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Updated: 1 month 3 weeks ago

PNR: un fichier des voyageurs aériens «inutile»

Mon, 21/12/2015 - 17:28

REUTERS/Neil Hall

Le PNR est devenu LE symbole de la lutte antiterroriste, alors même que l’efficacité de ce fichier recueillant les données personnelles de tous les passagers aériens (Passenger Name Record, en anglais) est rien moins qu’établi. Bloqué par le Parlement européen depuis 2007, la directive créant un PNR européen devrait être finalement adoptée lors de la session plénière de janvier prochain après le feu vert donné par la commission des libertés civiles de l’Assemblée, à la grande satisfaction des Etats qui ont mis tout leur poids dans la balance pour faire plier les plus récalcitrant.

Ainsi, Manuel Valls, le Premier ministre français, a écrit le 1er décembre aux députés socialistes français pour leur enjoindre d’adopter le PNR, estimant qu’un refus « serait injustifiable auprès de nos opinions publiques ». « Le gouvernement a mis beaucoup de force pour nous convaincre », reconnaît avec un sens certain de l’euphémisme Sylvie Guillaume, eurodéputée socialiste française : « on a le sentiment et c’est désespérant qu’on n’est plus audible sur la question des libertés publiques ».

Un fichage généralisé

C’est une coalition composée des socialistes, des libéraux, des Verts et de la gauche radicale qui bloquait la création de ce fichier qu’ils considèrent comme portant une atteinte disproportionnée à la vie privée. « Il ne s’agit pas d’avoir accès aux données d’un individu dans le cadre d’une enquête, mais de recueillir celles de l’ensemble des voyageurs aériens afin d’établir des profils », s’indigne la députée libérale néerlandaise, Sophie In’t Veld, inlassable défenderesse des libertés publiques: « cela pose un vrai problème de liberté publique quand on fiche toute une population uniquement parce qu’elle prend l’avion et non parce qu’elle présente un risque particulier, par exemple parce qu’elle voyage de ou vers certaines destinations ». De plus, à la différence des Etats-Unis, tous les vols intracommunautaires seront concernés et la liste des infractions qui permettra de l’utiliser est large (traite d’êtres humains, exploitation sexuelle des enfants, trafic de drogues, trafic d’armes, de munitions et d’explosifs, blanchiment d’argent et cybercriminalité)…

Le fichier PNR est une invention américaine qui remonte au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Il oblige les compagnies aériennes du monde entier à communiquer par avance toutes les données personnelles des passagers se rendant aux Etats-Unis : identité, moyen de paiement, itinéraire complet, profil de passager fidèle, bagages, partage de code, etc. L’idée est d’établir des profils de personnes « à risque » pour leur interdire l’accès au territoire américain. Les Britanniques ont suivi dans la foulée en 2004 afin de lutter contrer le terrorisme, mais aussi contre toute une série « d’infractions graves » dont la fraude fiscale… Le Danemark et la France (depuis 2007) disposent aussi d’un tel fichier et la Belgique devrait s’en doter prochainement.

Un fichier «inutile»

La Commission, pour éviter la prolifération de fichiers nationaux recensant des données différentes et difficilement interconnectables a donc proposé, en 2007, de créer un fichier « européen » recensant dix-neuf données personnelles transmises par les compagnies aériennes. Mais cette première mouture a été jugée inacceptable par le Parlement européen, ce qui l’a conduit a déposé une seconde version en 2011, sans plus de succès. En fait, tous ceux qui défendent les libertés publiques estiment que ce fichage va trop loin. C’est le cas d’une bonne partie des eurodéputés, notamment des sociaux-démocrates allemand, mais aussi du G29, l’organe qui regroupe les CNIL européenne, ou encore de Giovanni Buttarelli, le Contrôleur européen de la protection des données : « le PNR a peu d’utilité pratique, coûte très cher et ses délais très longs de mise en œuvre ne répondent pas aux besoins des forces de l’ordre dans une phase d’urgence », a-t-il déclaré au quotidien italien La Repubblica, d’autant qu’il existe déjà sept bases de données européennes qui restent sous-utilisées. « Après les attentats de Charlie Hebdo, une réunion tenue au Parlement européen avec les officiers des services des renseignements a conclu que le PNR pourrait être utile pour la prévention de délits mineurs ». Il faut en particulier savoir que les vols ne représentent que 8 % du trafic intra et extra-communautaire : l’Europe n’est pas une île…

Le PNR européen risque, en plus, d’être inefficace : en réalité, il ne s’agit que d’une harmonisation européenne de PNR nationaux. En effet, chaque pays récoltera les données des compagnies aériennes (y compris pour les vols intra-communautaire, comme s’y sont volontairement engagé les Etats) et il n’y aura aucune transmission automatique aux autres Etats… Il faudra que chaque « unité de renseignements passagers » nationale fasse une demande spécifique à un ou plusieurs pays pour obtenir les données qu’il souhaite, même si les pays sont autorisés à créer un fichier commun. « Il n’y a aucun système centralisé », grince Sophie In’t Veld : « on se demande à quoi ces vingt-huit fichiers vont servir s’il s’agit bien d’identifier des gens à partir de leur parcours. C’est bien la preuve que nous ne nous faisons pas confiance entre nous alors qu’on transmet automatiquement nos PNR aux Américains ».

La Cour de justice de l’UE veille

Le Parlement a certes réussi à introduire toute une série de garanties, notamment un accès limité au fichier PNR et une surveillance par une autorité indépendante. Surtout, les données seront anonymisées au bout de six mois et ne pourront être démasquées pendant quatre ans et demi supplémentaires que sur l’ordre d’un juge. De même, le Parlement a obtenu que la directive et le règlement sur la protection des données à caractère personnel bloqué depuis des années par les Etats soient adoptés en même temps que le texte sur le PNR. Néanmoins, la Cour de justice de l’Union européenne pourrait bien invalider cette directive : « c’est ce qui est arrivé à la directive sur la conservation des données téléphoniques (lieu des appels, durée, numéros appelés, etc.) adoptée en 2006 à la suite des attentats de Madrid et de Londres », rappelle Sophie In’t Veld. La Cour, en avril 2014, a estimé que le recueil indifférencié de ces données permettait de « s’immiscer de manière particulièrement grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel » et « n’est pas suffisamment encadrée afin de garantir que cette ingérence soit effectivement limitée au strict nécessaire ». En particulier, la Cour épingle le fait « qu’aucune différenciation, limitation ou exception soit opérée en fonction de l’objection de lutte contre les infractions graves ».

« En exigeant cette directive et en optant pour le tout sécuritaire, les Etats veulent éviter les questions gênantes sur leurs manquements propre dans la lutte contre le terrorisme et passent sous silence les problèmes réels, comme l’existence de ghettos ou l’exclusion », estime Sophie In’t Veld.

A lire : le rapport de l’Assemblée nationale qui fait le point sur le dossier PNR

N.B.: mon article paru dans Libération et reprenant les diverses mesures proposées par la Commission est ici.

Categories: Union européenne

Brexit : comment calmer les angoisses britanniques?

Sat, 19/12/2015 - 13:19

REUTERS/Virginia Mayo/Pool TPX

«Personne n’a envie de voir la Grande-Bretagne quitter l’Union et ainsi d’ajouter une nouvelle crise à la série de crises que l’Europe traverse, c’est la chance de David Cameron», le Premier ministre de sa gracieuse Majesté, explique un diplomate européen. Autrement dit, ses partenaires vont tout faire pour lui permettre de prôner le «oui» lors du référendum sur le maintien de son pays dans l’Union qu’il a promis d’organiser avant fin 2017. Certes, il n’a rien obtenu lors du sommet des 17 et 18 décembre (lire ici), mais les chefs d’État et de gouvernement ont promis de répondre à ses préoccupations d’ici au Conseil européen des 17 et 18 février.

C’est la première fois que Cameron s’exprimait devant ses collègues depuis la lettre qu’il a fait parvenir, le 10 novembre, à Donald Tusk, le président du Conseil européen. Il a pu se rendre compte, durant la discussion qui a duré 4 heures, qu’il n’obtiendrait pas facilement satisfaction, ses partenaires n’ayant aucune intention de remettre en cause les principes fondamentaux de l’Union européenne pour ses beaux yeux. En particulier, il a d’ores et déjà été exclu de se lancer dans une renégociation à la va-vite des traités européens, dont ni la France ni l’Allemagne ne veulent entendre parler avant fin 2017, c’est-à-dire avant les élections présidentielles et législatives françaises du printemps et les législatives allemandes de l’automne. Si Berlin y serait plus enclin, afin d’en profiter pour approfondir la zone euro, elle a admis que le sujet était politiquement difficile pour François Hollande, celui-ci n’ayant aucune envie de se coltiner un référendum à haut risque si les changements vont trop loin. En clair, Cameron devra se contenter d’une simple «déclaration» sans valeur juridique. Pour autant, elle engagera quand même ses partenaires, comme l’a montré le précédent danois de 1992, les dérogations alors obtenues par Copenhague (monnaie, défense, justice, police, immigration) ayant été intégrées dans les traités suivants.

Le Premier ministre britannique a aussi pu constater que chacune de ses demandes, si simple en apparence, posait d’énormes problèmes juridiques et politiques. Ainsi, en est-il de sa volonté d’obtenir la reconnaissance que l’euro n’est pas la seule monnaie de l’Union. De fait, c’est le cas, Londres et Copenhague ayant obtenu un «opt out». Mais l’inscrire dans le traité autoriserait les États qui ne sont pas encore membre de l’euro et qui, en adhérant, se sont engagés à rejoindre la monnaie unique dès qu’ils seraient prêts, à ne plus le faire. «On pourrait cependant, dans une déclaration, sans toucher aux traités, rappeler les opt out dont bénéficient le Royaume-Uni et le Danemark», estime un diplomate proche des négociations.

De même, il n’est pas question de biffer du préambule des textes fondateurs la mention que le but de l’Union est de poursuivre «le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe». «Il s’agit des peuples, pas des États», remarque un diplomate européen. «On pourrait se contenter de rappeler que cela n’a pas empêché de reconnaître un statut différencié aux États, mais surtout sans toucher au traité. Sur l’euro et sur le préambule, on est dans l’idéologie pure, mais cela peut remettre en cause l’Europe telle qu’elle est, ce qui est inacceptable», commente un responsable européen.

Sur le renforcement du rôle des parlements nationaux qui est, pour Cameron, un moyen de réduire l’influence du Parlement européen, le consensus est aussi de ne pas toucher à ce qui existe. «Mais, en matière de subsidiarité, depuis le traité de Lisbonne, les parlements nationaux peuvent alerter l’Union qu’elle empiète sur les compétences nationales. Le processus actuel peut-être amélioré, par exemple en allongeant les délais pour permettre aux parlements de mieux se concerter entre eux», suggère un fonctionnaire de la Commission.

Pas question non plus de donner un quelconque droit de veto à la Grande-Bretagne sur les décisions prises au sein de la zone euro, comme elle le souhaite sans le dire expressément. «La peur britannique d’être mis devant le fait accompli n’est pas sérieuse puisque, juridiquement, tous les textes, y compris ceux concernant la zone euro, sont adoptés par le conseil des ministres des Finances où siègent les 28 et non par l’Eurogroupe. Mais on peut améliorer la transparence et trouver des mécanismes d’information très en amont afin de tenir compte des intérêts des pays non-membres de l’euro», explique le diplomate déjà cité.

