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Updated: 1 week 6 days ago

Allemagne: la résistible progression du nationalisme vaccinal

Wed, 13/01/2021 - 17:56

L’Union serait-elle responsable de la lenteur de la campagne de vaccination contre le Covid-19 en Europe ? C’est l’avis d’une partie des médias conservateurs et de la classe politique allemands (les libéraux du FDP et une fraction des conservateurs de la CDU-CSU) qui estiment que la Commission, chargée de gérer au nom des Etats membres la stratégie vaccinale, s’est pris les pieds dans le tapis en ne commandant pas assez de doses auprès du consortium germano-américain BioNTech-Pfizer. Une accusation qui ne tient guère la route et relève de l’eurobashing le plus pur.

A LIRE AUSSIVaccins anti-Covid: l’Union remplit sa pharmacie

En effet, lorsque les Etats européens ont décidé, en juin dernier, de confier à l’exécutif européen la politique vaccinale contre le coronavirus afin de négocier en position de force et surtout éviter une course à l’échalote entre les Etats membres potentiellement destructrice, il n’existait absolument aucun vaccin.

Pré-réservation à l’aveugle

Pour rappel, celui produit par BioNTech-Pfizer n’a été approuvé par l’Agence européenne du médicament (AEM) basé à Amsterdam que le 21 décembre (le 2 décembre au Royaume-Uni qui a utilisé une procédure dérogatoire), et celui développé par l’Américain Moderna seulement ce mercredi.

La Commission a donc dû conclure des contrats de pré-réservation à l’aveugle avec les laboratoires pharmaceutiques les plus prometteurs sans savoir lequel parviendrait à découvrir un vaccin performant et sans risque : «Si on avait deviné juste, on jouerait au loto tous les jours», ironise une fonctionnaire européenne. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle a visé large en termes de quantité. En échange, les laboratoires ont obtenu des aides d’un montant total de 2,1 milliards d’euros pour les aider à financer leurs investissements, le paiement des doses effectivement livrées étant laissé à la charge des Etats.

Le premier contrat a été conclu le 14 août avec AstraZeneca pour 300 millions de doses et une option sur 100 millions de doses supplémentaires. Ont suivi le 18 septembre Sanofi-GSK (300 millions de doses), le 7 octobre avec Johnson & Johnson (200 millions avec une option sur 200 millions), le 11 novembre avec BioNTech-Pfizer (200 millions avec une option sur 100 millions), le 19 novembre avec CureVac (225 millions avec une option sur 180 millions) et le 25 novembre avec Moderna (80 millions avec une option sur 80 millions). Un contrat devrait bientôt être signé avec Novavax (100 millions avec une option sur 100 millions).

460 millions de doses

Avec les seuls vaccins approuvés par l’AEM, l’Union dispose donc d’un stock potentiel de 460 millions de doses, largement de quoi couvrir l’ensemble de la population européenne… Il est prévu que les Vingt-Sept auront accès en même temps aux vaccins en proportion de leur population afin de ne léser personne.

Il faut savoir que la Commission n’est pas seule aux commandes dans cette affaire : tous les contrats sont validés par les Vingt-Sept, ce qui explique la lourdeur et la relative lenteur de la procédure. Mais la politique sanitaire n’étant pas une compétence de l’Union, il est impossible de faire autrement.

Autant dire que la polémique germano-allemande sur le soi-disant échec de l’Union est lunaire, surtout quand on sait que le problème actuel de la campagne de vaccination n’est pas celui de l’absence de doses, mais celui de la logistique.

Considérations de politique intérieure

En réalité, elle ne s’explique que par des considérations de politique intérieure : il ne faut pas oublier que les élections allemandes auront lieu en septembre et que la CDU va désigner le successeur d’Angela Merkel d’ici quelques jours. Tout ce qui affaiblit cette dernière renforce donc mécaniquement ses adversaires.

Or, attaquer l’Europe, c’est en réalité s’en prendre à Ursula von der Leyen, présidente de la Commission et ancienne ministre allemande de la Défense, qui ne fait pas grand-chose sans l’approbation de la chancelière… Les médias conservateurs que sont Die Welt ou Bild Zeitung vont même plus loin en reprochant directement à Angela Merkel d’avoir délégué l’achat de vaccins à l’Union alors que BioNTech est une entreprise allemande. Autrement dit, en jouant européen, elle aurait empêché les Allemands d’être vaccinés les premiers. Un nationalisme vaccinal pour le moins choquant.

N.B.: article paru le 6 janvier

Categories: Union européenne

Angela Merkel: et à la fin, c'est l'Europe qui gagne

Sat, 09/01/2021 - 19:00

Angela Merkel, dans la dernière ligne droite de son quatrième et dernier mandat à la tête de l’Allemagne, a réussi, de façon inattendue, à inscrire son nom au panthéon de l’histoire européenne à l’instar de ses grands prédécesseurs que sont Helmut Kohl, Helmut Schmidt et Konrad Adenauer. Jusque-là, la chancelière était plutôt connue comme la «Frau Nein» de l’Europe, celle qui faisait prévaloir en toutes circonstances les intérêts allemands même si cela devait déstabiliser l’Union, de l’économie à l’immigration en passant par le nucléaire. Mais sa présidence semestrielle de l’Union, qui s’est achevée le 31 décembre, a tout changé : Merkel a fait prévaloir l’intérêt général européen, non seulement avant celui de son pays, mais aussi parfois à son encontre.

Son bilan est impressionnant : mutualisation d’une partie des dettes nationales nées de la pandémie de coronavirus via la création d’un fonds de relance de 750 milliards d’euros, adoption du cadre financier pluriannuel 2021-2027 de 1 090 milliards d’euros, objectifs climatiques revus à la hausse (réduction des gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030 contre 40 % auparavant), versement des subventions européennes soumis au respect de l’Etat de droit, traité commercial avec le Royaume-Uni et, in extremis, accord d’investissement UE-Chine. «Angela Merkel s’est concentrée sur les grands dossiers politiques, ceux qui nécessitaient une décision urgente, et a délaissé le tout-venant communautaire, c’est-à-dire les questions techniques qui sont difficiles et pénibles, ou ceux qui risquaient de diviser les Européens pour un bénéfice réduit, comme le paquet migratoire», analyse un diplomate européen.

En fait, la chancelière s’est révélée avec la crise du coronavirus. Car, jusqu’en mars, l’Allemagne campait sur sa position traditionnelle depuis la fin du XXe siècle et le virage opéré par le social-démocrate Gerhard Schröder : germanique au pire, euroréticente au mieux. Emmanuel Macron, qui s’est fait élire en 2017 sur la promesse d’un renouveau européen, a d’ailleurs sans cesse buté sur le refus allemand d’aller plus avant dans l’intégration, son agitation europhile agaçant fortement Berlin.

«Admiratif»

Mais deux évènements ont tout changé : les politiques sanitaires adoptées pour lutter contre le Covid-19, qui ont fait plonger les économies européennes dans une récession sans précédent en temps de paix et l’arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe du 5 mai, qui menaçait de déclarer inconstitutionnel les rachats de dettes publiques mis en œuvre depuis 2012 par la Banque centrale européenne pour soutenir une zone euro secouée par de multiples crises.

A ce moment-là, Merkel a pris conscience que la monnaie unique risquait d’exploser en plein vol sans un soutien budgétaire européen massif passant par un endettement commun destiné à prendre le relais de la politique monétaire afin de satisfaire ses juges constitutionnels. Or l’Allemagne souffrirait de la disparition de l’euro. Alors que jusque-là Merkel affirmait qu’il faudrait lui «passer sur le corps» pour créer une dette européenne, le 13 mai, elle annonçait qu’elle se ralliait à la proposition française d’un fonds de relance de 500 milliards d’euros alimenté par une dette commune.

«Son virage est prodigieux, je suis très admiratif», s’extasie Jean-Louis Bourlanges, le vice-président de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale. «Pour la première fois, la chancelière a agi en anticipant au lieu d’attendre la dernière minute au prix, comme en Grèce, de souffrances qui auraient pu être évitées», note un haut fonctionnaire européen.

Opportunité

«La chancelière a su passer d’une présidence semestrielle normale qui l’inspirait peu à la gestion de l’état d’urgence européen. Et là, elle a excellé», reconnaît une source européenne. «L’effet présidence a aussi joué : la chancelière ne serait peut-être pas comportée comme elle l’a fait si elle ne l’avait pas eu. En outre, cela lui a permis de vendre en Allemagne des compromis, sur le fonds de relance ou sur le climat, qui auraient eu du mal à passer en temps normal», analyse Clément Beaune, secrétaire d’Etat aux Affaires européennes.

Merkel a joué sa partition en consultant non-stop sa coalition et ses ministres et en usant de sa bonne relation avec le chef de l’Etat français et de son influence au sein de sa famille politique européenne (Parti populaire européen), mais aussi en bonne entente avec Charles Michel, le président du Conseil européen, et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission.

Ainsi, son entregent a fait merveille pour venir à bout des réticences du «club des radins» (Autriche, Danemark, Pays-Bas, Suède) qui menaçait de poser son veto au fonds de relance, puis de la Hongrie et de la Pologne qui ne voulaient pas entendre parler de la conditionnalité «Etat de droit».

De même, sur le Brexit, qu’elle ne gérait pas en direct, la répartition des rôles entre Paris (le bad cop) et Berlin (le good cop) a fonctionné pour arracher un accord à la dernière minute. Merkel a aussi saisi la fenêtre d’opportunité de l’interrègne américain pour engranger un accord d’investissement avec la Chine dès que Pékin a fait de très timides concessions en matière de travail forcé : «Tout le système allemand s’est mis en marche pour qu’on conclue avant le 31 décembre», reconnaît une source européenne. Un sans-faute de bout en bout.

Photo: AFP

N.B.: article paru le 4 janvier

Categories: Union européenne

Le Brexit, un nouveau départ pour l'Union?

Sat, 09/01/2021 - 17:17

Beaucoup, à Bruxelles ou dans les capitales européennes, veulent croire que la sortie complète du Royaume-Uni de l’Union européenne, après quarante-sept ans de participation, annonce un avenir glorieux pour la construction communautaire. Après tout, depuis son adhésion en janvier 1973, il n’a eu de cesse de freiner toute intégration supplémentaire. Sa capacité de nuisance et d’agrégation des mécontentements était telle que les institutions européennes préféraient revoir à la baisse ou carrément renoncer à des propositions qui risquaient de déplaire à Londres.

Ainsi, si le Royaume-Uni n’avait pas quitté les institutions politiques de l’UE le 31 janvier, «le fonds de relance de 750 milliards d’euros reposant sur un emprunt commun et une mutualisation du remboursement de la dette n’aurait pas vu le jour», souligne le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne (2014-2019). «Techniquement, on aurait pu le faire sans lui, mais est-ce qu’on aurait osé le faire ?» Pour lui, «atmosphériquement, leur départ facilite grandement le fonctionnement de l’Union».

L’ex-Premier ministre luxembourgeois tempère malgré tout : «D’autres pays vont prendre la relève, comme on l’a déjà vu avec le club des frugaux [Autriche, Danemark, Pays-Bas, Suède, ndlr] qui ont tenté de bloquer le fonds de relance. Il faut bien voir qu’en Europe, beaucoup de pays avançaient masqués et étaient ravis que Londres bloque pour eux.»

Quatre radins et des petits pays eurosceptiques

«Un diplomate suédois m’a dit qu’il regrettait le départ des Britanniques car désormais, il allait être obligé de travailler : «Avant, m’a-t-il expliqué, on se contentait de s’aligner automatiquement sur Londres»», s’amuse Jean-Louis Bourlanges, vice-président de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale.

De fait, si on fait le compte des Etats membres eurosceptiques, l’optimisme n’est pas de mise : outre les quatre «radins», il faut ajouter la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Slovénie, et selon les dossiers, la Slovaquie, Malte ou la Finlande. Mais il s’agit de «petits pays», même si certains d’entre eux sont riches, aucun d’entre eux n’approche, même de loin, le poids politique qu’avait le Royaume-Uni. Si Londres pouvait seul poser son veto, ce n’est pas le cas de cette kyrielle de petits et de moyens Etats qui risquent de le payer cher en termes d’influence. D’autant que ces héritiers présomptifs du Royaume-Uni ne présentent pas un front uni : les petits riches de l’Ouest sont réticents à toute solidarité financière, ce qui n’est pas le cas de l’Est européen qui, lui, est plutôt soucieux d’éviter toute contrainte politique.

