Hubert Truxler a passé plus de trente ans sur les chaînes d'assemblage des usines Peugeot, de 1972 à 2003. Dans « Grain de sable sous le capot », écrit sous le pseudonyme de Marcel Durand afin ne pas s'approprier une mémoire collective, il décrit son quotidien, la solidarité ouvrière, les plaisanteries potaches, les grèves, la fragmentation du travail…
Boris SéméniakoLes fayots sont toujours collés au cul du chef. Comme les mouches à la merde. Heureusement qu'il y a quelques copains sympas. Casquette travaille depuis quinze ans en France, dont douze chez Peugeot. Il n'a pas perdu son accent slave et ça pimente ses histoires. Et puis, un beau jour, il annonce : « Moi retourner Yougoslavie. Ici trop bordel. Travail comme esclave et pis pas beaucoup paie. »
Il est retourné au pays, mais son anecdote la plus piquante est encore inscrite dans nos mémoires : un jour, il va faire des courses, avec un ami fraîchement débarqué en France. Son ami a repéré une fille. Il l'aborde : « Toi connais moi ? Moi connais toi ! Moi niquer toi ? »
Chaque fois qu'on croisait Casquette, la question rituelle revenait : « Toi connais moi ? » Et lui de répondre : « Oui, moi niquer toi ! »
C'est débile et c'est fort. C'est rien et c'est tout. Cette complicité verbale ramène la bonne humeur, redonne la pêche. Au-delà de ces quelques mots dérisoires, on sent une complicité, un courant qui passe. On s'est compris.
(…)
La force productive a vieilli. Il faut du sang jeune. Le voilà. La cuvée 1987 est arrivée. La direction prend prétexte du lancement de la 405 pour embaucher des intérimaires. Elle venait de débaucher mille cinq cents ouvriers (préretraites, renvoi des immigrés, licenciement des malades). Manœuvre préfectorale pour faire baisser le taux de chômage, mais surtout maints avantages pour Peugeot.
Un intérimaire, c'est jeune et plein de santé. Ça sort de mois (ou d'années) de chômage, donc ça travaille dur. Ça apprend un poste en quelques heures alors qu'un ancien met plusieurs jours. Ça n'est jamais malade. Ça fait pas grève. Un, parce que c'est un personnel scrupuleusement trié. Deux, parce que le statut d'intérimaire le leur interdit. (...) Les intérimaires sont donc la nouvelle race des exploités, les immigrés de l'intérieur. Mais ça a beau être jeune et bosser dur, ça n'en pense pas moins, un intérimaire. Suffit parfois d'une étincelle. Si vous saviez, les copains, c'te trouille qu'y zont, les patrons. Qu'on s'unisse. Une seule force qui les balaie, tchak !
(…)
La production repart plein pot. Jusqu'ici, les intérimaires étaient recrutés dans d'autres régions, à quelques exceptions près. Cette fois, la main-d'œuvre jetable vient des quartiers avoisinants. Le tri est moins sélectif. Plus de délit de faciès, de visage basané pour décrocher un emploi (temporaire) chez Pijo.
Les petits chefs ras du crâne ne l'ont pas compris tout de suite, cette nuance autour du faciès. Qu'est-ce qu'elle a, ma gueule ? Entre le chef et l'intérimaire immigré se noue une véritable histoire d'amour.
On vous l'a expliqué, l'arrogance de certains chefaillons est proportionnelle à la docilité des ouvriers. Même les anciens s'habituent à ce qu'on leur crie dessus comme s'ils étaient encore des gamins. Cause ou plutôt bave toujours...
Les chefs hargneux ne modifient pas leurs façons de diriger une équipe. Des invectives vexantes, des menaces et des propos ouvertement racistes, sauf que les intérimaires de la troisième génération (d'immigrés) changent la donne. Des gosses, la plupart le sont encore, mais pas timorés. Du répondant verbal et le réflexe vif des poings. Et pan ! dans la tronche du chef derechef. De toute façon, Karim projetait de se tirer au plus vite de ce cirque. Le cas Karim n'est pas isolé. Sans parler du cassage de gueule hors de l'usine. Voili qui remet les pendules à l'heure. Dans une des réunions mensuelles délégués-direction, la CGC [Confédération générale des cadres] demande davantage de protection pour le personnel d'encadrement. Et pourquoi pas un garde du corps derrière chaque chef ? Le respect. Voilà le mot juste dans la bouche des jeunes de cité.
Grain de sable sous le capot. Résistance & contre-culture ouvrière : les chaînes de montage de Peugeot (1972-2003), Agone, Marseille, 2006.
Les dirigeants d’Israël, de Chypre et de Grèce se sont réunis à Thessalonique le 15 juin. Ils y ont évoqué le projet de gazoduc sous-marin East Med devant relier la Méditerranée orientale au sud de l’Europe. L’analyse de Nicolas Mazzucchi, chercheur associé à l’IRIS.