Le sujet le plus difficile sera sans doute celui des prestations sociales accordées par la Grande-Bretagne aux travailleurs de l’Union. Londres voudrait que ces derniers n’y aient droit qu’après quatre ans de séjour, ce qui induirait une discrimination entre Européens totalement interdite par les traités et la justice européenne. Toute la difficulté est que les prestations sociales sont financées en Grande-Bretagne non par des cotisations, comme en France, ce qui permet de ne les ouvrir qu’à certaines conditions, mais par l’impôt, ce qui interdit toute différenciation liée à la durée du séjour ou à la présence de la famille. Sur ce point, il n’y a pas de solution toute faite, d’autant que les États d’Europe de l’Est ne veulent pas que leurs ressortissants fassent les frais d’une discrimination qui les vise très spécifiquement…

Autant dire qu’on risque de rester dans le cosmétique ou, si l’on préfère, dans la résolution psychanalytique des peurs britanniques. La Commission a mis en place une «task force» composée de huit personnes et placée sous la direction d’un directeur général, le Britannique (mais très européen), Jonathan Faull, afin de trouver les bons mots d’ici le mois de février. Reste à savoir si cela suffira à rallier les suffrages des Britanniques. «Rien n’est moins sûr, mais ça permettra au moins à David Cameron de faire campagne pour le oui. Ça sera déjà ça», soupire un diplomate européen.

Categories: Union européenne

Brexit: "nuts"

Fri, 18/12/2015 - 10:24

J’ai publié aujourd’hui un éditorial sur David Cameron, le premier ministre britannique, qui menace d’appeler à voter «non» au référendum sur l’appartenance de son pays à l’Union européenne si ses partenaires n’acceptent pas ses revendications. En un mot, je suggère qu’on lui réponde «nuts» comme l’a fait le commandant américain de la place de Bastogne, le général de la 101e division aéroportée Anthony McAuliffe, en décembre 1944. Bonne lecture!

Categories: Union européenne

La Grande-Bretagne, une île ancrée à un continent dont elle se défie

Fri, 18/12/2015 - 10:18

La Grande-Bretagne sera-t-elle encore dans l’Union en 2018 ? Rien n’est moins sûr, le Premier ministre conservateur, David Cameron, ayant promis d’organiser un référendum sur l’appartenance de son pays à l’UE avant fin 2017. Une première ? Nullement : c’est la seconde fois que le Royaume-Uni organise une telle consultation, la première ayant eu lieu en 1975, seulement deux ans après son adhésion à la CEE de l’époque. Mais ce référendum vieux de quarante ans n’a absolument pas réglé le malaise britannique et on peut parier qu’un nouveau « oui » n’aura guère plus d’effets, la réticence de Londres à l’égard de la construction européenne plongeant ses racines dans le temps long.

Une diplomatie schizophrène

Pour le comprendre, il faut se rappeler que la Grande-Bretagne a toujours veillé à ce qu’aucune puissance continentale n’émerge en dehors d’elle par crainte que cela ne nuise à ses intérêts commerciaux. C’est cela qui explique, par exemple, son combat déterminé et victorieux, contre l’Empire napoléonien ou encore la création de la Belgique en 1830 destinée à empêcher que la France se retrouve à portée de canon du port d’Anvers, ce « pistolet sur la tempe britannique ». Cependant, après les deux guerres mondiales dont elle est à nouveau victorieuse, mais exsangue, elle a fait évoluer sa diplomatie européenne, soucieuse d’éviter que les capricieux États continentaux ne l’entraînent dans une nouvelle guerre. C’est pour cela que Winston Churchill s’est fait l’avocat déterminé, lors du congrès de La Haye en 1948, d’une intégration européenne que son pays avait pourtant toujours combattu. Mais cette Europe dont rêvait le Premier ministre victorieux des nazis, pas question d’y participer : Londres se pensait toujours comme une puissance mondiale qui ne saurait tolérer une limitation de sa souveraineté. Dis brutalement, l’idée européenne, c’est quelque chose qui est uniquement réservé aux tribus sauvages du Vieux Continent, la place de la Grande-Bretagne étant celle d’une puissance tutélaire et bienveillante. Le problème est qu’il est difficile d’être à la fois dehors et dedans, surtout quand on n’est plus en réalité qu’une puissance moyenne étroitement dépendante des États-Unis… Toute sa politique européenne, faite de pas de deux, ne peut se comprendre qu’au prisme de cette contradiction ontologique.

Ainsi, après avoir participé à la création de l’OTAN, de l’OCDE/Conseil de l’Europe et des orga?nismes intergouvernementaux, le Royaume-Uni est resté à l’écart de tout ce qui impliquait un partage de souveraineté : traité de 1951 créant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), traité de 1952 créant la Communauté européenne de défense (CED), qui échouera devant le Parlement français en 1954, et, enfin, traité de Rome de 1957 donnant naissance à la CEE. Invité à assister à la conférence préparatoire de ce qui allait devenir le traité de Rome, à Messine, en 1955, le représentant britannique quitta la table en des termes restés célèbres : « Le futur traité dont vous êtes en train de discuter n’a aucune chance d’être accepté ; s’il était accepté, il n’aurait aucune chance d’être ratifié ; s’il était ratifié, il n’aurait aucune chance d’être appliqué ; et s’il était appliqué, il serait totalement inacceptable pour la Grande-Bretagne […]. Monsieur le Président, Messieurs, au revoir et bonne chance »

Suez, 1956, le tournant

En réalité, la réticence de Londres à l’égard du projet européen était, au départ, à peine plus forte que celle de Paris. Le traité CECA, extrêmement fédéraliste, fut la résultante d’un véritable coup de force politique de quelques hommes, dont Robert Schuman et Jean Monnet, encouragé par les Américains. Mais très rapidement, les souverainistes et les anti-Américains français ont repris le dessus, comme en témoigne le rejet de la CED par une coalition allant des gaullistes aux communistes. Le traité de Rome aurait sans doute connu le même sort, sans l’échec de l’expédition franco-britannique de Suez en 1956 : obligées de se retirer piteusement d’Égypte sous la pression de Moscou et de Washington, les deux rives de la Manche ont tiré des conclusions exactement inverses de cette aventure néocoloniale : la Grande-Bretagne est quasiment devenue le 51e État des États-Unis d’Amérique, la fameuse « relation spéciale », pendant que la France a vu dans l’Europe un moyen de retrouver un peu de sa puissance perdue, une sorte de France en plus grande si l’on veut.

Cependant, Londres, devant le succès inattendu de la CEE, a rapidement appliqué sa devise : « If you don’t beat them, join them » [Si tu ne peux pas les battre, rejoins-les]. Car, comment accepter que se forme un bloc continental impossible à contrôler et à influencer de l’extérieur ? Sans compter que l’alliance avec les États-Unis avait ses limites, notamment économiques… Dès 1960, et très pragmatiquement, le Royaume-Uni demande à adhérer à la CEE. Mais le général de Gaulle pose son veto en 1963, ce qu’il fait à nouveau en 1967 pour bloquer la seconde candidature britannique, en des termes qui apparaissent aujourd’hui comme prémonitoires : « Faire entrer l’Angleterre […], ce serait pour les Six donner d’avance leur consentement à tous les artifices, délais et faux-semblants qui tendraient à dissimuler la destruction d’un édifice qui a été bâti au prix de tant de peine et au milieu de tant d’espoirs ».

Londres s’y reprend à trois fois

La troisième tentative de Londres est la bonne, à la fois parce que Georges Pompidou, qui a succédé à De Gaulle en 1969, est à la recherche d’un succès de politique européenne, mais aussi à cause de la pression de plus en plus forte des partenaires de la France qui veulent avoir la Grande-Bretagne à bord. Mais cette adhésion ne lève nullement les ambiguïtés britanniques à l’égard de l’Europe, comme l’avait prévu De Gaulle. Devenue membre le 1er janvier 1973, en compagnie du Danemark et de l’Irlande, elle a immédiatement entamé les hostilités. Les travaillistes, revenus au pouvoir entre-temps, obtiennent de renégocier les conditions d’adhésion (notamment sur le plan budgétaire), avant d’organiser un référendum : si le « oui » l’emporte par plus de 67 % des voix, les travaillistes et les conservateurs affirment que l’Union européenne ne peut pas être plus qu’un vaste arrangement commercial et réaffirment la primauté des rapports avec le Commonwealth et les États-Unis.

Depuis, la politique européenne de Londres oscille entre les tentatives d’obtenir un statut particulier qui lui permette de bloquer ce qui va trop loin et la tentation de quitter l’Union ou, pour reprendre le nom d’un mouvement favorable au « non » lors du référendum de 1975, « Keep Britain out ». Ainsi, à partir de 1979, le Premier ministre conservateur, Margaret Thatcher (pourtant militante du « oui » en 1975), marquera l’histoire européenne avec son fameux : « I want my money back » qui se termina, en 1984, par un rabais important de la contribution britannique au budget communautaire. Puis, ses successeurs ont obtenu toute une série d’« opt out » [dérogations] : le Royaume-Uni n’est pas membre de la monnaie unique et de l’espace de libre circulation Schengen, il a le droit de choisir ce qui l’intéresse en matière d’immigration, d’asile et de sécurité, il dispose d’un droit de blocage (avec les autres pays non-membres de la zone euro) en matière de réglementation bancaire afin de sauvegarder les intérêts de la City, etc.

Un statut particulier qui la marginalise

Si le Royaume-Uni a, à peu près, toujours obtenu ce qu’il voulait pour lui-même, il n’a pas réussi à empêcher ses partenaires de poursuivre leur intégration. Ses divers « opt out » l’ont petit à petit placé en périphérie du projet européen et non plus au centre. De puissance qui compte, il n’est plus qu’un partenaire extérieur, certes important à cause de la City, mais extérieur quand même. Londres est en réalité victime du succès de sa stratégie : elle souffre désormais d’avoir obtenu le statut particulier dont elle rêvait, statut qui la marginalise. C’est comme cela qu’il faut comprendre le référendum convoqué par David Cameron : il s’agit d’une ultime tentative de freiner ses partenaires. Comme un enfant capricieux, il menace de militer pour la sortie de l’Union s’il n’obtient pas une modification des traités dont le but n’est autre que de les affaiblir. En particulier, il veut supprimer la phrase fondatrice du préambule des traités sur le but de la construction communautaire qui est de « créer une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe », limiter la libre circulation des citoyens européens, l’un des piliers de l’Union, ou encore donner un droit de regard aux pays hors zone euro sur la législation adoptée au sein de la zone euro…

Les Européens céderont-ils à ces demandes, au risque de porter un rude coup à l’Union et de donner des idées à d’autres pays ? Surtout, cela servira-t-il à quelque chose, l’histoire ayant abondamment montré que chaque concession en a appelé d’autres ? Bref, n’est-il pas temps que les Britanniques choisissent enfin clairement entre un grand large que cette puissance moyenne intéresse peu et le continent européen auquel, bon gré mal gré, ils appartiennent?