De même, ces derniers ne sont pas les plus réticents à une défense européenne, à la différence des pays les plus atlantistes, comme les Pays-Bas. Sur à peu près tous les dossiers, les intérêts nationaux de ces pays divergent, et seuls, ils ne pèsent pas suffisamment pour prétendre freiner la marche vers davantage d’intégration.

Unisson

Mais encore faut-il que les cœurs de l’Allemagne et de la France battent à l’unisson : dans ce cas, rien ne peut se faire sans eux, rien ne peut se faire contre eux. Or Berlin revient de loin : «Fin 2019, on a reçu à la commission des affaires européennes des responsables allemands dans le cadre de la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne qui commençait le 1er juillet [et s’achève jeudi soir], se souvient Jean-Louis Bourlanges. Ils sont apparus comme très eurosceptiques, comme c’est le cas depuis 1992 : on oublie trop souvent que ce sont eux qui ont fait échouer la plupart des réformes institutionnelles de l’Union depuis cette date, ce qui nous a contraints à nous élargir à institutions égales.»

En clair, la France, qui a souvent été allante sur le plan européen, même si elle a été incapable de mettre de l’ordre dans son économie - ce qui a sans aucun doute contribué à accroître la méfiance allemande - s’est retrouvée seule. Et l’UE a patiné durant trente ans, accumulant des crises qui auraient pu être évitées ou au moins limitées.

Mais depuis le début de la pandémie, tout a changé. Dès lors que la chancelière allemande a compris, en mai, que la profonde récession résultant des mesures sanitaires ne pouvait qu’accroître les divergences économiques et, au final, menacer l’existence de l’euro, elle a accepté la proposition de Paris d’un endettement commun. Ce qu’elle refusait obstinément jusque-là. Dès lors, personne n’a pu stopper ce mouvement, ni les radins ni les pays de l’Est, qui ne voulaient pas que les versements à venir soient liés au respect de l’Etat de droit. «On aurait même pu le faire à deux, souligne Bourlanges. On peut fonctionner sans les autres pays alors qu’eux ne peuvent fonctionner sans nous.» D’ailleurs, depuis qu’Angela Merkel a fait un virage à 180° en matière européenne, les dossiers se débloquent les uns après les autres à une vitesse qui donne le tournis.

«Le vrai changement, c’est l’Allemagne»

Même si Juncker met en garde contre l’épuisement de «l’effet intégrateur de la pandémie», Bourlanges estime que, combinée avec la crise migratoire, la menace terroriste et l’isolationnisme trumpien (qui ne changera pas fondamentalement avec l’élection de Joe Biden), la pandémie marque une vraie rupture dans la politique européenne de Berlin. «Le vrai changement, ce n’est pas le Brexit, c’est l’Allemagne», va jusqu’à affirmer Bourlanges. «Ce n’est pas seulement la chancelière qui a changé, mais aussi l’opinion publique qui considère que la France est la meilleure alliée, devant les Etats-Unis», ajoute Jean-Dominique Giuliani, le patron de la Fondation Robert-Schuman, qui estime que ce changement est profond.

Bref, les brexiters qui croyaient que le départ du Royaume-Uni aurait la peau de l’UE en sont pour leurs frais : non seulement aucun pays, même les plus eurosceptiques, n’a suivi Londres, mais l’Union européenne accélère son intégration. Un échec de plus : ils n’ont pas réussi à la stopper de l’extérieur entre 1950 et 1973, ni de l’intérieur entre 1973 et 2020.

Photo : Yves Herman. Reuters

N.B.: article paru le 31 décembre

Categories: Union européenne

Brexit: un divorce et quatre ans d'enterrement

Sat, 09/01/2021 - 17:13

Il aura donc fallu quatre ans et demi depuis le référendum du 23 juin 2016 pour que le Royaume-Uni sorte totalement de l’Union européenne : ce sera chose faite ce 1er janvier. On voit ce qui sépare les slogans simplistes de campagne de la réalité d’un divorce : rompre les liens d’une union de près de cinquante ans est complexe et douloureux. Reste qu’on peut se demander s’il n’aurait pas été possible d’aller plus vite. La réponse est sans aucun doute positive.

Il faut d’abord rappeler que personne ne s’attendait, au Royaume-Uni, à ce que le «leave» l’emporte. Même son plus ardent défenseur, Nigel Farage, était parti se coucher le soir du 23 juin en pensant avoir perdu. Ce n’est pas pour rien qu’aucun plan de sortie n’avait été préparé. Le pire est que la question posée («Should the United Kingdom remain a member of the European Union or leave the European Union ?»), trop générale, laissait la porte ouverte à plusieurs options : rompre tous les liens avec l’Union, conclure un large accord commercial, rester dans l’union douanière européenne, conclure une série d’accords bilatéraux sur le modèle suisse ou, enfin, adhérer à l’Espace économique européen afin d’avoir un accès sans limites au marché intérieur. Pour ne rien arranger, les brexiters avaient totalement oublié la délicate question de la frontière nord-irlandaise : en effet, l’accord du Vendredi saint prévoit qu’elle doit demeurer ouverte, ce qui rend impossible une rupture totale avec l’Union, celle-ci supposant des frontières fermées.

«Brexit means Brexit»Après une longue hésitation - ce n’est que le 29 mars 2017 que Londres active l’article 50 du traité européen donnant aux Etats la possibilité de quitter l’UE -, le gouvernement britannique renonce finalement, sous la pression des «hard brexiters», à toutes les options qui ne lui permettraient pas de «retrouver» sa pleine souveraineté («take back control») : «Brexit means Brexit» devient le mantra de Theresa May, la Première ministre qui a succédé à l’imprudent David Cameron, initiateur du référendum.

Mais Londres ne renonce pas pour autant à obtenir un large accès au marché intérieur sans aucune contrepartie : pas question d’accepter la libre circulation des personnes, de participer au budget européen ou de se soumettre à la Cour de justice européenne. Elle parie sur la division des Européens, beaucoup d’Etats ayant des liens économiques et diplomatiques très étroits avec le Royaume-Uni. Bref, une position de négociation qui consistait à demander le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière, et n’avait aucune chance d’aboutir.

Illusions

Dès avril 2017, les Vingt-Sept ont douché les espoirs britanniques : il n’est pas question «qu’un pays non membre de l’Union, qui n’a pas à respecter les mêmes obligations qu’un Etat membre [puisse] avoir les mêmes droits et bénéficier des mêmes avantages qu’un Etat membre», ont-ils martelé lors d’un des nombreux Conseils européens consacrés au Brexit. «Peut-être pensez-vous que tout ceci est évident», mais «j’ai le sentiment que certains en Grande-Bretagne se font encore des illusions à ce sujet», a même ironisé devant le Bundestag Angela Merkel, la chancelière allemande, sur laquelle comptaient pourtant les brexiters.

Surtout, les Vingt-Sept ont fixé leurs «lignes rouges», un vocabulaire emprunté ironiquement aux Britanniques : maintien de la libre circulation entre les deux Irlandes, garantie des droits des citoyens résidant au Royaume-Uni, règlement de tous les engagements budgétaires contractés par le Royaume-Uni (une facture d’une cinquantaine de milliards d’euros). En outre, ils ont précisé que la négociation se déroulerait en deux temps, l’accord de sortie de l’Union conditionnant les termes de la relation future.

Soubresauts britanniques

Un cadre clair qui n’a pas empêché les Britanniques d’essayer de diviser les Vingt-Sept durant deux ans et demi, en vain, à leur grande surprise. L’accord de retrait conclu en novembre 2018 a parfaitement respecté les «lignes rouges» des Européens. Et ce sont les soubresauts de politique intérieure britannique, auxquels les Européens assistent médusés, qui expliquent qu’il faudra attendre le 9 janvier 2020 pour que le texte soit finalement ratifié par la Chambre des communes après avoir été amendé à la marge, en octobre 2019, sur la question nord-irlandaise pour complaire au nouveau Premier ministre britannique, Boris Johnson. Le 31 janvier, le Royaume-Uni quitte enfin les institutions politiques de l’Union.

Le second round n’a pas été plus brillant : dès mars, les Européens se sont à nouveau mis en ordre de bataille en arrêtant un mandat de négociation très précis. Un accord commercial sans droits de douane et sans quotas sur les marchandises (les personnes, les capitaux et les services sont écartés d’emblée, les Britanniques refusant le lien entre les quatre libertés) ne sera possible que si le Royaume-Uni ne se lance pas dans une déréglementation tous azimuts, c’est-à-dire si les conditions de concurrence sont les mêmes des deux côtés de la Manche : les Vingt-Sept ne veulent pas d’un Singapour-sur-Tamise à leur porte. Un accord qui est aussi conditionné à un large accès des pêcheurs européens aux eaux britanniques.

En revanche, le gouvernement Johnson n’a pas eu une stratégie claire si ce n’est, encore une fois, essayer d’obtenir le beurre et l’argent du beurre : un accès à droit zéro, mais sans obligation de respecter les normes européennes et sans aucun engagement durable sur l’accès à son espace maritime.

Compréhension du projet européen

Encore une fois, Londres a parié sur les divergences d’intérêts des Européens, la question de la pêche ne concernant que quelques pays, dont la France, et pas l’Allemagne, puissance industrielle. Une erreur de calcul qui explique que la négociation ait traîné en longueur, «BoJo» multipliant les fronts secondaires en espérant jusqu’au bout une rupture de l’unité européenne. «Les Britanniques ont en réalité perdu la compréhension du projet européen, analyse un diplomate de haut rang. Ils ont pensé que l’unité des Vingt-Sept allait sauter sur la pêche, or ça n’a jamais même menacé de craquer.» L’unité européenne était d’autant moins susceptible de craquer que la pandémie de coronavirus est passée par là : les Vingt-Sept ont renforcé leur intégration comme jamais, notamment en décidant de mutualiser une partie de leurs dettes, ce qui aurait été impensable si le Royaume-Uni avait encore été membre de l’Union. En d’autres termes, l’Europe de 2020 n’est plus celle de 2016 qui, pourtant, a déjà tenu bon.

Négocier avec un populiste

Mais la Commission a aussi une part de responsabilité dans ce long divorce. «Dès le départ, elle a été embarrassée car négocier avec le Royaume-Uni n’est pas intellectuellement simple pour elle», juge un diplomate européen : «Il fait partie d’elle, comme le montre la domination de l’anglais à Bruxelles. Elle croyait sincèrement que le gouvernement britannique voulait un partenariat de bonne volonté alors qu’il était en guerre ouverte contre nous.» Ce n’est pas un hasard si pendant longtemps, la plupart des hauts fonctionnaires de la Commission ont sincèrement cru que Londres allait faire marche arrière et revenir dans le giron européen.

En outre, la Commission, organe rationnel, n’est pas habituée à négocier avec un régime populiste irrationnel par nature, et a eu le plus grand mal à anticiper ses mouvements. On l’a vu en septembre lorsque Boris Johnson a tenté de s’affranchir unilatéralement de la partie de l’accord de retrait concernant la frontière nord-irlandaise afin de faire pression sur Bruxelles. On l’a vu aussi sur la pêche, un sujet que la Commission a longtemps sous-estimé puisqu’elle ne représente que 0,1 % du PIB britannique. Or, c’est une question symbolique centrale dans la rhétorique des brexiters, celle de la souveraineté recouvrée. Enfin, la Commission a oublié que les Britanniques ont perdu leur capacité à négocier des accords commerciaux depuis leur adhésion à l’Union. Le savoir-faire est à Bruxelles, pas à Londres. Ce n’est pas pour rien qu’en 2017, ils ont essayé de recruter le Français Pascal Lamy, ancien commissaire au commerce et ex-patron de l’OMC. Autrement dit, à l’imprévisibilité d’un régime populiste s’ajoutait l’incompétence.

C’est ce qui explique que «la Commission se soit laissé embarquer dans une négociation difficile alors qu’il n’y avait que deux sujets centraux, la pêche et la concurrence, dont elle s’est laissé distraire par Londres», estime le diplomate déjà cité. Elle a aussi oublié que le rapport de force est en faveur des Européens : si le Royaume-Uni dépend de l’Union, l’inverse n’est pas vrai, loin de là. Au final, ces quatre années ont appris aux Européens les plus naïfs que le Royaume-Uni n’est définitivement pas un pays européen comme les autres, et que son départ est, tout compte fait, une bonne nouvelle. Ce n’est pas pour rien que la présidente allemande de la Commission, la très anglophile Ursula von der Leyen, a brutalement tiré le rideau jeudi soir : «Le moment est venu de laisser le Brexit derrière nous. L’avenir est en Europe.»

