurance des dépôts bancaires.

D’autre part, se pose la question de la coordination économique. Aujourd’hui, l’Allemagne mène une politique budgétaire et une politique salariale qui ne prennent pas en compte l’ensemble de la zone euro ; raison pour laquelle elle est accusée d’avoir une approche unilatérale, voire mercantiliste. Macron commence donc à aborder ce sujet, ce que fait par ailleurs Donald Trump dans un style très différent…

Aujourd’hui, dans l’Union européenne, une coordination partielle n’existe que par le bas, via l’abaissement des coûts salariaux et la libéralisation du marché du travail – ce que s’apprête à faire la France. Cependant, il n’existe aucune coordination macro-économique. Et malgré le support extraordinaire de la Banque centrale européenne, avec des injections de liquidités massives et la dépréciation de l’euro, la situation actuelle fait penser à la logique de l’étalon or.

Berlin est-elle prête à changer sa vision économique ?

En Allemagne, il existe des tabous économiques forts, qui cachent des difficultés politiques quant à l’engagement européen. Dans le pays, le discours officiel est certes toujours pro-européen mais, concrètement, des tabous empêchent des avancées comme la fédéralisation des dettes ou une union bancaire. Les avancées allemandes sur ces sujets ne sont que symboliques. Par exemple, Angela Merkel a envoyé des signaux selon lesquels elle pourrait être prête à passer en force face aux eurosceptiques de son parti sur l’idée d’un budget commun à la zone euro. Cependant, il s’agirait d’un budget limité qui n’aurait pas d’impact macro-économique majeur. L’Allemagne reste sur une approche nationale de la politique économique qui n’est pas propice à un rééquilibrage de la zone euro.

Avant les élections, il est clair qu’il n’y aura aucune avancée. Par la suite, si Merkel est réélue assez largement, elle aura un mandat pour imposer des concessions. Ceci étant, les tabous restent très forts et la marge de manœuvre de la chancelière resterait limitée par une opposition forte au sein même de son parti. Cela peut inciter Macron et les autres dirigeants européens à se concentrer davantage sur la coordination macro-économique, qui représente l’aspect le plus important pour éviter les crises les plus dévastatrices.

Sommes-nous bien défendus ?

Thu, 13/07/2017 - 16:31

Le 14 juillet est toujours l’occasion de nous poser la question de l’état de nos forces armées : sommes-nous bien défendus ?

Une défense doit avant tout être adaptée à la menace. Ainsi avant la Seconde Guerre mondiale, nous pensions être bien défendus avec la ligne Maginot. Nous avions alors bien apprécié le type de menace – celle envers l’intégrité de notre territoire venant de l’Allemagne – mais pas sa forme de guerre de mouvement combinant l’arme aérienne et l’emploi de blindés ; toutes choses pour lesquelles la ligne Maginot s’est révélée inadaptée.

Aujourd’hui, il n’y a plus de menace avérée à l’intégrité de notre territoire. En revanche, certains de nos alliés d’Europe de l’Est et du Nord ressentent ce type de menace de la part de la Russie. Nous subissons également les attentats terroristes d’extrémistes islamiques sur notre territoire et tentons de lutter contre sa propagation par le biais d’opérations militaires sur les territoires extérieurs. Enfin, chaque jour, la prégnance du risque cyber – dont les implications et les stratégies offensives sont encore difficilement appréciées – se fait de plus en plus forte.

Ce sentiment d’une montée des périls, couplée avec une demande récurrente des Etats-Unis de voir les Européens mieux prendre en compte leur défense, a conduit les candidats à l’élection présidentielle à focaliser le débat sur l’effort financier consacré à nos armées. Ces derniers se sont sentis obligés de prendre position sur les 2% du PIB affecté à la défense, un objectif fixé par le sommet de l’OTAN de 2014. Sans être nécessairement « le mieux disant », le président de la république, Emmanuel Macron, a proposé que cet objectif soit atteint en 2025. De son côté, le chef de l’État-major des Armées, dans une tribune publiée en décembre 2016, a indiqué qu’il souhaitait que ce pourcentage soit atteint en 2022.