N.B.: article paru dans l’Hémicycle de décembre

Categories: Union européenne

L'impasse sécuritaire de François Hollande

Sat, 05/12/2015 - 19:46

REUTERS/Charles Platiau

François Hollande est-il le Guy Mollet du XXIe siècle? Poser cette question au lendemain des monstrueux attentats de Paris en ces temps d’unanimité répressive n’est pas sans risque: on peut vite vous coller une étiquette infamante de « traitre à la patrie en danger ». Mais tant pis.

Rappelons qui a été ce politicien dont le principal « succès » aura été d’écarter la gauche du pouvoir entre 1957 et 1981. Élu, début 1956, pour mettre fin à la guerre d’Algérie, qu’il juge « imbécile et sans issue », le secrétaire général de la SFIO (l’ancêtre du PS) devenu président du Conseil va faire exactement le contraire de ce qu’il a promis et entrainer son pays dans une « sale guerre » dont les traces ne sont pas près de disparaitre. Il va notamment faire voter la loi sur les « pouvoirs spéciaux », légaliser les camps d’internement administratifs, instaurer une justice militaire expéditive, faire massivement appel au contingent. Au nom de la lutte contre le « terrorisme algérien », le pouvoir socialiste couvrira la torture et les exécutions sommaires pratiquées à une large échelle par les militaires français. Guy Mollet lança aussi la France dans la calamiteuse expédition de Suez, en 1956, une entreprise guerrière et néo-colonialiste dont le sens commun peine à comprendre la logique qui se termina par une nouvelle humiliation nationale. La démocratie sortira durablement affaiblie du molletisme et la gauche laminée : de Gaulle prendra le pouvoir en 1958 à la suite d’un coup de force institutionnel et instituera une République bonapartiste centrée sur l’exécutif dans laquelle les pouvoirs législatifs, judiciaires et médiatiques lui sont soumis. Un affaiblissement démocratique dont la France n’est toujours pas sortie comme le montre le vote FN.

Il ne s’agit pas ici de dénoncer la politique économique de Hollande, qui a bien peu à voir avec ce qui avait été promis, mais de s’inquiéter du virage ultra-sécuritaire pris par le chef de l’État à la suite des massacres de janvier et de novembre. Personne ne nie que l’heure soit grave, mais, face au péril, on aurait pu attendre d’un gouvernement de gauche, qui s’est aussi fait aussi élire sur la protection et l’extension des libertés publiques, autre chose que la mise en place progressive d’un « Patriot Act » à la française.

Qu’on en juge: loi sur le renseignement intérieur qui permet une surveillance généralisée des Français, proclamation de l’État d’urgence sur l’ensemble du territoire pour la première fois depuis 1963 et dont le principal effet est de confier tous les pouvoirs à l’exécutif, promesse d’autoriser la police à faire plus librement usage de ses armes ou encore déchéance de nationalité pour les Français de naissance s’ils en possèdent une autre. Pis: le gouvernement se dit ouvert à la possibilité d’interner administrativement ou de faire porter un bracelet électronique aux personnes simplement soupçonnées d’appartenir à la mouvance terroriste.

On assiste, dans la plus parfaite harmonie sécuritaire, à un véritable détricotage de l’État de droit dans lequel le juge judiciaire, sous l’autorité duquel agit la police, est le garant des libertés publiques. Cette mise entre parenthèse de la démocratie ne peut que s’aggraver au fil des « mesures d’exception » qui ne manqueront pas d’être votées si d’autres attentats ensanglantent la France. Manuel Valls a au moins le mérite d’une certaine honnêteté, en reconnaissant que « la sécurité, c’est la première des libertés » et que « c’est pour cette raison que d’autres libertés ont été temporairement limitées, dans une mesure strictement nécessaire ».

Mais, là où le Premier ministre est malhonnête ou naïf, on ne sait plus ce qu’il faut souhaiter, c’est lorsqu’il utilise le mot « temporaire »: ce qui se met en place, ce n’est pas d’un « État d’exception », car les lois de circonstances adoptées depuis janvier dernier sont appelées à s’inscrire dans le temps. Pour reprendre le langage guerrier de la gauche de gouvernement, la France ne peut pas désarmer tant que l’ennemi n’a pas été réduit à néant. Or, quand on voit les succès américains dans la « guerre au terrorisme », on peut d’ores et déjà affirmer que l’État d’exception est destiné à devenir l’État permanent. Qui osera lever l’État d’urgence au risque de devoir le rétablir en s’excusant si une nouvelle tuerie survient ? Manuel Valls évoque déjà sa prolongation pour six mois. De même, non seulement on ressort la loi de 1955 sur l’Etat d’urgence de la naphtaline, mais François Hollande veut désormais la constitutionnaliser, car il sait que cette loi attentatoire aux libertés fondamentales a peu de chance de passer l’examen du Conseil constitutionnel, tout comme il veut constitutionnaliser la déchéance de nationalité.

Ce gouvernement, dépassé par des circonstances tragiques, tombe en réalité dans le piège des terroristes (de Daesh aujourd’hui, d’autres hier). Le but du terrorisme, c’est de détruire la démocratie, l’État de droit et les « libertés bourgeoises » comme le disaient les Brigades rouge italiennes ou la Rote Armée Fraktion allemande afin déciller les yeux du peuple (musulman en l’occurrence) sur la véritable nature de l’État ou désormais de l’Occident chrétien et de le pousser à la révolte. Un piège dans lequel aucune autre démocratie confrontée au terrorisme n’est tombée : pas d’État d’urgence dans l’Italie des « années de plomb », dans l’Allemagne de la RAF, dans l’Espagne de l’ETA, dans la Grande-Bretagne de l’IRA, même si des lois répressives ont été adoptées. Plus récemment, les attentats islamistes de Madrid en 2004 et de Londres en 2005 n’ont pas mené ces pays à proclamer l’État de guerre. Au contraire, ils ont tous campé sur leurs principes, ce qui ne signifie nullement qu’ils soient restés inertes, comme en témoignent leurs succès dans la lutte contre le terrorisme.

Le respect scrupuleux de l’État de droit est bien plus exigeant que de céder à la panique, mais aussi à des calculs politiciens: chacun sait bien qu’il s’agit, au fond, non pas d’instaurer un Etat autoritaire, mais d’enlever des arguments à la droite et à l’extrême droite dans la perspective des régionales comme en témoigne le pillage de leurs programmes (de la déchéance de nationalité à la « garde nationale », de vieilles idées du FN, en passant par la surveillance du net ou les camps d’internement). Le pouvoir socialiste va même jusqu’à donner des coups de mentons souverainistes avertissant l’Europe que la France est prête à faire exploser le système (pacte de stabilité, espace Schengen) si nécessaire. Des gesticulations qui ravissent le FN puisque ses thèses sont ainsi validées par la gauche…

Le drame est que, si le parti de la famille Le Pen arrive un jour au pouvoir, il n’aura plus beaucoup de lois à changer: presque tout l’arsenal répressif dont il rêve sera en place et l’opinion publique sera habituée à cette absence de liberté au nom d’une sécurité qui ne sera jamais assez assurée. Quant à l’Europe qui nous empêche de nous défendre, pourquoi ne pas la quitter ? C’est cela le mollétisme: le calcul politique au détriment de l’intérêt d’une gauche qui est en train de perdre son âme et, surtout, de l’intérêt de la nation.

N.B.: version longue de mon article paru dans Libération du 3/1

Categories: Union européenne

La France va-t-elle sacrifier l'Europe au nom de sa sécurité ?

Sat, 05/12/2015 - 10:28

Jamais la tentation du repli sur le réduit national n’a été aussi forte. Après le massacre de Paris, la France s’est déclarée en «guerre» et a proclamé l’État d’urgence, c’est-à-dire à une mise entre parenthèses de l’État de droit, un événement inouï et unique en Europe : ni les Espagnols, pourtant durement frappés en 2004, ni les Britanniques, après les attentats de 2005, ne l’ont fait, pas plus que tous les pays européens touchés par le terrorisme au cours des 50 dernières années.

François Hollande, s’estimant trahi par Schengen, a aussi rétabli les contrôles aux frontières intérieures, comme si elles avaient déjà arrêté le moindre terroriste, menaçant même de les maintenir ad vitam aeternam, ce qui signerait la fin de l’espace de libre circulation. Dans l’élan, il a désigné l’un de ses plus fidèles alliés, la Belgique, comme la source des attentats qui l’ont frappé, afin de mieux masquer le naufrage de ses propres services et le fait que les commandos étaient surtout composés de Français. Le royaume n’a évidemment guère apprécié ce «blâme game» de la Grande Nation pour le moins malheureux au moment où il faut mobiliser les énergies… Les coups de menton du chef de l’État ne se sont pas arrêtés là : devant le congrès réuni à Versailles le 16 novembre, il a martialement enterré le Pacte de stabilité budgétaire : «Le Pacte de sécurité l’emporte sur le Pacte de stabilité», a-t-il martelé. Une proclamation totalement incompréhensible, puisque les dépenses annoncées ne représenteront que quelques centaines de millions d’euros supplémentaires, pas de quoi remettre en cause la trajectoire budgétaire française (rappelons que 2 (et non 4 comme écrit par erreur) milliards d’euros représentent 0,1 % du PIB français…).

La joie des europhobes

Les europhobes n’ont pas caché leur joie devant ce qu’ils ont immédiatement identifié comme des actes de souveraineté : la France attaquée réagit seule et envoie bouler toutes les contraintes européennes en général, Bruxelles en particulier. L’appel au patriotisme, la France peinte en bleu blanc rouge et sonorisée à la Marseillaise, voilà qui les a remplis d’aise. De fait, durant cette semaine de folie, on n’a pas vu de drapeaux européens ou entendu l’hymne à la joie, et on n’a guère entendu le mot Europe si ce n’est pour dénoncer son impotence, voire sa responsabilité dans le drame qui a touché le pays. François Hollande, saisi de panique, serait-il en train de liquider l’héritage de François Mitterrand et de Jacques Delors ? Ces «actes de souveraineté» en annoncent-ils d’autres qui, mis bout à bout, détricoteront le projet européen ?

On n’en est heureusement pas encore là, puisque Paris, derrière le brouhaha nationaliste à usage interne (il faut empêcher le FN de capitaliser sur l’horreur), a immédiatement demandé une réunion du Conseil des ministres de la Justice et de l’Intérieur à Bruxelles. Certes, la France a menacé de remettre en cause Schengen, mais il semble que ce soit surtout pour obtenir un durcissement du contrôle aux frontières extérieures y compris pour les ressortissants communautaires ainsi que la reddition des défenseurs des libertés publiques qui bloquent la création d’un PNR (passenger name record qui collectera tous les déplacements aériens dans et en dehors de l’Union). Objectifs atteints sur le principe lors de la réunion du 20 novembre.

De même, le gouvernement a actionné l’article 42-7 du traité sur l’Union européenne, dont l’existence même avait été oubliée, qui est l’équivalent de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord prévoyant une assistance militaire mutuelle si l’un de ses membres est attaqué. Les 27 partenaires de Paris ont répondu présents, y compris les neutres, la Grande-Bretagne oubliant même d’arguer sur le fait que l’OTAN serait un cadre plus approprié pour obtenir une telle aide… Cela ne veut pas dire que l’Union va entrer en guerre contre le terrorisme, Paris voulant surtout pouvoir demander une assistance sur une base bilatérale à tel ou tel pays selon ses capacités, mais quel signal politique !

