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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 2 weeks 1 hour ago

Retrait des troupes françaises au Niger : et maintenant ?

Thu, 28/09/2023 - 16:45

 

Le 24 septembre 2023, deux mois après le coup d’État militaire ayant renversé le président nigérien Mohamed Bazoum, Emmanuel Macron a annoncé le retrait des troupes françaises et le retour à Paris de l’ambassadeur de France à Niamey. Après plusieurs semaines de tensions avec la junte, pourquoi Emmanuel Macron a-t-il finalement décidé du retour de son ambassadeur Sylvain Itté et des 1500 hommes stationnés dans le pays ? Que signifie l’annonce du retrait des troupes françaises du Niger pour le pays et pour la France ? Alors que les troupes françaises viennent de se retirer de plusieurs pays d’Afrique, comment se redessine la stratégie militaire sur ce continent ? Le point de vue de Caroline Roussy, directrice de recherche à l’IRIS, en charge du programme Afrique/s.

Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il finalement décidé du retour de son ambassadeur Sylvain Itté et des 1500 hommes stationnés dans le pays ?

La France était acculée aussi bien à Niamey que sur la scène internationale. À Niamey, si certains commentateurs ont affirmé que les manifestants étaient selon payés, selon des personnes au chômage, en déshérence, en mal d’espoir, on a au contraire assisté à des manifestations d’envergure. Des milliers de jeunes et moins jeunes se sont massés devant la base militaire française à Niamey, bravant la pluie des heures durant. Réduire ces manifestations a du seul populisme, ce n’est peut-être pas très bien comprendre les dynamiques locales de ce pays et plus largement du Sahel.

Du reste, ces manifestations anti-françaises sont clairement imputables à la politique d’Emmanuel Macron qui avait décidé de porter le fer contre la junte au pouvoir. En se montrant favorable à une intervention militaire pour restaurer le président déchu, Mohamed Bazoum, en refusant par la voix de son ambassadeur tout échange avec le nouveau pouvoir, la France a cristallisé les tensions contre elle. Depuis le 26 juillet, les opérations avec les Nigériens étaient suspendues. Donc, rester pour quoi faire ? Pour quels objectifs ?

Il convient également de noter que dans cette séquence, la France a été lâchée par ses alliés américains. Pourtant associés jusque-là dans le dispositif de lutte contre le djihadisme, ces derniers ont souhaité se démarquer de la France afin de préserver leur base d’Agadez. Dès le 8 août, la secrétaire d’État par intérim Victoria Nuland se rendait à Niamey pour rencontrer le général Barmou, formé aux États-Unis. Puis, ils ont nommé une nouvelle ambassadrice, Kathleen FitzGibbon. Les États-Unis restent au Niger en jouant sur cette argutie juridique : le président Bazoum n’a pas démissionné donc le coup d’État n’est pas consommé. Ainsi, on observe que les deux pays ont adopté vis-à-vis de la junte des positions différentes. Résultat les États-Unis restent, la France isolée est contrainte au repli tandis que la CEDEAO, après des accents belliqueux, ne semble pas près de lancer une opération au Niger… Bref, comme l’écrit le chercheur Michael Shurkin « Time’s up for France in Africa ».

Que signifie l’annonce du retrait des troupes françaises du Niger pour le pays et pour la France ?

Il y a évidemment plusieurs niveaux d’analyse. Les putschistes ont clairement remporté une victoire. Ils ont gagné le bras de fer contre la France ce qui a pour effet de les galvaniser. Dans la lutte contre le terrorisme, ils se privent sans aucun doute d’un partenaire opérationnel, d’hommes qui combattaient à leurs côtés. Mais peut-être est-ce là aussi une perception depuis Paris. Les militaires nigériens souhaitent combattre sans la France. Une initiative intéressante a été prise. Avec le Burkina Faso et le Mali, ils ont créé une alliance des États du Sahel afin de mutualiser leurs moyens dans la lutte contre le terrorisme. Cela semble plutôt judicieux dans la mesure où l’on observe une coagulation des violences dans la zone dite des trois frontières. Reste à voir comment cela peut se traduire sur le plan opérationnel. Il leur faudra peut-être aussi prendre des mesures socio-économiques pour réduire les inégalités, et développer cette zone encore appelée Liptako-Gourma.

Pour la France, le retrait du Niger est un camouflet, un échec cinglant de sa politique. Après avoir dû quitter le Mali et le Burkina Faso, le nouveau dispositif reposait sur le Niger. Cela devait être un laboratoire des nouvelles interventions françaises sous commandement nigérien. Changement de méthode, changement de paradigme. Les militaires devaient être invisibilisés. Résultat : leurs conditions de vie dégradée se sont imposées comme sujet dans le débat médiatique français…

Alors que les troupes françaises viennent de se retirer de plusieurs pays d’Afrique, comment se redessine la stratégie militaire sur ce continent ?

La France a, en effet, été rejetée des pays où elle est intervenue : Mali, Burkina Faso et aujourd’hui Niger. Au Sahel (soit ce que l’on désignait comme pays du G5 Sahel Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) il ne lui reste plus que la base de N’Djamena. Que va dorénavant faire la France ? Assez vraisemblablement, elle peut réarticuler une nouvelle fois son dispositif en direction des pays du Golfe de Guinée dont certains sont gagnés par la menace terroriste (nord Bénin, nord Togo et nord Côte-d’Ivoire). Les bases au Sénégal et en Côte d’Ivoire pourraient suivant cette nouvelle architecture être opérationnelle dans la lutte contre djihadisme. Le Bénin qui n’a pourtant pas de base pourrait également être amené à jouer un rôle. Plusieurs questions toutefois se posent. Le Sénégal est dans une séquence présidentielle, les citoyens sont appelés aux urnes le 24 février prochain. Le nouveau dirigeant sera-t-il favorable à la France, demandera-t-il un soutien de la France ? Rappelons qu’en mars 2021, il y avait eu de violentes manifestations anti-françaises dans tout le pays. Du jamais vu.  Des enseignes comme Auchan, Eiffage ou Orange avaient été mises à sac. Plus récemment, tandis que le verdict pour viol d’Ousmane Sonko sur une jeune femme masseuse était attendu, l’institut français de Ziguinchor a été incendié. S’il n’y a pas de corrélation entre la France et les affaires judiciaires de l’opposant politique de Macky Sall, on observe des débordements anti-français. Les rancœurs cumulées sont là. Depuis longtemps, Macky Sall est portraituré comme bras armé de la France. La tutelle économique, les bénéfices sur les autoroutes sont perçus comme un privilège trop visible octroyé aux Français au détriment des populations sénégalaises. La Côte-d’Ivoire est actuellement gouvernée par Alassane Ouattara. Il lui reste deux ans avant la fin de son troisième mandat. Certains observateurs avisés affirment qu’en fin limier de la politique, Macky Sall et Alassane Ouattara, feront en sorte qu’un de leur dauphin leur succède. Peut-être. Mais est-il possible de construire un nouveau plan d’action sur des bases aussi fragiles ? Du reste, les chefs d’État de ces deux pays feront-ils appel à la France ? Rien n’est moins sûr.

