Les indépendantistes catalans sont-ils radioactifs ? Si l’on en juge par l’embarras du groupe écologiste au Parlement européen, tel est bien le cas : son coprésident, le Belge francophone Philippe Lamberts, s’oppose à ce que les eurodéputés Carles Puigdemont, ex-président du gouvernement régional (generalitat) de Catalogne, et Toni Comín, son ancien «ministre», rejoignent son groupe, ce qui n’est pas du goût de sa composante régionaliste, l’Alliance libre européenne (ALE). Au point qu’une réunion de conciliation a été convoquée hier, mercredi, pour essayer de mettre tout ce petit monde d’accord. En vain pour l’instant. En cas de désaccord persistant, la décision reviendra à l’ensemble du groupe, ce qui pourrait le faire exploser en plein vol…
«Les Verts n’ont pas vocation à accueillir toute la galaxie des partis catalans, tranche Philippe Lamberts. Je n’ai pas envie d’importer au sein du groupe les querelles intracatalanes.» Une déclaration curieuse puisque le groupe ne compte qu’un seul eurodéputé catalan, en la personne d’Ernest Urtasun qui, de fait, n’est pas favorable à l’indépendance (tout en estimant qu’un référendum doit trancher la question). Le seul autre parti catalan présent dans le groupe Vert est l’ERC (gauche catalane), mais il est rattaché à l’ALE, la composante du groupe qui justement veut accueillir les deux indépendantistes catalans… Autre argument avancé par l’élu belge : Puigdemont (membre du Parti démocrate européen catalan, PDeCAT) et Comín (membre du Parti des socialistes de Catalogne, PSC) «ne partagent pas les valeurs du groupe», car ils ont été soutenus par la N-VA, le parti indépendantiste flamand, majoritaire en Flandre, qui «a dérivé vers l’extrême-droite».
Le patron de l’ALE, François Alfonsi (Femu a Corsica), ne l’entend pas de cette oreille : «Nous en faisons une question de principe»,tonne-t-il. L’élu rappelle que «la N-VA a fait partie du groupe jusqu’en 2014» et qu'«on ne nous a pas consultés lorsque les Verts ont décidé d’accueillir en leur sein le parti Pirate tchèque, ce qui n’allait pas de soi». Position de principe, certes, mais aussi réaliste puisque le Brexit va réduire à presque rien l’ALE : sur sept élus, elle va perdre trois Ecossais et une Galloise… Elle espère bien que le remplaçant d’Oriol Junqueras, ancien vice-président de lu gouvernement régional catalan, condamné à treize ans de prison et déchu de son mandat de député européen par la Cour suprême espagnole début janvier, ainsi que l’indépendantiste catalane Clara Ponsatí, élue de la coalition Junts pel Sí («ensemble pour le oui»), l’une des députées supplémentaires accordées à l’Espagne après le Brexit, les rejoindront. Ce qui, avec Puigdemont et Comín, lui permettra de maintenir son poids actuel…
L’attitude de Lamberts suscite aussi un réel malaise parmi les Verts, en particulier chez les Français, surtout à l’heure où le départ du Royaume-Uni va faire passer le groupe de 74 élus à 67, le renvoyant derrière l’extrême droite. D’abord, si Puigdemont et Comín affichent une certaine proximité avec la N-VA, c’est parce qu’elle leur a accordé l’asile au nom de la solidarité régionaliste lorsqu’elle était le parti dominant du gouvernement belge. Tout le reste les sépare, tant sur l’immigration que sur l’écologie. Ensuite, beaucoup soupçonnent Lamberts d’importer les querelles belges au sein de son groupe, les écolos francophones étant les plus farouches opposants de la N-VA. Enfin, ne pas accueillir les indépendantistes catalans serait un signal désastreux, les Verts semblant soutenir la vendetta menée par des juges largement inféodés à la droite dure espagnole. A l’heure où le gouvernement espagnol du socialiste Pedro Sánchez, soutenu par l’ERC, a fait du règlement politique de la question catalane l’une de ses priorités.
Photo: Frederick Florin. AFP
La saga s’annonce au moins aussi longue et pleine de rebondissements que celle du Brexit : la Commission lance ce mardi 14 janvier un premier round de consultations des partenaires sociaux pour leur demander s’ils sont favorables à l’instauration d’un salaire minimum européen. Un sujet explosif, d’autant que juridiquement la question des salaires est explicitement exclue du champ de compétence de l’Union. L’exécutif européen compte donc avancer à pas comptés afin d’éviter des crispations nationales qui seraient fatales à la volonté de la présidente de l’exécutif européen, la démocrate-chrétienne allemande Ursula von der Leyen, de limiter le dumping social au sein de l’Union.