Enfin, François Hollande n’a pas remis en cause la répartition de 160 000 demandeurs d’asile entre les pays de l’UE, alors même que Daesh a infiltré des terroristes parmi les réfugiés manifestement dans ce but, les terroristes ayant les moyens d’entrer autrement en Europe qu’en empruntant la dangereuse route des Balkans. Seule la Pologne, désormais dirigée par les populistes de Droit et Justice (PiS) est tombée dans le panneau tendu par «l’État islamique» en envisageant, avant de se rétracter, de ne pas appliquer ce plan européen.

Des signaux contradictoires

On le voit, les signaux envoyés par Paris sont contradictoires, ce qui montre qu’au sein de l’appareil d’État, les deux tendances sont à l’œuvre. Rien ne garantit l’issue de ce bras de fer qui pour l’instant penche dangereusement du côté des souverainistes. Car il ne faut pas s’arrêter seulement à l’action européenne du gouvernement socialiste, mais considérer l’ensemble de sa politique. Or, son virage ultra-sécuritaire est clairement inspiré par la droite la plus dure et l’extrême droite : loi sur le renseignement intérieur, État d’urgence utilisé pour la première fois depuis la guerre d’Algérie, déchéance de nationalité pour les Français de naissance (alors qu’en 2010 la droite avait été traitée de fasciste et de pétainiste pour avoir institué la déchéance pour la nationalité acquise depuis moins de 15 ans), création d’une «garde nationale», etc. Même des camps d’internement administratif pour les Français rentrant de Syrie ne sont pas écartés. Le FN en est réduit à la surenchère en demandant désormais la suppression du droit d’asile…

Ce virage ultra-sécuritaire sidère nos partenaires, notamment les pays ayant connu des régimes autoritaires au XXe siècle. Rappelons qu’au lendemain des attentats de janvier dernier à Paris, ils s’étaient opposés avec un bel ensemble à l’adoption d’un «Patriot Act» à l’européenne en estimant qu’une telle réponse nuirait surtout aux libertés publiques du plus grand nombre, ne permettrait pas de lutter efficacement contre le terrorisme qui est affaire de renseignements et donnerait une image catastrophique d‘une Europe violant les libertés publiques alors qu’elle donne des leçons au monde entier. La France s’est néanmoins lancée seule dans une aventure que ne renierait pas Georges W. Bush. Un comble pour un gouvernement de gauche qui semble avoir abandonné ses valeurs, comme au temps de la guerre d’Algérie, qui pourrait inspirer d’autres pays qui hésitaient à franchir un tel pas.

Chocs en stock

Pour son malheur, le choc terroriste que subit l’Union s’ajoute à la crise des réfugiés, à la crise de la zone euro, à la crise économique… Le risque de morcellement, et non d’éclatement, est bel et bien là : une Europe forteresse, fermée au reste du monde, pourrait émerger de cette succession de chocs d’une violence inouïe, une Europe qui ne serait elle-même qu’une juxtaposition de pays forteresses limitant les libertés publiques au nom de la sécurité. Bref, l’Europe, mais sans union et sans doute avant la désunion. Si ce scénario noir se réalise, ce serait une victoire pour Daesh dont le but est justement d’abattre le modèle européen de paix, de liberté, de coopération et d’ouverture au monde. L’avenir de l’Europe se joue à nouveau en France.

N.B.: Article paru dans l’Hémicycle de novembre 2015.

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Pour le maire de Thessalonique, "une catastrophe humanitaire" se prépare à la frontière macédonienne

Fri, 04/12/2015 - 16:58

REUTERS/Yannis Behrakis

De passage à Thessalonique, pour une conférence autour de mon documentaire «Grèce, le jour d’après», j’ai rencontré son maire, Yiannis Boutaris. Il tenait à avertir les Européens de la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les migrants bloqués à la frontière macédonienne. Mon récit est ici (et c’est gratuit, enjoy).

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La BCE, du bazooka au missile pour forcer la relance

Fri, 04/12/2015 - 13:23

REUTERS/Ralph Orlowski

Vous trouverez ici mon analyse des décisions prises hier par la Banque centrale européenne afin d’essayer de forcer la relance et donc l’inflation.

Et un entretien avec Xavier Ragot, le nouveau patron de l’OFCE, réalisé par mon camarade Vittorio De Filippis. Un joli ensemble gratuit sur le site de Libé.

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Terrorisme: les Etats ont le renseignement souverain

Tue, 01/12/2015 - 18:35

Comme d’habitude, l’Europe a été montrée du doigt, avec la Belgique, pour faire bonne mesure, après les attentats de Paris. J’explique ici pourquoi il s’agit d’un procès totalement infondé, tout comme Arnaud Danjean, député européen LR et ancien de la DGSE. Bonne lecture !

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Terrorisme:le «belgium bashing» agace Bruxelles

Wed, 25/11/2015 - 20:42

Outre-Quiévrain, on s’est étranglé lorsque François Hollande a pointé du doigt la responsabilité de la Belgique dans les attentats sanglants de Paris : « les actes de guerre de vendredi ont été décidés, planifiés en Syrie ; ils ont été organisés en Belgique, perpétrés sur notre sol avec des complicités françaises ». Instantanément, le petit Royaume est devenu le « Belgikistan », pour reprendre l’expression de Hugues Moutouh, ancien conseiller de Claude Guéant au ministère de l’Intérieur, jeudi matin sur Europe 1. Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité à la DGSE (services de renseignement extérieurs) a, lui, affirmé que « la Belgique n’était pas à niveau ». Le polémiste Éric Zemmour a même voulu faire de l’humour sur RTL en lançant : « au lieu de bombarder Raqa, la France devrait plutôt bombarder Molenbeek (à Bruxelles) d’où sont venus les commandos du vendredi 13 ». On a fait plus subtil. « Ça va beaucoup trop loin et on le prend très mal », confie un parlementaire belge qui préfère rester anonyme : « le Belgium bashing n’est pas seulement le fait de quelques observateurs mal informés, mais du plus haut niveau politique français ce qui est préoccupant. C’est contreproductif pour l’avenir ».

« On est dans l’irrationnel », estime-t-on au sein du gouvernement belge : « on cherche à détourner l’attention des défaillances françaises en désignant un pays ami. C’est un procédé connu. Ça n’est jamais la faute de la France. Déjà au moment de l’affaire Dutroux, la Belgique est devenue le pays des pédophiles jusqu’à l’arrestation de Fourniret. Là, on n’a plus entendu les Français ». Au petit jeu du « blame game », les Belges ont de la ressource : « A priori il n’y a que trois individus qui venaient de Belgique, ça signifie qu’il y a tout de même cinq Français » a ainsi rappelé Guy Rapaille, le président du Comité R, l’organe indépendant chargé de contrôler les services de renseignements belges. Didier Reynders, le ministre des affaires étrangères belge, a souligné, lui, que, comme par hasard, « de nombreuses perquisitions ont été réalisées en France ces dernières heures », sous-entendant un sérieux retard à l’allumage. « Les Français n’auraient-ils pas dû nous prévenir que ces gens étaient dangereux ? », grince-t-on à Bruxelles. Et de rappeler que la police française a contrôlé, à la frontière belge, Salah Abdeslam, un Français résidant à Bruxelles (Molenbeek) et activement recherché, mais sans l’arrêter…

Ce n’est d’ailleurs pas le premier raté hexagonal: le Français Mehdi Nemouche, le tueur du musée juif de Bruxelles (24 mai 2014), est rentré de Syrie via la France sans être interpellé ni signalé aux autres pays européens, comme le rappelle Joëlle Milquet, ministre de l’Intérieur (CDH, centriste) entre 2011 et 2014 : « or, je n’ai jamais accusé la France d’être responsable de cette tuerie ». On rappelle aussi à Bruxelles l’incroyable bourde des services français qui ont été incapables de prendre livraison de trois djihadistes français qui voulaient se rendre à la police hexagonale, en septembre 2014. « Chacun peut se renvoyer à la figure ses loupés », ironise-t-on dans les couloirs du gouvernement belge : « entre Saint-Denis et Molenbeek, mon cœur balance ». On rappelle aussi avec gourmandise que les liens entre la France et l’Arabie Saoudite et le Qatar, qui finance les mosquées salafistes en Europe, sont particulièrement forts : « ici, aucune équipe de foot n’est la propriété du Qatar ».

« On a fait savoir à l’Élysée qu’on n’appréciait pas du tout ces critiques, même si on ne dira rien officiellement afin de ne pas jeter de l’huile sur le feu », confie-t-on dans l’entourage du Premier ministre belge, Charles Michel. Pour autant, on ne nie pas qu’il y a un problème de radicalisation qui a longtemps été occulté « par naïveté et par lâcheté », mais qui n’est pas propre à la Belgique : « il serait d’ailleurs plus juste de parler de cellules terroristes franco-belges », souligne ainsi Denis Ducarme, député MR (libéral, le parti du Premier ministre). « Les brigades de Daesh sont structurées linguistiquement. Les francophones travaillent ensemble en Syrie et travaillent ensemble ici, souligne le député. Ils savent parfaitement exploiter nos défaillances individuelles et collectives ». « On est dans un espace francophone commun et Bruxelles et plus près de Paris que Montpellier », surenchérit Joëlle Milquet : « il y a eu des attentats à Londres, à Madrid, à Paris, à Bruxelles : on est face à un ennemi commun et à un problème de radicalisation commun«. Pour l’ancienne ministre, « l’unité européenne est aussi nécessaire que l’unité nationale : il est indécent de rejeter la faute sur d’autres ». « En fait, tous ces loupés belges ou français, montrent la nécessité d’un service de renseignements européen afin que l’échange d’informations soit automatique », estime Denis Ducarme. La Belgique souligne qu’elle a considérablement durci sa législation depuis les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de janvier dernier : « des mesures que veut prendre Hollande sont déjà en vigueur en Belgique, comme le retrait de la nationalité belge ». Ainsi, depuis février dernier, 169 personnes ont été condamnées pour terrorisme et 69 jeunes ont vu leurs papiers confisqués pour les empêcher de partir.

Reste que les autorités belges sont en partie responsables de ce « belgium bashing », le ministre de l’Intérieur N-VA (indépendantiste flamand), Jan Jambon, ayant clamé qu’il allait « nettoyer Molenbeek ». Une déclaration martiale qui ne peut se comprendre qu’à la lueur des tensions entre Flamands et Francophones : Molenbeek est une commune francophone de Bruxelles, ce qui permet de faire oublier que le principal groupe extrémiste, Sharia4Belgium, qui a été le principal pourvoyeur de combattant pour Daesh, était…flamand. Décidément, l’unité nationale ou européenne est un combat.

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Terrorisme: la Belgique est-elle "à niveau"?