Photo: Bloomberg via Getty Images

N.B.: article paru le 28 décembre

Categories: Union européenne

Brexit: une liberté de façade

Sat, 09/01/2021 - 17:09

Les Britanniques et les Européens, sans doute gagnés par l’esprit de Noël, sont enfin parvenus jeudi 24 décembre à 15 h 30 à un accord sur la relation commerciale qui va les lier à partir du 1er janvier 2021, date de la sortie du Royaume-Uni du marché unique. Il aura fallu dix mois de négociations particulièrement âpres, après sa sortie politique de l’Union le 31 janvier, pour parvenir in extremis à ce volumineux traité ( plus de 1200 pages ) visant à limiter les dégâts du Brexit. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, a affiché son soulagement de se débarrasser d’un dossier qui empoisonne la vie des Européens depuis le 23 juin 2016, date à laquelle les Britanniques ont choisi par référendum de quitter l’Union : «Le moment est venu de laisser le Brexit derrière nous. L’avenir est en Europe.»

Sable

Les deux parties avaient intérêt à un succès pour éviter d’ajouter une poignée de sable à la tonne qui va être déversée dans les relations commerciales entre les deux rives de la Manche lorsque le Royaume-Uni sortira du marché intérieur. C’est en effet à ce moment-là qu’aura lieu 80 % du choc économique, accord ou pas accord : ce sera la fin de la libre circulation des personnes, des marchandises, des données, des capitaux et des services (y compris financiers), etc. Autrement dit, les contrôles douaniers (sécurité des produits, normes sanitaires et phytosanitaires), les documents administratifs, les demandes d’autorisation, etc., vont ralentir et surtout renchérir les échanges. Mais en l’absence d’accord commercial, les deux parties auraient ajouté droits de douane et quotas d’importation sur les produits agricoles et industriels. Et, dans ce cas, c’est Londres qui aurait eu le plus à perdre, son premier marché extérieur, et de loin, étant l’Union européenne (50 % de ses exportations et d’importations), alors que l’inverse n’est pas vrai (seulement 8 % des exportations)…

Or, pour accorder l’accès au marché intérieur à droit zéro, ce qu’elle n’a jusqu’ici jamais fait, l’Union exigeait que les conditions de concurrence («level playing field») soient équivalentes. Ce qui veut dire que Londres devait s’engager à ne pas avoir de normes techniques, environnementales, sociales ou encore fiscales moins contraignantes que celle de l’Union, en clair à ne pas pratiquer une dérégulation tous azimuts. De même, il n’était pas question qu’il ne respecte pas le droit européen des aides d’Etat afin d’éviter tout dumping. Or, pour le gouvernement britannique, emprisonné dans son idéologie souverainiste («take back control»), c’était exclu, car il estimait que cela l’aurait contraint à s’aligner automatiquement sur les normes communautaires.

Non-régression

Finalement, les Britanniques ont accepté une clause de «non-régression» par rapport au droit communautaire existant en 2020, ce qui écarte le spectre d’un «Singapour sur Tamise», et se sont engagés à suivre les progrès européens sans pour autant les transcrire automatiquement. S’ils ne le font pas, des mesures de «rééquilibrage» sont prévues, c’est-à-dire que l’Union pourra imposer des droits de douane et/ou des quotas afin de ne pas souffrir de ces moindres contraintes pesant sur l’industrie britannique. Par exemple, si le Royaume-Uni reste au niveau de 2020 en matière de normes contre la pollution chimique pendant que l’Union adopte des législations de plus en plus contraignantes, cela avantagera certains produits britanniques. Dans ce cas, ce sera la fin de l’accès à droit zéro pour toute une catégorie de marchandises, sauf si Londres comble son écart. Ce sera la même chose en matière d’aides d’Etat. «La liberté réglementaire du Royaume-Uni est donc facialement préservée, mais il prend le risque de se voir imposer des droits de douane et des quotas s’il l’utilise», commente un diplomate européen. Pour lui, cet accord pourra même servir de modèle lors de négociations commerciales avec d’autres pays.

Dernière minute

Les discussions ont achoppé jusqu’au bout sur un autre dossier tout aussi symbolique pour les souverainistes britanniques, celui de l’accès des pêcheurs européens aux eaux britanniques. Le gouvernement de Boris Johnson voulait diminuer les droits de pêche des Européens à hauteur de 60 % en valeur et les renégocier chaque année. Une demande un peu folle sachant que 80 % du poisson pêché par les marins britanniques est exporté vers l’Union. Au final, les quotas européens vont diminuer d’ici 2026 de 25 % en valeur (à partir de 650 millions d’euros, dont 160 pour les pêcheurs français). Ensuite, comme le voulait Londres, il faudra renégocier chaque année l’accès aux eaux britanniques : «Ce n’est pas une bonne nouvelle pour nos pêcheurs, même si le budget européen viendra les aider, reconnaît un responsable français. Mais le lien entre la pêche et l’ensemble de l’accord est maintenu : si Londres va trop loin, nous pourrons rétablir droits de douane et quotas sur toutes les marchandises.»

L’accord aurait pu être conclu dès le week-end dernier si les Britanniques n’avaient pas ajouté des demandes de dernière minute jugées inacceptables par les Européens. Ainsi, ils ont essayé obtenir d’être exonérés – pour l’automobile et les produits chimiques – de la règle dite du «pays d’origine», qui impose qu’une majorité de la valeur ajoutée d’une marchandise soit produite au Royaume-Uni pour bénéficier d’un régime à droit zéro.

«Tout maintenant va être dans la mise en œuvre de ce traité», qui doit encore être ratifié par le Parlement européen, reconnaît un diplomate européen rendu prudent pas la tentative de Londres, finalement avortée, de ne pas respecter la partie de l’accord de retrait concernant l’Irlande du Nord… Même si tout un système d’évaluation du respect de l’accord, de règlement des différends et de mesures de rétorsion est mis en place, personne n’exclut rien tant que le fantasque Boris Johnson reste à la tête du Royaume-Uni.

Photo: AFP

N.B.: article paru le 24 décembre

Categories: Union européenne

Le retour des frontières nationales

Mon, 04/01/2021 - 20:30

C’est un blocus continental autrement plus efficace que celui décrété par Napoléon en 1806 qui a isolé durant quelques jours, à la mi-décembre, le Royaume-Uni du reste de l’Europe et d’une partie du reste de la planète. Tunnel sous la Manche fermé, vols commerciaux et trafic maritime interrompus, plus rien ne sort du royaume, même s’il est encore théoriquement possible d’y entrer. Un embargo d’autant plus efficace qu’il s’agit d’une île. A quelques jours de la sortie du pays du marché unique, prévue le 31 décembre, cela donne à Londres un avant-goût de sa «souveraineté retrouvée»…

Vœu exaucé

Il n’a fallu que quelques heures après l’annonce de la découverte de cette nouvelle mutation pour que les Pays-Bas, rapidement suivis par la Belgique, l’Allemagne, l’Irlande, le Danemark et la Finlande, suspendent tous les vols provenant du Royaume-Uni. Même la France qui, depuis le début de la pandémie, a toujours évité de fermer ses frontières, n’a pas tergiversé. «Comme beaucoup d’autres pays, nous avons pris des mesures immédiates ce week-end pour empêcher l’introduction incontrôlée de ce virus muté»,s’est justifié le chef de la diplomatie allemande, Heiko Maas. Mais face à ce qui ressemblait à un début de panique avec son empilement de mesures nationales désordonnées, la ministre des Affaires étrangères espagnoles, Arancha González, a appelé dimanche sur Twitter à une «coordination européenne».

Vœu exaucé : dans l’après-midi même, à l’initiative de Charles Michel, le président du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, une visioconférence entre les «sherpas» des Vingt-Sept a été organisée. Puis, lundi matin, le Comité de sécurité sanitaire de l’UE s’est réuni pour évaluer la gravité de la mutation du virus. Parallèlement, l’IPCR, le mécanisme européen de réponse aux crises, s’est retrouvé au niveau des experts, afin «d’échanger [les] informations» et «d’identifier les différentes options pour une réouverture coordonnée des frontières avec des mesures identiques, comme une exigence de test PCR ou une liste de professions essentielles autorisées à voyager», explique un diplomate européen. Très rapidement les Vingt-sept sont parvenu à un consensus sur la politique à suivre dans les prochaines semaines. Comme l’a expliqué l’Allemand Heiko Maas, «il est important que le règlement s’applique à tous et qu’une interdiction d’entrée ou de vol ne puisse pas être contournée via d’autres Etats de l’UE».

Les Européens semblent donc avoir appris de l’épisode de mars, lorsque au début de la pandémie, la plupart des frontières nationales ont été fermées les unes après les autres dans la panique la plus totale, des plots en béton étant même placés en travers des routes secondaires. Une fermeture qui a causé des ruptures de chaînes d’approvisionnement puisque même les marchandises ne passaient plus. Il a fallu que la Commission, sous l’impulsion de la France, intervienne fermement pour obtenir la levée progressive de ces fermetures qui menaçaient l’existence du marché intérieur européen.

«Il est vrai que cette coordination n’est pas facile, mais il faut bien voir que la politique sanitaire n’est pas une compétence européenne, mais nationale. Cette fois-ci on a réussi à le faire en quarante-huit heures», se réjouit un diplomate français. «On voit bien que là où l’Europe est absente, c’est la pagaille garantie»,tempère Yves Pascouau, directeur des programmes Europe de l’association Res Publica et chercheur à l’Institut Jacques-Delors. Le pandémonium des mesures sanitaires décidées au niveau national sans concertation est là pour en témoigner : masque en extérieur obligatoire ou non, magasins ouverts ou non, couvre-feu ou non, restaurants et bars ouverts ou non, écoles fermées ou non, etc., et souvent à quelques dizaines de mètres de distance dans les zones frontalières.

Illusoire

Reste que la pandémie confirme que les frontières ont fait leur grand retour : elles sont désormais perçues par les Etats comme le rempart ultime contre les menaces, même si c’est largement illusoire, alors que depuis trente ans on a assisté à leur effacement progressif ou à leur déport vers les frontières extérieures de l’UE. «Pire, on est progressivement passé d’un rétablissement des contrôles dans un but de sécurité publique, comme lors des attentats ou des vagues migratoires, à une logique de fermeture totale. Désormais le principe est la fermeture, l’exception l’ouverture», constate Pascouau. «Pour donner une idée du mouvement en cours, on est passé de 36 rétablissements des contrôles aux frontières intérieures de l’UE entre 2006 et 2015 à 205 entre 2015 et 2020», poursuit-il. Le seul moyen de revenir à un espace de libre circulation, une fois la pandémie terminée, passe donc par une politique sanitaire communautaire, seule à même d’éviter des réflexes nationaux et un retour durable des frontières intérieures.

N.B.: article paru le 22 décembre

Categories: Union européenne

L'Union européenne reste un colosse aux pieds d'argile

Tue, 22/12/2020 - 16:26

L’Union européenne termine l’année 2020 en fanfare ! Confrontée à une crise sanitaire et économique sans précédent depuis sa création, elle a été capable d’y faire face avec maestria après quelques semaines chaotiques en février et mars. Toutes les lignes rouges fixées au fil des années par tel ou tel Etat ont été franchies les unes après les autres au point que l’Union semble aujourd’hui plus forte que jamais. Apparence ou réalité ?

Le plus spectaculaire a été sans aucun doute la création, définitivement actée jeudi dernier, d’un fonds de relance doté de 750 milliards d’euros qui seront empruntés par la Commission, transformée pour l’occasion en «Trésor européen», avant d’être redistribuée aux Etats sous forme de subventions ou de prêts. Une capacité d’emprunt européenne dont l’Allemagne n’avait jamais voulu entendre parler parce qu’elle signifiait la création d’une «Union de transferts» entre riches et pauvres. A ce fonds, qui sera remboursé grâce à de nouveaux «impôts européens» payés par des entreprises qui n’en payent pas ou qui ne respectent pas les normes environnementales, il faut ajouter le budget pour la période 2021-2027, certes amputé par rapport à ce que proposait la Commission, mais qui permet à l’Union de disposer d’un canon budgétaire de 1 800 milliards, un niveau sans précédent.