Ce projet de gazoduc East Med est-il vraiment « révolutionnaire » dans le secteur énergétique, comme l’annonce le Premier ministre israélien ?
Tout dépend sous quel angle nous entendons le terme « révolutionnaire ». Les grandes nouveautés du gazoduc East Med sont majoritairement d’ordre technique. Il s’agira du gazoduc le plus profond jamais vu et également l’un des plus longs gazoducs sous-marins au monde. Poser un gazoduc à une telle profondeur représente donc une évolution majeure, plutôt qu’une révolution.
En revanche, d’un point de vue purement énergétique, il n’y a aucune révolution compte-tenu de la taille modeste de ce gazoduc. En effet, lorsque sa première phase – pour l’instant la seule annoncée – sera achevée, il présentera un volume de seulement 10 milliards de mètres cube de capacité annuelle. À titre de comparaison, en Europe, le gazoduc Nord Stream en provenance de Russie et qui passe sous la Baltique fait déjà 55 milliards de mètres cube. Et lorsqu’il sera étendu en deuxième phase avec la signature des accords Nord Stream 2, il fera alors 110 milliards de mètres cube, soit une capacité dix fois plus grande que le gazoduc East Med.
S’agit-il pour l’Europe de diminuer sa dépendance au gaz russe ? Le prix de ce dernier n’est-il pourtant pas imbattable ?
Il s’agit plutôt d’une réflexion de long-terme, davantage d’ordre politique que de questions réellement économiques. On observe une volonté très claire de la part de l’Europe de diversifier ses approvisionnements. Depuis 2008 et les différents projets se rattachant au grand plan communautaire du Corridor Sud-européen, l’Europe s’est effectivement lancée dans une diversification des routes depuis l’Est, au sens large (Asie centrale, Caucase, Méditerranée orientale). Il s’agit ainsi de contourner la Russie par le flanc Sud-Est du continent.
Le gazoduc East Med ne fait certes pas directement partie des projets de ce corridor gazier sud-européen – puisqu’il n’appartient pas aux projets financés dans l’Europe dans ce cadre – mais il reste financé par l’UE dans le cadre des Projets d’intérêt commun, tout au moins pour l’étude de faisabilité qui s’est terminée il y a peu. East Med s’intègre donc dans cette stratégie globale de l’Union européenne initiée depuis la deuxième moitié des années 2000 de diversifier ses sources de gaz.
Pour en revenir à la question de la taille, un premier projet appartenant au corridor sud-européen Trans Adriatic Pipeline (TAP) fera lui aussi 10 milliards de mètres cube. En ajoutant cette capacité à celle du gazoduc East Med, on atteint 20 milliards de mètres cube. En comparaison, le volume global en provenance de Russie – en considérant tous les projets russes en cours de développement (Nord Stream 1 et 2, TurkStream, gazoducs terrestres, etc.) – s’élève à plus de 200 milliards de mètres cube annuels. La diversification gazière de l’Europe au travers des gazoducs reste donc très lente.
Quel rôle joue la coopération énergétique pour la paix et la stabilité dans la région de Méditerranée orientale ?
La coopération énergétique représente le point majeur de coopération pour nombre de ces pays. Sur ces questions, on pourrait réussir à trouver des clefs d’entente entre des pays qui s’évitent beaucoup. Au travers de ce projet East Med, on voit par exemple un partenariat qui se dessine entre Israël et Chypre. La situation des frontières maritimes entre ces deux pays n’a été fixée qu’en 2010, grâce notamment aux questions gazières. Par ailleurs, en octobre 2016 lors du Congrès énergétique mondial à Istanbul, la Turquie voulait pousser à un rapprochement entre la République turque de chypre du Nord (RTCN) et Chypre, sous couvert de questions énergétiques pour donner à Istanbul une place prépondérante dans les projets de Méditerranée orientale.
Néanmoins, énormément de problématiques demeurent ouvertes. Les gisements de gaz impliqués dans le East Med Gas Pipeline font partie du bassin levantin, qui se trouve au beau milieu d’une problématique de frontières maritimes, notamment avec le Liban. Des problèmes de frontières maritimes existent en effet entre Israël, le Liban, Chypre et éventuellement la Syrie. Et si par exemple, demain, les territoires de Gaza devenaient des États avec des frontières maritimes, la question des droits de tirage dans des champs gaziers offshore se poserait également.
La coopération énergétique est donc à la fois un facteur d’entente pour des pays qui sont relativement peu opposés mais, pour des pays très antagonistes (comme Israël et le Liban), ces questions peuvent au contraire jeter de l’huile sur le feu.
Retrouvez notre étude sur le renouvellement aux élections législatives depuis 1958.
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Az Emberi Erőforrás Fejlesztési Operatív Program keretében kiírt pályázatok minden magyar ember érdekeit szolgálják - mondta Schanda Tamás Kolozsváron, a Pont Csoport és Magyarország Kolozsvári Főkonzulátusa által szervezett szakmai fórumon a tárca közleménye szerint.