Thu, 19/11/2015 - 22:44

La Belgique ayant manifestement servi de base arrière aux terroristes responsables des attentats de Paris, le pays est pointé du doigt par des anciens des services français et certains médias hexagonaux. Ainsi, Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité à la DGSE (services de renseignement extérieurs) a affirmé que « la Belgique n’était pas à niveau » : « soit personne n’a rien vu, et c’est un gros souci ; soit on a vu des trucs et on ne les a pas compris, ce qui est aussi un problème ; soit on a vu des trucs et malgré tout l’équipe a pu passer à l’action ». Bref, les services belges sont accusés soit d’incompétence, soit de complicité… Pour en avoir le cœur net, le « comité R », un organe indépendant chargé de contrôler les services de renseignements et présidé par un procureur fédéral, Guy Rapaille, a décidé d’ouvrir une enquête Même s’il reste « prudent », Koens Geens, le ministre de la justice a « le sentiment qu’aucun service de sécurité, pas même l’américain, ne savait que (ces attaques) allaient arriver«. Brice de Ruyver, 61 ans, professeur de droit pénal et de criminologie à l’Université de Gand, conseiller chargé de la sécurité du premier ministre belge Guy Verhofstadt entre 2000 et 2008, répond à ces critiques. Il est considéré comme l’un des meilleurs connaisseurs belge des questions de sécurité et de lutte contre la criminalité organisée.

Les reproches français sont-ils fondés?

L’enquête lancée par le Comité R est indispensable, mais, pour l’instant, il n’y a pas le moindre élément qui permette de penser que nos services n’aient pas bien fonctionné. En tous les cas, si nos services avaient été en possession de renseignements, je suis absolument convaincu qu’ils les auraient immédiatement communiqué aux Français vu les liens extrêmement étroits qui existent entre les services de nos deux pays. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’est pas possible qu’ils n’aient pas été au courant de ce qui se passait dans certains groupuscules opérant à Molenbeek.

La Belgique n’aurait donc aucun intérêt à dissimuler des renseignements à la France ?

Absolument pas. Nous sommes un petit pays très dépendant de l’aide de nos voisins et des renseignements qu’ils possèdent. Nos services ne sont pas comparables en nombre et en moyens avec les leurs et nous avons besoin des renseignements qu’ils nous envoient. Nous n’avons pas d’autre choix que d’être très coopératif afin d’être bien renseigné pour prévenir les menaces, c’est aussi simple que ça.

Certains affirment que la Belgique aurait passé des accords avec certains groupes extrémistes : on ne vous cherche pas noise, mais vous ne commettez pas d’attentats sur place…

Si cela était avéré, ce serait la perfidie absolue ! Je connais certains responsables des renseignements et ce sont des fonctionnaires de grande qualité : je peux vous assurer qu’ils ne prendraient jamais des décisions de cette nature.

La coopération avec la France est-elle de même intensité qu’avec l’Allemagne ou les Pays-Bas ?

Il y a toujours eu des liens beaucoup plus fort avec les Français. Prenons le trafic de drogue : les Néerlandais sont beaucoup plus compréhensifs dans ce domaine et on s’est heurté à des refus, pas toujours explicites, de coopération pour démanteler des réseaux. Pas avec la France. Et nous menons des opérations anti-terroristes conjointes régulièrement.

Comment expliquez-vous que la Belgique soit épargnée par les attentats, en dehors de la fusillade du musée juif de Bruxelles, alors que sa capitale accueille des institutions internationales qui sont autant des cibles potentielles ?

Jusqu’à maintenant, nous avons toujours été capable de maitriser et de démanteler les réseaux avant qu’ils puissent agir ici ou à l’étranger, si je mets de côté les attentats de Paris. En dépit du fait que nos services de renseignement ne soient pas très fournis, entre 600 et 700 personnes, ils sont très bien organisés. On a beaucoup investi pendant le mandat de Guy Verhofstadt dans la sécurité, surtout après les attentats du 11/9. Avant, il est vrai que notre service de renseignements a été un peu négligé : mais nous avons remanié tout cela et modernisé nos moyens. En particulier, on a créé l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace, l’OCAM, qui est le carrefour de tous les renseignements en possession des services chargés de la sécurité. Nous avons aussi beaucoup investi dans le parquet fédéral. C’est pour ça qu’on a toujours réussi à être là au moment où il a fallu être là.

Certains quartiers, comme à Molenbeek, à Bruxelles, semblent échapper à tout contrôle…

Nous avons certes des quartiers problématiques à Bruxelles ou dans d’autres grandes villes belges, mais vous noterez que nous n’avons jamais eu des émeutes de l’ampleur de celles qui ont eu lieu dans les banlieues françaises, comme en 2005. Il y a en réalité peu de quartiers où l’on peut dire que la police a perdu le contrôle, ce qui n’est pas le cas de pays qui nous entourent, comme la France, la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas. La réforme des polices que nous avons faite il y a quinze ans, notamment en mettant en place une police de proximité bien implantée dans les communes, a donné des résultats. Mais il est vrai que dans certains endroits, on a des problèmes sérieux, notamment là où il y a des problèmes socio-économiques graves comme à Molenbeek où le chômage atteint 35 % de la population ou encore à Anderlecht. Dans certains quartiers, je dis bien quartier et pas ville, l’économie illicite a pris les choses en main : les jeunes sont entrainés dans un système de « quick win », trafic de drogue, trafic d’armes, trafic de voitures où l’on peut gagner beaucoup plus d’argent que si l’on fait un travail mal rémunéré.

Avez-vous le même problème qu’en France d’Imam salafistes payés par les monarchies pétrolières ?

Tout à fait. Mais ces dernières années, les Imams modérés ont entamé une résistance contre ces Imams radicaux et les autorités publiques sont devenues plus dures à leur égard, car nous avons réalisé qu’ils étaient dangereux. On ne les laisse plus s’installer en Belgique et la vie de ceux qui y résident déjà est devenue beaucoup plus difficile.

Pourquoi la Belgique est-elle le pays qui fournit le plus de combattants à Daesh proportionnellement à sa population ?

On a laissé trop longtemps agir des groupes comme Charia4Belgium. Mais il y a aussi une explication plus triviale : les liens entre les jeunes radicalisés sont facilités par la taille du pays. Dans un espace restreint, il est plus facile de se rencontrer, de mettre en contact des groupes radicalisés et d’organiser leur départ via des agents recruteurs. Cela peut aller très vite. Les autorités, mais aussi les parents, ont mis du temps à réaliser ce qui se passait. En outre, on n’avait pas les moyens légaux de réagir : ce sont des majeurs libres de partir… Désormais, on peut saisir préventivement leur passeport, mais dans un Etat de droit on doit respecter les libertés.

La France vient de déclarer l’Etat d’urgence : cela vous paraît-il nécessaire pour lutter contre le terrorisme ?

J’espère que non, même si on peut comprendre que le gouvernement français ait réagi de cette façon après les attentats épouvantables de vendredi. Il faut à tout prix éviter de s’inscrire dans la logique des terroristes qui veulent démanteler l’Etat de droit et la démocratie. Or l’Etat d’urgence est un état exceptionnel qui est anormal pour une démocratie. D’ailleurs en Belgique, nous n’avons pas d’équivalent de l’Etat d’urgence.

Le rétablissement des frontières intérieures à l’espace Schengen est-il une réponse adaptée au terrorisme ?

Au début des années 90, je m’étais intéressé aux bandes du nord de la France qui venaient commettre des crimes en Belgique. J’avais pu constaté qu’il y avait 35 points de passage rien qu’entre la France et la Belgique : comment voulez-vous tous les contrôler de façon permanente ? … Je ne vois vraiment pas comment on pourrait contrôler efficacement des frontières terrestres : personne n’y est jamais arrivé. Surtout, les conséquences économiques seraient terribles. Il ne faut pas oublier qu’on a créé Schengen pour des raisons économiques afin de faciliter la circulation des hommes et des marchandises entre les pays. Les pertes dues aux heures passées lors du passage des frontières intérieures étaient énormes. Nos économies sont très dépendantes de cette fluidité du trafic. Surtout, le repli sur soit serait catastrophique : ce serait un cadeau pour la criminalité organisée et pour le terrorisme international qui ont toujours ignoré les frontières. Si les services de police et de renseignement et la justice, qui sont encore très nationalistes, se limitent à nouveau à leur espace national, on leur fera un sacré cadeau !

N.B.: Interview (version longue) parue dans Libération du 18 novembre

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La lutte contre le terrorisme et la crise des réfugiés assouplissent le Pacte de stabilité

Wed, 18/11/2015 - 07:51

Le Pacte de stabilité budgétaire n’est décidément pas ce carcan tant décrié. La France, qui a déjà bénéficié à trois reprises d’un sursis pour revenir dans les clous des 3 % du PIB de déficit budgétaire autorisés, devrait obtenir de facto un nouveau délai, la lutte contre le terrorisme l’obligeant à engager des dépenses supplémentaires. Aujourd’hui, la Commission européenne a implicitement admis que Paris ne respectera sans doute pas la date de 2017 comme elle s’y était engagée : « la sécurité des citoyens en France et dans l’Union est une priorité dans cette situation tragique », a reconnu le très orthodoxe Valdis Dombrovskis, le vice-président chargé de l’euro, en présentant les avis de l’exécutif européen sur les projets de budget 2016.

« Nous aurons une approche intelligente et humaine » des défis auxquels est confronté l’Hexagone, a surenchéri Pierre Moscovici, le commissaire chargé des affaires économiques et monétaires. « Nous ferons ce que nous avons à faire avec cœur et humanité » : « On fait souvent au Pacte de stabilité des griefs de rigidité ou de stupidité, nous démontrons que le pacte n’est ni rigide ni stupide », a martelé le commissaire français.

C’est François Hollande qui, lundi, devant le Congrès réuni à Versailles, a vendu la mèche en affirmant que, bien évidemment, « le pacte de sécurité l’emporte(rait) sur le pacte de stabilité ». Une formule-choc pour signifier que la France ne se laisserait pas enfermer dans un carcan budgétaire alors que sa sécurité est en jeu. De fait, le surplus de dépenses annoncé par le chef de l’État afin de lutter contre le terrorisme ne peut que se traduire par un dérapage du budget 2016 (-3,4 % du PIB normalement prévu), dérapage qu’il « assume » : 5000 postes de policiers, 2500 pour les justices et les prisons, 1000 pour le contrôle des frontières, suspension des suppressions de postes dans l’armée, création d’une « garde nationale », sans compter un renforcement des moyens des services de sécurité...

Manuel Valls, mardi matin, a été encore plus affirmatif: les objectifs budgétaires seront « forcément dépassés » puisqu’il n’est pas question que ces dépenses supplémentaires (non financées) se fassent « au détriment d’autres budgets ». Le Premier ministre en a profité pour mettre en garde ses partenaires : « il est temps aussi que l’Union européenne, la Commission européenne comprenne que c’est un combat qui concerne la France, mais aussi l’Europe. Nous sommes intervenus au Mali, pas seulement pour le Mali, pas simplement pour la France ». Un ton martial un tantinet déplacé, le message ayant déjà été entendu à Bruxelles…

Reste qu’il est encore « trop tôt pour dire comment cela va se répercuter sur la trajectoire budgétaire » française a reconnu Pierre Moscovici. La Commission veillera en tout cas à ce qu’un éventuel dérapage soit bien justifié par des dépenses liées à la lutte contre le terrorisme. Cette bienveillance ne bénéficie pas qu’à la France, mais aussi aux pays qui sont en première ligne dans la crise des réfugiés, l’Italie et l’Autriche en particulier (la Grèce n’est pas citée puisqu’elle est sous programme d’assistance financière) : les dépenses supplémentaires de 0,2 % du PIB (4 milliards d’euros) que prévoit Rome et de 0,3 % (un milliard) qu’annonce Vienne pour 2016 n’entreront pas en compte dans le calcul d’un éventuel déficit excessif, a annoncé la Commission.