L’Union a aussi réussi à créer «SURE», un fonds de 100 milliards d’euros (là aussi empruntés sur les marchés par la Commission avant d’être reprêtés aux Etats) destiné à soutenir les systèmes d’assurance chômage mis à rude épreuve. A cet ensemble, il faut ajouter les plus de 1 800 milliards d’euros que la Banque centrale européenne consacre au rachat des obligations d’Etat et des entreprises afin de faire baisser les taux ce qui permet aux gouvernements d’emprunter à tour de bras.

Fulgurant

Sur d’autres plans, les progrès ont été aussi fulgurants : ainsi, l’Union s’est enfin dotée d’un mécanisme liant le versement des subventions au respect de l’Etat de droit, ce dont les pays de l’Est ne voulaient pas entendre parler jusque-là. Certes, il s’agit seulement de garantir la bonne utilisation de l’argent communautaire et pas les valeurs européennes en général, mais c’est un sacré premier pas puisqu’il fait sauter le verrou de l’unanimité.

On peut aussi citer l’achèvement de l’Union bancaire, les progrès de la politique étrangère commune dont témoignent les sanctions contre la Turquie, mais aussi la Biélorussie, ou encore la mise en place d’une «Europe sanitaire», jusque-là chasse gardée des Etats,l’achat en commun des vaccins contre le Covid-19 étant l’une de ses premières manifestations. Au passage, la plupart de ces progrès dans l’intégration n’auraient pas été possibles si le Royaume-Uni n’avait pas eu la bonne idée de quitter l’Union…

Décrochage

Mais tous ces succès ne peuvent pas dissimuler le fait que la crise sanitaire a approfondi les lignes de fractures existantes : la récession qui touche l’ensemble du continent va accroître les divergences économiques puisqu’elle ira du simple au double en fonction des mesures adoptées. Or, c’est le sud de l’Europe, déjà en difficulté, qui a mis à l’arrêt son économie, pas le nord. Plus grave, la France, dont la récession va atteindre le chiffre vertigineux de 11% ou 12% du PIB et la dette publique exploser à 122% du PIB, a clairement décroché de l’Allemagne dont la récession ne dépassera pas 5% et la dette 70%.

La France est désormais clairement un pays du Sud, ce qui déséquilibre davantage une zone euro déjà minée par une mobilité des capitaux en chute libre, les pays en excédent investissant aux Etats-Unis ou en Chine. Et ces deux pays ayant déjà renoué avec la croissance, cette tendance va encore s’aggraver. Le fonds de relance sera-t-il suffisant pour combler ces failles ? A son niveau actuel, on peut en douter. Autant dire que le risque d’une explosion de l’euro et, partant, de l’Union n’a jamais été aussi réel.

Categories: Union européenne

Sanctions de l'UE contre la Turquie : «On va serrer progressivement la vis»

Sun, 20/12/2020 - 18:29

Emmanuel Macron n’a pas caché sa satisfaction : «l’Union européenne a démontré sa capacité à faire preuve de fermeté» face aux «provocations» de la Turquie en décidant du principe de nouvelles sanctions à l’encontre d’Ankara, s’est-il réjoui à l’issue du sommet européen de Bruxelles qui s’est déroulé jeudi et vendredi.«Il y a six mois, on disait : la France est toute seule» sur ce dossier, notamment lorsqu’elle a envoyé (ainsi que l’Italie) des renforts militaires en Méditerranée orientale pour afficher son soutien à Chypre et à la Grèce confrontés aux forages gaziers illégaux entrepris par Ankara dans leurs eaux territoriales. Pour le chef de l’Etat, «on a raison parfois d’être clairs et vocaux quand les comportements sont inacceptables». Mais «les sanctions ne sont pas radicales», tempère un diplomate européen, «on va serrer progressivement la vis».

Dégradé

La discussion entre les Vingt-Sept, contrairement au Conseil européen des 1er et 2 octobre dernier, n’a pas porté sur le principe même des sanctions : «Pas un Etat membre n’a remis en cause le fait que la Turquie n’a pas saisi la main que nous lui tendions pour apaiser les tensions [une amélioration de l’union douanière qui la lie à l’UE et des moyens financiers supplémentaires pour gérer les camps de réfugiés syriens, ndlr]. Ils ont tous reconnu que c’était l’inverse qui s’était passé, que la situation s’était dégradée sur tous les fronts», poursuit cette même source.

Ainsi, outre la poursuite de forages exploratoires dans les eaux chypriotes, «la Turquie continue à violer l’embargo sur les armes à destination de la Libye et [ce faisant] elle menace nos intérêts sur le plan migratoire puisqu’elle ne permet pas un bon contrôle des côtes et en introduisant des jihadistes sur une zone de départ vers l’Europe» a détaillé le président de la République. De même, elle est intervenue dans le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie dans le Haut-Karabakh ou «continue d’avoir des actions unilatérales non conformes en Syrie […] qui nous font courir le risque de la reconstitution d’un califat territorial».

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Peur

La prise de conscience du danger représenté par la politique agressive et expansionniste de Recep Tayyip Erdogan, le président turc, est donc désormais partagée par les Vingt-Sept. Mais les divergences d’intérêts à l’égard du pays subsistant, la vive discussion a porté sur l’ampleur et le rythme des sanctions. Entre les durs (Chypre et Grèce) et les attentistes qui ne voulaient rien décider avant l’installation de l’administration de Joe Biden, c’est la position médiane franco-allemande qui s’est imposée : des sanctions visant des personnes impliquées dans les forages illégaux en Méditerranée orientale seront prises dans les prochaines semaines par les ministres des Affaires étrangères et des mesures supplémentaires seront décidées si la Turquie poursuit ses actions «illégales et agressives».

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Le chef de la diplomatie de l’UE, l’Espagnol Josep Borrell, a aussi été chargé de faire un rapport d’ici mars prochain sur l’évolution des actions turques qui menacent les intérêts de l’Union européenne tant sur les plans économiques, commerciaux et politiques, ce qui vise en particulier le non-respect par Ankara de l’union douanière qui la lie à l’Union depuis 1995, et de présenter des «instruments et options» découlant de cette analyse. En clair les sanctions pourraient alors toucher des secteurs économiques entiers, une option écartée pour l’instant. «La réponse est nette : on montre qu’on n’est pas apeuré et qu’on prend des décisions», se réjouit un diplomate.

Armes

Reste que cette approche graduelle a réjoui le président turc. «Des pays de l’Union dotés de bon sens ont adopté une approche positive et ont torpillé [le] jeu» visant à imposer des sanctions plus sévères, a-t-il déclaré. Il vise en particulier le rejet de la demande grecque d’imposer un embargo sur les armes à destination de la Turquie, ce que la France a déjà fait. «La Grèce a surtout peur pour elle-même, car Ankara renforce en ce moment sa capacité navale», décrypte un diplomate. Ce sont l’Italie et l’Espagne (qui construit le premier porte-aéronefs turc) qui sont les deux premiers exportateurs européens d’armes à destination de la Turquie, ainsi que l’Allemagne qui s’y sont opposées. Pour Angela Merkel, la chancelière allemande, la question doit être abordée dans le cadre de l’Otan dont la Turquie est toujours membre : «Nous devons nous coordonner avec la nouvelle administration américaine» sur cette question. Le fait que les Américains aient annoncé ce vendredi matin, sur une base bipartisane, un premier jeu de sanctions contre la Turquie pour la punir d’avoir acquis des missiles russes S-400 indique qu’Ankara ne perd rien pour attendre.

Categories: Union européenne

Coup de gueule: le coronavirus, un prétexte commode pour écarter la presse

Wed, 16/12/2020 - 20:07

Est-il encore possible d’exercer le journalisme, métier de contact par nature, en temps de confinement ? Plus les mesures sanitaires se prolongent, plus la question de la liberté de la presse se pose. On en a eu une nouvelle illustration ce vendredi avec la «conférence de presse» d’Emmanuel Macron organisée via Zoom. Elle s’est résumée en une déclaration liminaire et à trois questions en tout et pour tout alors que le chef de l’Etat français rendait compte d’un sommet européen «jumbo» où ont été traités des sujets importants : protection de l’Etat de droit, budget européen, climat, Turquie, union bancaire, etc. Et sur les trois journalistes qui ont eu la parole, deux représentaient des médias de langue anglaise (Politico et le Daily Mail), et la consœur de LCI s’est intéressée au coronavirus qui n’était pas vraiment le sujet du conseil… Furieux, les journalistes français se sont indignés sur le groupe WhatsApp de l’Elysée, seul lien de contact commun, mais les protestations ne parviendront pas aux oreilles du président de la République.

Vernis de conférence de presse

Le scénario avait été identique lors du sommet d’octobre : cinq questions dont quatre accordées à des médias anglo-saxons… Une distribution parcimonieuse de la parole contrôlée par l’Elysée qui ouvre et ferme les micros et écarte quasi systématiquement la presse française, comme s’il s’agissait d’éviter le risque d’une question embarrassante. Comment ne pas penser qu’il s’agit d’une politique délibérée visant à donner à un exercice de pure communication un simple vernis de conférence de presse où le contradictoire et le droit de suite sont la règle ?

A terme, si les mesures sanitaires perdurent, on peut imaginer que ces «conférences de presse» seront remplacées par de simples messages enregistrés à l’image de ce que fait déjà Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, qui fuit les médias comme la peste. Pour sa défense, l’équipe chargée de la communication jupitérienne fait valoir que les confrères européens ne sont pas mieux traités, ce qui est parfaitement exact. En réalité, c’est l’ensemble des dirigeants de l’Union qui n’aime pas la presse, cet empêcheur de gouverner en rond.

Multiplication des obstacles

Le coronavirus leur a fourni un prétexte en or pour l’écarter. Comment ne pas noter que si, eux, peuvent se réunir physiquement sans danger, la présence, même en nombre limité, de journalistes, est jugée sanitairement extrêmement périlleuse ? Reconnaissons que cette volonté de cadenasser l’Europe ne date pas du coronavirus : cela fait vingt ans que les institutions multiplient les obstacles afin que les journalistes ne puissent en aucun cas croiser un responsable politique en dehors des salles de presse. La pandémie a permis de pousser à son paroxysme cette dérive : les bâtiments européens leur sont désormais interdits (seul le Parlement fait exception), les conférences de presse virtuelles permettent un contrôle de la parole médiatique et les journalistes perdent petit à petit le contact avec des sources non agréées faute de pouvoir les identifier et les rencontrer discrètement. Le pouvoir peut dès lors se contenter de communiquer, un exercice qui est à la liberté de la presse ce qu’un patch de nicotine est au havane. Donner des leçons de démocratie et d’Etat de droit à l’Europe de l’Est va devenir de plus en plus difficile.

Categories: Union européenne

Au sommet européen, l'Etat de droit dans ses bottes

Mon, 14/12/2020 - 19:49

N’est pas le général de Gaulle ou Margaret Thatcher qui veut, deux dirigeants qui ont bloqué sans trembler et durant de longues années le fonctionnement de l’Europe, le premier dans les années 60, la seconde dans les années 80. Ainsi, après avoir menacé de poser leur veto pour bloquer le cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2021-2027 et le fonds de relance - un paquet de 1 800 milliards d’euros - afin d’obtenir le retrait du projet de règlement liant le versement de subventions européennes au respect de l’Etat de droit, la Pologne et la Hongrie sont rentrées dans le rang lors du sommet européen qui s’est ouvert jeudi 10 décembre, sans avoir obtenu ce qu’elles réclamaient.

Les signaux positifs sont venus de Budapest et de Varsovie avant même l’ouverture du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement. Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, pariait dès mercredi sur les «bonnes chances de réussite» du sommet. Jaroslaw Kaczynski, le leader du PiS (Droit et Justice) et vrai patron de la Pologne, estimait au moment où les Vingt-Sept commençaient leurs travaux à Bruxelles : «La situation n’est pas facile, compliquée, mais pour le moment je pense que tout ira bien.» Pour les deux démocraties «illibérales» d’Europe de l’Est, la «déclaration explicative» de quatre pages sur la mise en œuvre du règlement européen contesté, qui est annexée aux conclusions du sommet, est suffisante pour leur permettre de lever leur menace de veto. Il s’agirait même d’une «victoire polono-hongroise» si l’on en croit Viktor Orbán.

