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Thanks, Brits – Brexit has vaccinated Europe against populism

Mon, 19/06/2017 - 09:22

Ce lundi 19 juin, les négociations sur le Brexit s’ouvrent officiellement à Bruxelles, onze jours après des élections législatives anticipées qui ont privé les conservateurs de leur majorité absolue. The Guardian m’a demandé une tribune qui a été publiée ici en anglais : près de 30.000 partages et 3000 commentaires (pas vraiment sympas en majorité). La force de la presse britannique m’impressionnera toujours. Voici cet article.

Assister au Brexit est un vrai plaisir d’esthète. Un an après le référendum du 23 juin 2016, force est de constater que ce que l’on subodorait se réalise : la sortie de l’Union européenne est d’une extrême difficulté, à supposer même qu’elle soit possible, d’un coût économique certain et, enfin, déstabilise politiquement les pays qui s’y risquent comme le montre le fiasco des élections anticipées du 8 juin. C’est pour cela que j’étais favorable à la victoire du « leave » : il fallait que tous les europhobes et les eurosceptiques de l’Union voient leur rêve se fracasser sur le mur de la réalité. Je tiens donc à réitérer mes profonds remerciements au peuple britannique qui a su, encore une fois, faire montre d’un esprit de sacrifice qui l’honore : grâce à lui, les peuples européens vont être vaccinés pour longtemps contre l’aventurisme démagogique.

De fait, la victoire du Brexit (et de son petit frère Donald Trump) a déjà eu des effets extrêmement positif pour le vieux continent, enfin isolé par un épais brouillard de cette Grande-Bretagne shootée au nationalisme: les partis démagogiques ont subi un coup d’arrêt en Autriche, aux Pays-Bas, en France et en Italie où le Mouvement cinq étoiles vient de se prendre une sévère gamelle aux élections municipales. Pour parler de mon pays, qui jusque-là suscitait des ricanements compassés outre-Manche, il est clair que l’élection présidentielle du 7 mai qui a vu la victoire par plus de 66 % des voix d’Emmanuel Macron, le candidat le plus europhile, a été un refus du « Frexit » proposé par le Front National dont les Brexiters les plus acharnés souhaitaient la victoire. Les Français n’adhèrent peut-être pas à tout ce que fait l’Union, et c’est bien normal, mais ils ont clairement refusé l’aventure du « sonderweg », du « chemin solitaire » comme on dit en allemand. Plusieurs responsables du parti d’extrême droite en ont tiré la leçon : les électeurs ne voulant pas abandonner l’euro et donc sortir de l’Union, ils proposent de renoncer à cette partie du programme au risque de faire éclater leur formation.

Il est incontestable que le Brexit a joué le rôle de repoussoir et a réussi l’exploit d’unifier les Européens comme jamais. Car depuis un an la classe politique britannique fait la démonstration de son inconséquence, que ce soit celle qui a milité pour le leave que celle qui s’est battue pour le remain, mais a renoncé à se battre contre cette décision qui menace les intérêts britanniques, à l’exemple de Theresa May. Il est, de fait, désormais acquis qu’il n’y avait ni plan A, ni plan B, ni plan C comme le montre l’incapacité du gouvernement à entamer des négociations avec un plan de bataille clair. Les États de l’Union, pressés d’en finir, n’ont toujours aucune idée de ce que désire exactement Londres et de la façon dont elle va s’y prendre pour rompre les liens juridiques extrêmement complexes avec l’Union, car tissés depuis 44 ans.

Après la claque infligée au gouvernement May et au UKIP lors des élections anticipées, une partie des conservateurs évoquent même désormais un Brexit « soft » afin de tenir compte des souhaits des électeurs qui, en ne donnant pas une majorité absolue à leur parti, ont semblé refuser le « hard » Brexit proposé par Theresa May à l’heure où l’allié américain est devenu totalement imprévisible et où le monde n’a jamais paru aussi incertain depuis les années 30. Or, quelle est la différence entre le hard et le soft ? Si on comprend bien (mais je reste prudent vu la bouillie intellectuelle que semble être devenue la Grande-Bretagne), il s’agirait de rester dans l’union douanière voire dans le marché unique afin de ne pénaliser ni le commerce extérieur ni les entreprises. C’est soit a minima le « statut turc », celui de l’Union douanière, soit a maxima, le « statut norvégien », celui de l’Espace économique européen, ou Suisse (les accords bilatéraux).

Or, le statut turc implique de laisser l’Union conclure au nom de la Grande-Bretagne des accords de libre échange et le statut EEE revient à accepter toutes les règles du marché intérieur, y compris la libre circulation des travailleurs, la juridiction de la Cour de justice de l’Union européenne et même une contribution au budget de l’Union qui serait équivalente à ce qu’elle est aujourd’hui. Et le tout, sans avoir son mot à dire dans les textes négociés et adoptés à Bruxelles ! Là, on touche au sublime : le Brexit pourrait donc se résumer à simplement perdre son influence à Bruxelles, à renoncer à avoir voix au chapitre… En clair, abdiquer sa souveraineté sans bénéficier de la souveraineté partagée pour limiter la casse économique qui s’annonce. C’est ce qu’on appelle un suicide polico-diplomatique, surtout quand on songe à la place particulière qu’avait su se tailler le Royaume-Uni dans l’Union et à son influence à Bruxelles.

On comprend mieux dès lors que les citoyens du vieux continent n’aient pas envie de suivre l’exemple britannique. Et on comprend mieux aussi pourquoi toute l’Europe ricane devant le triste spectacle qu’offre le vieux lion essoufflé : Emmanuel Macron s’est même permis le luxe de rappeler à Theresa May, lors de sa visite à Paris, que « la porte de l’Union restait ouverte (à la Grande-Bretagne) tant que les négociations n’étaient pas achevées ». Mais si Londres décide de rester, elle ne retrouvera jamais la place qui était la sienne. Le ridicule a toujours un prix. Mais peut-être vaut-il mieux le payer que de suicider son pays ?

Categories: Union européenne

Euro: l'Odyssée grecque

Fri, 16/06/2017 - 11:01

La Grèce et l’euro, c’est une Odyssée qui débute en 1991. Retour sur une crise sans fin au lendemain d’un nouvel Eurogroupe qui a accordé un nouveau prêt de 8,5 milliards d’euros à ce pays.

- Quai d’Orsay, juin 1991

La scène se passe dans le bureau de Pierre de Boissieu, l’un des deux négociateurs français, avec Jean-Claude Trichet, alors directeur du Trésor, du traité qui va devenir le traité de Maastricht. Ce diplomate haut en couleur explique à quelques journalistes le mécanisme de passage à la monnaie unique qui ne s’appelle pas encore l’euro, mais l’écu. Il insiste sur le fait que les douze États membres de l’époque en deviendront tous membres. Un journaliste s’étonne : « mais la Grèce, vu l’état de son économie et de son administration publique, n’a aucune chance d’en faire partie ! » Réponse méprisante de Boissieu : « la Grèce, c’est notre club Méditerranée, on a les moyens de se la payer »… Il ne croyait sans doute pas si bien dire : vingt-six ans plus tard, la Grèce est certes bien membre de la zone euro, mais, comme c’était prévisible, elle est en faillite depuis 2010, administrée par ses partenaires et le Fonds monétaire international (FMI) et il a fallu lui prêter plus de 320 milliards d’euros…

- Santa Maria da Feira, juin 2000

La Grèce a loupé le premier train de l’euro : seuls onze pays se sont qualifiés, en juin 1998, pour faire partie de la monnaie unique lancée le 1er janvier 1999. Mais elle a déjà réussi à obtenir, en 1996, malgré le scepticisme allemand sur se capacité à rejoindre un jour les pays qualifiés, que le nom d’euro soit inscrit en lettres grecques sur les billets. En mars 2000, Costas Semitis, alors Premier ministre socialiste de Grèce, officialise la candidature de son pays à l’euro qui respecte la plupart des critères de convergence : même si sa dette est encore de 104 % du PIB, son déficit public n’est que de 1,3%. Réunis au Portugal pour un sommet, les quinze chefs d’État et de gouvernement de l’Union, dont Jacques Chirac et Lionel Jospin, donnent un feu vert à cette adhésion après les rapports enthousiastes de la Commission et de la Banque centrale européenne (BCE). La Grèce entre dans la zone euro le 1er janvier 2001, un an avant l’apparition de la monnaie fiduciaire. La presse européenne s’extasie sur « le miracle grec ».

- Athènes, septembre 2004

Un audit des finances publiques mené par le nouveau premier ministre conservateur, Konstantinos Karamanlis, révèle que les comptes publics ont été maquillés, le déficit public réel étant deux fois supérieur à celui affiché : 3,4 % en 1999 au lieu de 1,9 %, 4,1 % en 2000 au lieu de 2 %, 3,7 % en 2001 et 2002 au lieu de 1,4 %, 4,6 % en 2003 au lieu de 1,7 %, 5,3 % en 2004 au lieu de 1,2 % annoncés. Explication officielle : l’État a « omis » de comptabiliser des dépenses d’investissement militaire... Les partenaires d’Athènes ne réagissent pas, pas plus que la Commission, alors présidée par Romano Prodi, qui se contente de souligner que ce mensonge gravissime ne remet pas en cause sa qualification de la Grèce pour l’euro. L’exécutif européen propose simplement de donner des pouvoirs d’investigation à Eurostat, l’office européen de statistiques, une proposition que Berlin et Paris bloquent immédiatement par peur que l’on vienne fouiller dans leurs propres comptes…

- Berlin, février 2009

La crise financière de 2007-2008, et l’accroissement brutal de la dette publique qui en est résulté, a brutalement tendu les taux d’intérêt des pays les plus fragiles de la zone euro : jamais depuis le lancement de l’euro, les écarts de taux entre l’Allemagne et ses partenaires n’ont été aussi importants. En janvier 2009, alors que le bund allemand est à 2,90 % , le taux portugais atteint 4,19 %, le taux italien 4,41 %, le taux irlandais 4,62 % et le taux grec 5,34 %, soit un écart de 244 points de base, ce qui est faramineux ! Le message est clair : les marchés doutent de la solvabilité de certains pays et parient sur l’éclatement de la zone euro. Paris, Berlin, la Commission et la Banque centrale européenne comprennent immédiatement la gravité de la situation. En marge d’un G7 finances au Canada, ils se concertent afin de mettre au point leur réaction. L’Italie qui est tenue à l’écart pour des raisons de confidentialité n’apprécie pas. Il est convenu que l’Allemagne, en grande coalition entre la CDU-CSU et le SPD, va envoyer un signal aux marchés. En février, le social-démocrate Peer Steinbrück, déclare, — après avoir jugé que les spéculations d’un éclatement de la zone euro étaient « absolument absurdes » — que si « certains pays rencontraient progressivement des difficultés avec leurs paiements » de la dette, « nous nous montrerions en capacité d’agir pour stabiliser ces pays ». Vendredi, il a remis le couvert pour être certain d’être bien compris des marchés : « les traités de la zone euro ne prévoient aucune aide en faveur de pays devenus insolvables, mais en réalité les autres États seraient obligés de secourir ceux qui rencontrent des difficultés ». Et d’appeler à une « démarche commune » des pays européens. Le message est reçu et les marchés se calment

- Luxembourg, octobre 2009

« Je suis très impressionné par le décalage » entre les anciens et les nouveaux chiffres du déficit public grec, s’exclame Jean-Claude Juncker, le Premier ministre luxembourgeois et président de l’Eurogroupe, à l’issue d’une réunion des ministres des Finances de la zone euro qui a eu lieu dans la capitale du Grand Duché. Le gouvernement conservateur sortant avait en effet annoncé un déficit de 6 % en 2009, mais le nouveau premier ministre socialiste de George Papandreou, qui a gagné les élections qui ont eu lieu au début du mois, annonce un déficit de 13 %. Il s’avèrera, au bout de quelques mois, que le chiffre réel est de 15,3% avec une dette de 134,6 %... En chiffre absolu, cela signifie que ce pays de 11 millions d’habitants dépense 36,3 milliards d’euros de plus qu’il ne dispose de revenus ! La Grèce loin de profiter des bas taux d’intérêt pour investir a au contraire dépensé sans compter pour soutenir la consommation : par exemple, les salaires des fonctionnaires ont augmenté de 126 % entre 2000 et 2009.