Si ce débat sur les 2% a le mérite de la simplicité, il ne permet pas d’appréhender les véritables questions que nous devons nous poser : une défense pour quoi faire ? Pour répondre à quelles menaces ? Pour quelles ambitions et avec quels moyens financiers disponibles ? Les livres blancs qui se sont succédés depuis 2008 ont toujours eu du mal à appréhender la variable financière car elle est vécue par la communauté stratégique comme une contrainte et non comme la résultante d’un équilibre nécessaire entre les moyens affectés à la sécurité et les autres politiques publiques. Or, sauf en période de guerre affectant l’intégrité de notre territoire et où la question budgétaire n’a plus à entrer en considération, le niveau des dépenses militaires ne peut résulter que d’un arbitrage entre ces différentes politiques publiques. Ainsi, le bien-être et le développement de notre société constituent aussi un rempart essentiel face aux menaces extérieures : la résilience d’une société est d’autant plus grande que sa cohésion sociale est forte.

« L’état de santé » de notre armée est aujourd’hui contrasté. On peut le décrire de la manière suivante :

  • Le niveau d’équipement de nos armées est à la fois de très haut niveau et inégal. Il faut éviter ici le misérabilisme qui règne parfois. Nous disposons aujourd’hui d’équipements modernes, de haute technologie et ayant un niveau de performance très élevé. On peut ainsi citer les forces dédiées à la dissuasion nucléaire, nos avions de combat Rafale et les armements qu’ils emportent, les hélicoptères de combat et de transport, une partie de la flotte de surface, ainsi que nos capacités de transport. L’avion de transport A400 M rencontre certes encore des problèmes et entre en service tardivement mais il va accroitre singulièrement nos capacités de transport tactiques et stratégiques par rapport à la situation qui prévalait auparavant. Parallèlement, il subsiste des domaines où nous accusons du retard dans le renouvellement des matériels, comme les véhicules blindés de combat et les drones de reconnaissance.
  • Nous souffrons d’un taux de disponibilité des matériels insuffisant. La cause en est simple : si nous ne sommes pas en guerre pour défendre notre territoire, notre armée, elle, est bien en guerre sur les territoires extérieurs de manière permanente et avec un niveau élevé d’emploi des forces. Les hommes souffrent, les matériels aussi et le coût d’entretien de ces matériels dépasse ce qui avait été envisagé. Même si on peut améliorer notre organisation en matière de maintien en condition opérationnelle des matériels, la réponse est fondamentalement binaire : soit il faut augmenter les crédits pour accroître le taux de disponibilité des matériels, soit il faut limiter le nombre d’opérations extérieures.
  • Le niveau de nos forces armées en lui-même est excellent. Capacité à planifier des opérations dans l’urgence, capacité à combattre, capacité à s’adapter au terrain : tous les voyants sont au vert. L’armée française est intervenue au Mali dans un délai de 24 heures et a su déployer 10 000 hommes dans le cadre de l’opération Sentinelle après les attentats de Charlie en moins d’une semaine : c’est exceptionnel mais en même temps, cette armée est perpétuellement au seuil de rupture du fait de son utilisation intensive.

Aujourd’hui, il faut remédier à cette situation de déséquilibre qui fait tomber l’excellence de notre armée dans l’impuissance. Pour ce faire, plusieurs mesures devraient s’imposer :