Protéger les seuls intérêts financiers

Pourtant, on est très loin de leur but de guerre, le retrait pur et simple du mécanisme sur l’Etat de droit : le texte négocié avec le Parlement européen, qui en faisait, tout comme les pays d’Europe du Nord, une condition sine qua non à son feu vert au CFP (il ne peut pas bloquer le fonds de relance, même si les deux sont liés), va bien entrer en vigueur après son adoption formelle par le Conseil des ministres de l’Union à la majorité qualifiée (55 % des Etats représentant 65 % de la population européenne) et le Parlement européen.

Début novembre, le vice-premier ministre polonais, Janusz Kowalski, tweetait pourtant : «VETO ou la mort : c’est le mot d’ordre symbole de défense de la souveraineté polonaise face aux ambitions non démocratiques et idéologiques des eurocrates»… Pourtant ce texte ne vise pas à protéger les «valeurs de l’Union» en général, mais plus concrètement à sauvegarder ses intérêts financiers. En clair, si l’Etat de droit n’est pas garanti (atteinte à l’indépendance de la justice, obstacles aux enquêtes policières, refus d’appliquer les décisions judiciaires, absence de lutte contre la corruption, etc.) au point de compromettre la bonne utilisation des subventions communautaires, la Commission pourra proposer au Conseil des ministres de suspendre tout ou partie des versements. La décision se prendra à la majorité qualifiée, ce qui enlève tout pouvoir de blocage à la Hongrie et à la Pologne. Une bombe atomique, puisque chaque année ces pays reçoivent l’équivalent de plus de 4 % de leur PIB de l’UE…

Pour Varsovie et Budapest, soutenus par le gouvernement populiste slovène, il s’agirait d’une violation des traités européens, puisqu’il existe déjà un article 7 visant à sanctionner les atteintes aux valeurs européennes, dont l’Etat de droit, article qui présente l’avantage, vu des démocraties illibérales, de ne pouvoir être activé qu’à l’unanimité moins la voix du pays visé… Mais, surtout, ces pays craignent que le mécanisme ne soit détourné de son but pour sanctionner un pays qui interdirait l’avortement ou discriminerait les LGBT +, par exemple.

La «déclaration explicative» sur ce mécanisme vise à la fois à «montrer à leurs opinions qu’ils ont obtenu quelque chose», selon les mots d’un ambassadeur européen, mais aussi à dissiper tout malentendu : il s’agit bien de protéger les seuls intérêts financiers de l’Union. Le Conseil européen s’engage aussi à garantir que la procédure sera «objective, juste, impartiale», c’est-à-dire qu’aucune «croisade» ne sera menée contre un gouvernement en raison de sa couleur politique. Mieux, un Etat qui fera l’objet de cette procédure pourra exiger que la question remonte au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement qui «s’efforcera de parvenir à une position commune». C’est donc une procédure de «frein d’urgence» qui est mise en place, même si les sanctions pourront in fine être décidées à la majorité qualifiée. Là, il y a un vrai risque que ce «frein» aboutisse à paralyser le mécanisme sur l’Etat de droit, le Conseil européen, organe intergouvernemental par définition, n’aimant pas statuer à la majorité.

Enfin, ultime concession : les Vingt-Sept demandent à la Commission d’attendre que la Cour de justice de l’Union européenne, qui va être saisie par la Pologne et la Hongrie, statue sur la légalité du règlement avant de proposer des sanctions. Il est précisé que cela ne l’empêchera pas d’enquêter si besoin est, mais cela renvoie de facto l’entrée en vigueur du règlement en 2022. Cet ordre direct donné à un exécutif européen censé être indépendant est totalement inhabituel et semble légalement douteux…

Jeu perdant-perdant

Budapest et Varsovie ne pouvaient espérer obtenir plus. D’une part, les deux capitales étaient isolées : hormis la Slovénie, aucun autre pays d’Europe de l’Est ne les a soutenus. D’autre part, et surtout, maintenir leur veto représentait un vrai risque, celui de voir leur partenaire adopter le fonds de relance en coopération renforcée. Cela les aurait privés de fonds dont elles ont désespérément besoin (23 milliards d’euros pour la Pologne, 4 milliards pour la Hongrie) et elles se seraient quand même retrouvées avec le mécanisme sur l’Etat de droit pour la partie des subventions provenant du budget européen. Autrement dit, le veto était un jeu perdant-perdant, la Pologne et la Hongrie étant économiquement trop dépendantes pour pouvoir entrer en guerre contre l’UE. Et le coût sur le plan de politique intérieure aurait été important, leur population étant, selon les sondages, largement europhile (87 % des Polonais et 85 % des Hongrois soutiennent l’appartenance à l’Union) et acquise au mécanisme sur l’Etat de droit (66 % dans le cas des Polonais, 77 % des Hongrois). Bref, leur bluff n’avait aucune chance de fonctionner et leurs partenaires le savaient.

Photo John Thys. AP

NB: article paru le 12 décembre

Categories: Union européenne

VGE, l'un des pères de l'Europe moderne

Mon, 14/12/2020 - 19:46

VGE est mort le 2 décembre 2020. Voici la petite bio que je lui ai consacré.

Le bilan européen du septennat de VGE est moins spectaculaire que celui de son successeur, François Mitterrand, père de l’Union et de l’euro, mais comme le sont les fondations par rapport à l’immeuble sur lesquelles elles reposent : sans elles, rien de possible et de durable. En 1974, la Communauté économique européenne (CEE) des neufs que reçoit en héritage l’ancien ministre des finances de Georges Pompidou vivote, sonnée par une série de crises : l’échec du plan Fouchet en 1962 imaginé par de Gaulle pour permettre à l’Europe de parler politique en réunissant régulièrement les chefs d’Etat et de gouvernement, la crise de la chaise vide en 1965, le général français refusant le passage au vote à la majorité qualifiée, l’effondrement du système de Bretton Woods en 1971 ou encore le choc pétrolier de 1973. La CEE, qui se résume alors à une union douanière et à une politique agricole commune, n’est qu’un fétu de paille balloté par des évènements qui la dépassent. Le « serpent monétaire » créé en 1972 pour faire barrage aux tempêtes monétaires créées par la fin de la convertibilité du dollar en or est d’ailleurs un échec : « il gît désormais sur le sol, la peau trouée », constate ironiquement VGE en 1978.

Le chef de l’Etat français, qui a longtemps milité pour des « Etats-Unis d’Europe », s’attèle à relancer la machine communautaire. Il peut compter sur l’appui du chancelier allemand, élu la même année que lui, le social-démocrate Helmut Schmidt, qu’il connait bien puisqu’il est lui aussi ancien ministre des finances. Les deux hommes se font une confiance totale, comme jamais dans l’histoire franco-allemande avant et depuis : arrogants, sûrs d’eux-mêmes et dominateurs, ils se reconnaissent mutuellement une intelligence hors du commun et une lucidité économique dont ils ne créditent que peu de leurs interlocuteurs.

En décembre 1974, VGE obtient la création de ce qui va devenir l’institution phare de la CEE puis de l’Union, le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement : il a pris conscience qu’il est impossible de faire l’Europe sans les Etats, ce qui passe par des réunions régulières entre les « chefs » seuls à même de faire les compromis nécessaires. En échange, il concède à Schmidt l’élection au suffrage universel du Parlement européen, une instance alors sans pouvoir (il faudra attendre le traité de Maastricht de 1992).

Surtout, avec son comparse allemand, il va créer en 1978, le Système monétaire européen (SME), bien plus contraignant que le défunt « serpent », afin de forcer la convergence des économies. C’est sur cette base que sera construite la monnaie unique qui verra le jour 21 ans plus tard à la grande fierté de VGE. Mais il sera déçu que sa trouvaille, l’Ecu (pour « European currency unit », l’ancre du SME composé d’un panier de monnaies), ait été délaissée en 1996 au profit du terne euro.

Las, l’élection de Margaret Thatcher, en mai 1979, puis le second choc pétrolier, en 79-80, mettront fin à ses efforts : c’est le début d’une nouvelle période d’eurosclérose. Il faudra attendre 1984 pour que François Mitterrand et Helmuth Kohl reprennent le flambeau. Ils le feront et avec quelle maestria ! Mais sans VGE, dont le SME a dissuadé les socialistes de partir à l’aventure économique en 1983, rien n’aurait été possible.

Photo: AP

Categories: Union européenne

Commission: Ursula von der Leyen, une présidente virtuelle

Mon, 14/12/2020 - 19:41

Ursula von der Leyen est-elle un être de chair et de sang ou un avatar, un assemblage de pixels, créé par une intelligence artificielle enfouie dans les tréfonds du Berlaymont, le siège de la Commission ? A peine installée au 13e étage du bâtiment, la présidente de l’exécutif européen a, de fait, littéralement disparu, n’apparaissant plus que par écrans interposés, pandémie de coronavirus oblige. Alors qu’elle s’apprête à fêter sa première année à la tête de la Commission, ce 1er décembre, force est de constater que l’ancienne ministre allemande de la Défense a réussi le tour de force de devenir la présidente désincarnée d’une Europe elle-même trop désincarnée.

Caractère

Certes, Ursula von der Leyen est victime des circonstances sanitaires, mais pas seulement. Cet éloignement correspond à son caractère comme l’a montré sa décision, sans précédent, de vivre dans un studio sans fenêtre qu’elle a fait aménager à côté de son bureau pour ne pas avoir à quitter le bâtiment durant la semaine, créant ainsi une bulle personnelle dans la bulle bruxelloise. Pour ne rien arranger, elle est arrivée de Berlin avec ses deux plus proches collaborateurs, Bjoern Seibert, nommé chef de cabinet, et Jens Flosdorff, nommé conseiller communication avec rang de directeur général adjoint, un grade qu’il ne doit qu’à sa relation privilégiée avec Ursula von der Leyen. Même s’ils n’avaient aucune connaissance des affaires européennes (et ne parlent pas français, ce qui est un rien étrange), ils sont les seuls à avoir la totale confiance de leur patronne.

Ce trio de choc a pour point commun de considérer les services de la Commission comme des ennemis potentiels et non comme une administration à son service, ainsi que le montre le retard sans précédent dans les nominations de hauts fonctionnaires (plus de 70 postes de direction sont vacants). Depuis, ils se sont entourés d’une équipe uniquement allemande notamment chargée de soigner la communication de la présidente. Cette «Deustche Mannschaft» a achevé d’ériger un mur autour de la présidente, mur d’autant plus efficace que les contacts physiques sont désormais limités au strict minimum. La pandémie a eu pour effet d’accroître la présidentialisation de la Commission : chaque commissaire travaille en silo, faute de pouvoir échanger avec ses collègues sur les autres sujets, alors que l’exécutif est théoriquement un collège où personne n’est propriétaire de son portefeuille. Parler à tour de rôle via un écran, c’est le contraire de la collégialité.

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Isolement

Quant aux contacts avec la presse, notamment internationale, de rares, ils sont devenus inexistants : grâce au coronavirus, la Commission tient à distance les journalistes, qui doivent se contenter de communiqués de presse, de messages vidéo et de conférences de presse virtuelles qui ne permettent pas de poursuivre une question n’ayant pas obtenu réponse…

Cet isolement de la présidente explique sans doute pourquoi elle n’a pas su réagir ou anticiper les crises, qu’elles soient migratoire ou sanitaire. Son discours des cent jours, en février, était de ce point de vue lunaire : à peine un mot sur la tentative turque d’alors de jouer les migrants contre l’Europe et pas une parole sur la pandémie qui ravageait déjà l’Italie. Certes, une fois que les Etats membres ont demandé à la Commission de se réveiller, celle-ci s’est mise au travail avec efficacité, les eurocrates étant compétents.

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Mais on est loin de la fameuse «Commission géopolitique» annoncée par Von der Leyen, comme l’ont montré sa prudence coupable face à une Turquie de plus en plus agressive, son silence prolongé sur le veto polonais et hongrois au plan de relance (imaginé et négocié par la France et l’Allemagne, au passage) ou encore son absence d’idée sur les réformes à entreprendre dans le cadre de la future conférence sur l’avenir de l’Europe, notamment dans le domaine de la défense, pour améliorer le fonctionnement d’une Union trop souvent impotente. Bref, la Commission, loin d’être redevenue le moteur de l’Europe, reste le simple secrétariat au service des Etats membres qu’elle est devenue sous José Barroso (2004-2014), et surtout du plus puissant d’entre eux, l’Allemagne. Une année décevante, mais, soyons optimistes, il reste encore quatre ans pour mieux faire.