Les Européens pensent que cette répétition de l’épisode de 2005 n’aura pas de conséquence spéciale. Après tout, la Grèce, 2 % du PIB de la zone euro, est l’enfant turbulent de la classe et tout le monde le sait. Mais les circonstances sont totalement différentes : la crise financière de 2007 est passée par là, les marchés sont inquiets, l’endettement des États a explosé ce qui rend centrale la question de leur solvabilité et surtout les élections allemandes de septembre 2009 ont accouché d’une coalition entre la CDU et les libéraux du FDP qui sont opposés à toute solidarité financière entre les États. Pas question donc de répéter les assurances de Peer Steinbrück. Ce sont les réticences de Berlin qui vont précipiter la crise : en dépit des assurances répétées des chefs d’État et de gouvernement, notamment lors de leur somme de février et de mars 2010, en dépit des engagements d’Athènes d’adopter une politique d’austérité, les taux d’intérêt exigés par les marchés pour prêter à la Grèce s’envolent (350 points de base de plus que le bund allemand), l’étouffant petit à petit. Il faut dire que la zone euro se contente de mots, aucun plan crédible et chiffré n’étant mis sur la table à cause de l’opposition allemande. En mars 2010, le ministre des Finances Wolfgang Schäuble et la chancelière Angela Merkel évoquent même la possible exclusion de la Grèce de l’euro. C’est l’hallali.

- Ile de Kastelorizo, 23 avril 2010

Sur fond de mer bleue et sous le soleil des Cyclades, George Papandreou demande officiellement l’aide financière de ses partenaires : la Grèce n’a plus accès aux marchés financiers et est donc menacée d’un défaut de paiement si elle ne trouve pas rapidement de l’argent frais : 10 milliards avant le 19 mai. Sur les marchés, c’est la débandade : en quelques jours, la Grèce devient l’un des pays les plus risqués de la planète pour les marchés.

- Bruxelles, mai 2010

« Les mouvements sur les marchés étaient devenus incontrôlables, je n’avais jamais vu ça », confiera plus tard Jean-Claude Trichet, le patron de la BCE. Le monde entier panique : le président américain Barack Obama appelle même Angela Merkel pour qu’elle assouplisse sa position. Finalement, les ministres des Finances de la zone euro décident, le 2 mai, d’accorder 80 milliards d’euros à la Grèce sur trois ans sous forme de prêts bilatéraux, mais à des taux jugés « punitifs », auxquelles s’ajoutent 30 milliards d’euros prêtés par le FMI. En échange, Athènes doit appliquer un plan d’austérité particulièrement salé, le troisième depuis janvier… Cela ne suffit pas, car d’autres pays de la zone euro sont jugés fragiles par les marchés : la panique s’étend, menaçant l’euro lui-même. Une semaine plus tard, les ministres des Finances créent le Fonds européen de stabilité financière (FESF) doté de 500 milliards d’euros auxquels le FMI prêtera main-forte à hauteur de 220 milliards d’euros. La BCE, qui a décidé de s’affranchir des notations des agences privées, intervient massivement sur les marchés, y compris en rachetant de la dette des États attaqués, ce qui est une révolution, pour ramener le calme.

- Bruxelles, octobre 2010

La zone euro va rallumer la crise en annonçant qu’à l’avenir les dettes publiques d’un pays en crise pourront être restructurées. Une grossière erreur : comme elle s’est portée, dès le début de la crise financière, garante des dettes des banques afin d’éviter leur faillite, elle donne le signal d’un endettement sans frein sur les marchés. Or, en ne garantissant pas les dettes des États, cela signifie que les investisseurs risquent d’y laisser leur chemise. Logiquement, ils demandent donc une prime de risque aux États les plus faibles, ceux qui sont jugés trop fragiles pour sauver leurs banques… Le Portugal et l’Irlande vont devoir à leur tour faire appel à l’aide européenne.

- Bruxelles, février 2012

La Grèce n’est toujours pas sortie d’affaire : les réformes votées par le Parlement hellène ne sont pas ou mal appliqué et le pays n’est pas en état de revenir sur les marchés. Un nouveau plan de sauvetage est décidé par la zone euro, après les 110 milliards du printemps 2010 : 130 milliards sur trois ans auxquels s’ajoute une restructuration de la dette publique. Le secteur privé se prend une paume de 115 milliards d’euros. En juin, l’Union décide de lancer l’Union bancaire, ce qui, avec la création du Mécanisme européen de stabilité (MES) qui prend la succession du FESF inverse la causalité instituée entre 2007 et 2010. À l’avenir, les banques devront prendre leurs pertes alors que les dettes publiques sont enfin garanties. En juillet 2012, Mario Draghi met le point final à la crise de la zone euro en annonçant que la BCE fera « tout ce qui est nécessaire » pour défendre la monnaie unique. Désormais, on mettra du temps à s’en apercevoir, il n’y a plus qu’un problème grec. Fin 2012, la zone euro restructure la dette de 200 milliards d’euros qu’elle détient sur la Grèce : elle diminue ses taux d’intérêt, allonge les maturités à 30 ans en moyenne et décrète un moratoire jusqu’en 2023 sur le paiement des intérêts.

- Athènes, janvier 2015

Syriza, le parti de gauche radicale, gagne les élections législatives anticipées (d’un an) convoquées par le Premier ministre conservateur, Antonis Samaras. À la fin du printemps 2014, il a cru son pays sorti d’affaires : les taux d’intérêt diminuaient rapidement et plusieurs émissions de dettes à court terme avaient été des succès. Les banques grecques, après leur recapitalisation financée par la zone euro, étaient de nouveau d’aplomb et le budget de l’État était en excédent primaire (hors charge de la dette). Surtout le pays avait enfin renoué avec la croissance (+ 0,8 %), ce qui commençait à se traduire par une réduction du chômage. Pour 2015, les institutions grecques, européennes et internationales misaient sur une croissance comprise entre 2,5 % et 3 % du PIB, le plus fort taux de la zone euro. Samaras, sûr de son fait, renonce à présenter un programme de réformes comme il s’y était engagé. En particulier, il s’oppose aux demandes du FMI et de la zone euro qui, avant de verser la dernière tranche d’aide du second plan (7,2 milliards d’euros), veulent obtenir une réforme d’un régime de retraite insoutenable au regard de la natalité et des moyens du pays (16 % du PIB), une augmentation de la TVA et une réforme du marché du travail. En clair, il donne le signal que le temps des réformes est terminé et que tout va redevenir comme avant, clientélisme, populisme, dépenses non financées compris. À partir du mois de novembre 2014, les taux d’intérêt grecs flambent à nouveau sur le marché secondaire et la bourse s’effondre, les marchés estimant que le pays n’est pas prêt à voler de ses propres ailes. Samaras joue son va-tout en convoquant des élections et perd. L’arrivée au pouvoir d’un parti qui a promis la fin de l’austérité achève de ramener la panique sur les marchés. Athènes a donc de nouveau besoin de financement. Mais le gouvernement d’Alexis Tsipras va surestimer ses forces et la peur de ses partenaires devant un Grexit : la zone euro de 2015 n’est plus celle de 2010.

- Bruxelles, février 2015

« Ça se passe lors d’une réunion, le 16 février, entre Jeroen Dijsselbloem, moi-même et le ministre grec, en l’occurrence Yanis Varoufakis », raconte Pierre Moscovici, le commissaire aux affaires économiques et financières. » Varoufakis a tenté de m’opposer à Dijsselbloem en laissant filtrer un document qu’il a appelé le plan Moscovici, mais qui n’était pas le plan Moscovici, qui était un document qui sortait du 13e étage de la Commission (là où se trouve le bureau du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, NDA), qui était une contribution, qui était bien sûr passé par la moulinette de l’Eurogroupe. Mais il y avait 2 papiers : un papier de la Commission daté de la veille et un papier préparé par les services de l’Eurogroupe qui était différent. On est entré dans cette réunion et il y a eu un moment de tension physique entre Dijsselbloem et Varoufakis, ils ont failli se battre. Ils se sont accusés d’être des menteurs. J’ai dû m’interposer. Je les ai pris un moment donné, ils ne se seraient pas battus vraiment, comme ça, physiquement, en les écartant, pour essayer en même temps de les rapprocher. J’ai réussi à les écarter, mais je n’ai pas réussi à les rapprocher. D’ailleurs à partir de ce moment-là ils ne se sont plus jamais parlé en vérité ».`

Une anectode qui montre l’ampleur des tensions entre Syriza et ses partenaires européens. Le 24 février la zone euro accepte la prolongation du programme d’assistance financière jusqu’au 30 juin, 30 % du programme de réformes étant revu pour tenir compte de ses priorités. Mais au lieu de le mettre rapidement en musique, le gouvernement grec fait le mort jusqu’au mois de juin en espérant, manifestement, qu’à l’approche de l’échéance du 30 juin, la zone euro, effrayée par les conséquences d’un « Grexit », reverrait ses exigences à la baisse. C’est l’exact contraire qui se passe : de l’agacement, les partenaires d’Athènes passent à l’énervement puis à la colère contre un partenaire qui ne comprenait pas la gravité de sa situation. Mais, entre le 18 et le 25 juin, après un sommet de la zone euro et plusieurs Eurogroupes, Tsipras semble revenir à la raison: un paquet comprenant un programme de réformes, un plan d’investissement, une nouvelle aide financière et une discussion sur une restructuration de la dette grecque est en passe d’être conclu. Mais dans la nuit du 26 au 27, le Premier ministre grec prend tout le monde par surprise en annonçant un référendum pour la semaine suivante portant sur un texte de compromis daté du 25 juin et non celui, plus favorable, du 26. Tsipras fait plonger l’économie de son pays, déjà plombée par cinq mois d’incertitudes politiques : pour que la BCE continue à fournir des liquidités aux banques grecques, il n’a eu d’autres choix que de fermer les banques (jusqu’au 20 juillet) et d’établir un contrôle des capitaux dès le 29 juin pour éviter que les Grecs vident leurs comptes.