Enfin, sur le plan opérationnel, on peut tout à fait comprendre la logique du dispositif tel que décrit : isoler le Mali, le Burkina Faso et le Niger et tenter d’endiguer la progression de la menace terroriste vers les pays du golfe de Guinée. Là aussi de nombreuses interrogations demeurent : comment lutter contre une menace transterritoriale sans droit de poursuite ? La stratégie sera-t-elle de donner des armes et d’aider à la conception des opérations sans que les militaires français soient impliqués sur le terrain ? Dans l’équation, il y a encore beaucoup trop d’inconnus à ce stade. Scénario ultime, le chef de l’État décidera-t-il de fermer les bases et de collaborer autrement ? Cela peut être une opportunité de réinventer les relations entre l’Afrique et la France. Seul Emmanuel Macron est en capacité de décider. Il est seul face à l’Histoire.

« Chronique des territoires » – 4 questions à David Chanteranne

Thu, 28/09/2023 - 12:25

Historien et historien de l’art, diplômé de l’université de Paris-Sorbonne, journaliste et écrivain, David Chanteranne répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage Chroniques des territoires. Comment les régions ont construit la nation qui paraît aux éditions Passés Composés.

 

Comment vous est venue l’idée de ce livre ?

L’Histoire, on le sait, n’est pas seulement centralisée, Paris n’ayant pas toujours été le centre du pouvoir. Bien avant les épisodes contemporains, plusieurs événements ont ainsi forgé le destin du pays. L’idée d’imaginer ce livre m’est donc venue au gré des visites et des découvertes patrimoniales à travers la France. Les événements historiques me sont d’abord apparus passionnants et, à travers eux, j’ai souhaité relater quelques-unes des étapes – de la fondation de Marseille par les Phocéens à la rencontre de Colombey-les-Deux-Églises – qui ont conduit la nation à réaliser son unité.

Les symboles peuvent être instrumentalisés et déformés, à l’image de Charles Martel à Poitiers…

Lorsqu’ils ne sont pas resitués dans leur contexte historique, ces événements donnent en effet lieu, très souvent, à des lectures tronquées voire faussées. Tout l’intérêt de ces vingt-neuf épisodes présentés ici est justement de ne pas tomber dans la légende, qu’elle soit dorée ou à charge. Il convient de vérifier à chaque fois, à travers les archives, ce qui relève de l’authenticité (par la confrontation des témoignages et le croisement des sources), et ce qui, au contraire, a été transformé au fil du temps par une certaine mythologie.

L’Histoire, c’est donc aussi la rencontre d’un personnage hors du commun et d’un lieu particulier…

La plupart des sociologues ou historiens des sociétés s’intéressent au temps long, à partir d’études comparatives spécifiques. Mais il est aussi nécessaire de mettre l’accent sur ces instants qui ont changé le cours de la politique ou de la diplomatie, de relater ces réunions, ces conflits, ces opérations individuelles qui ont bouleversé le quotidien de leurs contemporains. Très souvent, l’action d’un personnage dans le cadre d’un site particulier – champ de bataille, palais, église, modeste demeure ou tout autre lieu – a transformé le destin national. Ce sont ces « rencontres » qui ont permis à la France d’être ce qu’elle est aujourd’hui.

Les lieux concernés soignent-ils suffisamment à vos yeux cet héritage culturel ?

Ils le font suffisamment pour être restés jusqu’à nous avec tant de force. Par leur diversité tout autant que par leur évocation, ils transmettent à travers les âges et donc les générations une part de cette histoire dont nous sommes à la fois les dépositaires et les héritiers. De Lyon à Strasbourg, en passant par Bordeaux, Versailles, Grenoble, mais aussi Amboise, Belfort ou Ajaccio, ces sites racontent à leur manière les soubresauts de notre passé tout en perpétuant une part éternelle de cette épopée pluriséculaire.

 

Crise migratoire : où en est le gouvernement italien ?

Thu, 28/09/2023 - 00:45

 

Les arrivées sur les côtes italiennes continuent, avec Lampedusa comme symbole des difficultés que rencontre l’Italie. Les afflux de migrants sur la petite île ont relancé un débat vieux de dix ans qui ne semble pas trouver de solution. Cependant, la médiatisation massive actuelle impose une réflexion sur cette situation et pour tous les acteurs de cette crise.

Une nouvelle crise qui n’en est pas une

Les images des navires de fortune entrant dans le port de Lampedusa ont fait la une de toute la presse, montrant un exode vers l’Europe disproportionné par rapport à ce que peut accueillir l’Italie. Il est vrai que la situation géographique de Lampedusa est atypique. L’île ne fait qu’un peu plus de 20 km2 pour près de 6000 habitants. Les arrivées des dernières semaines doublent voire triplent la population de l’île. Il faut également prendre en compte que le centre d’accueil de Lampedusa n’a que 400 places, un chiffre dérisoire par rapport aux flux migratoires sur ce territoire, et ce depuis des années.

Mais ces images ‒ très médiatiques ‒ ne sont pas pour autant totalement représentatives de la situation. Bien que le nombre d’arrivées soit supérieur à celui de l’année dernière, il est dans la lignée de nombreuses années précédentes, comme 2016 ou 2017, soit environ 150 000 migrants enregistrés dans les centres d’accueil en Italie. Si le nombre d’arrivants reste stable, la route que ceux-ci empruntent a changé. En février dernier, une mauvaise coordination entre l’État italien et l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (dite Frontex) faisait 94 morts en Calabre, à Cutrò. Devant un tel danger, un passage vers Lampedusa (qui dure moins de 10 heures par beau temps depuis Sfax) est privilégié. Il faut également prendre en compte la situation de la Tunisie elle-même : la crise économique et l’instabilité du pays incitent certains de ses ressortissants à chercher fortune ailleurs, à quelques milles plus à l’Est, en Europe.