N.B.: article paru le 30 novembre

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"En fermant l’accès au territoire européen, on permet aux réseaux parallèles de prospérer"

Wed, 09/12/2020 - 20:32

Pour Yves Pascouau, docteur en droit public et spécialiste des questions migratoires, la très restrictive politique européenne d’immigration «aboutit à créer des drames à nos portes». Ce directeur des programmes Europe de l’association Res Publica et chercheur à l’Institut Jacques-Delors estime que l’Union européenne encourage des migrations «dangereuses, désordonnées et irrégulières».

Après l’attentat de Nice commis par un Tunisien sans papiers, Emmanuel Macron a demandé une réforme de Schengen pour renforcer les frontières extérieures de l’Union. Est-ce justifié ?

A chaque fois qu’il y a une pression migratoire ou un attentat terroriste, les gouvernements demandent une réforme de Schengen. Il y a deux ans, le président de la République l’avait déjà exigée, sans faire aucune proposition concrète. Ce n’est pas étonnant, car si l’on regarde posément la façon dont l’espace Schengen fonctionne, on se rend compte qu’il a déjà été considérablement renforcé au cours des dix dernières années. Ainsi, le «code frontières» a précisé la nature des contrôles aux frontières extérieures et les conditions du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures. De même, l’UE a renforcé les missions et les moyens de Frontex, l’agence chargée du contrôle des frontières extérieures, notamment en créant un corps européen de 10 000 gardes-frontières. Enfin, Schengen est l’espace au monde qui compte le plus de systèmes informatisés, ce qui permet un échange d’informations entre les Etats : système d’information Schengen (SIS, personnes recherchées, fausse monnaie, objets volés, etc.), Eurodac (empreintes des demandeurs d’asile), système d’information sur les visas, système d’entrée et de sortie, Etias (autorisation d’entrée pour les personnes dispensées de visa, équivalent de l’Esta américain), système européen d’information sur les casiers judiciaires (Ecris). Ces systèmes sont en cours de renforcement et il est prévu de les rendre interopérables d’ici à 2023. En réalité, la seule chose à améliorer, c’est la pratique des Etats, qui n’appliquent pas toujours les règles existantes.

La libre circulation est donc un bouc émissaire ?

Dès qu’il y a un problème, c’est la faute de l’Europe, ici la faute de Schengen. Ce qui permet à Emmanuel Macron de faire le lien entre Schengen et l’attentat de Nice, c’est que son auteur est un Tunisien qui a emprunté une voie migratoire. Or c’est une exception : la très grande majorité des terroristes qui ont agi sur le territoire européen étaient européens. Surtout, le chef de l’Etat semble induire que les frontières nationales vont davantage nous protéger que l’espace Schengen tant qu’il ne sera pas réformé. Or c’est faux : Schengen ou pas, il est difficile d’identifier les terroristes avant qu’ils ne frappent, et surtout ce travail relève des services de renseignement et de police. Une frontière intérieure ne change rien à l’affaire : le terroriste tunisien est certes entré par l’Italie, mais il a franchi la frontière franco-italienne, où les contrôles ont été rétablis en 2015. Si l’on regarde l’espace Schengen, on s’aperçoit qu’il est particulièrement bien surveillé, comme le montre la chute des entrées irrégulières depuis le pic de 2015 : à la suite des réformes mises en place, elles sont désormais retombées à leur niveau de 2012.

Pourtant, la Commission a proposé, en septembre, un énième «Pacte sur l’immigration et l’asile» visant à renforcer davantage les contrôles aux frontières extérieures…

La Commission sait que le débat migratoire est cadenassé par les Etats, qui ne veulent entendre parler que de contrôles et de renvoi des étrangers non admis au séjour. D’où la tonalité répressive de ce paquet qui, par exemple, lie dans un même texte l’asile et le retour : l’idée est de faire le tri en cinq jours, de préférence aux frontières, entre le «bon» demandeur d’asile, qui a vocation à entrer sur le territoire de l’Union, et le «mauvais» migrant économique, qui doit être renvoyé immédiatement. En revanche, on n’a rien sur l’immigration légale, qui se limite à la réinstallation de réfugiés statutaires provenant de pays tiers et à la sélection des «talents».

En clair, l’Europe est une forteresse qui ne cesse d’élever les murs qui l’entourent ?

L’étape suivante, puisque pour l’instant la construction d’un mur physique autour de l’Union n’est pas à l’ordre du jour, c’est la violation voire la limitation des droits fondamentaux des migrants. Les pushback [refoulements de migrants par la force, ndlr] en Méditerranée orientale, qui violent clairement le droit d’asile, ou la tentation de transférer le traitement des demandes d’asile aux pays tiers en sont une illustration.

N’est-ce pas le cas de l’accord avec la Turquie ?

C’est la même logique : on a demandé à la Turquie de contrôler ses frontières avec l’Union, en échange de plusieurs milliards d’euros, afin d’empêcher les demandeurs d’asile d’arriver sur le territoire européen, et donc de faire valoir leurs droits. De plus, la déclaration prévoit le renvoi des demandeurs d’asile depuis la Grèce vers la Turquie, considérée comme un «pays tiers sûr». Or c’est une erreur juridique : la Turquie n’est pas un «pays tiers sûr» tel que défini par une directive européenne, car elle n’applique pas la convention de Genève sur le statut de réfugiés aux non-Européens… Ce qui est paradoxal, c’est que les Européens ont bâti en vingt ans le système d’asile le plus protecteur du monde, mais il ne fonctionne que si la personne a posé son pied sur le territoire de l’Union. Or on ne cesse de renforcer nos frontières extérieures, ce qui empêche les demandeurs d’asile d’y avoir accès par la voie légale.

L’UE, en voulant lutter contre l’immigration illégale, l’encourage en réalité ?

Tout à fait. C’est la même logique que la prohibition aux Etats-Unis : en interdisant la vente d’alcool, on a permis à la mafia de prospérer. En fermant l’accès au territoire, on permet aux réseaux parallèles de prospérer. Ce trafic est non seulement rémunérateur mais, contrairement aux trafics d’armes ou de drogue, personne ne se plaint quand la «marchandise» est perdue ! Dans un réseau de trafic de drogue, si le passeur perd une tonne de cocaïne, il passera un sale quart d’heure…

La politique européenne aboutit donc à ce que 20 000 personnes se soient noyées en Méditerranée depuis 2014…

On aboutit à créer des drames à nos portes, c’est certain. Le pacte de Marrakech prévoyait pourtant qu’il fallait organiser des «migrations sûres, ordonnées et régulières». Quand on regarde la situation aujourd’hui en Europe, on a des migrations dangereuses, désordonnées et irrégulières.

N.B.: entretien paru dans Libération du 30 novembre

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Comment l'Union facilite les vacances de Noël des eurocrates

Wed, 09/12/2020 - 20:19

Alors que Bruxelles est en zone rouge, comme toute l’Europe, et que les voyages «non essentiels» sont déconseillés par les autorités belges, quelques dizaines de milliers d’eurocrates se préparent à rentrer chez eux pour les vacances de Noël. Or, nonobstant le respect des mesures sanitaires, les institutions communautaires font tout pour faciliter ces retours au risque d’exporter le coronavirus ou de le réimporter en Belgique…

Enseignement à distance

Ainsi, dans un courrier daté du 20 novembre, Gertrud Ingestad, la directrice générale de la Commission chargée des ressources humaines annonce qu’elle a décidé d’étendre la période autorisée de télétravail à partir de l’étranger à compter du 10 décembre (au lieu du 17 initialement prévu) afin de permettre à certains eurocrates de respecter une période de quarantaine de quatorze jours exigée à l’entrée de quelques pays.

Dans le même temps, les quatre écoles européennes de Bruxelles (financées à hauteur de 60% par le budget européen), qui permettent à 12 000 enfants de fonctionnaires de recevoir un enseignement dans leur langue d’origine, ont décidé de basculer la totalité des classes, du cours préparatoire à la terminale, en enseignement à distance les 21 et 22 décembre (donc départ possible le 18 décembre), puis du 7 au 18 janvier «afin de pouvoir respecter la période de quarantaine de dix jours» imposée par la loi belge au retour d’une zone orange ou rouge… Une quarantaine dont personne ne surveille le respect effectif, précisons-le, ce qui permettra tous les abus. L’objectif est clairement affiché : permettre aux familles de rentrer chez elles.

Le problème est que ces dispositions vont à l’encontre des recommandations des autorités belges que les institutions communautaires prétendent pourtant respecter en toutes circonstances. Ainsi, alors que les vacances de la Toussaint ont commencé dans les écoles européennes une semaine avant les congés belges, celles-ci ont décidé de rester fermées une semaine de plus en novembre afin de s’aligner sur la décision locale. Comme l’écrivait aux parents l’une des directrices d’une école européenne, Micheline Sciberras, le 23 octobre, «il est crucial que nous suivions tous les mesures annoncées par les autorités belges et que nous suivions tous les conseils en matière de voyage. De nombreux pays imposent de sérieuses restrictions aux voyages et celles-ci doivent également être respectées». Or, pour Noël, la Belgique n’a nullement prévu de fermer ses écoles ou de basculer en enseignement à distance afin de limiter les voyages à l’étranger, ce qui n’empêche pourtant pas les écoles européennes d’innover.

«Voyages déconseillés»

Une décision d’autant plus surprenante que le Premier ministre belge, Alexander De Croo, vient de solennellement mettre en garde ses compatriotes : «Les voyages sont fortement déconseillés en Europe. […] Ne faisons pas de plans maintenant par lesquels nous nous mettrions mutuellement en danger.» Cette incohérence totale met en rage certains parents qui ont le sentiment que les vacances des fonctionnaires passent avant l’intérêt des enfants qui accumulent les retards depuis le premier confinement. Par exemple, on sait qu’il est quasiment impossible d’apprendre à lire et à écrire via un écran, ce qui explique pourquoi les écoles n’ont pas été fermées lors du second confinement. Pour ne rien arranger, certains professeurs refusent depuis la rentrée de se rendre en cours en invoquant leur peur du coronavirus qui a décidément bon dos. En tous les cas, cet article, publié le 23 novembre,n’a pas plu à un syndicat d’eurocrates, U4U, syndicat qui m’a déjà violemment attaqué lors de l’affaire Martin Selmayr qu’il a défendu jusqu’au bout.

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Budapest et Varsovie plantent un budget de relance européen à 1800 milliards d'euros

Wed, 18/11/2020 - 23:08

Comme le Premier ministre polonais, Viktor Orban s’oppose au budget de relance de l’UE. Photo John Thys. AFP

C’est tout sauf une surprise : la Hongrie et la Pologne ont bloqué lundi l’adoption du cadre financier pluriannuel 2021-2027 (CFP, près de 1100 milliards d’euros) et du fonds de relance (750 milliards), un accord unanime des Vingt-Sept étant nécessaire. Elles s’opposent, en effet, à un projet de règlement européen qui lie le versement futur des subventions européennes au respect de l’Etat de droit. «VETO ou la mort : c’est le mot d’ordre symbole de défense de la souveraineté polonaise face aux ambitions non démocratiques et idéologiques des eurocrates», avait ainsi tweeté, début novembre, le vice-ministre polonais Janusz Kowalski…

«Une solution sera trouvée»

Mais la messe n’est pas encore dite puisqu’il s’agissait seulement d’une réunion au niveau des ambassadeurs. L’affaire va désormais remonter aux ministres et sans doute au Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement des 10 et 11 décembre afin d’essayer de trouver une solution politique à un problème politique. Le sort du plan de relance, destiné à aider les pays les plus touchés par la pandémie de coronavirus à se relever, ne sera scellé que si les Parlements hongrois et polonais refusent de le voter. Et même là, les discussions pourront se poursuivre puisque l’Union pourra continuer à fonctionner sur la base du budget 2020 qui sera reconduit à l’identique en 2021… Mais cela retardera d’autant la mise en œuvre du fond de relance que les Vingt-Sept souhaitaient activer avant la fin de l’année.

A Paris, on se montre confiant. «Une solution sera trouvée dans les toutes prochaines semaines, a affirmé Clément Beaune, le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes. Nous avons fait le choix de voter dès aujourd’hui, pour que chacun prenne ses responsabilités. Chaque pays a intérêt à une relance européenne rapide. Nous sommes prêts à poursuivre les discussions dans les jours qui viennent, sans renoncer à nos valeurs ni à l’accord politique historique et unanime obtenu au mois de juillet.»

Virer Budapest et Varsovie ?