  • En premier lieu, il faudrait que le dialogue entre le ministère des Armées et le ministère de l’Economie et des Finances cesse de prendre le caractère conflictuel qu’il a habituellement. Le ministère de l’Économie et des Finances cherche des économies là où le ministère des Armées demande plus de crédits. De ces arbitrages résultent en général une cote mal taillée et ce d’autant plus que la réalité des contraintes budgétaires n’intervient qu’après que les livres blancs sur la défense aient été élaborés. Par exemple, la solution n’est pas tant de fixer un plafond financier aux opérations extérieures que de déterminer un nombre d’opérations que nous pouvons raisonnablement conduire sans mettre à mal les équilibres budgétaires généraux ou ceux du ministère des Armées ;
  • Corrélativement, il faut s’interroger sur l’efficacité de ces opérations extérieures et sur leur durabilité. L’opération au Mali devait durer six mois, nous en sommes à 4 ans et demi. La légitimité de cette opération au regard des défis de sécurité auxquels nous faisions face n’est pas en cause mais nous devons nous interroger à deux niveaux. Les conditions permettant un règlement de la crise malienne sont-elles réunies ? L’emploi de la force armée n’est qu’un outil parmi d’autres pour régler les crises. Sans d’autres outils de nature civile, de développement économique, de bonne gouvernance et, bien sûr, de solution politique à la crise, l’action militaire est vouée à l’échec. Il faut en deuxième lieu s’assurer que d’autres pays pourront se substituer à l’action militaire de la France dans le temps. C’est l’intérêt de l’initiative G5 Sahel soutenue par la France qui vise à ce que les pays de la région se substituent à la France pour assurer la sécurité dans la bande sahélienne. En second lieu, on constate que depuis 5 ans se sont additionnées les opérations extérieures sans limite de temps et sans véritable appréciation de l’efficacité de l’outil militaire au regard des autres conditions à réunir pour mettre fin à une crise et rétablir la sécurité. Prises une part par une, toutes ces actions sont légitimes mais prises dans leur globalité, leur soutenabilité excède les capacités de notre pays.
  • La menace terroriste sur notre territoire ne cessera pas de sitôt, même s’il est peu probable que le niveau de violence terroriste augmente sensiblement dans les mois et années qui viennent. Au-delà des interrogations sur la préservation des libertés publiques, qui est une question réelle, c’est cette prise en compte de la pérennité de la menace terroriste qui justifie le projet de loi destiné à pérenniser les mesures figurant dans l’état d’urgence. Pour ce qui est des forces armées, signifier que celles-ci sont engagées dans la lutte contre le terrorisme est nécessaire car les actes perpétrés ne relèvent pas des atteintes de droit commun aux biens et aux personnes et il faut que l’Etat souligne cette caractéristique, ce qui ne peut être fait qu’en engageant la force armée. En revanche, faut-il maintenir le niveau de déploiement de l’opération Sentinelle, entre 7000 et 10 000 soldats depuis janvier 2015, pour faire face à cette menace ? Cela coûte cher et affecte durablement le format et l’organisation de nos armées. C’est un gain d’économie potentiel qui pourrait être réalisé en réduisant le niveau de déploiement de Sentinelle sans que le signal de résilience de la société que nous envoyons aux terroristes potentiels, ainsi que notre sécurité, n’en soient affectés.
  • Notre outil industriel de défense est pour sa part essentiel. Il est le garant de notre autonomie stratégique. Il nous faut être capable de concevoir nos armements les plus essentiels et ne pas dépendre d’approvisionnement hors de l’Union européenne si nous voulons préserver notre liberté d’action : l’expérience nous l’a prouvé depuis 50 ans. Pour maintenir cette autonomie d’action, trois conditions doivent être réunies quant à la nature de l’outil industriel.

De l’innovation. Il faut des crédits affectés à la recherche de défense et à l’innovation en général afin de préserver nos capacités de demain. Cet effort de recherche de défense est d’autant plus utile que cela nous permettra de bien inscrire nos entreprises de défense dans le cadre de la consolidation industrielle européenne qui résultera des initiatives actuelles de la Commission européenne de financement de la recherche de défense par des fonds communautaires. Bercy doit en être persuadé : plus de crédits de recherche de défense de l’Union européenne ne doit pas être synonyme de moins de crédits de recherche de défense de la France. Ce sont les équilibres industriels européens qui sont en jeu aujourd’hui, ceux qui maintiendront ou augmenteront l’effort de recherche de défense au niveau national l’emporteront dans les consolidations industrielles européennes de demain.