Les traversées depuis la Tunisie sont bien plus fréquentes à présent tandis que les départs depuis la Libye ou la Turquie s’amenuisent. Résultat : Lampedusa représentait moins de 10% de l’arrivée de migrants durant les années précédentes. Aujourd’hui c’est le contraire : 90%. Une situation difficile pour la petite île et pour la région, Lampedusa faisant partie de la région de la Sicile, qui doit gérer ce contingent de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Il faut tout de moins saluer les Lampedusanis pour leur disponibilité, leur accueil et leur gentillesse : malgré les années qui passent et un sentiment d’être les oubliés de la crise migratoire, ils continuent chaque jour d’accueillir et de nourrir les nouveaux arrivants, souvent à leurs frais.

Cette crise n’est donc pas nouvelle, juste plus visible actuellement, car focalisée sur un seul point géographique et mise en exergue par le gouvernement italien qui espère une réaction de ses partenaires européens.

L’excuse « Pool Factor » ne tient plus

L’actuel gouvernement italien a accusé pendant des années les Organisations non gouvernementales de la mer Méditerranée d’être les “taxis de la mer”, insinuant que celles-ci collaboraient avec les passeurs pour faciliter la venue des migrants en Europe, ou que leur présence encourageait les migrants à partir : l’effet dit Pool Factor. La Première ministre italienne Giorgia Meloni a d’ailleurs écrit cette semaine au Chancelier allemand Olaf Scholz pour lui faire savoir le mécontentement de l’État italien, opposé aux financements allemands des ONG de sauvetage en Méditerranée. Les ONG seraient le catalyseur des arrivées en Italie, mais ce scénario n’est toujours pas démontré. Il est surtout une excellente manière de remettre les responsabilités de l’arrivée massive des migrants sur une entité externe, car, aujourd’hui, ces organisations ont un rôle presque nul : environ 10% des personnes arrivant en Europe proviennent de bateaux appartenant à ces organisations.

Difficile pour Giorgia Meloni de jeter la faute sur un élément externe : cette situation renvoie le gouvernement italien à ses responsabilités en matière de gestion des arrivées. C’est ici le point central de cette crise migratoire : l’identification et la gestion des demandes d’asile.

Une nouvelle réforme européenne pour aider l’Italie

La gestion des nouveaux arrivants est régie par le traité de Dublin, qui prévoit que la demande d’asile soit évaluée par le pays d’arrivée. L’Italie est donc fortement impactée par cette norme, qui l’oblige à gérer plus de 100 000 dossiers chaque année. Il est bon de rappeler que ce traité ‒ tant décrié par l’actuel gouvernement italien ‒ a été voté par les élus de la Lega.

Une nouvelle réforme européenne est à l’étude. Elle prévoirait une plus grande solidarité et une répartition plus rapide des migrants arrivant dans l’Union européenne. Des changements qui pourront très certainement aider l’Italie dans ses tâches, mais à deux conditions.

La première est l’identification plus rapide des migrants. Les nouvelles normes italiennes ne semblent pas aller dans ce sens, car une nouvelle loi votée permet aux centres d’accueil (et d’expulsion) de garder enfermés dans leur structure les migrants pendant une durée prolongée allant jusqu’à 18 mois. Cette prolongation montre toutes les difficultés logistiques auxquelles l’Italie doit faire face, surtout en interne. Les dernières mesures du gouvernement italien prévoient la construction d’un centre par région. Une initiative qui a été immédiatement critiquée (pour ne pas dire refusée) par plusieurs présidents de régions, dont le très apprécié et médiatique Luca Zaia (Vénétie), pourtant inscrit à la Ligue.

Le second point est la collaboration des autres pays membres. Les autres pays de l’Union européenne parlent de solidarité en ce qui concerne la gestion des arrivées, mais rien n’est encore clair. Pour l’instant, les pays voisins, la France et l’Autriche, renforcent leurs effectifs aux frontières. Il ne serait pas surprenant de voir des pays souverainistes comme la Hongrie refuser de prendre de nouveaux migrants, malgré une amitié consolidée entre Giorgia Meloni et Viktor Orbán. En toute logique, les partis d’extrême-droite ne seront pas enclins à accepter cette répartition. Marine Le Pen, par exemple, n’est pas allée à Lampedusa lors des dernières semaines, mais elle est allée en Italie, avec Matteo Salvini, au meeting annuel de la Ligue, près de Milan.

La fin de la lune de miel pour Giorgia Meloni ?

Les excuses s’amenuisent pour l’actuel gouvernement italien, qui promettait des solutions miracles afin de limiter définitivement l’entrée de migrants, notamment par un utopique blocage naval de toute la mer Méditerranée. Pour l’instant, les résultats sont à l’opposé. La venue de Giorgia Meloni et d’Ursula Von der Leyen à Lampedusa a été targuée par la foule présente de passerella (de défilé) avec l’ennemi des électeurs des Fratelli d’Italia : l’Union européenne. Meloni n’a pourtant pas le choix : sans Bruxelles, l’Italie est dans l’impasse, aussi bien d’un point pour la gestion migratoire que du plan de relance économique.

La présidente du Conseil tente un grand écart, une fois de plus, pour contenter Bruxelles et la droite italienne. En un an, les rôles se sont inversés avec Matteo Salvini. Lorsque le leader de la Ligue était au pouvoir (avec Mario Draghi), Giorgia Meloni n’hésitait pas à critiquer le gouvernement pour sa politique jugée trop centriste. Aujourd’hui, c’est le contraire : alors que Giorgia Meloni sourit à Ursula Von der Leyen, Matteo Salvini était en Lombardie pour le rassemblement annuel de la Lega, où les discours sont toujours très durs, surtout en ce qui concerne l’immigration. Deux leaders, deux partis au pouvoir, mais une vraie compétition qui pourrait user la coalition à moyen terme, bien que les deux protagonistes de droite continuent d’insister sur leur bonne entente et leur cohésion.

L’opposition du Parti démocrate est pour l’instant timide : la néo-secrétaire du parti Elly Schlein ne fait pas l’unanimité et ses rapports ambigus avec le Mouvement cinq étoiles n’aident pas les électeurs à avoir une vision claire des objectifs de la gauche modérée. Le PD stagne à 20% depuis des mois. Mais, paradoxalement, ce silence de l’opposition fait plus mal à Giorgia Meloni : elle ne trouve aucun adversaire à qui répondre, ce qui l’oblige à affronter certaines réalités du pays, comme une inflation galopante et un coût de l’énergie qui ne descend pas. Le litre d’essence est à 2€ au Bel Paese. Et chaque Italien se remémore la vidéo de l’actuelle présidente du Conseil qui promettait, en cas de victoire, de diminuer de 50% le prix du carburant. Pour l’instant, Meloni reste en haut des sondages, avec un électorat fidèle ou qui n’a pas encore trouvé d’alternative politique crédible à ses yeux.