- Grèce, juillet 2015

Le référendum se solde par un plébiscite personnel pour Tsipras, le non l’emportant par plus de 61 %, à sa grande surprise d’ailleurs : l’appel à voter oui des leaders ND et PASOK, totalement décrédibilisés, a joué en sa faveur. Cette victoire lui permet, dans la foulée, de se débarrasser de l’encombrant Varoufakis. Surtout, il continue à plaider pour l’épreuve de force quitte à risquer le Grexit. Or, comme l’expliquera Tsipras à la télévision le 14 juillet suivant, il a demandé en mars une étude sur les conséquences pour son pays d’une sortie de la zone euro : cela l’a convaincu que ce n’était pas une option, sauf à prendre le risque d’un soulèvement du peuple qui ne l’a pas élu pour ça. Et les fantasmes, entretenus par l’aile gauche de Syriza, d’une aide russe, chinoise ou vénézuélienne se sont dissipés : personne, en dehors de la zone euro, n’a les moyens financiers de sauver la Grèce…

Tsipras s’imagine que sa victoire lui donnera des marges de manœuvre vis-à-vis des Européens. Erreur. Le sommet de la zone euro, qui se réunit le 7 juillet, lui signifie brutalement que, faute de nouvelles propositions sérieuses pour la fin de la semaine, ce sera le Grexit de fait. En cas d’échec, un sommet à 28 est même convoqué pour le 12 juillet afin de dégager une aide humanitaire pour la Grèce. C’est la fin de partie pour Athènes. Faute de plan B sérieux, Tsipras comprend enfin qu’il est déjà au-dessus du précipice et il décide donc de préparer dans l’urgence, avec l’aide de la Commission et de la France, un programme de réformes qui ressemble comme deux gouttes d’eau au compromis du 26 juin, programme qu’il fait adopter par son Parlement lors d’une séance dramatique le vendredi 10 juillet, la veille d’un nouvel Eurogroupe.

Mais ses partenaires ne veulent pas qu’il s’en sorte à si bon compte : si la Grèce veut rester dans la zone euro, ce sera à leur prix, pas au sien. En clair, les compromis du 25 et du 26 juin ne sont plus d’actualité. À l’issue d’un sommet des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro dramatique, quinze pays étant même en faveur du Grexit, le 13 juillet au matin, le Premier ministre grec doit capituler en rase campagne : ce qu’il accepte fait ressembler le compromis du 25 juin rejeté par référendum à une aimable promenade de campagne. En particulier, avant même de commencer à négocier le troisième plan d’aide, la zone euro exige que son Parlement adopte une série de réformes : privatisations, hausse de la TVA et des cotisations sociales, transposition de la directive sur la résolution des crises bancaires, nouveau code de procédure civile, réforme des retraites… Ce qui est fait les 16 et 22 juillet. En échange, il recevra une nouvelle aide de 86 milliards d’euros.

- Grèce, septembre 2015

Amputée de son aile d’ultra gauche, Syriza gagne les élections anticipées avec 35 % des voix, soit à peu près le score qu’il avait enregistré en janvier 2015, en dépit de sa capitulation de juillet.

- Luxembourg, juin 2017

La Grèce a reçu 8,5 milliards d’euros (second décaissement du troisième plan) pour éviter la faillite qui menace toujours. L’accord ne faisait guère de doute, l’Allemagne n’ayant aucune envie qu’une nouvelle crise grecque éclate avant ses élections de septembre.

À Bruxelles, on estime que Tsipras joue désormais le jeu : les réformes sont non seulement votées, mais appliquées sur le terrain ce qui est nouveau. La situation économique s’améliore lentement, le déficit public est limité à 1 % du PIB, ce qui laisse espérer un retour sur les marchés en juillet 2018 comme prévu. Alors que l’Irlande, le Portugal et Chypre sont tous sortis du programme d’assistance européen après trois ans, comme prévu, la Grèce reste une épine dans le pieds de la zone euro. Car ses partenaires et le FMI ont mis longtemps à comprendre la gravité de la crise grecque, qui plonge ses racines dans les structures d’un État et d’une économie dignes d’un pays sous-développé, et ont préconisé des remèdes inadéquats : réformes mal calibrées et non appliquées, coupes brutales dans le budget de l’État (la Grèce va devoir faire sa quatorzième réforme des retraites en sept ans avec une baisse moyenne de 14% des pensions), sous-estimation des effets récessifs des réformes demandées qui ont abouti à faire perdre à la Grèce 27 % de son PIB depuis 2010 sans que la machine redémarre. Reste la question de la dette détenue par la zone euro : pour y faire face, l’Allemagne exige que l’excédent primaire de la Grèce qui doit atteindre 3,5 % en 2018 soit prolongé pendant 10 ans, ce que ses partenaires jugent impossible. La Commission propose plutôt 2 % sur 10 ans en tenant compte de la croissance économique. Quant à la France, elle suggère d’indexer le remboursement de la dette sur la croissance. eaucoup estiment qu’on n’échappera pas à une restructuration de la dette pour permettre à la Grèce de prendre enfin son envol.

N.B.: version longue de mon article paru dans Libé du 15 juin

Categories: Union européenne

Brouillard sur le Brexit

Wed, 14/06/2017 - 18:56

Le goût des conservateurs pour les aventures malheureuses laisse pantois les partenaires de Londres : presque un an après le hasardeux référendum du 23 juin 2016 qui a donné la victoire au Brexit, ils ont eu droit au coup de poker perdu de Theresa May… Si le résultat de ces législatives anticipées du 8 juin ne remet pas en cause la sortie du Royaume-Uni de l’UE, les conditions dans lesquelles elle se passera deviennent incertaines, Theresa May n’ayant pas obtenu «le mandat fort et clair» qu’elle demandait pour négocier un «hard Brexit». Or l’horloge tourne : les négociations, qui doivent officiellement commencer le 19 juin (rendez-vous confirmé par la Première ministre) devront être terminées d’ici au 29 mars 2019 à minuit, sinon le Royaume-Uni sautera dans le vide.

Une telle hypothèse prend corps puisqu’il «y a une tension entre le message populaire, qui n’est pas favorable à une rupture totale avec l’Union, et le résultat des élections, qui va faire dépendre la survie du gouvernement May des franges les plus extrémistes du Parti conservateur», observe un diplomate français de haut rang. «C’est totalement paradoxal : les citoyens sont contre un hard Brexit, mais ils ont renforcé les tenants du hard Brexit», ajoute-t-il. Theresa May va donc aborder les négociations avec l’Union européenne dans une position de très grande faiblesse. «On est suspendu à ce qui va se passer à Londres, confie un diplomate européen. Quelles leçons la Première ministre va-t-elle tirer de ces élections ?» A Bruxelles, on craint qu’elle devienne encore plus imprévisible qu’elle ne l’était en changeant sans cesse de ligne en fonction des rapports de force internes. Car elle s’est placée elle-même dans une seringue : «Si elle se montre trop laxiste, elle perdra le soutien des durs de son parti. Mais si elle se montre trop dure, elle n’aura pas de majorité au Parlement, les travaillistes et les Ecossais voulant garder autant que se peut les avantages du marché unique», ajoute un autre diplomate. Surtout, «elle a perdu l’élément de chantage qu’elle avait sur l’Union en menaçant, si on ne faisait pas droit à ses exigences, de transformer son pays en paradis fiscal et social. Or les Britanniques ont montré qu’ils ne voulaient pas d’un démantèlement de l’Etat social et nous le savons tous», analyse ce fin connaisseur des enjeux du Brexit.

On se demande aussi à Bruxelles comment Theresa May va parvenir à se débarrasser de la promesse imprudente qu’elle a faite en s’engageant à régler le statut futur du Royaume-Uni vis-à-vis de l’Union avant la conclusion des négociations sur le Brexit, ce que refusent les Européens. «Si elle a convoqué ces élections anticipées, c’était aussi pour se donner deux ans de plus, jusqu’en 2022, pour conclure un accord de libre-échange après le Brexit, car elle sait que c’est impossible d’ici à 2019. Mais pour ça, il lui fallait une majorité à sa main, ce qu’elle n’a pas obtenu», s’amuse un diplomate français de haut rang, qui se demande comment la locataire du 10, Downing Street va parvenir à se sortir de ce piège. Car s’il n’y a aucun accord sur le statut futur du Royaume-Uni, la Chambre des communes risque de retoquer le résultat des négociations. Si résultat, in fine, il y a… Bref, comme le résume Manfred Weber, le président du groupe PPE (conservateur) au Parlement européen, May «voulait de la stabilité, mais elle a plutôt apporté le chaos à son pays».

A Paris, on ne dit pas vraiment autre chose : «On sait que le résultat des négociations sera mauvais pour le Royaume-Uni, mais on peut divorcer soit de manière ordonnée - c’est-à-dire en donnant au pays des périodes de transition nécessaires afin de limiter les effets négatifs du Brexit -, soit de manière désordonnée. Et là ça fera très très mal.» A la Commission européenne de Bruxelles, on se demande si les autorités britanniques ont vraiment pris la mesure des défis qui les attendent, à la fois pour transposer dans leur droit l’ensemble de la législation communautaire, ce qui imposera, par exemple, de créer toute une série d’autorités qui n’existent pour l’instant qu’au niveau européen, mais aussi pour ménager les intérêts de leurs entreprises. Or Theresa May vient de faire perdre deux mois précieux à son pays, puisqu’il ne s’est rien passé depuis le 29 mars, date à laquelle elle a activé l’article 50 du traité sur la sortie de l’UE. Et face à elle, le bloc des Vingt-Sept n’a jamais été aussi uni, et uni sur une ligne dure. L’avenir du Royaume-Uni s’est donc un peu plus assombri jeudi.

N.B.: article paru dans Libération du 10 juin

Categories: Union européenne

Vers l'armée européenne?

Thu, 08/06/2017 - 09:23

Cette fois-ci, c’est la bonne, jurée ! La Commission a présenté aujourd’hui un document sur « l’avenir de la défense européenne » visant à enfin doter l’Europe de forces militaires dignes de ce nom. Preuve de sa détermination à sortir d’un statu quo mortifère à l’heure où les États-Unis renouent avec l’isolationnisme d’avant-guerre et où la Russie se montre menaçante, elle a mis sur la table du Conseil des ministres, l’instance où siège les gouvernements, une proposition de règlement créant un « Fonds européen de la défense » destiné à encourager la recherche militaire sur le plan européen puis, à terme, le développement et l’acquisition de systèmes d’armes européens.

Le budget prévu est de 5 milliards par an à partir de 2020 auquel s’ajouteraient des instruments financiers destinés à faciliter l’acquisition de matériels.L’air de rien, en proposant de financer sur fonds communautaire une politique industrielle militaire, la Commission s’attaque à un sacré tabou : il faut se rappeler qu’au début du siècle, la plupart des États avaient exigé que Galileo, le système de GPS de l’Union, n’ait aucune finalité militaire de peur de faire de l’ombre à l’OTAN et à l’Oncle Sam.

Pour Bruxelles, il est temps de se faire une raison : l’Union ne peut plus compter sur l’OTAN et ses alliés anglo-américains pour assurer sa défense, après le Brexit et l’élection de Donald Trump. Les citoyens en ont pris conscience et font d’ailleurs de la sécurité intérieure et extérieure l’une de leurs principales préoccupations, près de 80 % d’entre eux souhaitant une « défense européenne ». Or, après le départ de Londres, la seule armée crédible, capable de se projeter à l’étranger et surtout d’y combattre, resteral’armée française. Mais elle aura le plus grand mal à maintenir son rang au cours des prochaines années, les contraintes budgétaires risquant de l’empêcher d’acquérir de nouveaux matériels, de plus en plus coûteux, pour remplacer ceux qui arrivent en fin de vie. Le seul moyen de permettre à l’Europe d’assurer sa défense est donc, selon la Commission, de mutualiser ses moyens qui sont loin d’être ridicules : les Vingt-huit dépensent 227 milliards d’euros pour leur défense, soit la moitié des 545 milliards d’euros des Américains, mais ne sont actuellement capables que de mener 15 % des missions américaines (40.000 soldats, soit 3 % du total, pourraient aujourd’hui être déployés)… La faute à la redondance : chaque armée nationale veut disposer de ses propres centres de recherche et de l’ensemble des moyens, ce qui aboutit à une déperdition en ligne. Ainsi, l’Union totalise 178 types d’armements contre 30 aux États-Unis, 20 modèles d’avions de chasse contre 6, 29 navires de guerre contre 4 et 17 chars de combat contre un. Sans parler de son retard massif dans les armes du futur comme les drones ou le cyberespace.