Les entreprises et les syndicats ont six semaines pour dire s’ils souhaitent une action au niveau européen dans ce domaine et, dans l’affirmative, s’ils souhaitent négocier entre eux le cadre de ce salaire minimum. Ensuite, la Commission résumera les propositions reçues avant de lancer une seconde consultation qui devrait se terminer en avril. C’est seulement ensuite qu’elle décidera si elle proposera ou pas un texte européen qui devrait être adopté, selon la Commission, à la majorité qualifiée.
L’exécutif européen précise d’emblée, pour cadrer le débat, qu’il n’est absolument pas question d’instaurer un «salaire minimum universel» dans les 27 États membres puisque leur niveau de vie est très différent. Il s’agit simplement d’en prévoir le principe. A priori, cela ne devrait pas être très difficile, puisque 21 pays ont déjà institué un salaire minimal légal, l’Italie, Chypre, l’Autriche, le Danemark, la Finlande et la Suède laissant leurs partenaires sociaux le fixer branche par branche via des conventions collectives.
«Equitables et adéquats»
La Commission n’entend d’ailleurs pas remettre en cause les différents modèles existants : «Toute proposition tiendra compte des traditions nationales, que celles-ci prennent la forme de conventions collectives ou de dispositions légales. Certains États membres ont déjà mis en place des systèmes excellents.» Mais, et c’est là où cela risque de coincer, Bruxelles souhaite que ces salaires minimums soient «équitables». Autrement dit, elle veut «s’assurer que tous les systèmes soient adéquats, offrent une couverture suffisante, prévoient une consultation approfondie des partenaires sociaux et soient assortis d’un mécanisme de mise à jour approprié».
Comme l’a expliqué le Luxembourgeois Nicolas Schmit, le commissaire chargé des Affaires sociales, dans un entretien au quotidien Ouest France ce mardi, «nous voulons une convergence sociale vers le haut : rétablir la valeur du travail avec des salaires justes, tout l’enjeu étant de faire en sorte que les gens qui travaillent ne connaissent pas en même temps la pauvreté». Pour Schmit, s’il y a en Europe «un écart de productivité globale de 1 à 3», il se situe, pour les salaires minimums, «de 1 à 5 voire 6. C’est ce fossé que nous voulons combler».
Actuellement, le Smic brut va de 260 euros en Bulgarie à 2 000 euros au Luxembourg. Mais si l’on tient compte du «salaire médian», c’est en France qu’il est le plus élevé (il se monte à 60% du salaire médian). Pour la Commission, il faudrait à tout le moins que les salaires minimums atteignent ce seuil dans tous les pays pour limiter le dumping social. Autant dire que les résistances seront fortes, notamment du côté des entreprises, chacun voulant garder son avantage compétitif.
La «neutralité carbone» que l’Union veut atteindre en 2050 va avoir un coût faramineux pour les économies fortement dépendantes du charbon, en particulier les pays d’Europe de l’Est qui accusent un fort retard de développement. Ce n’est pas un hasard si la Pologne a refusé, lors du sommet européen de décembre dernier, de souscrire à cet objectif en attendant d’en savoir plus sur les aides financières promises par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, dans le cadre de son «Pacte vert».
Le «mécanisme de transition juste», dévoilé ce mardi 14 janvier par l’exécutif européen, destiné à mobiliser 100 milliards d’euros sur sept ans, suffira-t-il à convaincre Varsovie de rejoindre ses partenaires ? Présenté comme «notre serment de solidarité et d’équité pour ceux qui font face aux défis les plus graves, afin qu’ils fassent ce chemin avec nous» par le vice-président exécutif de la Commission, le social-démocrate néerlandais Frans Timmermans, ce mécanisme est en tous les cas loin, très loin, des 1 000 milliards d’euros d’investissements publics (européens, mais surtout nationaux) et privés que nécessitera la transition écologique au cours des dix prochaines années…
Sachant que les Etats sont plus avares que jamais, la Commission propose de ne rajouter que 10,8 milliards d’argent frais dans le projet de cadre financier pluriannuel 2021-2027 en cours de négociation (sachant que le budget européen se monte à environ 150 milliards par an). 7,5 milliards seront affectés à un nouveau «fonds pour une transition juste» qui permettra de lever, par la magie de l’effet de levier, entre 30 et 50 milliards d’euros destinés à financer des projets approuvés par Bruxelles.