Les crises auxquels sont confrontés les pays européens permettent, en tout cas, de clarifier la notion de circonstances exceptionnelles prévues par le Pacte qui permet de ne pas sanctionner un pays qui est par ailleurs engagé dans la consolidation de ses comptes. Cette mansuétude a aussi pour but d’encourager les États à faire davantage d’efforts pour accueillir des réfugiés, mais aussi pour assurer à la fois leur sécurité et celle de l’ensemble de l’Union.

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Attentats: le réflexe du repli sur soi

Tue, 17/11/2015 - 23:24

REUTERS/Vincent Kessler

Daech a enfoncé un coin dans la fragile solidarité que les Européens ont jusque-là réussi à maintenir face à la crise des réfugiés. Dès le lendemain des attentats de Paris et avant même que l’on découvre qu’un ou plusieurs terroristes étaient de faux demandeurs d’asile syriens arrivés en Europe via la Grèce, les populistes de Droit et Justice (PiS), qui viennent de gagner les élections en Pologne, ont tiré le rideau de fer. Pour Konrad Szymanski, le ministre des Affaires européennes, il n’est plus question de respecter l’accord prévoyant la répartition de 160.000 demandeurs d’asile, car « la Pologne doit garder le contrôle complet de ses frontières, ainsi que de sa politique d’asile et d’immigration ». Les populistes polonais se sentent en guerre contre les musulmans, comme l’a déclaré sans complexe Witold Waszczykowski, le ministre des Affaires étrangères : « il faut approcher de manière différente la communauté musulmane qui vit en Europe et qui hait ce continent, qui veut le détruire ». Une islamophobie et un nationalisme sans complexe qui fait écho à ceux affichés par la Hongrie, la Slovaquie ou encore la Tchèque. Lundi, après avoir prêté serment, Waszczykowski a fait marche arrière en promettant de respecter l’engagement pris par le précédent gouvernement libéral d’accueillir 9000 réfugiés syriens puisqu’il s’agit d’une loi européenne. Néanmoins le ton est donné.

La générosité face à l’afflux de réfugiés prônée à la fois par Angela Merkel, la chancelière allemande, et Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, parait désormais passée de mode. Déjà, le plan de relocalisation de 160.000 demandeurs d’asile syriens, irakiens et érythréens proposé par la Commission afin de soulager les pays de premier accueil n’a été accepté qu’aux forceps, en octobre dernier : il a fallu que les ministres de l’Intérieur, pour la première fois dans le domaine sensible de l’immigration, votent à la majorité qualifiée pour l’imposer aux pays récalcitrants d’Europe de l’Est. La Pologne, alors gouvernée par les libéraux, s’y était finalement ralliée du bout des lèvres, celle-ci s’étant jusque-là contentée d’accueillir une centaine de Syriens… chrétiens. Mais la quasi-totalité des Vingt-huit ont ensuite refusé, à la grande colère de l’Allemagne, d’adopter le système de répartition permanent comme le proposait la Commission. Pour ne rien arranger, les relocalisations se font depuis au compte-goutte, les États trainant des pieds : moins de 150 personnes ont ainsi été jusqu’à présent transférées d’Italie et de Grèce. « Si nous continuons à ce rythme, on en aura terminé en 2101 », a ironisé la semaine dernière Jean-Claude Juncker. La Hongrie a décidé, aujourd’hui, d’attaquer devant la Cour de justice de l’Union européenne le système de relocalisation en l’estimant contraire au principe de subsidiarité.

Autant dire qu’après les attentats de Paris, beaucoup de pays, et pas seulement la Pologne, vont y regarder à deux fois avant d’accueillir chez eux des réfugiés désormais perçus comme de potentiels terroristes. Si le système de relocalisation vole en éclat, toute la charge des réfugiés pèsera sur les pays de la ligne de front, en clair la Grèce et l’Italie. Or, pour ne rien arranger, Angela Merkel a effectué un virage sur l’aile vendredi en annonçant que l’Allemagne allait de nouveau appliquer le règlement de Dublin III qui prévoit que les demandes d’asile doivent être déposées dans l’État européen d’arrivée, un système qu’elle avait suspendu en ouvrant grand ses frontières aux Syriens et aux Irakiens… Ce qui revient en fait à laisser la Grèce et l’Italie se débrouiller avec les réfugiés et les migrants, alors que tous les gouvernements savent qu’elles sont incapables de contrôler leurs frontières extérieures.

Dans le même temps, afin de contrôler ou endiguer l’afflux de réfugiés et de migrants, la plupart des pays de l’espace Schengen ont rétabli des contrôles à leurs frontières intérieures, comme l’Allemagne et la Suède, sans parler des pays qui ont érigé des murs tant aux frontières extérieures de Schengen qu’intérieures (Hongrie, Croatie, Slovénie, Autriche). Après les attentats de Paris, la France a suivi pour des raisons de sécurité, ce qui devrait renforcer la détermination de ses partenaires de maintenir leurs propres contrôles afin de rassurer leur population.

Si ce retour des frontières intérieures est tout à fait légal (la Commission vient d’ailleurs de valider les contrôles allemands et suédois), il est clair que la tentation du chacun pour soi n’a jamais été aussi forte au risque de mettre à bas Schengen et la politique commune d’asile et d’immigration. Or, contrairement à ce que prétendent les populistes, celles-ci instaurent davantage de sécurité en mutualisant le renseignement (système commun de visas, enregistrement des empreintes des demandeurs d’asile via le fichier Eurodac, Système d’information Schengen, un fichier listant notamment les personnes recherchées, coopération policière via Europol, etc.). Un retour des frontières signerait la mort de cette coopération, puisque ce serait le retour au chacun pour-soi pour le plus grand bonheur de Daech. Sans compter les conséquences économiques: le transport de marchandises serait perturbés ainsi que l’emploi des transfrontaliers (plus de 350.000 personnes rien que pour la France).

Or, tous les responsables européens savent qu’il faut au contraire une coopération maximale entre pays européens, tant en matière d’asile et d’immigration que de sécurité. C’est bien la voie que veut emprunter la France qui vient d’obtenir la convocation d’une réunion extraordinaire des ministres de l’Intérieur, le 20 novembre, afin d’accélérer l’adoption d’un PNR européen (un fichier regroupant toutes les données des voyageurs aériens), de renforcer la lutte contre le financement du terrorisme et le trafic d’armes, d’accroitre l’échange de renseignements et d’assurer un contrôle effectif des frontières extérieures de l’Union.

JEAN QUATREMER

N.B.: version longue et mise à jour de l’article paru dans Libération du 16 novembre

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Brexit: Cameron, «entre le marteau et l'enclume»

Thu, 12/11/2015 - 08:00

REUTERS/Stefan Wermuth

Mais que veut exactement la Grande-Bretagne ? Il a fallut attendre presque trois ans après l’annonce du référendum sur l’appartenance de son pays à l’Union pour que David Cameron liste enfin ses revendications. Mais la lettre que le Premier ministre a envoyé mardi à Bruxelles est loin d’avoir dissipé toutes les ambiguïtés: car c’est une chose de réclamer en général une « Europe » à la sauce britannique, c’en est une autre de l’articuler juridiquement et encore une autre de la faire accepter par ses ses vingt-sept partenaires. « Même s’ils ne demandent pas la lune, chaque revendication britannique provoquera de fortes oppositions dans un ou plusieurs États membres », reconnaît un haut fonctionnaire européen. Sans compter que Cameron est pour le moins maladroit en menaçant ses partenaires ce qui risque de crisper les négociations à venir : ou il obtient ce qu’il veut ou il fera campagne pour la sortie.

La bonne nouvelle pour Cameron est qu’« aucun État membre, pour des raisons diverses, n’a envie que la Grande-Bretagne quitte l’Union », souligne-t-on à Bruxelles. Mais si chacun est prêt à l’aider, ça ne sera pas au prix d’un affaiblissement de la construction communautaire. Ainsi, Angela Merkel, la chancelière allemande, a de nouveau cadré, le 3 novembre, les limites de l’exercice qui s’annonce : « le Royaume-Uni doit rester membre de l’UE » et « nous allons apporter notre contribution là où nous le pouvons ». Mais, pour « le reste, c’est aux Britanniques d’en décider et j’espère sincèrement qu’ils le feront d’une manière qui renforcera l’Europe dans son ensemble ». « Renforcer », pas « affaiblir ». Or, chaque demande de Cameron vise à enfoncer un coin dans le projet commun.

Réouvrir les traités

Le premier problème qui va diviser les Vingt-huit est celui de la réouverture ou non des traités. François Hollande y est farouchement opposé par peur d’avoir à organiser un référendum. Or, pour reconnaître que « l’euro n’est pas la seule monnaie de l’Union », pour exempter la Grande-Bretagne du préambule qui prévoit que les États membres sont « résolus à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe », pour renforcer les pouvoirs des parlements nationaux dans les domaines de compétence communautaire ou encore pour préserver les intérêts des États non membres de la zone euro, il faut en passer par une remise à plat des traités : une simple déclaration du Conseil européen n’aurait strictement aucune valeur légale, ce que ne manqueraient pas d’exploiter les europhobes britanniques. À Berlin, on ne voit aucun inconvénient à une réouverture des traités, car « cela permettra d’approfondir la zone euro, de faire passer dans le communautaire ce qui est actuellement du domaine intergouvernemental », par exemple le Mécanisme européen de stabilité (MES), ou encore d’introduire un contrôle parlementaire des décisions de la zone euro. Un approfondissement que souhaite d’ailleurs Londres afin de stabiliser durablement la monnaie unique : « les Britanniques sont devenus les meilleurs avocats de l’euro », s’amuse un fonctionnaire européen, « car ils ont souffert de la crise de la dette publique ».

Berlin se demande donc comment modifier les traités avant 2017, année électorale en France, mais aussi en Allemagne, sans pour autant que cela entraine un référendum dans un ou plusieurs pays : « il faudrait des modifications très techniques et très précises pour qu’on puisse se passer d’une Convention réunissant les parlements nationaux et européen. On l’a fait pour le MES, c’est jouable ». On en est nettement moins convaincu à Paris qui préfère tout renvoyer à l’après 2017. Ce qui est impossible pour Cameron…

2017, année électorale

En imaginant même que les Vingt-huit parviennent à un accord sur la réouverture des traités, le temps risque de manquer : il faudrait un accord politique en décembre, puis une négociation technique et, enfin, une ratification par les parlements nationaux. En imaginant que chaque pays ne cherche pas à alourdir la barque en exigeant sa réforme, il faudra un an pour y parvenir, ce qui renvoie, au mieux, en 2017, année électorale en France et en Allemagne. Il n’est pas sûr, c’est un euphémisme, que Paris et Berlin voient d’un bon œil une campagne référendaire, qui s’annonce hystérique, à ce moment-là, car elle aura évidemment des répercussions chez eux. « Cameron a promis un référendum avant fin 2017, soit après les élections allemandes. C’est donc jouable » veut croire un diplomate européen.