En outre, beaucoup de pays européens ont pris l’habitude d’acheter du matériel américain sur étagère, c’est-à-dire déjà largement amorti sur le marché intérieur américain et donc moins cher, au détriment de systèmes européens : il n’existe aucune préférence communautaire pour les marchés publics et encore moins dans le domaine militaire. Il est vrai aussi que les États-Unis proposent de larges compensations industrielles et, surtout, utilisent l’OTAN comme vecteur pour imposer leurs armements. Il ne faut pas non plus sous-estimer le fait qu’ils forment une grande partie des élites militaires européennes qui ensuite n’ont qu’une idée en tête, acheter américain. C’est ainsi que l’armée néerlandaise, formée à West Point, avait, au milieu des années 90, préféré l’hélicoptère Apache au Tigre franco-allemand, pourtant bien plus performant. Enfin, les États unis, pour saper toute velléité européenne de se lancer dans une défense européenne ont réussi à convaincre une partie des États européens (Grande-Bretagne, Italie, Pays-Bas) de participer au financement du désastreux F35, un avion de chasse de cinquième génération, qui a siphonné une partie des budgets militaires. Ce nationalisme militaire qui empêche toute mutualisation des recherches, des programmes et des achats a un coût compris entre 25 et 100 milliards d’euros, selon la Commission.

C’est donc en partant des armements du futur que la Commission propose de commencer, en allant au-delà des quelques programmes intergouvernementaux existants (avion de transport militaire A 400M, hélicoptères de combat et de transport franco-allemand, etc.): l’idée même de créer ex nihilo et immédiatement une « armée européenne » fait parti des rêves fumeux, tant les priorités, les conceptions stratégiques ou les capacités sont différentes d’un pays à l’autre, personne, en dehors des Américains, n’étant capable de combler les trous béants existants (par exemple sur le plan logistique). Si déjà, chacun se spécialisait dans quelques domaines, si les systèmes d’armement étaient compatibles et interopérables, des opérations conjointes et autonomes de l’OTAN et donc des États-Unis pourraient à terme être lancées. Mais il ne s’agira nullement d’une « armée européenne » dotée d’un même uniforme et d’un commandement unique.

Si elle avait dû exister, c’est juste après la guerre qu’elle aurait dû être créée, alors que l’OTAN était balbutiante et les armées européennes détruites. Mais la France a rejeté, en août 1954, le traité de 1952 créant une communauté européenne de défense (CED), interdisant jusqu’à aujourd’hui tout intervention de l’Union dans le domaine militaire. Les tentatives de relance, tant franco-britannique qu’européenne, ont échoué. Ainsi, en 1999, l’Union s’était engagée à créer avant 2003 une force d’intervention rapide dotée de 50 000 à 60 000 hommes capable de se déployer en trois mois pendant un an. Elle est toujours dans les limbes.

Mais même une meilleure intégration des armements ne signifie nullement que l’Union deviendra une puissance militaire : il n’existe actuellement aucune vision commune de ce que doit être une puissance européenne pas plus que de ses intérêts extérieurs. Beaucoup de pays n’imaginent l’Europe que comme une grande Suisse, commerciale et en paix avec le monde entier. Autrement dit, il faudra bâtir en même temps une politique étrangère et surtout définir une doctrine d’emploi de la force. On n’y est pas, loin de là. La Commission l’envisage certes dans son document de réflexion, mais comme une hypothèse lointaine qui serait le couronnement d’une lente convergence des cultures nationales.

En même temps, l’Union ne doit pas tomber dans le piège américain qui réduit le pouvoir à la force militaire, c’est-à-dire au « hard power ». Or l’influence peut s’exercer de bien d’autres manières, la guerre étant souvent un échec, comme on le voit en Afghanistan, en Irak ou en Syrie. L’Union est ainsi la première pourvoyeuse d’aide au développement, un élément essentiel du « soft power », tout comme le commerce ou l’exportation de normes juridiques (ce qui a permis une transition démocratique en Europe de l’Est). Mieux vaut prévenir les guerres que de les entretenir.

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L'Europe au pied du mur de l'isolationnisme américain

Mon, 05/06/2017 - 19:09

Brouillard sur la Manche et l’Atlantique, l’Europe est isolée. Après le Brexit et l’élection de Donald Trump, les alliés anglo-américains du vieux continent, ceux qui l’ont sauvé à deux reprises de l’impérialisme allemand et qui, depuis, garantissent sa sécurité et donc sa prospérité, ont baissé le rideau de fer et se réfugie désormais dans un splendide isolement. Angela Merkel l’a reconnu officiellement, dimanche 28 mai, après deux réunions houleuses (sommet de l’OTAN, à Bruxelles, et G7 à Taormina, en Italie) au cours desquels le président américain a donné toute sa mesure.

« Les temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d’autres sont en partie révolus. Je l’ai vécu ces derniers jours », a-t-elle lancé. « Bien sûr, nous devons rester amis avec les États-Unis, le Royaume-Uni, en bons voisins, là où cela est possible, ainsi qu’avec la Russie. Mais nous devons le savoir : nous devons lutter nous-mêmes, en tant qu’Européens, pour notre avenir et notre destin », a insisté la chancelière allemande, ce qui implique que l’Europe devienne « un acteur qui s’engage à l’international », comme elle l’a précisé deux jours plus tard. Des mots qui font échos à ceux de Gérard Araud, l’ambassadeur de France à Washington qui, le jour même de la victoire de Trump, a tweeté : « Après le Brexit et cette élection, tout est désormais possible. Un monde s’effondre devant nos yeux. Un vertige ». Si les autorités politiques hexagonales, que ce soit sous l’administration de François Hollande ou celle d’Emmanuel Macron, ont évité d’étaler au grand jour leur désarroi, elles ne cachaient pas en privé leurs inquiétudes qui se sont concrétisées lors de la tournée européenne de Donald Trump. Le quotidien américain New York Times, en titrant au lendemain de la sortie de Merkel : « un potentiel tournant sismique » (« a potentially seismic shift ») ne s’est pas trompé sur l’importance des mots de la chancelière, Berlin étant l’un des plus fidèles alliés des États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Que ce soit sur le plan des valeurs, de la défense, de la politique commerciale ou du climat, après la dénonciation de l’accord de Paris, jamais le fossé transatlantique n’a été aussi grand, Washington se montrant même infiniment plus accorte avec l’Arabie Saoudite qu’avec ses alliés européens. Certes tout n’est pas faux dans les critiques de Donald Trump, en particulier lorsqu’en s’en prend aux monstrueux excédents commerciaux allemands (« bad, very bad », a-t-il dit la semaine dernière), qui sont un problème grave pour l’Europe elle-même. Mais sa volonté de faire prévaloir à tout prix ce qu’il perçoit comme les intérêts américains menace l’équilibre du monde, privé de son gendarme à l’heure où la Russie a renoué avec ses pulsions impériales et où le terrorisme islamique menace les démocraties, et de l’occident en particulier, orphelin du leadership et du parapluie militaire américain.

Face à ce vide planétaire, il y a donc une place à prendre. Aucun pays européen seul ne pouvant même imaginer jouer ce rôle, l’Union peut y prétendre. Première puissance économique et commerciale du monde, première pourvoyeuse d’aide au développement, exportatrice de normes et de valeurs, espace de paix, de prospérité et de solidarité (elle concentre la moitié des dépenses sociales de la planète), elle n’est néanmoins pas en mesure de le faire dans l’immédiat, faute de compétences régaliennes notamment dans les domaines de la défense, de la politique étrangère ou de la sécurité intérieure : cette confédération inachevée d’Etats n’a pas les moyens de son leadership. C’est exactement ce qu’a voulu dire la chancelière : si l’Union n’accélère pas son intégration, elle sera vouée à être le jouet des évènements, la puissance ne se résumant à la signature d’accords commerciaux. Elle prépare donc son opinion publique à un tournant majeur dans sa politique européenne : le temps des réticences, notamment alimentées par la peur fantasmée de payer pour les autres, est terminé. Berlin est prête à aller plus loin.

Cette nouvelle donne valide la campagne d’Emmanuel Macron. Le jeune chef de l’État a, en effet, fait de l’approfondissement de l’intégration européenne l’alpha et l’omega de son action : remettre la France sur les rails de la croissance économique pour lui permettre de relancer l’Union. Même si l’Allemagne doute encore de la parole française, elle n’a d’autres choix que de la croire et de l’encourager. Merkel a ainsi souhaité, dimanche, le succès d’Emmanuel Macron en promettant de lui donner un coup de pouce : « Là où l’Allemagne peut aider, elle aidera, parce que l’Allemagne ne peut aller bien que si l’Europe va bien ». Le message est clair : si Paris maintient le cap de la réforme, ce qui devrait être facilité par la bonne conjoncture économique, Berlin répondra présent. Reste à savoir ce qu’elle entend précisément par « aide » : ira-t-elle jusqu’à relancer ses investissements publics et encourager les hausses salariales afin de réduire le déséquilibre de sa balance des paiements afin de donner de l’air à ses partenaires ? Même si elle a déjà décidé d’augmenter son effort de défense afin d’atteindre à terme le plancher de 2 % du PIB (1,2 % actuellement), on peut avoir quelques doutes, du moins tant que Wolfgang Schäuble, l’inflexible ministre des Finances, sera en poste. Il faudra attendre la formation du futur gouvernement, après les élections législatives de septembre, pour y voir plus clair.

Petit à petit, c’est donc un nouvel ordre européen qui se met en place. La percée des partis démagogues a été stoppée après le Brexit, les Français ont dit non au « Frexit » en élisant le plus européen des candidats, Angela Merkel est enfin sortie de son attentisme, le couple franco-allemand est remis d’aplomb et les Européens prennent conscience des dangers de l’immobilisme. Les chantiers sont nombreux et urgents : achèvement de la zone euro (lire ci-contre), mise en place d’une défense européenne (sans doute d’abord industrielle et franco-allemande) et d’une politique commune d’asile et d’immigration, développement de la sécurité intérieure pour lutter contre le terrorisme, remise à plat de l’architecture de l’Union pensée pour empêcher l’émergence de tout leadership... Au fond, on a presque envie de dire : merci, M. Trump !

N.B.: version longue de mon analyse parue le 1er juin.

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Réforme de la zone euro: la boite à outils de la Commission européenne

Mon, 05/06/2017 - 18:36

REUTERS/Nacho Doce

L’euro a résisté à la crise de 2010-2012, mais à quel prix ! Une récession économique prolongée, des politiques d’austérité sans précédent appliquées à la Grèce, au Portugal, à l’Irlande, à Chypre et à l’Espagne en échange d’une aide financière. Pour faire face à ce tsunami venu des États-Unis qui a déstabilisé la monnaie unique, les Européens ont dû bricoler dans l’urgence afin de renforcer les fondations de leur maison commune. La Commission européenne estime qu’il y a urgence à achever les travaux avant la prochaine crise : hier, elle a rendu publiques ses propositions sur « l’approfondissement de l’union économique et monétaire », un document de 48 pages qui tombe au meilleur moment politique : Brexit, isolationnisme américain, menaces russes, élection d’Emmanuel Macron. Voici l’essentiel de ses propositions qu’elle souhaite voir adopter entre 2019 et 2025.