Ensuite, 1,8 milliard d’euros seront affectés au programme InvestUE – le successeur du «plan Juncker» – qui a levé 390 milliards d’euros d’argent privé destinés à relancer l’investissement : la Commission estime que cette somme permettra de garantir des prêts à hauteur de 45 milliards d’euros. Enfin, 1,5 milliard d’euros seront confiés à la Banque européenne d’investissement (BEI), future Banque européenne du climat (BEC), qui va ainsi pouvoir lever entre 25 et 30 milliards d’euros de prêts destinés aux collectivités locales.
Pour le reste, la Commission propose de réorienter vers la transition écologique une partie des aides régionales (fonds structurels et fonds de cohésion) destinées au développement des régions et des Etats les plus pauvres ou encore d’assouplir ses règles en matière d’aides d’Etat dès lors qu’elles ont pour objectif d’aider une entreprise à se décarboner.
Même si tous les Etats devraient avoir accès à ces sources de financement, il est clair qu’une grande partie bénéficiera d’abord aux pays d’Europe de l’Est, un pays comme l’Allemagne, en fort excédent budgétaire, n’ayant pas les mêmes besoins que la Pologne ou la République tchèque. Reste qu’il ne s’agit pour l’instant que de propositions qui devront être adoptées à l’unanimité des Vingt-Sept…
Le feuilleton des eurodéputés catalans se poursuit, pour le plus grand embarras de l’Union européenne. Vendredi, la Cour suprême espagnole a jugé qu’Oriol Junqueras, ancien vice-président du gouvernement de Catalogne, condamné en octobre à treize ans de prison pour «sédition» et «détournement de fonds», n’était plus député européen, confirmant ainsi la décision de la Commission électorale centrale espagnole du 3 janvier.
Dans la foulée, et alors que, le 6 janvier, le Parlement européen avait reconnu à Junqueras, ainsi qu’à Carles Puigdemont (ancien président de l’exécutif catalan) et Toni Comín (ancien ministre régional), tous deux réfugiés en Belgique, leur qualité d’eurodéputé, son président, le socialiste italien David Sassoli, a décidé de se plier au jugement de la Cour suprême espagnole. Et de mettre fin au mandat de Junqueras. Il faut dire qu’il n’avait guère d’autre choix, sauf à entrer en confrontation directe avec l’Etat espagnol. Une situation baroque, Junqueras ayant été élu, mardi, président de l’Alliance libre européenne (ALE), qui siège avec les Verts.
L’affaire est préoccupante car la justice espagnole s’est assise sur l’arrêt de principe de la Cour de justice européenne du 19 décembre décidant que Junqueras était bien député et disposait de l’immunité parlementaire dès la proclamation des résultats des européennes de mai (qui a eu lieu le 13 juin en Espagne). Pour la Cour suprême espagnole, dès lors que le procès contre cet indépendantiste catalan avait commencé avant les élections, il ne pouvait plus se prévaloir de son immunité, comme cela est le cas pour les députés nationaux espagnols. Cet argument avait pourtant été écarté par les juges européens dans leur arrêt. Une décision d’autant plus étrange que le président de la Cour suprême, Manuel Marchena, avait écrit à la Cour de justice de l’UE le 14 octobre pour l’assurer que «la question [de l’immunité parlementaire] continu[ait] de présenter un intérêt et une pertinence pour cette Cour suprême, puisque la réponse de la Cour de justice ser[ait] effective, quelle que soit la situation de la détention préventive ou de la procédure pénale touchant Junqueras»… Manifestement, il ne s’attendait pas à une telle décision des juges de Luxembourg.
Pire, le juge chargé de poursuivre les dirigeants indépendantistes catalans a annoncé qu’il ne respecterait pas l’immunité parlementaire de Puigdemont et de Comín s’ils se rendaient en Espagne, ce qui est une violation directe des engagements européens de l’Espagne. Plus raisonnablement, la Cour suprême a demandé au Parlement de Strasbourg la levée de l’immunité parlementaire des deux hommes afin que la justice belge puisse statuer sur le nouveau mandat d’arrêt européen lancé contre eux par Madrid.