Géostrategix 2

Tue, 26/09/2023 - 18:34

Après le premier tome l’an dernier, « Géostratégix II » vient de paraître ! Cette fois-ci, avec le dessinateur Tommy, nous nous penchons sur les grands enjeux du monde contemporain. Quels sont les enjeux des changements climatiques ? La démocratie est-elle universelle ? Quels sont le poids, l’influence et le rôle respectifs de l’Europe, des États-Unis, de la Chine, de la Russie, de l’Afrique, de l’Amérique latine et de l’Asie ? Autant de questions auxquelles nous tentons de répondre dans cette nouvelle bande dessinée.

Union européenne : retour à la case départ ?

Tue, 26/09/2023 - 17:02

 

La guerre en Ukraine a accentué la dépendance de Bruxelles à l’égard de Washington. Alors que celle-ci tendait à s’émanciper de Washington et à établir une autonomie stratégique européenne, l’Union européenne (UE) n’effectue-t-elle pas un retour à la case départ ? Quel rôle reste-il à jouer à l’UE dans ce panorama stratégique ?

Federico Santopinto, directeur de recherche à l’IRIS et responsable du programme Europe, stratégie et sécurité de l’IRIS, répond à nos questions dans le cadre de son chapitre publié dans « L’Année stratégique 2024 ».

Guerre en Ukraine : l’Arabie saoudite se veut médiatrice en organisant des pourparlers à Jeddah

Sun, 30/07/2023 - 11:08

C’est le deuxième volet des pourparlers, les premiers ont eu lieu il y a un mois à Copenhague. Quel est le message que cela envoie, que ces prochaines discussions se déroulent en Arabie saoudite ?

Cela montre avant tout que le prince héritier Mohammed ben Salman veut se présenter comme un comme un « honest broker », un honnête courtier, qui permet de réunir des protagonistes en conflit. Il veut se positionner comme un médiateur, un peu comme le président [turc Recep Tayyip] Erdogan.

Par ailleurs, c’est aussi une manière de montrer qu’il est sensible aux enjeux liés à la guerre en Ukraine, qui ont des conséquences également au Moyen-Orient, on l’a vu ces derniers mois, notamment en terme énergétique et alimentaire. Il faut rappeler qu’il avait d’ailleurs invité le 19 mai dernier lors d’un précédent sommet de Jeddah le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui à cette occasion avait stigmatisé les pays arabes qui étaient supposés fermer les yeux sur la situation en Ukraine. C’est donc une manière pour le prince héritier de montrer qu’il a entendu les doléances du président Zelensky et il se présente comme un intermédiaire justement susceptible de favoriser une sortie du conflit.

Est-ce que les liens étroits de Riyad avec Pékin ont aidé aussi à ce que le lieu choisi soit en Arabie saoudite ?

La question de la participation chinoise n’est pas définitivement établie, parce que, en réalité, les 5 et 6 août prochain à Jeddah, il y a une trentaine de pays. On pourrait les qualifier de « sud global » : il y aurait l’Indonésie, l’Égypte, le Mexique, le Chili et d’autres pays. L’idée, c’est de faire participer effectivement tous ces pays dits du « sud global », dont certains ont manifesté une prudence, sinon une neutralité suspecte aux yeux de [Volodymyr] Zelensky.

La question de la participation de la Chine serait déterminante, parce que les relations entre Riyad et Pékin sont aujourd’hui très importantes. Il se trouve que la Chine est le premier client pétrolier de l’Arabie saoudite et il faut rappeler d’ailleurs que, lors de la visite [du président chinois] Xi Jinping en décembre dernier, il y a eu la formalisation d’un partenariat stratégique. Donc Mohammed ben Salman peut se prévaloir de relations privilégiées avec Pékin et se montrer particulièrement investi dans la dynamique qu’il met en œuvre.

Une trentaine de pays seront présents à Jeddah, mais la Russie n’est pourtant pas conviée à ces discussions ?

Non, elle n’est pas conviée, et c’était déjà le cas au forum de Copenhague le mois dernier. C’est très difficile pour la Russie et de toute façon, cela arrange toutes les parties d’une certaine manière, parce que, en l’état, la Russie considère qu’elle est plutôt accusée et donc elle n’a pas envie de se mettre en situation de faiblesse.

Mais cela n’empêche pas le prince héritier Mohammed ben Salman d’entretenir des relations importantes avec Vladimir Poutine, notamment dans le cadre de l’accord Opep+. Il faut rappeler qu’en octobre dernier, il y a eu la confirmation de la poursuite d’un maintien élevé des prix du pétrole. Et donc cela passe évidemment par des discussions étroites entre Moscou et Riyad.

Ce type de format n’est de toute manière jamais assuré de succès. C’est l’initiative en elle-même qui est importante, qui permet aux uns et aux autres de se positionner. C’est à porter au crédit du prince héritier qui va chercher à en tirer bénéfice. Il a été accusé notamment par les Occidentaux, et en particulier par les États-Unis, de jouer un double jeu par rapport à ces relations avec Vladimir Poutine. Mais en réalité, son initiative n’est pas pour contenter les Occidentaux, elle est vraiment pour se positionner, lui, en intermédiaire indispensable. C’est déjà le cas au Moyen-Orient et il veut élargir son assise. C’est la crédibilité qu’il veut donner au Royaume, donc il y a une logique spécifiquement saoudienne dans cette démarche.

Et finalement, une volonté de la part de MBS de se montrer sous son meilleur jour auprès des pays du « sud global » ? 

Absolument. Rappelons d’ailleurs que l’Arabie saoudite a fait acte de candidature au sein des Brics en Afrique du Sud. C’est une façon de prendre ses distances par rapport à ses parrains historiques, en l’occurrence les États-Unis. Et c’est aussi une façon de diversifier les alliances et les relations, comme on le voit à la fois avec Moscou et Pékin, et c’est ce qui lui permet de jouer sur plusieurs niveaux.

À quoi faut-il s’attendre lors de ce sommet ?

