Pour Gérard Deprez, député européen (libéral belge), membre de la commission des Affaires intérieures, l’échange de renseignements entre les services européens est loin d’être optimale, faute de confiance. Au lendemain de l’attentat de Berlin, il milite pour la création d’un FBI européen.
La première réaction des démagogues en Europe a été d’incriminer la politique d’accueil des réfugiés d’Angela Merkel.
Faut-il rappeler que les attentats qui ont ensanglanté les sols français et belges ont été commis par des Français et des Belges ou des étrangers titulaires d’une carte de séjour qui n’avaient rien à voir avec les réfugiés arrivés récemment ? Qu’il y ait parmi les réfugiés quelques terroristes infiltrés, c’est une évidence, mais cela ne signifie nullement qu’ils soient un vivier du terrorisme. Oui, il y a des criminels parmi les demandeurs d’asile, comme il y en a au sein de notre population, et c’est d’ailleurs pour ça qu’on a un code pénal et des prisons ! Cet amalgame entre réfugiés et criminalité est insupportable.
Néanmoins, plusieurs attentats ont été commis par des personnes infiltrées parmi les réfugiés ou par des Européens partis combattre en Syrie.
C’est pour cela que nous avons prévu le contrôle systématique de toutes les personnes qui pénètrent dans l’espace Schengen, y compris les ressortissants européens. C’est important, car les returnees, ceux qui sont partis combattre avec Daech et reviennent en Europe, ont la nationalité de nos pays : on pourra ainsi les arrêter lorsqu’ils franchiront la frontière. De même, on a créé un PNR européen qui permettra de repérer les personnes qui ont des comportements suspects. Dans les hotspots qui ont été installés en Grèce et en Italie afin d’enregistrer les demandeurs d’asile, des agents nationaux et d’Europol ont été détachés afin de repérer les individus suspects.
La coopération entre polices européennes dans la lutte anti-terroriste est-elle suffisante ?
Il est très difficile de répondre à cette question. Pourquoi ? Parce que les services de police ont l’habitude de coopérer et d’échanger des informations entre des personnes qui se font mutuellement confiance. Plus les gens se connaissent, plus ils se font confiance, plus ils échangent du renseignement. A l’inverse, moins on se connaît, moins on a de certitude sur la fiabilité de l’autre et plus on est réticent à communiquer des informations. La confiance ne se décrète pas, elle se construit.
L’Union ne peut-elle au moins fournir un cadre qui permette un échange minimal d’informations entre services européens ?
Nous nous sommes battus au Parlement européen, en vain, pour obtenir un échange automatique d’informations. Ainsi, nous voulions que, dans le Système d’information Schengen (SIS), accessible aux agents chargés du contrôle des frontières extérieures, figurent les personnes qui sont suspectées de terrorisme ou poursuivies pour des faits de terrorisme. Les États membres ont refusé tout net. Même chose pour le PNR européen qui est en fait constitué de 28 PNR nationaux et non d’un fichier central : l’échange de données est laissé à l’appréciation des Etats, y compris pour les faits de terrorisme… Autrement dit, l’utilisation des instruments européens existants n’est pas du tout optimale faute de confiance entre les services. C’est pour cela qu’il est important d’organiser des rencontres régulières entre les responsables européens des services antiterroristes afin qu’ils se connaissent et tissent des liens de confiance. Après, comme tout le monde a besoin de renseignements, la coopération se développera.
Faut-il créer une agence de renseignements européenne ?
J’y suis favorable. Il faut donner à Europol le pouvoir de mener des enquêtes en matière de terrorisme et lui permettre d’avoir accès à tous les renseignements détenus par les vingt-huit pays. Actuellement, il peut seulement accompagner des enquêtes ou organiser des échanges d’informations. Le problème est que le traité européen précise expressément que le renseignement est une compétence nationale…
Qui dit FBI européen dit contrôle judiciaire européen.