Dernier problème : ce calendrier serré n’est jouable que si les Vingt-huit parviennent à un accord rapide. Or, les sujets que Londres veut voir traiter sont explosifs : les pays d’Europe de l’Est accepteront-ils sans ciller de voir les droits sociaux de leurs ressortissants travaillant au Royaume-Uni réduit à la portion congrue ? Les États de la zone euro seront-ils prêts à accorder un droit de regard à Londres dans leurs affaires intérieures ? La France acceptera-t-elle que l’Union soit davantage « libérale » qu’elle ne l’est ? On peut en douter. Or, chaque soubresaut fournira des arguments aux europhobes britanniques. À Bruxelles, on se demande « comment Cameron a réussi à se mettre tout seul entre le marteau et l’enclume ». Au point que beaucoup estiment que seul le conservatisme britannique permettra à Cameron d’éviter le « Brexit » et non une hypothétique réforme des traités.

N.B. 1 : Version longue de mon article paru dans Libération du 10 novembre

N.B. 2: La lettre, en anglais, de Cameron est ici.

Categories: Union européenne

Evasion fiscale des entreprises: un "changement de culture" depuis Luxleaks

Mon, 09/11/2015 - 11:22

REUTERS/Paul Carsten

Alain Lamassoure (Les Républicains, PPE), président de la commission temporaire sur l’évasion fiscale du Parlement européen répond à mes questions. Cette entretien a été réalisé dans le cadre d’un évènement de Libération consacré au premier anniversaire du Luxkeaks.

Y a-t-il un avant et un après Luxleaks?

Absolument: il a fallu attendre l’affaire des rescrits fiscaux ou «ruling» pour que l’évasion fiscale des entreprises redevienne un sujet pour les Etats européens, alors qu’il l’est déjà aux Etats-Unis depuis «l’offshoreleaks» qui a éclatée en 2013. La révélation du dossier fiscal d’une centaine d’entreprises basées au Luxembourg a montré aux 500 millions d’Européens qu’à un moment où eux-mêmes payaient beaucoup d’impôts, les multinationales, elles, parvenaient à y échapper avec la complicité active de certains Etats.

Mais rien n’a changé: Apple est toujours aussi peu imposée en Europe alors que l’entreprise vient une nouvelle fois d’annoncer des bénéfices records...

Apple respecte rigoureusement la loi fiscale américaine: tous les profits réalisés en Amérique y sont déclarés et sont imposés au taux américain de 35 % qui est, après le taux français, l’un des plus élevé au monde. Mais, pour les profits réalisés hors des Etats-Unis, soit environ 70 % de ses bénéfices, Apple s’acquitte de son impôt en Irlande, où il a obtenu un rescrit qui lui permet d’alléger considérablement ce qu’il paye. Cette façon de procéder n’est pas propre à Apple ou à l’économie numérique, mais à un très grand nombre de multinationales. Le problème est que si tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut que ces entreprises payent leurs impôts, chacun voudrait bien mettre la main dessus. Ainsi, les Etats-Unis voudraient imposer leurs enteprises sur les bénéfices réalisés à l’étranger à un taux réduit autour de 19 %. L’Irlande considére que le siège d’Apple étant chez elle, c’est à elle que doit revenir cette manne. Nous mêmes, nous ne sommes pas au clair: ainsi, nous estimons que les entreprises qui extraient des matières premières dans les pays en développement doivent payer leurs impôts chez nous alors qu’il serait plus juste que l’impôt soit payé dans les pays d’extraction, comme c’est déjà le cas pour les entreprises pétrolières: ainsi, Total ne paie quasiment pas d’impôt en France, mais en paie beaucoup à l’étranger, plus qu’il n’en paierait en France. Nous avons besoin au niveau mondial que l’on partage l’impôt en fonction du lieu où l’on réalise les bénéfices. Avec un immense point d’interrogation que sont les activités numériques, telles celles de Google ou de Facebook: sur le plan commercial, leurs recettes sont essentiellement de la publicité, mais leur vraie richesse ce sont les données personnelles, dont les origines géographiques sont très diverses. Il n’y a pas de réponse évidente et l’OCDE s’est donné un an de plus pour aboutir.

Pourquoi les Etats se sont-ils désintéressés du sujet alors qu’en première analyse leur intérêt est de faire rentrer l’impôt?

L’une des principales raison est triviale: la mentalité de chaque ministre des finances est d’empêcher les autres de s’intéresser à ce qui se passe chez lui. Il faut bien comprendre que chacun est le paradis fiscal des autres: la France aussi a multiplié les astuces fiscales pour attirer les entreprises, comme le crédit impôt recherche, ou les privilèges dont bénéficie le cinéma. Et pour un petit pays, faire payer un taux réel, même très faible, à une énorme multinationale, suffit à financer une partie non négligeable du budget national.

La question de l’évasion fiscale n’est pas très nouvelle...

Effectivement. Dès 1997, les Quinze de l’époque se sont interrogés sur ce qui, dans nos politiques publiques, une fois le dumping monétaire éliminé comme source de concurrence déloyale grâce à la création de l’euro, risquait de fausser l’Union économique et monétaire. L’imposition des bénéfices des entreprises par nature très mobiles s’est imposée comme une évidence. Nous sommes tous tombé d’accord sur la nécessité d’harmoniser, non pas les taux d’imposition, mais la définition du bénéfice imposable: autrement dit, qu’est-ce qu’il faut ou non taxer. La concurrence fiscale est inévitable et même souhaitable, mais il faut de la transparence, de la loyauté et de l’équité. Or nous nous faisons concurrence de façon obscure, déloyale et inéquitable dans le but d’attirer un maximum d’entreprises. En attendant d’arriver à un accord sur cette délicate question, nous avons mis en place un groupe de travail visant à lister les pratiques fiscales les plus déloyales, ce qui a permis de supprimer une soixantaine de pratiques ou de dispositions anormales y compris les rescrits fiscaux de l’époque. Mais ensuite, comme le passage à l’euro s’est merveilleusement bien passé, qu’aucune des catastrophes promises n’ont eu lieu, l’élan politique s’est tari. Jusqu’à ce que l’affaire Luxleaks nous offre un merveilleux prétexte pour essayer d’aboutir à condition d’aller vite : sur un tel sujet, sans la pression des opinions publiques et des médias, tout risque à chaque instant de s’enliser. Il faut bien avoir conscience que l’Union européenne n’a quasiment aucune compétence en matière de fiscalité des entreprises et que lorsqu’elle en a, elle doit décider à l’unanimité des Etats membres.

En un an, qu’est-ce qui a été fait?

Une première directive a rendu obligatoire l’échange d’informations sur les rescrits entre les administrations fiscales. Margrethe Vestager, la commissaire à la concurrence, a lancé, de son côté, une première bordée de missiles contre Fiat Finance, Starbucks, le Luxembourg et les Pays-Bas, en estimant qu’une fiscalité trop avantageuse est une aide d’Etat illégale. Ces entreprises, qui ont bénéficié de rescrits anormaux, devront payer le même taux que les PME du pays. Et le Parlement européen a créé, au lendemain de Luxleaks, la commission que je préside afin d’enquêter sur les ruling et autres pratiques fiscales déloyales et de formuler des recommandations.

Vous avez du menacer les entreprises qui refusaient d’être auditionnées de leur interdire l’accès au Parlement européen.

En effet, une première série d’invitations ayant eu peu d’effets, j’ai menacé toute entreprise qui refuserait de coopérer avec notre commission de voir ses lobbyistes et ses dirigeants interdits d’accès au Parlement. On a pu ainsi vérifier que même Google, l’une des entreprises les plus puissantes du monde, ne peut pas se permettre d’être blacklistée par le Parlement européen.

Au-delà de l’Union, l’OCDE s’est aussi mobilisée.

Le 5 octobre, elle a publié une quinzaine de recommandations qui seront applicables sur une bonne partie de la planète, puisque 90 pays ont été associés aux négociations. On assiste ainsi à un véritable changement de culture. Grâce à l’indignation populaire suscitée par Luxleaks, on peut espérer que les Etats ne chercheront plus à attirer des entreprises en imaginant des dispositifs fiscaux ingénieux, mais grâce à des atouts plus avouables : qualité des services financiers, de l’administration, des infrastructures, qualification de la main d’oeuvre, etc. Ce changement de culture s’est déjà manifesté dans un domaine voisin, celui du secret bancaire qui est en voie de disparition sur le continent européen, la Suisse ayant accepté d’y mettre fin. D’une certaine manière, la vertu devient à la mode. Profitons-en : les modes sont souvent fugaces !

Ce changement de culture doit beaucoup aux Etats-Unis...

C’est vrai pour le secret bancaire. Pour la fiscalité des entreprises, les Américains ont dénoncé ce scandale avant nous, mais ils n’ont toujours pas tranché le dilemme: est-ce que les profits réalisés par les entreprises à l’étranger doivent être imposés aux Etats-Unis ou non?

Lutter contre l’évasion fiscale ne veut pas dire harmonisation?

La concurrence fiscale est inévitable. Nous la jouons même dans nos collectivités locales par le biais, par exemple, de la taxe d’habitation. Mais il faut qu’elle soit équitable, transparente et loyable. C’est ce que nous faisons depuis 40 ans sur la TVA: la base fiscale est commune, et chacun détermine le taux auquel il souhaite imposer telle ou telle catégorie de produits à l’intérieur d’une fourchette. Pour l’impôt sur les sociétés, l’Irlande doit pouvoir garder son taux de 12,5 % par exemple, à condition qu’il s’applique à l’assiette que nous aurons arrêté en commun. On s’apercevra aussi que le taux de 38 % en France est purement nominal: l’assiette de l’IS peut être réduite par tellement de «niches» qu’en définitive, le taux réel n’est parfois pas très éloigné de celui des Irlandais...

Quelles seront vos recommandations ?

Nous avons adopté le 26 octobre notre rapport et il sera soumis à la session plénière du Parlement le 25 novembre. Au niveau de l’Union, la recommandation forte sera l’harmonisation de la base fiscale de l’impôt sur les sociétés, ce que devrait à nouveau proposer la Commission d’ici la fin de l’année. A l’OCDE, nous plaiderons pour une définition commune de la domiciliation fiscale, pour l’obligation de déclaration des bénéfices des entreprises pays par pays, et pour des règles précises sur l’imposition des transactions financières internes aux groupes, en particulier la valorisation de l’innovation. Nous demandons aussi à la Commission de proposer un statut protecteur pour les «lanceurs d’alerte», ceux qui ont le courage de dénoncer des situations aussi scandaleuses.

Ne faudrait-il pas mettre en cause la responsabilité de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission puisqu’il a développé la pratique des rescrits alors qu’il était premier ministre du Luxembourg?