C’est très difficile de spéculer. Une chose est sûre, c’est que des choses se passent en coulisses, tout n’est pas uniquement de la communication : on l’a vu le 22 septembre dernier lorsqu’il y a eu la libération de prisonniers internationaux détenus par la Russie, notamment d’un Marocain, de cinq Britanniques, de deux Américains, un Suédois et un Croate. Cela était présenté comme un succès personnel de la diplomatie proactive du prince Mohammed ben Salman.

Mais évidemment, sur un sujet aussi complexe, le dénouement ne pourra pas se faire à l’occasion d’un tel format. C’est en tout cas une étape qui montre les repositionnements des acteurs par rapport au monde occidental et une nouvelle articulation de ces pays « du Sud ».

 

Propos recueillis par RFI.

Tunisie, Égypte, Libye : l’Italie se tourne vers l’Afrique

Fri, 28/07/2023 - 11:03

De nombreux observateurs attendaient une politique plus souverainiste et protectionniste de la part de Giorgia Meloni, avec un blocage naval des frontières maritimes par exemple. Après dix mois de gouvernement, la stratégie opérée semble bien différente et la collaboration avec les pays du sud devient un point central de la politique étrangère italienne de ce quinquennat des Fratelli d’Italia.

 

Historiquement tournée vers le nord, l’Italie élargit ses possibilités

Le barycentre géopolitique de la péninsule italienne a changé de position au cours de l’histoire, passant du centre du monde connu lors de l’antiquité à un pays de frontière méridionale de l’Union européenne. Si ces changements pouvaient être considérés comme un déclassement (surtout pour l’Italie du Sud), le contexte actuel remet au cœur des relations internationales l’Italie, trait d’union entre deux continents, du fait de son histoire.

Au XIXe siècle, les artisans de l’unification italienne, principalement Piémontais (et francophones), avaient une préférence stratégique et culturelle pour les pays du nord de l’Europe, notamment l’Allemagne et la France, respectivement premier et deuxième partenaire commercial de l’Italie encore aujourd’hui. Une politique qui a aidé le nord de l’Italie à se développer pour obtenir le bassin de productivité septentrional que nous connaissons de nos jours. Un développement qui a cependant créé une Italie à deux vitesses, avec un drainage de la croissance vers les régions septentrionales, creusant un peu plus chaque année l’écart économique entre le nord et le sud de la péninsule.

Mais l’Italie n’a pas toujours été seulement orientée vers les partenaires commerciaux germaniques et francophones. Francesco Crispi, président du Conseil à plusieurs reprises au début du XXe siècle avait une vision totalement différente et plutôt vindicative envers la France. Cette idée avait porté l’Italie à chercher de nouveaux accords vers le sud : un commerce plus intense en Méditerranée, mais aussi le début de la politique coloniale italienne en Afrique. Cette tactique d’expansion fut aussi reprise par Mussolini durant le fascisme, même si l’objectif n’était pas uniquement d’étendre le territoire italien, mais aussi de faire partie des pays colonisateurs, comme la France ou le Royaume-Uni. Une politique vers le sud pour peser au niveau international.

La fin de l’épisode colonial italien, qui coïncidait avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, clôturait les rapports de force avec les pays africains. Après-guerre, les liens entre l’Italie et l’Afrique changent, surtout lors du miracolo economico, les trentes glorieuses transalpines. Les investissements pétroliers de la Société de l’énergie italienne (l’ENI), guidée par Enrico Mattei, étaient principalement sur le continent africain, pour garantir aux Italiens une énergie abondante et à bas coût et maintenir au plus haut la croissance de l’Italie. Cette méthode,appelée Piano Mattei, est l’un des modèles que Giorgia Meloni veut appliquer. Elle parle d’un nouveau plan Mattei pour l’Afrique.

 

 

Le Piano Mattei remis au goût du jour par Giorgia Meloni

Giorgia Meloni multiplie les voyages diplomatiques en Afrique depuis le début de l’année : en Algérie, en Libye, en Éthiopie et plusieurs fois en Tunisie. Ces déplacements sont dans la lignée de ceux de Mario Draghi, qui avait commencé lui aussi à se rapprocher des pays du nord de l’Afrique. La guerre en Ukraine a encore plus accéléré le besoin en gaz et en pétrole pour l’Italie et l’Europe. Madame Meloni reprend donc la stratégie d’Enrico Mattei, à savoir des accords gagnant-gagnant basés sur l’exploitation des ressources naturelles contre des investissements massifs pour le développement. C’est par exemple le cas de la Libye où le plan Mattei y est vraiment appliqué à la lettre. Un accord historique d’exploitation de deux puits libyens par ENI a été signé, contre plus de 7 milliards d’investissements sur le territoire. Les rapports avec les pays voisins producteurs d’énergie sont d’autant plus importants que les pipelines qui acheminent le gaz en Europe passent aussi par la Sicile.

Les accords avec la Tunisie regardent plus la crise migratoire : le soutien de l’Union européenne à l’économie tunisienne évite une vague migratoire importante sur les côtes italiennes, tout du moins pour l’instant. Madame Meloni a pris part au dernier voyage d’Ursula Von der Leyen à Tunis, de manière à montrer aussi à son électorat qu’elle travaille pour limiter les arrivées de migrants.

Dans le contexte actuel, l’Italie est aussi bien l’exploitant, le transporteur et l’intermédiaire d’une partie importante de l’énergie vers l’Union européenne. On peut comprendre l’intérêt croissant du gouvernement italien à travailler dans cette zone : les régions du sud de l’Italie, qui jusqu’hier était un problème, pourraient devenir le levier des ressources énergétiques pour l’Europe.

 

L’Égypte, une amélioration des rapports à la suite de la libération de Patrick Zaki

Après trois ans d’incarcération, l’activiste égyptien et étudiant de l’université de Bologne, Patrick Zaki, a été gracié par le président Al-Sisi. Un geste qui rapproche les deux pays et qui représente une victoire diplomatique pour l’Italie. Le pays a réussi, contre toute attente, à faire libérer le jeune étudiant qui est rentré en Italie il y a quelques jours.