Mais comment parvenir à un accord avec Budapest et Varsovie ? Une révision à la baisse du projet de règlement sur l’État de droit paraît difficile, le Parlement européen et les pays «radins» – qui n’ont accepté que du bout des lèvres le plan de relance - en ayant fait une condition sine qua non. Il est plus probable que les Vingt-Cinq vont leur offrir davantage de subventions : dans l’actuel plan de relance, la balance entre les subventions, remboursées par le budget européen, et les prêts bonifiés, pris en charge par chaque État, est pour l’instant plutôt défavorable pour les pays de l’Est qui n’ont pas connu une forte première vague. Le problème est qu’il faudra alors que d’autres pays renoncent à une partie de leurs subventions…

Une autre solution serait de sortir le fonds de relance des mécanismes communautaires et de signer un traité international comme celui qui régit le Mécanisme européen de stabilité (MES). Le problème est qu’il s’agit d’une vraie usine à gaz : il faudra l’unanimité des États pour chaque décaissement sans compter, pour certains pays comme l’Allemagne, un vote conforme de leur Parlement. En outre, le remboursement ne pourra pas se faire via le budget européen : soit chaque État devra rembourser les sommes reçues, ce qui tue l’idée même d’un emprunt commun, soit il faudra créer un budget ad hoc…

Enfin, si aucun compromis n’est trouvé, les partenaires de la Pologne et de la Hongrie disposent d’une arme nucléaire en les menaçant de les virer de l’Union. Impossible ? Dans le cadre des traités actuels, c’est vrai. Mais rien n’interdit aux pays qui le veulent de signer un nouveau traité créant une nouvelle UE et de laisser les récalcitrants dans l’actuelle UE vidée de sa substance. Cette solution brutale avait été envisagée en juin 1992 au lendemain du «non» danois au traité de Maastricht au cas où le pays n’aurait pas changé d’avis… Ce veto pourrait donc se terminer pas une déroute pour Budapest et Varsovie, eux qui ont un besoin vital de l’argent de l’Union.

N.B.: article publié le 17 novembre

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L'Union au secours des LGTB+

Wed, 18/11/2020 - 17:44

Des membres du Parlement européen à Bruxelles manifestent leur soutien à la communauté LGBT+ polonaise, le 15 septembre. Photo John Thys. AFP

Le divorce entre la «vieille» et la «nouvelle» Europe, pour reprendre la célèbre classification de l’administration George W. Bush, est désormais patent. Il paraît loin, très loin, le temps de «la fin de l’histoire», du triomphe de la démocratie sur l’hydre communiste, de la «réunification» du continent européen. Si l’adhésion à l’Union a incontestablement permis de stabiliser les anciennes démocraties populaires et républiques soviétiques et de leur offrir un rattrapage économique rapide, il semble jour après jour qu’elle est un échec sur le plan des valeurs.

La démocratie libérale est un modèle contesté par la Pologne et la Hongrie, les droits des femmes sont fragilisés ou bafoués dans nombre de pays de l’Est, les minorités ethniques, sexuelles ou religieuses sont discriminées dès qu’on franchit la ligne Oder-Neisse…

Avortement et changement de sexe

Ainsi, après la Pologne qui a tenté de réduire à rien le droit à l’avortement, c’est la Hongrie qui vient de proposer d’inscrire dans sa constitution l’interdiction de changer de sexe. Ou encore, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la Bulgarie, la Roumanie et la Croatie qui définissent le mariage comme une union entre un homme et une femme (mais l’union civile est ouverte aux homosexuels en Croatie et en Hongrie). Plus préoccupant, les discriminations ouvertes voire les violences contre les LGBT+ (lesbiennes, gays, bis, trans, mais aussi les personnes non binaires, intersexuées et queer) sont légion à l’Est et peu poursuivies. (1)

Après avoir longtemps regardé ailleurs, en espérant que la situation se normaliserait au fur et à mesure de leur développement économique, l’Europe de l’Ouest a décidé de s’attaquer à ces dérives qui menacent le fondement même du projet communautaire qui ne peut se résumer en une simple union de transfert des riches vers les pauvres : il faut un donnant-donnant, sinon les opinions publiques de l’ouest refuseront de continuer de leur verser de l’argent.

Etranglement

Le Parlement européen et l’Allemagne, qui exerce la présidence semestrielle de l’Union, viennent ainsi de se mettre d’accord pour établir un lien entre le respect de l’État de droit et le versement des subventions européennes. Mais attention : c’est seulement si la violation de l’Etat de droit (par exemple la fin de l’indépendance de la justice ou l’absence de lutte contre la corruption) compromet la bonne utilisation des fonds que ce mécanisme pourra être activé et pas si la Pologne décide de supprimer le droit à l’avortement. Budapest et Varsovie se sont malgré tout étranglés et menacent de poser leur véto au budget européen et au fonds de relance.

«Droit d’être en famille»

Le 12 novembre, la Commission a proposé d’aller encore plus loin en mettant sur la table sa première «stratégie en faveur de l’égalité des personnes LGTBQI». Pour elle, c’est le moment : l’opinion publique européenne est de plus en plus favorable à une égalité des droits (à 76%). La Commission annonce qu’elle va proposer une série de mesures allant de la pénalisation des crimes de haine et de discours haineux à l’égard des LGTBQI à la reconnaissance mutuelle de la parentalité légalement acquise dans un autre Etat membre, en passant par l’intégration la lutte contre les discriminations dans toutes les politiques de l’Union ou en donnant davantage de pouvoirs aux organismes nationaux chargés de l’égalité de traitement…

Une véritable déclaration de guerre aux gouvernements de l’Est qui prétendent défendre la «civilisation chrétienne». Mais son principal héraut, le Pape François, vient de reconnaître, le mois dernier, que «les personnes homosexuelles ont le droit d’être en famille» ce qui implique d’adopter «une loi d’union civile, pour qu’elles soient légalement protégées».

(1) Le rapport d’Eurostat sur les discriminations en Europe.

N.B.: article publié le 16 novembre

Categories: Union européenne

Vaccin anti-covid: l'Union européenne remplit sa pharmacie

Tue, 17/11/2020 - 19:34

Dans un laboratoire de Sanofi, dédié à la recherche d’un vaccin contre le Covid-19, à Val-de-Reuil. Photo Joël Saget. AFP

Après un sérieux retard à l’allumage lorsque le Covid-19 s’est abattu sur le Vieux Continent en début d’année, l’Union européenne est désormais en ordre de bataille face à la pandémie. Symboles de cet activisme sanitaire, les contrats conclus par la Commission européenne avec quatre laboratoires pharmaceutiques pour sécuriser l’accès des Européens au futur vaccin. Le dernier en date a été signé mercredi avec l’américain Pfizer et l’allemande BioNTech, qui ont annoncé lundi avoir mis au point un vaccin «efficace à 90%». «D’autres contrats viendront, car nous devons disposer d’un large portefeuille de vaccins basés sur différentes technologies», a affirmé Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission. Reste que les clauses de ces contrats, tenues secrètes, inquiètent le Parlement européen qui craint que la «big pharma», surfant sur la panique, ne fasse main basse sur l’argent public.

«Tout en même temps»

C’est la première fois dans l’histoire que les Etats membres confient à l’UE le soin de négocier leur approvisionnement en médicaments : jusque-là, ils considéraient que ces produits stratégiques relevaient de leur seule souveraineté. C’est Donald Trump qui a réveillé les Européens quand, à la mi-mars, la presse allemande a révélé que le président américain avait tenté d’acheter pour son pays l’exclusivité du vaccin que prépare le laboratoire de biotechnologie allemand CureVac. Les Vingt-Sept ont alors compris qu’isolés, ils n’avaient aucune chance de peser face aux Etats-Unis ou à la Chine. Ils ont donc demandé à la Commission de préparer une stratégie commune pour se fournir en vaccins. Dans une «communication» datée du 17 juin, la Commission propose de négocier des contrats d’approvisionnement directement avec les laboratoires pharmaceutiques. «Le fait que ce soit l’Union qui négocie nous permet d’être attractifs, de faire des économies d’échelle et d’être plus forts face à ces sociétés», souligne un porte-parole. En échange de cette garantie d’approvisionnement, l’Union européenne s’engage à financer une partie de leurs coûts de développement et de fabrication pour une somme de 2,1 milliards d’euros prélevés sur les 2,7 milliards de «l’instrument d’aide d’urgence».

Ces subventions publiques sont justifiées par le fait que l’UE demande aux laboratoires de produire un vaccin dans un délai de douze à dix-huit mois alors qu’en temps normal, le développement prend dix ans en moyenne, ce qui permet d’étaler les coûts dans le temps, des premiers tests à la fabrication en série en passant par l’autorisation de mise sur le marché. «On leur demande de tout faire en même temps, y compris de construire des chaînes de fabrication pour un vaccin qui ne verra peut-être pas le jour : dès lors, comme on n’est pas dans un monde «normal», il est logique qu’on prenne en charge une partie de leurs investissements et que l’on s’engage à acheter un certain nombre de doses», poursuit le porte-parole déjà cité. De plus, pour assurer la sécurité d’approvisionnement, ces vaccins devront impérativement être produits sur le territoire de l’UE, ce qui garantit de l’emploi.

Secret des affaires

La Commission a conclu un premier contrat en août avec AstraZeneca (400 millions de doses) puis avec le tandem Sanofi-GSK (300 millions), avec Johnson & Johnson (400 millions) et enfin avec Pfizer (300 millions), soit 1,4 milliard de doses pour l’instant. D’autres négociations sont en cours avec CureVac pour 225 millions de doses et Moderna pour 160 millions. Les vaccins seront ensuite achetés non par l’UE, mais par les 27 Etats, chacun ayant la garantie d’en recevoir en proportion de sa population.

S’il se réjouit de cette success story européenne, le Parlement européen lorgne avec circonspection les clauses couvertes par le secret des affaires. «On ne connaît pas le prix de la dose et la façon dont il a été fixé, la structure des coûts qui justifie l’aide du budget européen, le régime de responsabilité civile et celui de la propriété intellectuelle, s’inquiète le président de la commission environnement, sécurité alimentaire et santé, Pascal Canfin (Renew, LREM). Or on investit de l’argent public, ce qui implique de la transparence. Que les parties du contrat détaillant la composition du vaccin ou le procédé de fabrication soient secrètes, on peut le comprendre. Mais sur les quatre points que j’ai cités, non.»

De fait, on ne sait pas si l’UE aura droit à une partie des royalties des brevets développés grâce à son aide, ou au moins s’ils tomberont dans le domaine public plus rapidement qu’en temps normal (huit à onze ans), ou encore si les laboratoires seront bien responsables des éventuels effets secondaires des vaccins. La Commission, sur ce point, affirme que le droit commun s’appliquera, mais que chaque Etat pourra s’engager à prendre à sa charge les coûts des «défauts imprévisibles»… En clair, ce sera avec ceinture et bretelles pour les laboratoires. «Cette transparence est nécessaire si on veut que le vaccin soit socialement acceptable,estime Pascal Canfin. On s’est planté sur les masques, on s’est planté sur les tests, on ne peut se planter sur les vaccins.»

N.B.: article publié le 13 novembre

Categories: Union européenne

Budget européen: un deal à 1800 milliards d'euros

Tue, 17/11/2020 - 19:31

Pour quelques milliards de plus, les négociateurs du Parlement européen ont donné leur accord, après deux mois de discussions intenses, au cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 négocié en juillet, au cours d’un sommet marathon de quatre jours, par les 27 chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union. Ce qui, par contrecoup, débloque le Fonds de relance qui autorise la Commission à emprunter 750 milliards d’euros sur les marchés pour les redistribuer aux Etats (390 milliards en subventions, le reste en prêts). Mais il faut encore que le Parlement européen et surtout les 27 parlements nationaux votent ce compromis, ce qui pourrait réserver une (mauvaise) surprise.

«Ressources propres»

Les eurodéputés ont réussi à arracher 16 milliards d’euros de plus pour le CFP, une goutte d’eau par rapport aux 1074 milliards que les Etats étaient prêts à débourser pour la période 2021-2027, un budget en net recul par rapport à celui de la période 2014-2020 (en partie à cause du Brexit).

C’est beaucoup moins que ce qu’ils espéraient (39 milliards après avoir demandé 100 milliards au début de la négociation), mais c’est plus que ce qu’ils ont pu obtenir dans le passé (rien en 2013, 4 milliards en 2006). Cette somme supplémentaire sera affectée à la recherche (4 milliards), à la santé (3,4 milliards), à Erasmus (2,2 milliards), à la surveillance des frontières extérieures de l’Union (1,5 milliard), etc.