De la prévisibilité. L’industrie a horreur des à-coups, elle ne peut gérer des réductions brutales de crédits non prévues. A l’inverse, il est inutile de procéder à des augmentations massives de budget. Il faut à ce niveau que la culture de la politique industrielle de défense dépasse le cadre strict du ministère des Armées et soit intégrée au niveau interministériel. La question n’est pas de succomber à la pression d’un lobby militaro-industriel mais de planifier le maintien de la compétitivité de cette industrie pour les années futures.

De la fluidité et de l’agilité. Il faut dépasser la notion d’industrie de défense et de « marchand de canons ». Quatre de nos plus grandes entreprises de défense ont une activité majoritairement civile. Ce sont des entreprises de hautes technologies, innovantes et créatrices d’emplois. Elles participent d’autant plus à l’esprit de reconquête de notre pays qu’elles ont compris que la performance des systèmes de défense de demain viendront bien souvent de l’introduction de technologies issues de l’industrie civile, utilisation des big data, intelligence artificielle et information quantique dans le futur. Ici, c’est tout le secteur industriel mais aussi les donneurs d’ordre publics qui doivent pouvoir s’adapter à cette mutation technologique.

Tous ces enjeux seront au cœur de la revue stratégique qui a débuté, ainsi que de la future loi de programmation militaire. Ils sont au cœur également des initiatives en cours pour revivifier l’Europe de la défense, notamment dans un cadre franco-allemand comme on a pu le voir avec les décisions prises lors du Conseil des ministres franco-allemand de ce 13 juillet. L’un des défis, qui n’est pas des moindres, est qu’il faudra intégrer nos réflexions en cours au niveau national dans un cadre européen si nous ne voulons pas nous retrouver isolés en Europe.

Juillet 2017, quitte ou double politique au Venezuela

Thu, 13/07/2017 - 15:52

Au Venezuela, l’opposition incarnée par la plate-forme d’unité démocratique (MUD) compte organiser un référendum « sauvage » dimanche 16 juillet 2017. De leur côté, le président Maduro et ses amis du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) ont annoncé une élection constituante inattendue le 30 juillet. Les dés de la politique vénézuélienne sont jetés et pipés et opposition comme gouvernement les roulent au risque de les rompre. Juillet 2017 s’annonce comme un mois de vérités antagonistes et d’exacerbations incertaines.

Le procès en illégitimité est équitablement partagé. Pour les autorités, les opposants sont des putschistes en puissance et en action. Pire, ils seraient l’émanation d’un complot anti patriotique ourdi par des forces étrangères, hostiles et réactionnaires. De son côté, l’opposition conteste la légitimité du président Nicolas Maduro. Mal élu en 2013, balayé aux législatives de 2015, il manipulerait les institutions pour perpétuer son pouvoir, aidé par les reliquats du communisme international et le régime cubain qui serait son modèle.

Chacun présente son récit comme vérité transcendantale et la vérité ne se négociant pas, elle imposerait son évidence. Cette évidence autiste empêche tout dialogue reposant sur l’obligation minimale d’une reconnaissance mutuelle. Le vote organisé par chacun selon les modalités qui lui correspondent est sensé trancher le différend : le 16 juillet au profit des opposants et le 30 à celui du Parti socialiste unifié du Venezuela. Autant dire que ces consultations ont pour vocation de mobiliser les deux camps au seul bénéfice d’une exacerbation des violences. Le terrain est déjà bien préparé. Plus de 90 personnes des deux camps sont tombées au champ de ces certitudes intolérantes à tout dialogue.