Personne n’est dupe, la libération de Patrick Zaki n’est pas uniquement un acte de bonté du président égyptien. Un accord avec l’Italie a très certainement été signé (tout du moins de manière officieuse), car il reste un autre contentieux plus épineux et tragique : l’assassinat de  l’étudiant romain Giulio Regeni au Caire, en 2016. Les premières enquêtes italiennes indiquent que Giulio Regeni aurait été abattu par des membres du contre-espionnage égyptien. La collaboration égyptienne dans l’enquête n’a pas été totale, car les autorités égyptiennes n’ont jamais accepté d’extrader les militaires incriminés, se contentant d’un interrogatoire au Caire où ces mêmes soldats ont réfuté les accusations. Ce statu quo entre les deux pays dans l’affaire Regeni pourrait donc évoluer grâce à (ou à cause de) la libération de Patrick Zaki : il ne serait pas étonnant de voir les instances de Rome abandonner leurs recherches sur l’homicide du jeune chercheur italien, comme l’indiquait le journal Left.

Aucune preuve de cet accord pour l’instant, l’unique certitude est que l’Égypte et l’Italie se parlent de nouveau après des années de tensions palpables entre les deux nations. Un renouveau diplomatique qui élargit les perspectives italiennes, à présent en bon terme avec tous ses voisins de la méditerranée méridionale.

 

Que peut-on attendre de cette nouvelle stratégie italienne ?

Il est évident que la politique internationale appliquée par l’actuel gouvernement n’est pas exactement en phase avec le programme électoral pour lequel Giorgia Meloni a été élue. Le blocage naval revendiqué en septembre dernier semble bien loin, et la politique étrangère italienne moins défensive que l’on pouvait l’attendre. Les rapports positifs avec Bruxelles et la position géographique de l’Italie lui donnent l’opportunité d’être un acteur du monde méditerranéen et un vrai trait d’union entre les deux continents. Le statut de l’Italie et son rapport commercial en Méditerranée (sans oublier pour autant son passé colonial) offrent des perspectives plus positives avec le continent africain. La crise migratoire touche principalement l’Italie, qui a tout intérêt à être un protagoniste actif : ce positionnement a le double avantage de tenter de trouver une solution au problème migratoire, mais aussi de remettre en avant l’Italie sur la scène européenne et devenir un acteur des politiques du Sud.

Reste à savoir si le gouvernement Meloni pourra tenir cette ligne sans pour autant provoquer une certaine colère de son électorat : le leader de Forza Nuova (extrême-droite) Roberto Fiore a déjà fait savoir dans les médias sa déception quant aux politiques appliquées par le gouvernement. L’équilibre entre les promesses électorales aux Italiens et les réalités internationales risquent de se télescoper. Dans tous les cas, il faudra que les résultats soient là, surtout dans le cas de la crise migratoire, car les statistiques actuelles ne vont pas dans ce sens : depuis le début de l’année, plus de 90 000 personnes sont arrivées sur les côtes italiennes. Un chiffre impressionnant qui oblige même les garde-côtes à collaborer avec les ONG, pourtant tant critiquées par le gouvernement.

Les alliés de Giorgia Meloni acceptent cette nouvelle ligne plus européenne, pour l’instant. Mais si le vent électoral tourne, il ne serait pas surprenant de voir des dissidences dans la majorité. Matteo Salvini, dans l’ombre de Giorgia Meloni depuis des mois, attend très certainement une occasion de revenir au premier plan, tandis que l’actuelle opposition pourrait prendre de l’ampleur en cas d’alliance (possible) entre le Mouvement 5 Étoiles et le Parti démocrate.

« Les bons ressentiments. Essai sur le malaise post colonial » – 4 questions à Elgas

Fri, 28/07/2023 - 10:33

El Hadj Souleymane Gassama, dit Elgas, est journaliste, écrivain, docteur en sociologie, et chercheur associé à l’IRIS. Il répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage Les bons ressentiments. Essai sur le malaise post colonial aux éditions Riveneuve.

Vous écrivez que les héros africains sont plus jugés à leur capacité à tenir tête à l’Occident qu’à construire une alternative en s’adressant aux Africains…

Il faut invoquer l’histoire longue pour comprendre dans quelle mesure ce réflexe convenu est entretenu à dessein à partir d’une légitimité incontestable. Tous les héros africains tués par la mécanique coloniale, toutes les figures de la résistance qui se sont élevés contre l’injustice et incarnent ainsi un imaginaire courageux, ont laissé un fort héritage, modèle s’il en est pour la jeunesse, entre autres. Qu’il s’agisse de Lumumba ou Sankara, se dresser contre l’Occident était l’essence d’un combat qui n’était nullement dans une posture. Ce qui s’est produit, c’est qu’au fur et à mesure, cela est devenu une bouée facile de pouvoirs faillis et de dirigeants sans scrupule qui pillent cet héritage glorieux. Les acteurs politiques ne sont plus comptables de la transformation de leur pays, mais négocient leur sursis par cette opposition factice avec l’Occident, avec lequel souvent ils sous-traitent en coulisse. Le déplacement de la logique populaire du siège de l’action positivement collective au ministère du discours performatif destiné à manipuler les affects et s’attribuer les retombées des gloires passées est le glissement majeur. Il annonce cette défausse épidémique dans le continent de dirigeants qui abdiquent les chantiers nationaux pour s’en prendre à un ennemi commode et fédérateur, ne faisant ainsi que différer les explosions de colères dues essentiellement à des défaillances de l’appareil d’État à régler les problèmes.

Senghor, reconnu en France, serait peut-être pour cela déconsidéré en Afrique ?

La causalité est un peu hâtive je dirais. Senghor a été reconnu pas qu’en France il n’a été rien de moins que le président sénégalais, dont l’héritage vit encore avec vigueur au Sénégal à bien des égards. Ce qui se passe avec les transformations postcoloniales actuelles, c’est une forme d’ascendant que prennent ses rivaux intellectuels en matière d’influence sur les jeunesses africaines. Si Senghor a une actualité riche en France (biographies, expositions, colloques…), il est évident qu’au Sénégal c’est plus confidentiel, même si nombre de chercheurs locaux sont au cœur de cet intérêt. Il n’a pas une immense aura et est particulièrement contesté. Cette impopularité en partie est tributaire en effet d’un lien avec la France qu’il trainera aux yeux de beaucoup comme une tare incurable. Mais les offres de lectures de son œuvre récemment publiées permettent d’aller au-delà des manichéismes pour rendre justice à un parcours avec ses forces et faiblesses.