C’est pour cela que le Parlement voulait donner des compétences dans le domaine de la lutte antiterroriste au parquet européen qui va bientôt voir le jour. Mais il ne sera compétent que dans la lutte contre la fraude au budget communautaire… Si les États acceptent de coopérer, ils acceptent beaucoup plus difficilement de transférer de la souveraineté au niveau européen, surtout dans les domaines régaliens.
Les Européens doivent-ils réapprendre à vivre avec la violence sur leur propre sol ?
Après la chute du mur de Berlin, on a considéré qu’on était entré dans une ère de pacification et nous avons baissé la garde, tant du point de vue militaire que policier. Regardez les coupes sombres dans les budgets consacrés à la sécurité ! Aujourd’hui, nous sommes désarmés, tant psychologiquement que militairement parce que nous avons sous-estimé l’impact du monde extérieur sur nos sociétés. Nous devons nous réarmer dans tous les sens du terme pour réduire la menace et c’est collectivement que nous y ferons face. Le repli sur le réduit national prôné par les démagogues est une chimère. Mais soyons clairs : quelles que soient les mesures prises, on n’éliminera jamais le risque terroriste.
N.B.: article paru dans Libération du 21 décembre
Les trois institutions de l’UE pourront ainsi conjuguer leurs efforts afin que des progrès importants puissent être enregistrés dans les domaines où les besoins sont les plus manifestes. Du moins espérons le. Eulogos retient plus particulièrement :
« C’est la première fois que l’UE se fixe un ensemble commun de priorités législatives pour l’année suivante. Les institutions de l’UE pourront ainsi coopérer plus étroitement afin de répondre aux grands défis à venir. » A commenté Miroslav Lajčák, ministre slovaque des affaires étrangères et européennes et président du Conseil.
En 2017, l’UE accordera la priorité à des initiatives législatives dans les domaines suivants:
Le Conseil, le Parlement et la Commission sont convenus que des progrès doivent également être réalisés pour maintenir leur engagement à l’égard des valeurs européennes communes, lutter contre la fraude fiscale, préserver le principe de libre circulation et renforcer la contribution de l’Europe à la stabilité, à la sécurité et à la paix.
Contexte
L’accord entre le Conseil, le Parlement et la Commission sur les principales priorités législatives constitue une première dans l’histoire de l’UE. Il résulte de l’accord « Mieux légiférer » signé en avril 2016.
Pour en savoir Plus :
-. Déclaration commune sur les priorités législatives de l’UE pour 2017 (EN) https://ec.europa.eu/priorities/sites/beta-political/files/joint-declaration-legislative-priorities-2017_en.pdf?_cldee=aGVucmktcGllcnJlLmxlZ3Jvc0Bza3luZXQuYmU%3d&recipientid=contact-2e5c93b6a42ce111963800155d043f10-51c477ade3594e47817c81d3cb3e16aa&esid=b161391d-fec8-e611-80ce-00155d040a3b&urlid=7 (FR) http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-15375-2016-INIT/fr/pdf
-. Texte de l’accord « Mieux légiférer » (FR) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/PDF/?uri=OJ:L:2016:123:FULL&from=EN (EN) http://eur-lex.europa.eu/legal-content/en/TXT/PDF/?uri=OJ:L:2016:123:FULL&from=EN
Alors que les derniers civils et rebelles quittent Alep, le gouvernement belge campe depuis plusieurs semaines sur son refus d’accorder un visa humanitaire à une famille musulmane de cette ville martyre, bien qu’il a été condamné à s’exécuter par plusieurs tribunaux. Une telle inhumanité ne surprend guère lorsque l’on sait que le secrétaire d’État à l’Asile et à la migration, Theo Francken, qui refuse d’obtempérer à ces décisions de justice, est un dur de la N-VA, le parti indépendantiste de droite radicale flamande. Il a même récemment envisagé une alliance avec l’extrême-droite du Vlaams Belang, un tabou absolu jusqu’ici outre-Quiévrain.