Cet acharnement judiciaire va obliger les institutions communautaires à enfin s’intéresser à la situation catalane, alors qu’elles regardent ailleurs depuis le référendum illégal de 2017. En effet, les députés vont se prononcer à la majorité simple sur la levée de l’immunité parlementaire de Puigdemont et de Comín, un vote dont le résultat est loin d’être acquis. Déjà, les Verts, la gauche radicale et une partie des eurosceptiques du groupe des CRE sont montés au créneau pour dénoncer la décision de la Cour espagnole : «L’arrêt récent de la Cour de justice européenne, l’Etat de droit et la démocratie sont piétinés dans un silence embarrassé», a ainsi fustigé sur Twitter l’élue de La France insoumise Manon Aubry.
Le seul groupe à se réjouir de la décision de la Cour suprême espagnole est le PPE (conservateurs), les socialistes et les centristes n’ayant fait aucun commentaire. Surtout, la Commission, qui doit veiller à ce que les arrêts de la Cour de justice soient respectés par les Etats, va devoir décider si oui ou non l’Espagne a respecté le droit européen, et, si elle estime que ce n’est pas le cas, ouvrir une procédure d’infraction. Si elle ne le fait pas, Junqueras pourra saisir lui-même la Cour de justice, mais aussi la Cour européenne des droits de l’homme. Le jusqu’au-boutisme des juges espagnols risque donc de déboucher sur une guerre des juges sans précédent dans l’histoire européenne.
«Irène Tolleret, une élue LREM, s’est exprimée en anglais lors d’une réunion de commission qui était pourtant interprétée. On n’a rien compris à ce qu’elle disait et on n’a pas pu traduire», se désole une interprète du Parlement européen. Une partie des nouveaux eurodéputés macronistes a d’ailleurs vite acquis une mauvaise réputation au sein de l’Assemblée, celle de vouloir à tout prix parler – ou plutôt massacrer – la langue de Shakespeare au grand désespoir des interprètes traducteurs.
Il suffit de regarder les comptes Twitter de certains de ces députés pour voir bios et messages en anglais – Pascal Canfin, le président de la commission environnement, décrochant haut la main le pompon de cette anglophonie de soumission –, comme si leurs électeurs étaient anglophones… Or, si même les Français se plient désormais au globish (pour «global English»), la version abâtardie de l’anglais, qui va encore défendre le multilinguisme, l’une des pierres angulaires de la construction communautaire, s’inquiètent les interprètes ?
Il faut dire que la pression est forte. «Lors d’une réunion sans interprétation, je me suis exprimée en français», raconte Chrysoula Zacharopoulou, une Grecque élue sur la liste En marche. «Dacian Ciolos, le président du groupe Renew Europe [où siègent les élus En marche, ndlr], m’a alors intimé de parler en anglais, ce que j’ai refusé. C’est incroyable. Je parle anglais, mais il n’y a aucune raison que je ne puisse pas parler français.» Emmanuel Maurel, ex-PS passé à LFI, raconte que l’administration du Parlement traduit de moins en moins les textes législatifs, imposant aux députés de travailler bon gré mal gré en anglais : «Or, c’est très compliqué si on n’est pas parfaitement bilingue. Les subtilités nous échappent et on vote à l’aveuglette.» Une dérive inquiétante, car elle revient à imposer de facto aux élus européens une nouvelle condition à leur élection, celle d’être parfaitement anglophone, alors même qu’aucune décision démocratique n’a été prise par une instance représentative. N’est-ce pas une négation du multilinguisme pourtant consacré par les traités européens ?
Cette dérive vers le tout-anglais concerne l’ensemble des institutions. Ainsi, 85% des textes émanant de la Commission, l’instance qui détient le monopole de l’initiative législative, sont en anglais, moins de 3% en français, 2% en allemand. A la fin du XXe siècle, 40% des textes étaient encore en français. Au Conseil européen, le secrétaire général, le Danois Jeppe Tranholm-Mikkelsen, a donné instruction de n’envoyer au nouveau président, le Belge francophone Charles Michel, que des notes en anglais. En salle de presse, où il y a officiellement deux langues de travail, le français et l’anglais, 90% des textes sont uniquement en anglais. Et ne parlons même pas de la Banque centrale européenne ou des agences de l’Union qui ne se donnent même plus la peine de publier dans une autre langue que l’anglais.
Lassés, des fonctionnaires européens de toutes nationalités ont envoyé, début octobre, à Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, une pétition réclamant le droit «d’utiliser le français sans nous cacher et sans nous excuser», «le monolinguisme anglais nous [bridant] dans nos moyens d’expression». A l’heure du Brexit, seront-ils entendus ?