Vous reprochez à certains intellectuels africains de refuser de penser contre soi, le préalable de l’introspection au profit de ce que vous qualifie de « fureur accusatrice »

Je rappelle, à l’aide d’exemples récents et historiques, comment la pluralité des idées, des opinions, la richesse de la controverse intellectuelle, ont été victime d’une forme de censure au cœur identitaire. Il fallait pour vivre les joies de la quiétude et être bien perçu par la « communauté » produire sous une certaine dictée d’une optique unique. S’émanciper des canons arbitrairement établis du « Nous » équivalait à vivre au ban, considéré comme un traitre. Il ne fallait pas trahir un front contre l’Occident, au prix de renoncements à des lessives internes, d’accointances avec des logiques conservatrices, de tolérances de discours intérieurs violents et traditionalistes, au seul motif d’un particularisme et d’une chronologie qui le légitimaient. Cet impensé persistant a dévoyé une part de l’énergie dans ce face à face réactif avec la tentation de la diaspora de tomber dans une idéalisation fantasmée d’un continent où la disqualification est devenue une épuration intellectuelle admise. Réinstituer ce goût du dialogue, l’introspection, l’autoscopie, la capacité à être intransigeant avec nous-mêmes et les autres est un principe essentiel pour ne pas nourrir cette nécrose des idées et faire du statut de victime une condition éternelle.

Certains satrapes africains embrassent un tournant de colonial, parfois islamistes pour se refaire une virginité…

Oui, c’est la recette facile du rachat de virginité à peu de frais. Idriss Déby, Denis Sassou Nguesso, Laurent Gbagbo pour ne citer qu’eux, ont tous, d’une certaine manière, flirté avec ce discours pour se voir décerner leurs galons de panafricaniste. Ils braconnent ainsi sur des terres intellectuelles longuement ensemencées de cette idée décoloniale devenue à bien des égards, loin de la rigueur de la pensée du même nom, un argument de prolongation de mandat sur la base d’un chantage affectif et historique. On se retrouve dans une alliance objective et contre nature entre discours religieux sur l’Occident décadent sur lesquels prospèrent les récits et lexiques djihadistes, mais aussi la tentation des hommes au pouvoir de s’affranchir des règles constitutionnelles subitement affiliées à la colonisation. C’est un bal hélas tragique de défausse qui fait du tort à des initiatives de recherches d’alternatives sérieuses. C’est le temps dans lequel semble entrer pleinement le continent. Le fruit d’une longue démission et d’un maniement d’un discours identitaire avec l’entrée en scène d’acteurs et d’héritiers plus radicaux dans une séquence mondiale marquée par le ressentiment et sa propension au nihilisme.

 

Quelle géopolitique pour le mondial de football féminin 2023 ?

Thu, 27/07/2023 - 16:13

Une semaine après le lancement de la 9e édition de la coupe du monde féminine de football organisée en Australie et en Nouvelle Zélande, cette première édition post-pandémie nous apporte une nouvelle fois la preuve que les questions politiques et sociétales prennent place au sein même des compétitions sportives. Que ce soit à l’initiative ou non des différents acteurs de la scène internationales – comme cela a pu être le cas avec le mondial masculin qui s’est tenu au Qatar en décembre dernier – la reconnaissance des peuples, le port du hijab ou encore la défense des droits des femmes et LGBTQIA+ sont autant de sujets qui ont déjà émergé durant cet événement. Lukas Aubin, directeur de recherche à l’IRIS et responsable du Programme sport et géopolitique répond à nos questions.

 

Le mondial de football féminin a démarré. Quel état des lieux peut-on dresser d’un point de vue géopolitique ?

Si l’on s’intéresse à ce qui fait en premier lieu la géopolitique, à savoir la géographie, c’est la première fois qu’un mondial féminin de football se déroule, d’une part, dans deux pays différents – Australie et Nouvelle-Zélande – et, d’autre part, en Océanie. Jusqu’à présent, trois continents avaient eu l’opportunité d’accueillir un mondial féminin : l’Europe, l’Asie et l’Amérique. Désormais, quatre continents auront accueilli cette compétition internationale. Le Mondial féminin semble donc suivre les traces de l’expansion du Mondial masculin, en s’exportant et en s’internationalisant à son tour. C’est un signe de bonne santé et de progression dans l’imaginaire global que les observateurs et observatrices portent sur le « football féminin ».

Pour la première fois, 32 équipes participent à la Coupe du monde, ce qui, évidemment, représente autant de pays différents et donc a un impact à l’échelle internationale plus important que les précédentes éditions. Parmi ces participants, on retrouve notamment quatre pays africains, dont le Maroc. Il est intéressant de noter que ce dernier développe, par l’intermédiaire du roi Mohammed VI, une stratégie politico-économico-sportive qui se concentre sur le développement du football de haut-niveau, aussi bien « masculin » que « féminin ». La participation du Maroc s’inscrit donc dans une stratégie plus large : faire rayonner le Maroc à l’international.

Autre élément important à l’échelle internationale et non des moindres, les drapeaux aborigène et maori flottent en Australie et en Nouvelle-Zélande durant chaque match pour représenter respectivement les peuples autochtones des deux pays. Depuis octobre 2022 et la création d’un comité aborigène et maori féminin pour conseiller les organisateurs de l’événement, la FIFA s’inscrit dans un travail de mémoire et reconnaissance réalisé par ces deux pays. La carte du monde selon la FIFA n’est pas la même que la cartographie des nations reconnues par l’ONU. En effet, la FIFA reconnaît 211 associations, alors que l’ONU reconnaît 193 pays. De fait, cela donne lieu à des situations inédites concernant la reconnaissance des peuples et nations et leur légitimation par les acteurs internationaux.

L’expansion du Mondial se traduit également à travers un record d’affluence annoncé par le président Gianni Infantino avec plus de 1.5 million de billets vendus. L’événement semble d’une certaine manière, refléter l’entrée du football « féminin » de haut niveau dans une nouvelle ère. Pour autant, cela ne signifie pas que les stades seront remplis. L’appel formulé par la FIFA pour inciter les supporters à se rendre dans les stades néo-zélandais afin d’assister aux rencontres rappelle le chemin qu’il reste à parcourir pour valoriser la pratique. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, mais de ce point de vue là, cette édition pourrait malgré tout être une réussite.

Par ailleurs, le match des Bleues qui a eu lieu le week-end dernier, a réuni 3.5 millions de téléspectateurs et téléspectatrices. Pour un match d’ouverture de l’équipe de France programmé un dimanche à midi, c’est une très bonne audience qui fait taire ou ravive – au choix – les débats autour de la diffusion des matchs et de l’intérêt pour la pratique. Des sujets qui posaient encore un problème aux diffuseurs un mois avant le début de la compétition. Bien qu’une solution ait été trouvée in extremis, cela rappelle une nouvelle fois qu’il y a encore du travail à faire sur la médiatisation du football « féminin ».