La communauté régionale et internationale, pour reprendre la formule vide et généralement utilisée en ces circonstances, ne facilite pas la résolution du conflit. Entrés dans le jeu des anathèmes croisés, les uns et les autres soutiennent leur camp au détriment d’une sortie de crise négociée. Luis Almagro, le secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA), mobilise ses capacités intellectuelles et institutionnelles contre le président Maduro. Il s’efforce de trouver la majorité requise par les statuts de l’institution pour obtenir l’adoption d’une condamnation éventuellement assortie de sanctions. Il s’appuie sur le Brésil, dont le chef d’Etat intérimaire Michel Temer a accédé aux affaires de façon démocratiquement frauduleuse, l’argentin Mauricio Macri, et sur les membres de l’Alliance du Pacifique. Le président vénézuélien bénéficie de son côté du soutien inconditionnel de la plupart des pays membres de l’ALBA, ainsi que de la Russie ; tous condamnent l’ingérence inadmissible des réactionnaires libéraux de tout poil et « tout monde ».

Le scénario du pire est donc bien installé dans le paysage politique vénézuélien. Est-il pour autant inscrit dans le marbre ? La question en tous les cas mérite examen. Toute situation de conflit génère deux types de comportements. Les fondamentalistes des deux camps sûrs de leurs raisons veulent imposer leurs vérités, quel qu’en soit le prix. Mais il y a aussi ceux qui privilégient la paix civile et refusent que la vérité, fût-elle la leur, puisse s’imposer au prix du sang. La crise vénézuélienne a fabriqué des partisans du dialogue dans les deux camps en présence, tout comme dans la « communauté internationale ». Gagner le pouvoir sur un champ de ruines ne bénéficierait en effet à personne. Le Venezuela est en crise économique, sécuritaire et sociale majeure. Le vainqueur d’un affrontement civil hériterait d’un pays dévasté et hautement difficile à maitriser. Les voisins sud-américains qui ont déjà à gérer des dizaines de milliers de migrants économiques auraient, qu’ils le veuillent ou non, à en accueillir un plus grand nombre.

C’est sans doute cette prise de conscience qui permet de comprendre la fragmentation des blocs antagonistes en présence. Un courant « chaviste » historique personnalisé par la procureure générale, Luisa Ortega, s’efforce de contraindre le président Maduro et ses collaborateurs les plus proches à respecter les règles démocratiques du petit livre bleu d’Hugo Chavez, la Constitution de 1999. Le message est sans doute à l’origine, via les frères Rodriguez, Delcy et Jorge, de la libération conditionnelle de Leopoldo Lopez, leader du parti de l’opposition Volonté Populaire, considéré comme la branche plus radicale. Leopoldo Lopez affirme n’avoir rien négocié. Ses partisans ont pourtant dès son élargissement défendu la nécessité de lever le pied des violences de rue. Ces évolutions sont suivies discrètement, mais avec une certaine efficacité, par les trois négociateurs mandatés par l’Union des nations d’Amérique du Sud (UNASUR), les ex chefs de gouvernement d’Espagne (José Luis Rodriguez Zapatero), de Panama (Martin Torrijos) et de la République dominicaine (Leonel Fernandez). L’Equateur, membre de l’Alliance Bolivarienne de notre Amérique (ALBA), s’est abstenu au cours du débat sur le Venezuela à l’OEA ; ce qui donne à ce pays et à son ancien président, Rafael Correa, une option médiatrice.