· L’Union bancaire et l’Union financière

La première urgence, d’ici à 2019, est d’achever « l’Union bancaire » afin de briser les derniers liens entre dettes bancaires et finances publiques, ces dernières ayant dû éponger les pertes des banques. Si, désormais, les principaux établissements sont placés sous la surveillance unique de la Banque centrale européenne et l’ordre de responsabilité en cas de faillite bancaire est précis (actionnaires, créanciers, déposants et seulement ensuite contribuables), deux éléments importants ne sont toujours pas en place à cause du refus allemand : le « système européen d’assurance des dépôts » (les fameux 100.000 € garantis aux déposants en cas de faillite) et le soutien budgétaire au « Fonds de résolution unique » (FRU)destiné à financer la restructuration des banques. Ce dernier est pour l’instant alimenté par le seul secteur bancaire et est donc insuffisant en cas de crise grave. L’exécutif européen milite pour que le Mécanisme européen de stabilité (MES,) un fonds doté d’une capacité d’emprunt de 700 milliards d’euros chargé d’aider les pays attaqués par les marchés, serve de garanti au FRU, ce qui lui donnerait une crédibilité sur les marchés qui lui fait défaut pour le moment. Après la défection britannique, Bruxelles estime tout aussi urgent de mettre en place une « union des marchés des capitaux » dans la zone euro afin de permettre aux acteurs économiques de se financer plus facilement sur les marchés au lieu de recourir (très difficilement en période de crise) aux emprunts bancaires.

· Le budget de la zone euro

La Commission est favorable à la création, d’ici à 2025, d’une « capacité budgétaire de la zone euro », financée par des recettes stables (une partie de l’impôt sur les sociétés ou de la TVA, par exemple), qui pourrait avoir trois fonctions : soit garantir le maintien du niveau d’investissement public en cas de ralentissement de la croissance, ce budget étant le premier à être coupé, soit abonder un « fonds de réassurance » des régimes nationaux d’assurance chômage afin de soulager les budgets en période de crise, soit, enfin, servir de caisse de secours aux Etats en cas de choc asymétrique. Elle pourrait avoir recours à l’emprunt, ce qui permettrait à la zone euro de disposer de l’équivalent des bons du Trésor américain, un « actif sans risque » au niveau européen. . Cette capacité budgétaire pourrait se transformer à terme en budget pur et simple, c’est-à-dire qu’il pourrait financer des politiques spécifiques à la zone euro même en dehors des crises. L’actuel budget à 27 serait maintenu, mais le versement des fonds régionaux aux pays de la zone euro serait conditionné au respect des engagements de politique économique.

· Les institutions de la zone euro

La Commission se dit persuadée qu’à terme l’euro deviendra la monnaie de toute l’Union. Une affirmation pour le moins étrange, alors que ni le Danemark ni la Suède ne rejoindront jamais la monnaie unique, pas plus que la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie, la Bulgarie, la Roumanie et la Croatie à un horizon prévisible. Une pétition de principe qui lui évite de se prononcer sur sa propre légitimité à s’occuper des affaires de la zone euro puisqu’elle est composée d’un commissaire par État membre, ce qui signifie que 75 % de l’économie de la zone euro (Allemagne, France, Italie) n’est représenté que par 3 commissaires sur 28, des commissaires qui décident à la majorité simple… Elle reconnaît néanmoins qu’il y a un problème au niveau du Conseil des ministres des Finances (les 28), puisqu’il est la seule instance habilitée à adopter des textes contraignants même s’ils ne concernent que la zone euro, l’Eurogroupe (les 19) n’ayant aucune capacité juridique. Mais elle ne propose aucune solution.

En revanche, elle milite pour la création, à l’horizon 2025, d’un poste de ministre des finances de la zone euro en fusionnant les fonctions de président de l’Eurogroupe et de commissaire aux affaires économiques et monétaires qui serait chargé de représenter la zone euro au FMI. Une proposition ancienne, mais qui posera un problème aux grands pays peu soucieux de voir leur influence diluée au sein d’une Commission dans laquelle ils ne pèsent rien…

Un « Trésor de la zone euro » devrait être créé, Trésor qui assurerait la surveillance économique et budgétaire des Etats (rôle actuellement exercé par la Commission), serait chargé d’émettre de la dette publique et gérerait le MES, le tout sous l’autorité de l’Eurogroupe. La Commission se contente d’évoquer l’idée de créer un Fonds monétaire européen (intégrant le MES), une idée allemande, qui pourrait notamment restructurer d’autorité les dettes des Etats.

Un silence de taille : quasiment pas un mot le contrôle démocratique de la zone euro. Actuellement, ni la Commission, ni l’Eurogroupe n’ont de compte à rendre à une Assemblée démocratiquement élue. Bruxelles convient juste qu’il faut « renforcer la responsabilité démocratique » en « dialoguant » davantage avec le Parlement européen (limité aux seuls députés de la zone euro ? Pas un mot non plus), mais « dialoguer » n’est évidemment pas « décider ». Un trou noir inquiétant.

N.B.: version longue de mon article paru dans Libé le 1er juin

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Pour le Parlement européen, il faut réformer la zone euro pour éviter l'effondrement

Fri, 19/05/2017 - 12:26

REUTERS/Yuya Shino

Emmanuel Macron veut réformer la zone euro après avoir relancé l’économie française. Angela Merkel est prête à la suivre dans une réforme des traités « si cela fait sens ». Pour sa première visite à la chancelière allemande, le nouveau président de la République ne rentre pas les mains vides. Même si l’Allemagne attend de voir si son nouveau partenaire va tenir ses promesses, c’est la première fois depuis longtemps qu’elle ne ferme pas la porte à un approfondissement de la zone euro. Il faut dire que la zone euro présente toujours d’inquiétantes fragilités qui ont certes été en partie comblées depuis 2010 (Mécanisme européen de stabilité doté de 700 milliards d’euros ou Union bancaire) que plus personne ne nie. Le Parlement européen, dans un rapport transpartisan –c’est rare- voté en février par 304 voix (une majorité des libéraux, des verts, des socialistes et des conservateurs) contre 255 et 68 absentions, estime ainsi qu’il faut aller plus loin et plus vite pour en faire le cœur de l’Union à 27 : ministère des finances de la zone euro regroupant les fonctions de commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires et de président de l’Eurogroupe (enceinte où siègent les ministres des Finances), budget propre de la zone euro doté d’une capacité d’emprunt, transformation du MES en fonds monétaire européen, etc. La socialiste française, Pervenche Berès, et le démocrate chrétien allemand, Reimer Böge, coauteurs de ce rapport symbolique, puisqu’il n’a pas de force obligatoire, répondent à deux voix aux questions de Libération.

Pour vous, la zone euro ne peut rester en l’état ?

Reimer Böge : Nous vivons dans un village global comme l’a montré la crise financière de 2007 et l’on doit avoir conscience qu’il y aura d’autres crises. Pour y faire face, nous n’avons pas d’autre choix que de renforcer l’Union et surtout la zone euro qui est son centre. Nous proposons donc de créer un poste de ministre des Finances, de transformer le Mécanisme européen de stabilité (MES) en un Fonds monétaire européen sur le modèle du FMI ou encore de créer une capacité budgétaire de la zone euro pour aider les pays confrontés à une crise, plus particulièrement à une crise exogène. Cette capacité serait ouverte aux pays non membres de l’euro qui seraient intéressés.

Pervenche Berès : On a toujours su que le point d’équilibre trouvé entre l’Allemagne et la France lors du traité de Maastricht ne permettrait pas de faire face à des crises. On s’est arrêté en chemin parce que nos conceptions de la gouvernance économique et budgétaire n’étaient pas les mêmes. Or, si les pays de la zone euro ont su faire converger leurs économies pour se qualifier pour l’euro, depuis, ils divergent en dépit du Pacte de stabilité. Comme on n’avait plus l’outil de la dévaluation monétaire, il aurait fallu inventer un mécanisme pour le recréer au niveau européen. Mais faute de courage politique, on a laissé les choses en l’état et on en a payé le prix avec la crise financière, qui n’est pas une crise européenne, rappelons-le, mais qui a trouvé un terrain favorable en Europe, car nous n’avons pas achevé la construction politique de la zone euro. On a remis les choses d’aplomb, mais cela reste fragile, faute d’avoir tranché ce débat entre l’union politique à l’allemande et le gouvernement économique à la française. Nous proposons donc dans ce rapport de le faire en créant un outil d’intervention spécifique pour la zone euro utilisable dans le cadre d’une gouvernance normale et pas seulement en temps de crise.

Le gouvernement allemand a proposé, dès 2010, la création d’un Fonds monétaire européen disposant de la capacité de restructurer les dettes publiques, ce dont les Français n’ont pas voulu entendre parler.

RB : Les Allemands ont un problème avec le partage du risque, les Français avec le partage de souveraineté… On en est là.

PB : Sur le partage de souveraineté, chacun voit la poutre dans l’œil de l’autre. Parce que sur l’Union bancaire, ce sont les Allemands qui ont été réticents et pas les Français.

RB : Chacun a son public politique ce qui explique beaucoup de divergences. Le point central sur lequel nous pouvons nous retrouver, c’est la nécessité de renforcer la zone euro, sans l’isoler du reste de l’Union, car les défis que nous devons affronter sont communs. C’est pour cela qu’il faut mener une réflexion globale sur le futur de l’Europe et le sommet de Rome, samedi, en fournira une première occasion.

PB : La priorité, c’est le « cœur nucléaire », l’euro, sinon l’ensemble de l’Union se défera. C’est moins populaire, car on est sur le monétaire et l’économie, pas sur les valeurs. En 2010, lorsque Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, avance son idée d’un FME c’est dans l’esprit d’écarter toute intervention du politique : cet organe indépendant avait vocation à imposer seul un programme d’austérité et une restructuration de la dette du pays aidé, ce qui n’était pas acceptable en l’état par la France. De plus, à cette époque, alors que les banques allemandes et françaises sont très exposées à la dette grecque, les autorités françaises recommandent aux banques françaises de ne pas vendre cette dette, alors que les autorités allemandes laissent leurs banques se débarrasser de leurs créances. Ce sont ces deux éléments qui expliquent les crispations autour de cette idée de FME. La France, à mon avis, restera réticente à un FME si ce n’est qu’un instrument indépendant, sans mécanisme de solidarité, autrement dit un simple développement du MES dans ses aspects les plus punitifs. C’est pourquoi, dans notre rapport, nous mettons le FME au service d’un stabilisateur automatique qui est le budget de la zone euro.

RB : Cela est un point très important. Aujourd’hui, si un pays traverse une crise et a besoin de soutien, il y a 4-5 réunions des ministres des finances et des chefs d’État et de gouvernement qui donnent lieu à des batailles motivées par des considérations de politique intérieure. Ce n’est pas un bon signal que nous envoyons, comme l’a montré le cas de la Grèce. Il faut pouvoir agir de manière plus indépendante et automatique.

À quoi servira cette capacité budgétaire de la zone euro ?