La FIFA n’hésite pas à prendre position notamment sur un sujet politique tel que celui de la reconnaissance des peuples autochtones. Existe-t-il un autre cas de figure pour lequel elle s’oppose à des politiques nationales menées par ses pays membres ?   

Oui, il existe au moins un autre cas de figure, celui du port du hijab. Dans certains sports il est autorisé, mais dans le cas du football il fait l’objet de débat. En France par exemple, le 29 juin dernier, le Conseil d’État a maintenu l’interdiction du port du hijab dans le cadre des compétitions footballistiques nationales alors que paradoxalement, la Fédération internationale de football l’autorise depuis 2014 dans le but de lutter contre les discriminations. Cela s’explique notamment par le fait que la FIFA par son rôle d’instance internationale prend en compte de nombreux partis différents à l’échelle internationale, notamment celui des pays musulmans ou non musulmans (Royaume-Uni, Finlande, États-Unis …) qui autorisent le port du hijab et participent au rayonnement du football, là où les conseillers d’État français, dans une problématique nationale, choisissent de l’interdire.  Ainsi, le 24 juillet dernier, la joueuse marocaine Nouhaila Benzina était-elle la première joueuse à pouvoir jouer en portant un hijab lors d’un match de Coupe du monde. Elle ne devrait pas être la seule femme concernée puisque l’arbitre palestinienne Heba Saadieh devrait également officier en portant – comme elle le fait habituellement – un hijab.

Megan Rapinoe, Marta, Ada Hegerberg, Alex Morgan… Le football féminin semble disposer de nombreuses figures militantes majeures. Comment expliquer cela ?

Il y a plusieurs façons de répondre à cette question. La façon la plus logique finalement, c’est de bien se rendre compte qu’évidemment, les femmes représentent à l’échelle mondiale environ 50 % de la population. La plupart des sociétés, qu’elles soient occidentales ou non occidentales, sont des sociétés patriarcales dans lesquelles de nombreux sports restent des bastions de la masculinité. On le sait notamment par l’intermédiaire de Pierre de Coubertin qui en 1894, en créant le CIO, puis en 1896 la première édition des Jeux olympiques modernes à Athènes, a décidé d’interdire la participation des femmes à la compétition. Selon lui, les femmes ne pouvaient pas pratiquer un sport de haut niveau parce que c’était inesthétique, parce que ce n’était pas féminin et parce que ça allait les enlaidir. Encore à ce jour, le regard porté sur la pratique sportive des femmes est sexiste, même si l’on tend lentement vers la reconnaissance des performances et l’égalité.

Beaucoup de personnes à l’échelle du monde pensent de cette façon et sont encore très étonnées de constater que le football peut être pratiqué par les femmes, alors que le football est le sport le plus pratiqué à l’échelle planétaire. Ça n’a donc évidemment rien d’illogique, d’autant plus qu’il n’y a pas de sport sexué ou genré par essence. En fait, cette différence de rapport entre les hommes et les femmes est représentative de cette différence de regard et de représentation que l’on porte sur les hommes et les femmes à l’égard de la pratique du sport de haut niveau. Ceci explique justement cette montée en puissance de nombreuses figures de contestation et de revendication dans le football féminin. Il y a cette idée qu’il faut défendre à la fois les droits des femmes, il faut les augmenter, évidemment, à l’échelle internationale, à travers le football. Dans une perspective intersectionnelle, il y a également la défense des droits des LGBTQIA+. Sur ce sujet encore largement tabou, le football « féminin » a d’une certaine manière pris de l’avance grâce aux actes militants de joueuses emblématiques alors que dans le football « masculin » il est plutôt invisibilisé et reste un sujet tabou. Il existe un écart abyssal entre les joueuses “outées” (95 joueuses selon le média Outsports[1]) et/ou se revendiquant queers et les joueurs “outés” et/ou queers (aucun lors du mondial au Qatar).

Néanmoins, paradoxalement, la FIFA a réitéré son positionnement par rapport à la Coupe du Monde au Qatar concernant le refus du port du brassard aux couleurs LGBTQIA+. En effet, l’instance doit composer avec énormément de pays dont les législations sont encore ouvertement homophobes. On le voit de nouveau, la FIFA dispose de ses propres géographies et de ses propres logiques géopolitiques. Cela n’empêche pas les joueuses de passer le message de manière originale. Comme l’ont déjà fait Ali Riley, joueuse et capitaine australienne qui s’est vernie les ongles aux couleurs LGBTQIA+ ou encore Thembi Kgatlana, joueuse sud-africaine qui s’est teint un arc-en-ciel dans les cheveux. Plusieurs équipes nationales étant particulièrement engagées sur la question, il faut probablement s’attendre à d’autres événements de ce type durant la compétition.

En réalité, le football, et plus largement le sport, est le reflet de l’évolution des sociétés. Cette Coupe du monde n’a pas encore révélé tous ses secrets.

 

[1] Outsports. « At Least 94 out LGBTQ Athletes in the 2023 Women’s World Cup » . Outsports, 25 juillet 2023. https://www.outsports.com/2023/7/11/23787885/world-cup-women-gay-lesbian-lgbtq-usa-australia-brazil.

Sommet Russie-Afrique : l’enjeu africain pour Poutine

Thu, 27/07/2023 - 16:11

Le second sommet Russie-Afrique s’ouvre aujourd’hui à Saint-Pétersbourg, après le premier qui avait eu lieu à Sotchi en 2019. S’il y a beaucoup moins de participants lors de cette édition, la Russie compte sur un tel évènement pour montrer que, dans le contexte de la guerre en Ukraine, si elle est coupée du monde occidentale, elle ne l’est pas du reste du monde. Ce sommet a par ailleurs lieu dans le contexte de la récente annulation de l’accord sur l’exportation de céréales ukrainiennes, un enjeu majeur pour les États africains. Mon analyse.

Stratégie Climat & Défense du ministère des Armées, quel plan d’action ?

Thu, 27/07/2023 - 12:06

 

Nicolas REGAUD, conseiller climat du Major général des armées répond à nos questions sur la stratégie Climat & Défense du ministère des Armées :

  • Pourriez-vous revenir sur les grands axes de la stratégie Climat & Défense du ministère des Armées et la temporalité associée ?
  • Comment cette stratégie se décline-t-elle concrètement ?
  • Comment cette note s’inscrit-elle dans ce travail global ?

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