Il reste malgré tout plusieurs inconnues qui auront leur poids dans le déroulé des prochaines semaines. L’armée, qui est l’une des composantes du régime, n’a dans ses hautes sphères aucune raison de lâcher le président. Mais face à une réalité en dégradation galopante, comment réagirait-elle ? La préservation de ses prébendes ne pourrait-elle pas paradoxalement la conduire à provoquer une relève « à l’égyptienne » ? Une autre interrogation locale concerne le comportement du tiers de la population qui pendant longtemps est restée fidèle au « Commandant » Chavez. De toute évidence, le pouvoir a perdu le soutien des quartiers populaires ; la crise économique et les pénuries sont passées par là. Pour autant, les « pauvres » ne sont pas des partisans de l’opposition représentatifs de classes moyennes en capilotade mais gardant leur identité de classe. Trois acteurs extérieurs ont potentiellement une influence potentielle forte. Ils pourraient faciliter une solution transitionnelle, garantissant la transparence des élections, l’alternance et la garantie d’une forme d’impunité pour les perdants. Ces trois acteurs sont Cuba, les Etats-Unis et le Saint-Siège. Ce dernier a essayé sans succès de jouer les médiateurs fin 2016 mais le Pape est attendu en Colombie début septembre et il a reçu il y a quelques semaines les évêques vénézuéliens. Tout semble donc indiquer que le Vatican n’a pas renoncé à imposer la paix civile dans un pays de tradition catholique. Pour sa part, Cuba a tout intérêt pour son économie à jouer la carte de l’apaisement. La Havane a un savoir-faire dont on a pu mesurer l’efficacité pour trouver des compromis, ayant aidé à résoudre le conflit civil du Salvador et celui des FARC avec les autorités colombiennes. Enfin, les Etats-Unis de Donald Trump, comme de Barak Obama ou de George Bush, pratiquent un service minimum aux côtés de l’opposition ; pétrole oblige puisque le Venezuela, quoi que disent les uns à Washington et les autres à Caracas, est le troisième fournisseur de pétrole des Etats-Unis. Cependant, seule la perspective d’un effondrement de l’Etat vénézuélien parait en mesure de faire bouger la Maison Blanche.

La libération de Mossoul : ses conséquences pour l’Irak et pour la lutte contre le djihadisme

Wed, 12/07/2017 - 17:18

Lundi 10 juillet, le Premier ministre irakien Haïder al-Abadi a annoncé que la ville de Mossoul a été presque totalement libérée par l’armée irakienne, après neuf mois de combats.
Le point de vue de Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS.

Quelle est la portée stratégique de la libération de Mossoul ?

La libération de Mossoul est importante aussi bien pour l’Irak que pour la communauté internationale. Pour l’Irak, Mossoul a une dimension considérable en tant que deuxième ville du pays. Elle est de plus considérée comme la capitale historique et culturelle de la communauté arabe sunnite ; elle fournissait notamment à l’armée de Saddam Hussein la plupart de ses officiers et cadres. Economiquement également, la ville – au carrefour de plusieurs voies de communication et d’échanges entre l’Irak, la Turquie et la Syrie – a une importance géopolitique considérable.

En juin 2014, Mossoul a été le symbole de la défaillance de l’État irakien dont l’armée n’avait pas pu résister plus de 24 heures à l’avancée de Daech, alors même qu’elle était matériellement supérieure à l’organisation terroriste. Aujourd’hui, la reprise de la ville est donc extrêmement importante sur le plan symbolique car elle marque le retour en puissance de l’armée irakienne. Certes, la libération de Mossoul a été rendue possible grâce à la contribution d’une coalition internationale en termes de renseignements, d’informations et de couverture aérienne ; cependant, c’est bien l’armée irakienne et ses alliés qui ont pu libérer la ville. Plusieurs forces y étaient en guerre contre Daech : l’armée irakienne, des forces d’élite – notamment formées par les soldats français -, ainsi que des forces combattantes armées kurdes, arabes sunnites et chiites. Qasem Soleimani, le chef de l’armée de Qods (branche des opérations extérieures des Pasdaran) a notamment révélé l’aide militaire iranienne importante fournie à l’armée irakienne et surtout aux Forces de mobilisation populaire (des milices) en déclarant à la libération de la ville : « Nos usines d’armement ont travaillé en 3×8 pour livrer plusieurs dizaines de tonnes d’armement à l’Irak ». C’est l’une des curiosités de cette guerre : les Iraniens, les Américains et les Français se trouvaient sur le même front de guerre sans être opposés les uns aux autres.

La libération de Mossoul est également importante pour la coalition internationale engagée contre Daech. Après avoir pris pied en Syrie en occupant Raqqa, la conquête de Mossoul par Daech trois années auparavant avait constitué sa plus grande conquête territoriale. La ville irakienne est ensuite devenue la capitale de l’organisation terroriste, lorsqu’Abou Bakr al-Baghdadi avait donné en juillet 2014 son premier prêche dans la mosquée d’Al-Nuri pour proclamer le califat islamique à travers le monde. Au cours de ces trois dernières années et des neufs mois de guerre, Daech a transformé Mossoul en une place forte. Ses combattants se sont battus jusqu’à la dernière seconde et la dernière poche de résistance n’est tombée que lundi matin.