PB: Reimer voulait que l’on propose un mécanisme pour les jours de pluie, c’est-à-dire un fond auquel on a recours en cas de problème, alors que je voulais instaurer une indemnité chômage minimum. On s’est bloqué : les deux ne sont pas exclusifs, mais Reimer ne voulait pas mentionner ma proposition. Notre point d’équilibre, c’est donc le FME, un mécanisme indépendant qui intervient en cas de crise, mais qui est accompagné d’un trésor européen qui a une vue générale de la situation et qui dispose de fonds pour intervenir préventivement. Le FME c’est le pompier, le trésor, c’est le bon père de famille. La fonction FME intervient en cas de choc asymétrique tandis que l’aspect Trésor interviendra en cas de choc symétrique, c’est-à-dire touchant tout le monde, et pour favoriser la convergence.

RB : Soyons clairs : la capacité budgétaire n’a pas vocation à faire concurrence aux fonds régionaux actuels. Notre approche est prudente : elle commencera à fonctionner avec un certain montant qui pourra évoluer avec le temps et elle sera alimentée par des cotisations des États à définir. Dans un contexte dominé par le manque de confiance, il s’agit de regagner de la confiance. Nous voulons envoyer le signal que nous sommes prêts à stabiliser l’eurozone, prêts à soutenir les pays en crises. Si on ne bouge pas rapidement, on va vers la catastrophe.

PB : Il est difficile de critiquer la politique monétaire, de dire que la Banque centrale européenne va au-delà de son mandat, comme on l’entend en Allemagne, et de ne rien faire. Il faut que les gouvernements prennent leurs responsabilités. Il est bizarre de vouloir absolument le FMI à bord et de ne pas l’écouter : or à chaque fois qu’on les a vus, ils nous ont dit que la zone euro devait avoir une capacité budgétaire.

Tous les pays de la zone euro pourraient bénéficier de cette capacité budgétaire ?

PB : Non, l’accès à cette capacité serait conditionné au respect d’un code de convergence.

RB : En ce moment, il est facile pour un pays sous programme, c’est-à-dire qui a demandé une aide financière, d’incriminer Bruxelles ou le FMI. Il faut sortir de cette logique d’irresponsabilité. Nous proposons donc la création d’un « code de convergence » qui serait adopté par le Parlement européen pour une durée de cinq ans sur la base des recommandations par pays de la Commission. Il comprendrait des critères de convergence concernant la fiscalité, le marché du travail, les investissements, la productivité, la cohésion sociale, la bonne gouvernance, etc.. Ensuite, chaque gouvernement décidera de la meilleure voie pour atteindre les objectifs.

PB : Le code de convergence est en fait une alternative au Pacte de stabilité. La convergence a fonctionné lorsque les pays cherchaient à entrer dans la zone euro : chacun a défini sa propre stratégie en fonction d’un objectif qu’il s’est fixé en s’appuyant sur un consensus national. Or, le Pacte de stabilité, c’est un gendarme qui dit ce qu’il faut faire sous la menace de sanctions et ça n’a pas fonctionné, car on ne sanctionne pas un souverain. Il faut donc retrouver cette pédagogie des critères de convergence : on sortirait de la logique du bâton pour celle de la carotte, le budget de la zone euro.

Quel montant atteindrait cette capacité ?

RB : On commencerait avec une somme raisonnable qui pourra augmenter par la suite une fois la confiance installée. Il faut simplement habituer les gens à un nouveau système de solidarité.

PB : Le MES actuel sera dans la capacité budgétaire, comme le demande Jean-Claude Juncker, le président de la Commission. Les 700 milliards d’euros qu’il peut emprunter représentent 5 % du PIB de la zone euro. C’est de l’argent qui n’est presque pas utilisé aujourd’hui.

Êtes-vous favorables aux emprunts européens pour alimenter la capacité budgétaire ?

PB : Le groupe socialiste voulait qu’on les mentionne explicitement. La formulation finale est plus alambiquée, mais la capacité d’emprunt propre à alimenter la capacité budgétaire pour qu’elle puisse faire face à des chocs symétriques figure dans le texte.

Au fond, vous proposez une Europe puissance, celle de l’euro, et une Europe espace, celle du marché unique.

RB : Helmut Kohl, l’ancien chancelier allemand, a affirmé que pour faire de l’union monétaire un succès, il fallait la couronner par une union politique. C’est d’autant plus urgent que, comme l’a dit Heinrick Winkler, un professeur d’histoire allemand, « nous sommes confrontés en occident à un conflit de cultures : une culture issue des révolutions européennes et americaine et une culture incarnée par Donald Trump », c’est-à-dire un conflit entre libéralisme et illibéralisme… À partir de là, si certains pays ont un problème ils ne devraient pas être autorisés à freiner les avancées dont nous avons désespérément besoin. Dans ce sens, nous devons avoir différentes vitesses. Nous ne devons jamais laisser le cœur central être menacé par ceux qui n’en font pas partie.

PB : On n’a pas dit aux pays de l’Est qui ont rejoint l’Union en 2004 qu’ils entraient dans un ensemble qui était davantage qu’un marché unique. Or, comme ils venaient de recouvrer leur souveraineté, on aurait dû faire beaucoup de pédagogie. Aujourd’hui, on se retrouve devant un problème : ainsi seuls 23 % des députés de l’Est hors zone euro ont voté pour notre rapport, alors que tout ce qui fragilise la zone euro menace l’ensemble. Là, ils vont devoir choisir.

RB : Les pays d’Europe de l’est ont le sentiment d’être devenus des citoyens de seconde classe, ce qu’ils ne sont pas bien sûr. S’ils veulent rejoindre la zone euro, ils sont les bienvenus. De plus, le budget européen fournit la preuve de la grande solidarité qui existe entre nous, ces États recevant chaque année jusqu’à 4 % de leur PIB. Ils doivent comprendre que la stabilisation de l’eurozone est aussi dans leur intérêt.

PB : Lors des sommets qui ont suivi le Brexit, les chefs d’État et de gouvernement n’ont pas osé parler de la zone euro, car cela est devenu un sujet qui divise. Or, pour relancer l’Union, je ne vois pas comment éviter le sujet.

RB : Il n’y a plus de temps à perdre en discussions. Ce rapport montre que ce parlement a à cœur de stabiliser le système. Sinon il s’effondrera et ce n’est pas une alternative viable.

L’élection d’Emmanuel Macron semble relancer la dynamique franco-allemande.

PB : Il ne faut pas la laisser passer. C’est à lui maintenant de convaincre la Chancelière qu’il ne demande pas un passe droit pour la France et qu’elle y a aussi intérêt. Le risque ce serait d’accepter comme une première étape ce que souhaite Wolfgang Schäuble, la mise sous contrôle de la discipline budgétaire par un organe «indépendant» sous couvert de mouvement. L’essentiel c’est de tenir les deux bouts de la chaîne, responsabilité et solidarité, investissement et réformes ; le nouveau Président de la République française doit obtenir cette approche globale.

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Sylvie Goulard, ministre de la défense : une ambition au service du fédéralisme européen

Fri, 19/05/2017 - 12:14

REUTERS/Gonzalo Fuentes

Si Sylvie Goulard est l’une des stars de la bulle européenne, elle est quasiment inconnue sur la scène politique française. À 52 ans, cette femme de convictions, au caractère bien trempé, qui a rejoint Emmanuel Macron dès le début de sa courte marche, a derrière elle une carrière bien remplie de haute fonctionnaire, menée à Paris puis à Bruxelles, et, depuis 2009, de députée européenne centriste et libérale. Sylvie Goulard, qui se retrouve propulsée au ministère de la Défense, est à la fois un produit de la méritocratie à la française (les classiques Sciences Po et ENA), mais aussi l’une des rares incarnations d’une élite purement européenne, « Bruxelles » n’étant souvent que le reflet des classes politiques nationales.

La suite est ici:

N.B.: une version courte de ce portrait est paru dans Libération papier d’aujourd’hui

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L'élection de Macron tranche la question européenne

Fri, 12/05/2017 - 11:08

REUTERS/Gonzalo Fuentes

Mis à jour le 12 mai

Au Louvre, dimanche soir, c’est au son de l’hymne européen que le Président élu, Emmanuel Macron, a marché vers la tribune d’où il a prononcé son discours de victoire. Le symbole n’a échappé à personne, et surtout pas aux europhobes du Front national qui n’ont pas manqué d’éructer parce que la Marseillaise n’a été jouée qu’à l’issue de cette cérémonie. Il confirme à quel point l’Europe a occupé une place centrale dans la campagne du leader d’En Marche, une première dans l’histoire de la Vème République où les thèmes de politique intérieure occulte habituellement totalement la politique européenne. « Emmanuel Macron a mené une campagne pro-européenne courageuse, il défend l’ouverture sur le monde et est résolument pour l’économie sociale de marché », n’a d’ailleurs pas manqué de se féliciter, lundi, Angela Merkel, la chancelière allemande, à l’unisson de tous les dirigeants européens. Réduire cette élection à un vote anti-Front national, ce qu’il fut aussi, serait une erreur : c’était aussi un plébiscite en faveur d’une France européenne.

Emmanuel Macron tranchait, dès le départ, sur ses adversaires : il était le seul des onze candidats du premier tour à être résolument pro-européen et à n’avoir jamais voté (ou appelé à voter) contre un traité européen, à la différence notamment de François Fillon (contre Maastricht) ou de Benoit Hamon (contre le Traité constitutionnel européen). Dans tous ses meetings, ses partisans étaient encouragés à brandir des drapeaux européens et Macron faisait acclamer l’Europe, du jamais vu depuis la campagne des Européennes de 2009 menée par Daniel Cohn-Bendit, alors tête de liste de Europe Ecologie-Les Verts, qui avait amené au plus haut les écologistes en faisant de l’engagement fédéraliste le thème central de sa campagne.

Cet affichage pro-européen, que les pisses-froids jugeaient dangereux, n’a pas empêché Macron, bien au contraire, d’arriver en tête du premier tour. Pendant la campagne d’entre deux tours, loin de mettre son drapeau aux douze étoiles jaunes dans la poche, il l’a au contraire brandi encore plus haut, pour mieux se distinguer de son adversaire europhobe, Marine Le Pen. Avec le succès que l’on a vu. « Qui pouvait imaginer que l’argument européen permettrait de gagner ? », s’est exclamée, dimanche soir, presque étonnée, Aurore Bergé, une élue LR engagée au côté de Macron.

Cette fois, les électeurs avaient le choix entre deux modèles très clairs, à la différence du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen où le vote négatif était présenté comme sans conséquence. D’un côté une France isolée, fermée, frileuse, identitaire, de l’autre une France européenne, ouverte sur le monde, accueillante, tolérante. Bien sûr, se jouait aussi l’avenir de la démocratie et de la République, mais l’entreprise de dédiabolisation que le FN a menée depuis dix ans a incroyablement minimisé ce danger, d’autant que la gauche mélenchoniste a réussi l’exploit de renvoyer dos à dos fascisme et libéralisme dans un incroyable contresens historique (car si le libéralisme admet le pluralisme, ce n’est pas le cas du fascisme, faut-il le rappeler). D’ailleurs, une petite moitié de la gauche radicale s’est abstenue ou a voté Le Pen, tout comme une partie de l’électorat de droite, ce qui montre bien que la peur du FN n’est pas la seule clef du scrutin.

Les citoyens ont tranché sans ambiguïté : ils ne veulent pas dans leur immense majorité d’un Frexit, confirmant ainsi les sondages qui montrent que plus de 70 % des Français sont attachés à l’euro et à l’Union. Le score de Le Pen n’atteint d’ailleurs pas les 34 %, confirmant la justesse de ces enquêtes d’opinion. Si Jean-Luc Mélenchon, qui a l’europhobie en partage avec le FN (même si elle plus discrète), avait été qualifié pour le second tour face à Macron, le résultat aurait sans doute été le même, n’en déplaise à ses lieutenants.