Là où le Parlement a le plus obtenu, c’est sur la création de nouvelles «ressources propres» (ou impôts européens) qui présentent l’avantage de ne plus faire dépendre le budget européen des contributions de chaque Etat, une dépendance qui rend laborieuse les négociations budgétaires qui ont lieu tous les sept ans. Le Conseil européen en a créé une, qui a vocation à s’éteindre, la taxe sur les plastiques non recyclables d’un montant de 6 milliards pour 2021. Il a certes promis d’en créer d’autres, mais sans engagement contraignant. A l’issue de la négociation avec les députés européens, la Commission et les Etats se sont mis d’accord sur un calendrier précis, ce qui ne veut pas dire qu’in fine tous les parlements nationaux donneront leur accord à l’unanimité. «C’est seulement une obligation de moyens pour les Etats», résume un diplomate européen…

Assiette et amendes

Ainsi, d’ici à 2023, une partie du système d’échange de quotas d’émissions de CO2 (élargi aux transports aérien et maritime) devrait être affectée au budget européen (entre 3 et 10 milliards par an) et une taxe carbone aux frontières pour les produits ne respectant pas les critères environnementaux européens (pour un montant compris en 5 et 14 milliards par an) ainsi qu’une taxe sur les géants du numérique (1,3 milliard par an) devraient voir le jour.

D’ici à 2026, une taxe sur les transactions financières (TTF, au moins 3,5 milliards d’euros par an) et une partie de l’impôt sur les sociétés multinationales (12 milliards par an) si l’Union parvient à harmoniser l’assiette fiscale pourraient aussi voir le jour. Enfin, le montant des amendes infligées par la Commission aux sociétés qui violent le droit de la concurrence ne retournera plus dans les budgets nationaux, mais viendra alimenter le budget européen (environ 11 milliards par an).

En revanche, le Parlement n’a pas obtenu que les remboursements de l’emprunt de 390 milliards d’euros (13 milliards entre 2021 et 2027 puis 25 milliards par an ensuite) ne soient pas imputés sur le CFP actuel afin de ne pas diminuer le montant des politiques communautaires.

«Cela faisait partie du compromis politique conclu en juillet»,explique un diplomate français. Les Etats se sont seulement engagés à essayer de ne pas réduire le financement des politiques communautaires, ce que devrait permettre la création de nouvelles ressources propres qui viendraient abonder le budget européen.

Etat de droit

Au final, l’ensemble budgétaire de plus de 1 800 milliards d’euros conclu en juillet ressort plus équilibré de la négociation avec le Parlement qui a réussi à pérenniser son financement, du moins si les futurs impôts européens voient le jour. En attendant, il va falloir passer le cap des vingt-sept ratifications nationales. Or, la Pologne et la Hongrie ont menacé de ne pas ratifier cet accord si le règlement subordonnant le versement des subventions européennes au respect de l’Etat de droit n’était pas abandonné. Une conditionnalité que les pays «radins», qui n’ont accepté le Fonds de relance que du bout des lèvres, exigent. Varsovie et Budapest oseront-elles tout faire capoter au risque de se priver de l’argent du Fonds de relance ? Réponse d’ici à la fin de l’année.

N.B.: Article publié le 11 novembre

Categories: Union européenne

Relation UE-Etats-Unis: l'illusion de la mort du trumpisme

Sun, 15/11/2020 - 18:42

Lors d’un sommet de l’Otan à Watford (Angleterre), le 4 décembre 2019. Photo Francisco Seco. AP

L’Union européenne doit-elle se réjouir de l’élection de Joseph Robinette Biden ? Après quatre ans de fureur et de folie trumpienne qui ont mis à bas l’un des piliers de la politique étrangère américaine, la relation privilégiée avec le Vieux Continent, la question peut paraître étrange. Car, après tout, l’arrivée à la Maison Blanche d’un président démocrate formée à la vieille école, n’est-ce pas l’assurance d’un retour à la normale dans les relations transatlantiques ? De fait, ce n’est probablement pas Joe Biden qui qualifiera l’Otan d’organisation «obsolète» et désignera l’Union comme «principal ennemi», au moins sur le plan commercial, des Etats-Unis, comme l’a fait Donald Trump.

«Pas le choix»

La plupart des Etats membres de l’Union ont eu le plus grand mal à s’adapter à cette nouvelle réalité géopolitique : ils n’avaient jamais imaginé que la garantie militaire américaine ne serait plus automatique comme elle l’était depuis 1945, que les Etats-Unis souhaiteraient à voix haute la destruction de l’Union, déclareraient une guerre commerciale à l’Europe, saperaient les institutions internationales comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou encore mettraient fin aux efforts de désarmement ou à la lutte contre le changement climatique.

Sous les coups de boutoir de Trump, les Européens ont fini par se résoudre, à l’impulsion d’une France qui, héritage gaulliste oblige, n’a jamais entretenu d’illusions sur le soutien sans faille des Américains, à remettre sur le métier la construction d’une politique étrangère commune et d’une défense européenne, à l’exemple des coopérations franco-allemandes dans le domaine du char et de l’avion de combat du futur.

Ils se sont enfin mis à défendre leurs intérêts stratégiques et commerciaux, tant vis-à-vis de la Chine ou de la Russie que des Etats-Unis, et ont pris le leadership de la transition écologique. «Trump ne nous a pas laissé le choix : il fallait que nous nous organisions et nous l’avons fait depuis deux ou trois ans», se réjouit un diplomate européen.

«Petit nuage»

C’est ce lent et difficile cheminement vers l’autonomie que l’élection de Biden risque d’interrompre si l’on en juge par le «petit nuage»,selon l’expression d’un diplomate, sur lequel flottent la plupart des capitales européennes qui n’ont jamais fait leur deuil du confortable parapluie américain, l’Allemagne et les Pays-Bas en tête.

La tentation est forte de considérer que Trump n’a été qu’une parenthèse. La tribune publiée par la ministre allemande de la Défense, la démocrate-chrétienne Annegret Kramp-Karrenbauer («AKK») dès la veille de l’élection, le 2 novembre, sur le site de Politico Europe, est révélatrice de cette tentation. Pour elle, «les illusions d’autonomie stratégique européenne doivent prendre fin : les Européens ne pourront pas remplacer le rôle crucial de l’Amérique en tant que fournisseur de sécurité».

Un avis largement partagé par le ministre des Finances social-démocrate Olaf Scholz, qui voit dans l’élection de Biden l’occasion «d’ouvrir un nouveau chapitre transatlantique». «C’est le retour du refoulé transatlantique de l’Etat profond allemand», se désole-t-on à Paris.

«Défense de leurs intérêts nationaux»

De fait, croire que tout va redevenir comme avant est un piège. D’une part, Trump n’a fait qu’accélérer des évolutions déjà largement entamées sous Obama, du désengagement militaire américain au virage vers l’Asie. D’autre part, «le trumpisme n’est pas mort avec le départ de Donald Trump», explique à LibérationClément Beaune, le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes, la vague bleue (couleur du Parti démocrate) attendue n’ayant pas eu lieu.

En clair, «le trumpisme va continuer à irriguer l’agenda américain», poursuit Clément Beaune, que ce soit «l’obsession sur la Chine», le redimensionnement de l’Alliance atlantique ou encore la défense sans concession des intérêts commerciaux américains.«Les Etats-Unis ne vont pas redevenir une garantie tant sur le plan militaire que commercial», juge un diplomate européen, même si la nouvelle administration sera plus multilatéraliste et cessera de se comporter en «ennemi» de l’Union, ce qui facilitera les relations entre les deux rives de l’Atlantique.

Mais «la défense de leurs intérêts nationaux restera en tête de l’agenda américain», souligne un diplomate. Ainsi, il «serait illusoire de croire que Biden va changer la donne en Méditerranée orientale», poursuit-il. De même, sur le plan commercial, s’il devrait démanteler en douceur les sanctions frappant les produits européens, il défendra, tout comme Trump, les Gafam contre la tentation de l’Union de les taxer, devrait s’opposer à une «taxe carbone» aux frontières de l’Union qui frapperait les produits ne respectant pas l’accord de Paris et poursuivra le bras de fer contre la Chine dans lequel il essaiera d’embarquer l’Union. Si les Européens désarment, le réveil dans quatre ans sera douloureux.

N.B.: article paru le 10 novembre

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"Pas d'Etat de droit, pas d'euros"

Sun, 15/11/2020 - 18:39

Les États membres de l’Union qui ne respectent pas l’État de droit risquent de se voir privés de tout ou partie des subventions européennes. Jeudi, le Parlement de Strasbourg est parvenu à arracher à l’Allemagne, qui exerce la présidence semestrielle tournante du Conseil des ministres (l’organe où siègent les États), un très net durcissement du projet de règlement instituant, pour la première fois, cette conditionnalité au versement de l’argent versé tant par le budget communautaire (1074 milliards d’euros pour la période 2021-2027) que par le fonds de relance (750 milliards d’euros).

«Zéro euro»

«C’est simple : pas d’État de droit, zéro euro» avait lancé Emmanuel Macron aux pays d’Europe de l’Est lors de la négociation de ce paquet budgétaire en juillet dernier. Mais devant les menaces de blocage de Budapest et de Varsovie, la présidence allemande a dû édulcorer le texte proposé par la Commission en 2018 en le limitant aux risques de corruption pesant sur l’utilisation des fonds communautaires. Insuffisant pour le Parlement qui a finalement obtenu gain de cause en menaçant les Vingt-sept de ne pas donner son accord au cadre financier pluriannuel (CFP 2021-2027). Certes, le projet de règlement est toujours limité à la protection des intérêts financiers de l’Union et non à celle des valeurs européennes en général.

En clair, un pays qui interdirait l’avortement ou l’égalité hommes femmes, par exemple, ne serait pas concerné puisqu’il faut que la violation de l’État de droit ait une incidence sur la bonne utilisation de l’argent européen. Ce serait, par exemple, le cas de pays qui violent le principe de séparation des pouvoirs ou l’indépendance du pouvoir judiciaire, empêchent par tous les moyens le bon déroulement des enquêtes, n’exécutent pas les jugements ou encore ne sanctionnent pas la corruption. La suspension des fonds devra être décidée par le Conseil des ministres sur proposition de la Commission à la majorité qualifiée, soit 55% des États (15 sur 27) pesant 65 % de la population, ce qui enlèvera tout pouvoir de blocage à une coalition formée par les seuls pays d’Europe de l’Est…

«Veto ou la mort»

Mais rien n’est encore gagné : même si ce projet peut être adopté à la majorité qualifiée, les pays qui sont dans le viseur des eurodéputés, la Pologne et la Hongrie en particulier, ont menacé, si ce texte n’était pas retiré, de poser leur véto à une autre partie de cet ensemble budgétaire, les nouvelles ressources propres ou impôts européens qui doivent, elles, être adoptées à l’unanimité. Dans ce cas, c’est l’ensemble du paquet budgétaire négocié en juillet dernier qui serait bloqué. Et le ton n’est pas à la conciliation, c’est le moins que l’on puisse dire : «VETO ou la mort : c’est le mot d’ordre symbole de défense de la souveraineté polonaise face aux ambitions non démocratiques et idéologiques des eurocrates» a ainsi tweeté le vice-ministre polonais Janusz Kowalski. Reste qu’un blocage complet coûterait cher aux pays d’Europe de l’Est : certes, le budget provisoire 2021 qui pallierait le blocage du CFP leur garantirait de recevoir les subventions habituelles (14 milliards pour la Pologne, 5 milliards pour la Hongrie), mais ils ne percevraient pas les fonds du plan de relance (23 milliards pour Varsovie et 6 milliards pour Budapest).

Le reste de la négociation budgétaire devrait être bouclé ce lundi ou ce mardi : le Parlement européen devrait obtenir entre 12 et 15 milliards supplémentaires pour le budget européen (il en demandait 39) et surtout un calendrier précis pour la création de nouvelles ressources propres (taxe carbone aux frontières, taxes Gafam, etc.) afin que le financement de l’Union dépende moins des contributions nationales qui donnent lieu à des chamailleries sans fin. Mais la saga budgétaire devrait jouer les prolongations jusqu’à la fin de l’année voire au-delà si la Pologne et la Hongrie mettent leurs menaces à exécution.

N.B.: article paru le 9 novembre

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