Au sein du Parlement, l’opposition politique souhaite le faire. C’est son rôle. Celui de la majorité est de rappeler que cette pratique était légale, qu’elle était parfaitement connue des partenaires du Luxembourg, et que le rôle du Parlement européen n’est pas de donner des leçons de morale sur ce qu’il aurait fallu faire dans le Grand Duché il y a vingt ans mais de s’assurer que la Commission actuelle et son Président mettent tout en oeuvre pour mettre en place aujourd’hui une fiscalité équitable.

Le vote à l’unanimité dans le domaine fiscal ne devrait-il pas être abandonné ?

Ce serait l’idéal, mais il ne faut pas en faire un préalable, sinon ce serait offrir aux gouvernements une échapatoire formidable: on ne ferait rien avant un changement de traité, et celui-ci prendra dix ans.

Est-ce que les chances de progresser en matière fiscale ne seraient pas plus grandes au sein de la seule zone euro?

Je ne le crois pas. Les Britanniques ont par exemple voté en faveur de la directive sur les rulings fiscaux et ils ont créé une taxe Google pour éviter que les industries du numérique échappent à l’impôt. Autant sur la taxe sur les transactions financières, il est impossible de le faire en dehors d’une coopération renforcée de quelques-uns, autant sur l’imposition des multinationales les Britanniques sont très allants. De même, dans les pays d’Europe de l’Est, il n’y pas de pratique de rulings contestables, simplement des taux bas d’imposition. C’est un sujet où l’unanimité des 28 n’est pas impossible.

N.B.: Version longue de l’interview parue dans Libération du 3 novembre

Categories: Union européenne

Pierre Moscovici: «Martin Selmayr peut être compliqué, mais il est utile»

Sun, 08/11/2015 - 22:11

REUTERS/Yves Herman

Dans 500 millions d’Européens sur BFM Business (et aussi ici), Pierre Moscovici, commissaire aux affaires économiques et monétaires, confirme mes informations sur la tentative de la droite de la Commission de le réduire au silence. Et le pouvoir hors norme du chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, l’Allemand Martin Selmayr... Les prévisions économiques de la Commission sont ici.

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La droite européenne veut un Pacte de stabilité qui ne s'applique qu'à la gauche

Thu, 05/11/2015 - 09:08

REUTERS/Susana Vera

« Finalement, demain, à 11 heures, le commissaire Pierre Moscovici nous rejoindra pour présenter les prévisions économiques d’automne », a annoncé aujourd’hui Margaritis Schinas, le porte-parole de la commission : « J’espère que ça sera court, car ensuite, Jyrki Kataïnen (vice-président chargé de la croissance) et Violeta Bulc (commissaire chargée des transports) viendront vous présenter le lancement du nouvel appel à propositions dans le cadre de « Connecting Europe facility » ». Sans mésestimer l’importance du second sujet, on se demande pourquoi Schinas « espère » que la conférence de presse du commissaire aux affaires économiques et monétaires sera « courte » alors qu’il s’agit d’un rendez-vous particulièrement important puisqu’il va orienter les avis que la Commission va rendre dans quelques jours sur les projets de budget des États de la zone euro… Ce qui se dissimule derrière cette phrase à l’enthousiasme très mesuré, c’est la défaite de la majorité conservatrice de l’exécutif européen qui souhaitait que cette conférence de presse soit annulée et que les prévisions économiques donnent lieu à un simple communiqué de presse, un fait sans précédent dans l’histoire de la Commission… Pourquoi ? Tout simplement parce que les chiffres qui seront dévoilés sont embarrassants pour plusieurs gouvernements de droite, dont l’Allemagne, et plutôt flatteurs pour la France socialiste.

L’affaire commence en juillet dernier, lorsque Madrid demande à la Commission de pouvoir présenter son projet de budget 2016 un mois avant la date limite du 15 octobre, car elle veut pouvoir le faire adopter par les Cortes avant les élections législatives du 20 décembre. Le but électoral est clair : le conservateur Mariano Rajoy veut afficher des comptes en ordre alors que la croissance (3,1 %) et la création d’emplois sont reparties. Las, le 5 octobre, à l’issue d’un Eurogroupe à Luxembourg, Pierre Moscovici douche l’enthousiasme espagnol en estimant que ce projet ne tient pas la route : Madrid devra «prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que le budget 2016 sera compatible avec le pacte de stabilité» assène l’ancien ministre socialiste. Le 12 octobre Pierre Moscovici se fait plus précis : « tandis que les prévisions de croissance espagnole pour 2015 nous paraissent globalement plausibles, celles pour 2016 nous semblent un peu trop optimistes et sujettes à des risques négatifs — notamment au cas où il y aurait une décélération plus marquée dans les marchés émergents. Nous prévoyons pour l’Espagne une croissance du PIB réel de 3,1 % en 2015 et de 2,7 % en 2016 ». Pour la Commission, le déficit public espagnol sera donc de 4,5 % du PIB en 2015, et non de 4,2 % comme prévu, et de 3,5 % en 2016, loin des 2,8 % annoncés. Pis : le déficit structurel ne sera pas réduit de 1,2 % comme promis, mais augmentera de 0,2 %. En conséquence, l’exécutif européen demande au gouvernement espagnol de lui adresser une copie révisée avant le 23 novembre afin que le déficit se situe sous les 3 % en 2016 comme il s’y est engagé… De fait, si des mesures complémentaires ne sont pas prises dès maintenant, Madrid ne pourra pas trouver l’équivalent de 0,7 % du PIB d’économie en 2016. Une sacrée tuile à deux mois d’élections qui se joue essentiellement sur des questions économiques…

Dès le 5 octobre, Rajoy, furieux, mobilise ses soutiens en Europe pour essayer de réduire au silence Moscovici. Pour lui, nul doute qu’il s’agit d’une cabale menée par un commissaire socialiste pour l’affaiblir avant les élections. Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, lui aussi conservateur et membre du PPE, monte au créneau : « il faut voir d’où vient le pays ». Sous-entendu : l’Espagne conservatrice a fait son travail. A Berlin, on ironise sur le fétichisme du chiffre de la Commission: «il ne faut croire que les statistiques qu’on a soi-même falsifié»... Pour la CDU, rien de commun entre une Espagne qui s’est réformée à marche forcée et une France qui y va à dose homéopathique...

Une offensive qui n’a pas plu à Moscovici qui avait pris la précaution d’informer fin septembre le ministre allemand des mauvais chiffres espagnols sans alors susciter de réaction.Il l’a même fait savoir publiquement sur son blog, le 19 octobre, dénonçant «faux procès ou chasse aux sorcières : je serais un Commissaire partial parce que partisan, un socialiste souhaitant interférer dans la campagne électorale espagnole en faveur de ses camarades du PSOE, en mettant en difficulté le gouvernement conservateur du Parti populaire». Or, «ce que j’ai présenté à l’Eurogroupe le 5 octobre, ainsi qu’à la conférence de presse qui a suivi, n’a pris personne par surprise, et pour cause: c’était connu de tous les acteurs concernés ! Les éléments les plus importants de l’avis de la Commission étaient connus des autorités espagnoles – j’en ai informé le Ministre De Guindos personnellement le jeudi précédant l’Eurogroupe. Ils étaient connus et soutenus par mes collègues du Collège des Commissaires, puisque le texte de l’opinion avait été diffusé à tous avant même l’Eurogroupe. J’en avais même parlé dans le détail à Wolfgang Schäuble lors de mon déplacement à Berlin la semaine précédente. Bref, l’impératif de transparence et le principe de collégialité ont été respectés.» Fermez le ban. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, lui aussi membre du PPE, est cependant monter au créneau pour essayer de rendre la pilule moins amère en demandant à son vice-président chargé de l’euro, Valdis Dombrovskis, membre du PPE chargé de surveiller de près Moscovici, d’en rajouter sur le « rétablissement remarquable » de l’Espagne. Difficile d’aller plus loin sauf à discréditer la Commission.

La nervosité conservatrice est d’autant plus grande que l’Espagne n’est pas la seule mauvaise nouvelle : le Portugal, en particulier, dérape : son déficit ne sera pas de 2,8 % en 2015 comme prévus, mais au-dessus de la limite de 3 %. Surtout, le gouvernement minoritaire de droite issu des élections du 4 octobre n’a pas soumis son projet de budget 2016 avant la date limite du 15 octobre et ne l’a toujours pas fait: en théorie, la Commission aurait dû ouvrir une procédure d’infraction. Mais Juncker s’y est fermement opposé : il a appelé Moscovici en marge du congrès du PPE de Madrid des 21 et 22 octobre pour lui demander de rester l’arme au pied. Et comme si cela ne suffisait pas, l’excédent de la balance des paiements allemande explose et atteint 10 %, loin de la limite des 6 % autorisée par le Pacte de stabilité révisé, ce qui devrait entrainer une mise sous observation, ce déséquilibre étant particulièrement grave pour la zone euro, aussi grave que la faillite grecque.

Autant dire que les conservateurs de la Commission qui se sont érigés en gardien inflexible du Pacte de stabilité lorsqu’il s’est agi de la France socialiste – il faut se rappeler de leur dureté à l’égard de Paris il y a un an pour un tout petit 0,1 % de déficit structurel en trop — veulent le débrancher dès lors qu’il s’agit de leurs amis. Comble d’ironie justement, la France fait mieux qu’attendu : au lieu des 4 % de déficit prévus pour 2015, ce sera 3,8 %, et en 2016, elle sera bien aux 3,4 % exigés, juste avant la présidentielle de 2017.

Soucieux de complaire à ses amis conservateurs, le tout puissant Martin Selmayr, le chef de cabinet de Juncker par ailleurs membre de la CDU allemande, a décidé qu’il était urgent de réduire au silence la Commission, au moins jusqu’aux élections espagnoles. N’en va-t-il pas de l’intérêt supérieur du PPE ? Il a donc essayé de dissuader Moscovici de tenir une conférence de presse à l’occasion des prévisions économiques d’automne qui seront rendues publiques ce jeudi afin que la presse ne fasse pas trop de publicité autour de ces chiffres particulièrement désastreux pour des gouvernements amis. Selmayr a profité d’une nouvelle absence pour raison médicale de Juncker pour agir comme s’il était le patron de l’institution : de fait, ce n’est pas tous les jours qu’un chef de cabinet du président cherche à dicter son comportement à un commissaire censé représenter le niveau politique. La manœuvre a échoué devant la détermination de Moscovici. Pour éviter un conflit désastreux pour l’image de la Commission, Juncker a décidé de calmer les ardeurs un rien staliniennes de son chef de cabinet et de laisser le commissaire français présenter les prévisions économiques d’automne… Un épisode qui est quand même rassurant dans ces violentes batailles internes: car, après tout, c’est la seconde fois que Juncker donne raison à Moscovici contre les plus durs de la Commission.

On cependant se demander comment Selmayr a pu penser que personne ne se poserait de questions si, pour la première fois, la Commission n’avait pas présenté officiellement ses prévisions comme elle le fait depuis toujours ? Surtout à la veille de ses avis sur les projets de budget qui seront évidemment jugés à leur aune. Un épisode qui rappelle à ceux qui l’auraient oublié que l’Europe est bien gouvernée par une droite décomplexée.

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