Les extrêmes ont d’ailleurs pris conscience du plafond de verre infranchissable que constituait leur europhobie. Ainsi, Mélenchon, dans la dernière ligne droite de sa campagne, a modifié son discours jurant qu’on l’avait mal compris, qu’il n’était nullement en faveur d’un Frexit. Marine Le Pen a fait de même, se livrant, lors du week-end du 1er mai, à un incroyable virage sur l’aile : en fait, l’euro n’était plus incompatible avec son programme économique et donc la sortie n’était plus prioritaire, elle serait négociée, l’euro resterait en vigueur pour les grandes entreprises, le franc serait accroché à l’euro, etc.

Ces danses de Saint Guy autour de l’Europe n’ont servi à rien : Mélenchon a perdu dès le premier tour, Marine Le Pen au second. Et le triomphe du plus européen des candidats, celui en qui tous les commentateurs voyaient une bulle prête à éclater le confirme. Les Français ont massivement (c’est l’un des présidents les mieux élus de la Ve République) rejeté le Frexit qui, ils l’ont bien compris, était un saut dans le vide.

D’ailleurs, le député Gilbert Collard, patron du Rassemblement bleu marine, le reconnait dans le Parisien du 11 mai: «pour nous, la question de l’euro, c’est terminé, le peuple a fait son référendum dimanche dernier, Marine doit entendre ce message». Florian Philippot, le numéro 2 du parti et promoteur de la ligne souverainiste, lui a aussitôt rétorqué, sur RMC, qu’il quitterait le parti «si le Front demain garde l’euro». Une ligne dure qui ressemble fort à une impasse. Car la question européenne est tranchée en France et bien tranchée.

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Le FN se prend les pieds dans son europhobie

Mon, 01/05/2017 - 14:42

Accrochez-vous: le Front National n’est désormais plus en faveur d’une sortie immédiate de la zone euro et de l’Union européenne. C’est pourtant la pierre angulaire de son programme économique, aucune de ses promesses n’étant compatibles avec le maintien dans l’euro et dans l’Union... L’annonce en a été faite par Marine Le Pen, puis par Marion Maréchal Le Pen puis par Florian Philippot....

Pourquoi de telles circonlucations? Tout simplement parce qu’une immense majorité des Français reste opposée à la sortie de l’euro (72%), ce qui constitue un plafond de verre infranchissable pour le FN. Comme dans 1984 d’Orwell, le parti d’extrême droite change donc du jour au lendemain sa vérité: l’euro c’est le franc et le franc c’est l’euro. Franchement, qui peut le croire? Cela montre à quel point ce parti est prêt à tout pour parvenir à ses fins: un programme souverainiste, puis finalement euro-compatible pour rassurer les Français, un programme libéral puis finalement social pour pousser la gauche à l’abstention, etc. A ce rythme, on attend dans les prochaines heures des déclarations favorables aux musulmans de France, hostiles à la Russie...

Comme l’a dit François Hollande, samedi, lors de sa dernière conférence de presse donnée lors d’un Conseil européen,, «ils (Marine Le Pen et Nicolas Dupont Aignan) continuent de le penser, ils continuent de le prévoir, ils continuent de préparer ce projet dangereux de sortie de la France de la zone euro et de l’Union européenne. Ils le camouflent, ils le cachent, ils le gomment parce qu’ils savent bien que les Français ne veulent pas que leur pays sorte de l’Union, se prive de l’euro et de la monnaie unique, parce que les Français savent bien que ce serait pour leurs économies personnelles, pour leur pouvoir d’achat, pour leur capacité de crédit, pour les dettes qu’ils ont pu contracter, que ce serait une dégradation de leur situation. Et donc comme ils ne veulent pas faire peur, alors qu’ils font peur. Comme ils ne veulent pas faire peur, alors ils préfèrent renvoyer à plus tard ce qui est pourtant leur intention et ce qui serait d’ailleurs la traduction si par malheur la candidate de l’extrême droite devait être élue le 7 mai. Tout ce qu’elle propose met la France en dehors de la zone euro et de l’Union européenne. Donc il n’y aurait même pas de négociations ; ce serait acté par le défaut qui serait constaté dans les engagements que la France ne respecterait plus». On ne saurait mieux dire: voter Le Pen, c’est voter pour la fin de la France dans l’Union et dans l’euro.

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Brexit : l’Union en ordre de bataille

Sun, 30/04/2017 - 12:11

Il n’a pas fallu plus de 4 minutes pour que les vingt-sept chefs d’État et de gouvernement adoptent à l’unanimité les « orientations » des négociations du Brexit que le Français Michel Barnier est chargé de mener à bon port du côté européen. Réunis samedi à Bruxelles, sans la Grande-Bretagne bien sûr, lors d’un conseil européen extraordinaire, les Vingt-sept ont confirmé leur détermination à rester uni afin de ne pas permettre à Londres de jouer sur d’éventuelles divisions entre les États membres pour obtenir un accord qui lui soit favorable. « Il n’y a pas eu de négociations entre les Vingt-sept », a confirmé François Hollande, pour son dernier sommet européen : « la négociation, elle est entre l’Union et le Royaume-Uni », négociation au cours de laquelle « l’Europe saura défendre ses intérêts ».

Cette unité, qui ne s’est pas démentie depuis le référendum du 23 juin 2016, a désarçonné Theresa May, la Première ministre britannique, qui a accusé, jeudi, les Vingt-sept de « s’unir contre son pays » : « les négociations vont être difficiles », a-t-elle prévenu. Les Britanniques, après leur orgie souverainiste de l’année dernière, commencent d’ailleurs à en prendre conscience : face au ralentissement économique qui se confirme, ils sont désormais une majorité, selon un sondage publié par le Times, jeudi, à regretter leur choix, une première (45 % contre 43 %). Surtout, 39 % contre 28 % pensent que leur pays sera dans une moins bonne situation économique hors de l’UE et 36 % contre 19 % estiment qu’il aura moins d’influence dans le monde…

De fait, « il n’y aura pas de Brexit gratuit : quand on prend une décision, il faut en assumer les conséquences », a souligné le Premier ministre belge, Charles Michel. En clair, il n’est pas question « qu’un pays non membre de l’Union, qui n’a pas à respecter les mêmes obligations qu’un État membre (puisse) avoir les mêmes droits et bénéficier des mêmes avantages qu’un État membre », comme le martèle le texte du Conseil européen. « Peut-être pensez-vous que tout ceci est évident », mais « j’ai le sentiment que certains en Grande-Bretagne se font encore des illusions à ce sujet », a ironisé devant le Bundestag, jeudi, Angela Merkel, la chancelière allemande. Ce n’est pas un hasard s’il a fallu 9 mois à Londres avant d’activer, le 29 mars dernier, l’article 50 du traité européen qui enclenche la procédure de sortie de l’Union. Et, encore aujourd’hui, on ne sait pas exactement ce qu’espère obtenir Londres.

Du côté européen, la position est d’une clarté cristalline. Le Royaume-Uni n’aura pas accès au marché unique – notamment pour ses banques - puisqu’il refuse d’appliquer l’une des quatre libertés, la libre circulation des personnes. Au mieux, elle ne peut donc qu’espérer un accord de libre-échange qui sera négocié après sa sortie effective, le 29 mars 2019 à minuit, qu’il y ait ou non un accord sur les conditions de son départ (une hypothèse envisagée froidement par les Vingt-sept). Londres qui espérait mener de front les deux négociations en est pour ses frais, même s’il est entendu qu’il faudra se mettre d’accord avant sa sortie effective sur « une conception d’ensemble » du « cadre des relations futures ». Mais ce futur accord commercial, préviennent les Vingt-sept, devra assurer des « conditions équitables » en matière de concurrence et d’aides d’État et « comprendre des garanties contre des avantages compétitifs indus du fait, notamment, de mesures et de pratiques fiscales, sociales, environnementales et réglementaires ». Autrement dit, si Londres compte se transformer en plate-forme offshore, il n’y aura aucun accord de libre-échange…

La négociation se déroulera en plusieurs phases. Les Vingt-sept veulent prioritairement régler trois dossiers. D’abord, la protection des droits des trois millions de citoyens européens résidant actuellement en Grande-Bretagne, ceux-ci ne pouvant servir de monnaie d’échange comme le voudraient les durs du gouvernement de Theresa May. Ensuite le règlement financier, Londres devant honorer l’ensemble des engagements qu’elle a contracté dans le cadre de la programmation budgétaire européenne qui s’étale bien au-delà de 2019 (par exemple la retraite de ses fonctionnaires et députés européens). Aucun chiffre n’a été officiellement avancé, mais l’estimation la plus couramment avancée est de 60 milliards d’euros. Une facture salée que la Grande-Bretagne n’entend pas honorer, ce qui risque de faire capoter les négociations et donner lieu à un contentieux international dont elle ne sortira pas vainqueur. Enfin, il faut trouver une solution pour ne pas rétablir une frontière physique entre les deux Irlande afin de ne pas faire capoter l’accord de paix de 1998.

C’est seulement ensuite que les autres dossiers particulièrement complexes, puisqu’il faut rompre les liens entre le droit européen et le droit britannique sans que les entreprises n’en souffrent trop, seront abordés, en particulier l’avenir des relations entre les deux rives de la Manche. En attendant, l’Union rappelle à Londres qu’elle ne peut pas négocier des accords commerciaux avant sa sortie effective et qu’il est hors de question qu’elle prenne en otage les textes européens en cours de discussion entre les Vingt-huit.

Dès la fin de l’année, les Vingt-sept vont essayer de se mettre d’accord sur les villes qui accueilleront l’Agence européenne du médicament (900 employés) et l’Autorité bancaire européenne (170 personnes), actuellement basées à Londres, dont les frais de déménagement devront être réglés par la Grande-Bretagne. Le plus beau est que la presse europhobe, qui ne doute de rien, a hurlé en découvrant que ces deux agences allaient quitter le territoire britannique…

Les négociations effectives en Bruxelles et Londres ne débuteront qu’après les élections législatives anticipées du 8 juin convoquées par Theresa May, celle-ci voulant avoir les mains libres pour parvenir à un accord. Parallèlement, les Vingt-sept vont devoir s’entendre sur la façon dont sera comblé le trou laissé dans le budget communautaire par le départ du Royaume-Uni. La négociation s’annonce violente entre ceux qui voudront dépenser moins et ceux qui voudront continuer à toucher les mêmes aides…

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François Hollande, l’homme sans conviction (européenne)

Sun, 16/04/2017 - 18:47

REUTERS/Geoffroy Van der Hasselt

Tous les présidents de la République française ont laissé leur marque sur l’Europe, pour le meilleur et, parfois, pour le pire. Tous ? Non, un seul s’est distingué par sa vacuité, François Hollande. Celui qui se présentait en héritier de Jacques Delors ne laissera, au mieux, qu’une note de bas de page dans l’histoire de la construction communautaire. Pendant cinq ans, le chef de l’État aura esquivé le sujet européen avec une constance qui force l’admiration, même s’il en fut un commentateur avisé, dénonçant régulièrement le «manque de projet» et la «frilosité» de l’Union ou encore le «repli sur soi» des États. Une analyse qui, de la part du responsable de l’une des principales puissances européennes et mondiales, aurait dû appeler des initiatives de relance. C’est ce qu’il a d’ailleurs régulièrement promis dans les journaux français en proposant de « fédéraliser » la zone euro autour d’un gouvernement, d’un parlement et d’un budget afin de constituer un «noyau dur, une avant-garde, un premier cercle». Mais il en est resté aux effets d’annonce. François Hollande aura été un Européen velléitaire.