Comment envisager la reconstruction de cette ville ravagée ?

La reconstruction de Mossoul concerne deux aspects. Tout d’abord, la reconstruction matérielle de la ville puisqu’elle a été en majeure partie détruite, notamment sa zone Ouest.
Les estimations de reconstruction de Mossoul – mais aussi d’autres villes libérées auparavant comme Faloudja, Ramādī et même Tekrit – sont de l’ordre de plusieurs milliards de dollars. Même si l’Irak est un pays riche, il ne pourra pas financer cette reconstruction seul, du fait de la baisse du prix du pétrole. Or, si on laisse l’Irak dans cette situation, il est possible que la crise économique et sociale aggrave de nouveau les tensions intercommunautaires et que Daech reprenne pied dans le pays.

Outre l’aspect matériel, il faut aussi penser à la reconstruction politique. Mossoul ayant été la capitale des arabes sunnites en Irak, elle cristallise les tensions communautaires sur lesquelles Daech a prospéré. Par exemple, lorsque l’organisation terroriste est entrée en 2014 à Mossoul, une partie de la population l’a accueillie du fait de son hostilité envers le gouvernement chiite de Bagdad, ainsi que de son ressentiment d’avoir perdu du pouvoir depuis la chute de Saddam Hussein. En effet, le Premier ministre de l’époque, Nourri al-Maliki, avait mené une politique autoritaire qui avait mécontenté la communauté arabe sunnite. Par la suite, la lutte contre Daech a certes pu fédérer l’ensemble des Irakiens – notamment à parti du moment où le califat a menacé l’Arabie saoudite – mais cela ne signifie pas que toutes les divergences ont disparu entre sunnites et chiites, ainsi qu’entre Bagdad et les Kurdes. Le gouvernement irakien se doit donc de bien gérer l’administration de Mossoul et sa population sunnite. Depuis trois ans, Haïder al-Abadi a montré sa capacité à fédérer contre Daech et à satisfaire la communauté arabe sunnite. S’il continue sur cette voie, l’Irak pourra peut-être, avec l’aide de la communauté internationale, surmonter ses tensions communautaires mais le chemin pour y parvenir s’annonce long et difficile.

Que change cette reprise de Mossoul pour Daech ?

Avec la perte de son siège principal à Mossoul, Daech a subi un coup mortel. Si dans les mois qui suivent, l’organisation terroriste perd également Raqqa – actuellement encerclée par les forces kurdes et arabes -, alors on pourra dire que Daech en tant qu’entité étatique aura disparu. En effet, avec la perte de ces deux villes, Daech n’exercera plus autant d’attraction envers les individus radicalisés qui souhaitent le rejoindre pour faire le djihad.

Néanmoins, cela ne signifie pas que Daech ait disparu, loin de là. L’organisation dispose encore de réseaux partout en Irak, notamment à Falloujah et à Bagdad. De plus, depuis trois ans l’organisation est devenue plus menaçante pour les États par son implantation et par l’adhésion de groupes djihadistes à son autorité, ainsi que par ses actions terroristes au Moyen-Orient, au Maghreb, en Afrique du Nord et en Asie. Daech dispose même de combattants parmi les Kurdes iraniens comme l’a montré l’attentat contre le mausolée de Khamenei et le Parlement iranien le mois dernier.

Aujourd’hui, la priorité pour la communauté internationale est donc de mettre en place une politique cohérente de lutte contre l’organisation terroriste sur le plan idéologique et politique. En Irak, il faut porter une attention particulière à la reconstruction des villes et aider le gouvernement irakien à mener à bien la lutte contre Daech, qui se poursuivra notamment sur le plan du renseignement.

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