Réorienter l’Europe

Lors de son élection, en 2012, rares étaient ceux qui se faisaient des illusions sur sa capacité à réformer la France, car cela supposait de bousculer les certitudes d’une gauche prisonnière de ses vieux logiciels. Mais, tout le monde lui faisait crédit de ses convictions européennes, lui qui fut longtemps proche de Jacques Delors, président de la Commission entre 1985 et 1995 et père de l’euro, au sein du club Témoin (créé en 1993). D’ailleurs, durant toute sa campagne, il avait promis, s’il était élu, de «réorienter» l’Europe afin, notamment, de lui donner un contenu social et fiscal, de développer la solidarité financière entre les Etats via le lancement d’emprunts européens, de démocratiser la zone euro, le tout afin de combler le fossé qui se creusait entre les citoyens et le projet européen. Mais cet ambitieux programme n’a jamais pris la forme d’une proposition en bonne et due forme, qu’elle soit proprement nationale ou, mieux, franco-allemande. Pourtant le chef de l’État a multiplié les annonces : au printemps 2013, à l’été 2014 puis en juillet 2015, après que la zone euro eut frôlé le Grexit, il s’est engagé à prendre une « initiative » afin de relancer une intégration communautaire qui donnait du gite, encouragé par ses ministres les plus europhiles. Mais à chaque fois, ses promesses se sont perdues dans les sables.

Bataillait-il au moins dans les couloirs pour faire avancer l’Europe ? Même pas. Une anecdote résume bien l’Européen François Hollande. La scène se passe en décembre 2012, alors que Herman Van Rompuy, alors président du Conseil européen, tente d’obtenir un mandat des chefs d’État et de gouvernement pour travailler à des scénarios d’approfondissement de la zone euro. Il veut notamment pouvoir proposer un budget qui lui serait propre et lui donner une capacité d’emprunt, deux idées défendues par le chef de l’État pendant sa campagne. Alors que Van Rompuy insiste auprès d’une Angela Merkel inflexible, lors d’une trilatérale, Hollande le coupe brutalement : «Herman, tu as entendu Angela : elle ne veut pas. Alors, arrête !» Le président du Conseil européen n’est toujours pas revenu d’avoir ainsi été lâché en pleine campagne par « l’héritier de Jacques Delors »… Hollande n’avait tellement pas de pensée européenne qu’il n’a jamais pris la peine, contrairement à tous ses prédécesseurs, de recevoir la presse française accréditée à Bruxelles en « off » pour expliquer le sens de son action, alors que dans le même temps il se confiait de longues heures à leurs confrères parisiens…

Aux côtés de la Grèce

Les quelques fidèles qui lui restent font valoir que son bilan n’est pas si négatif. Après tout, n’a-t-il pas bataillé pour empêcher un Grexit que l’Allemagne souhaitait, ne s’est-il pas rangé aux côtés de la Commission pour obtenir la mise en œuvre de l’Union bancaire ou soutenir le « plan Juncker » d’investissement ? Tout cela est vrai, mais personne n’a jamais prétendu que Hollande ait été europhobe. Cela étant, au regard de ce maigre bilan, on peut s’interroger sur les convictions réelles de l’homme. Quelqu’un qui l’a très bien connu m’a affirmé qu’en 2004, alors qu’il était premier secrétaire du PS, il se serait longuement demandé s’il devait ou non soutenir le Traité constitutionnel européen. Il n’aurait tranché que par tactique en faveur du oui.

Les faits semblent donner raison à cette source. Longtemps, on a cru qu’il redoutait d’affronter la question européenne pour éviter de rouvrir les plaies du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel. On se souvient, en effet, qu’une partie du PS, dont Laurent Fabius, n’a pas respecté le résultat du référendum interne et a fait campagne pour le non. Hollande, homme de compromis, n’a jamais sanctionné ces nonistes rebelles et l’Europe est restée une plaie béante. Il semblait dès lors logique qu’il refuse de se lancer dans une modification des traités européens, ce qui impliquerait un référendum avec tous les risques de divisions que cela comporterait pour les socialistes. Or sans réécriture des traités, aucun approfondissement n’est possible. Mais la période 2015-2016 montre que cette justification est un peu courte : Hollande n’a pas hésité a diviser les socialistes et la France sur la question des libertés publiques (par exemple la déchéance de nationalité) ou de l’économie. Ce n’est donc pas d’une question de courage qu’il s’agit, mais d’une absence de convictions réelles sur l’Europe. On ne se bat que pour ce à quoi l’on croit.

Occasions manquées

Le quinquennat de François Hollande restera donc comme celui des occasions manquées, voire comme celui qui aura gravement miné le projet européen. Car son refus de s’emparer du sujet aura laissé le champ libre aux eurosceptiques et aux europhobes. Or Emmanuel Macron, qui a fait de l’Europe l’un des axes de sa campagne présidentielle, montre, comme Daniel Cohn-Bendit avant lui, qu’une partie non négligeable de l’opinion publique est avide d’entendre un message positif sur la construction communautaire, la dernière utopie pacifique de la planète. L’Europe aurait pu être la clef d’un second mandat, il ne l’a pas compris.

N.B.: article paru dans l’Hémicycle n° 493

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Sortir de l'euro? Ben voyons.

Tue, 11/04/2017 - 16:14

La nouvelle émission de France Info TV, «la faute à l’Europe» (diffusée samedi et dimanche), m’a demandé de faire un éditorial chaque semaine. Parole libre d’un «Tonton Flingueur» ;-) Et ça met de l’animation sur le blog!

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"Les salauds de l'Europe" sur France Inter

Fri, 31/03/2017 - 00:27

Ce jeudi matin, j’étais l’invité de la matinale de Patrick Cohen, sur France Inter, pour parler de mon livre, «les Salauds de l’Europe». C’est ici. Et le dialogue avec les auditeurs est là.

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May Day, Mayday

Thu, 30/03/2017 - 21:17

Les négociations du Brexit ont enfin été lancées le 29 mars. J’ai imaginé, avec Sonia Delesalle-Stolper, notre correspondante à Londres, un scénario rose, un scénario noir et interviewé le négociateur du Parlement européen, Guy Verhofstadt. Bonne lecture !

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Le Quotidien et "les Salauds de l'Europe"

Mon, 27/03/2017 - 20:23

Jeudi soir, Yann Barthès m’a invité pour parler de mon livre, «les salauds de l’Europe». Et figurez-vous que j’ai battu Hanouna, un vrai bâton de maréchal :-D ! Ouvrir une émission avec une interview de votre hôte, il fallait oser (Quotidien 1 434 000 soit 5,9%,TPMP 1 383 000 soit 5,7%, C à vous 1 143 000). Comme je n’arrive pas à intégrer la vidéo sur ce blog, voici le lien: https://www.tf1.fr/tmc/quotidien-avec-yann-barthes...

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L'Europe, la dernière utopie pacifique

Thu, 23/03/2017 - 17:46

Dans le cadre du soixantième anniversaire du traité de Rome, ARTE m’a interviewé dans le cadre magnifique de la villa Médicis.

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«Les salauds de l'Europe»

Wed, 22/03/2017 - 11:56

Mon nouveau livre sort cette semaine, pour le soixantième anniversaire du traité de Rome. Disponible dans toutes les bonnes librairies, y compris en format électronique. 310 pages qui dépotent. J’espère que vous aimerez.

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Turquie: l'Europe, combien de divisions?

Wed, 15/03/2017 - 17:50

REUTERS/Dylan Martinez

D’un côté, l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark et les Pays-Bas (ainsi que la Suisse) s’opposent à la venue, parfois manu militari dans le cas d’Amsterdam, de ministres turcs voulant faire campagne auprès de leur communauté émigrée pour le « oui » au référendum constitutionnel d’avril prochain. De l’autre, la France et la Belgique n’y voient aucun problème. La tentation est donc forte de constater que l’Europe est une nouvelle fois divisée. Mais, en l’occurrence, elle n’est absolument pas compétente en la matière : « les décisions relatives à la tenue de réunions et de rassemblements relèvent de l’État membre concerné conformément aux dispositions applicables du droit international et du droit national », ont ainsi rappelé hier, dans un communiqué, Federica Mogherini, la ministre des Affaires étrangères de l’Union, et Johannes Hahn, le commissaire européen chargé de la politique de voisinage.

Surtout, ce n’est pas la première fois que des ministres turcs parcourent l’Union afin d’essayer de gagner les voix de leur diaspora fortes de 5 millions d’âmes, celle-ci disposant du droit de vote. Mais cette fois, le contexte est particulièrement tendu entre le président Recep Tayip Erdogan, qui veut transformer son pays en « démocrature » islamique, et l’Union, inquiète de cette dérive autoritaire. Pour ne rien arranger, plusieurs de ses États membres affrontent des élections difficiles sur fond de crise des réfugiés et de montée de la xénophobie. « Même s’il n’existe aucune compétence européenne dans ce domaine, on aurait peut-être pu attendre une réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères ou en discuter de façon informelle pour adopter une attitude commune », reconnaît un diplomate européen : « mais tout s’est précipité ce week-end avec la décision des autorités néerlandaises de ne pas autoriser l’atterrissage de l’avion du ministre turc des Affaires étrangères, Malvut Cavusoglu, et de refouler la ministre de la Famille, Fatma Betül Sayan Kaya, qui a essayé de forcer le passage par la route ». De fait, normalement, ce genre de visite se négocie à l’avance et s’accompagne généralement de rencontres avec le gouvernement local. Mais les Pays-Bas avaient fait savoir qu’ils ne voulaient pas accueillir de membres du gouvernement turc la veille de leurs élections, ce dont Ankara n’a pas tenu compte. De là à accuser Ankara d’avoir organisé cette crise diplomatique, il n’y a qu’un pas.

L’accueil du ministre des Affaires étrangères turc en France n’a pas posé le même problème, le principe du meeting à Metz ayant été accepté en amont par le gouvernement Cazeneuve. « En l’absence de menace avérée à l’ordre public, il n’y avait pas de raison d’interdire cette réunion qui, au demeurant, ne présentait aucune possibilité d’ingérence dans la vie politique française », s’est justifié Jean-Marc Ayrault, le chef de la diplomatie hexagonale. « On a adopté une approche juridique en dépit du contexte électoral, et non politique », décrypte un diplomate français : « sans les élections néerlandaises et allemandes, il n’y aurait eu aucun problème dans ces pays ». Et de rappeler « qu’il n’y a rien de choquant à ce qu’un gouvernement fasse campagne auprès de ses ressortissants à l’étranger : les Français le font bien, y compris Marine Le Pen » !

La virulence de la réaction d’Erdogan, taxant l’Allemagne (en réalité, ce sont quelques communes qui se sont opposées à des meetings turcs) et les Pays-Bas de « nazisme » et de « fascisme » et les menaçant de leur en faire « payer le prix », va permettre aux États de l’Union de refaire leur unité à bon compte : Federica Mogherini et Johannes Hahn on ainsi appelé Ankara « à s’abstenir de toute déclaration excessive et d’actions qui risqueraient d’exacerber encore la situation ». En écho, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a demandé à « tous les alliés de faire preuve de respect mutuel, à être calmes et à avoir une approche mesurée pour contribuer à une désescalade des tensions ».

N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 14 mars.

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