Cette famille d’Alep, un couple et deux enfants âgés de 5 et 8 ans, a décidé de passer par la voie légale pour se réfugier en Belgique plutôt que de fuir vers un pays voisin et de s’en remettre à des passeurs avec les risques que cela comporte. Ils ont donc demandé, par l’intermédiaire d’une famille belge de Namur, la capitale wallonne, un visa afin de pouvoir obtenir l’asile une fois sur place. Ces Syriens, dont l’identité n’a pas été révélée pour d’évidentes questions de sécurité, connaissent depuis longtemps les Belges qu’ils ont rencontrées lors de séjours à Istanbul : les Namurois se sont même engagés à les héberger et ont déjà trouvé une école pour accueillir les enfants et un emploi pour le père. En dépit de ces garanties, l’Office des étrangers a refusé la demande de visa. Saisi, le « Conseil du contentieux des étrangers », une juridiction administrative spécialisée, a annulé à deux reprises la décision de l’Office pour insuffisance de motivation. À chaque fois, comme il en a l’habitude, l’Office a copié-collé la même décision. Un rien lassé, le 20 octobre, les juges ont ordonné, en se fondant sur une jurisprudence du Conseil d’État belge sur les « mesures provisoires », que des visas de trois mois soient délivrés dans les 48 heures, vu la situation à Alep. Aussitôt, Theo Francken s’est pourvu devant le Conseil d’État.
Parallèlement, les avocats de la famille syrienne ont saisi le président du tribunal de première instance de Bruxelles qui a ordonné, en procédure d’extrême urgence, la délivrance des visas et laissez-passer sous peine d’une astreinte de 4000 € par jour de retard. Une ordonnance confirmée le 7 décembre par la Cour d’appel de Bruxelles qui, sans se prononcer sur le fond, a relevé que l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers s’impose à l’État belge et que le recours devant le Conseil d’État n’est pas suspensif.
Néanmoins, Theo Francken, soutenu par le Premier ministre Charles Michel (libéral francophone du MR) et les autres partis de la majorité (démocrates-chrétiens flamands du CD&V et libéraux flamands du VLD), a refusé de s’exécuter. Pour lui, accorder des visas relève du pouvoir discrétionnaire de l’État et céder aux juges « créerait un précédent ». Le fait que les Syriens soient musulmans n’est peut-être pas étranger à son inflexibilité, puisqu’il a par ailleurs déjà accordé 230 visas humanitaires à des familles syriennes chrétiennes… Avec un cynisme étonnant, Theo Francken et Charles Michel ont proposé que la famille syrienne soit accueillie par le Liban (qui n’a rien proposé), un pays qui héberge déjà 1,5 million de réfugiés syriens, soit 25 % de sa population...
Son parti, la N-VA, a aussitôt lancé une campagne sur les réseaux sociaux : « les juges doivent appliquer strictement la loi et ne pas ouvrir grandes nos frontières ». Ou encore : « pas d’astreinte et pas de juges hors du temps. Pas de papier belge pour chaque demandeur d’asile dans le monde #jesoutiensTheo ». Bart de Wever, le leader du parti indépendantiste et maire d’Anvers, en a rajouté une couche en dénonçant « le gouvernement des juges » : « si un juge veut faire les lois, il doit figurer sur une liste et demander le jugement du citoyen ». Une violente campagne relayée par quelques journaux néerlandophones, comme le quotidien Het Laatste Nieuws qui, le week-end dernier, n’a pas hésité à publier la photo d’une conseillère de la cour d’appel de Bruxelles en précisant qu’elle était mariée avec un étranger… «Solution» proposé par le gouvernement fédéral: envoyer la famille au Liban qui accueille déjà, dans des conditions précaires, 1,5 millions de réfugiés (pour une population de 4,5 millions d’habitants).
Outre l’inhumanité que manifeste Bruxelles, le refus de l’État d’exécuter une décision de justice est sans précédent dans une démocratie occidentale. La réaction du monde judiciaire est à la hauteur de l’événement : ainsi, pour le premier président de la Cour de cassation, la Belgique se comporte comme un « État voyou ». « L’État de droit et la démocratie belge sont gravement menacés », a estimé, de son côté l’Association syndicale des magistrats : « Les décisions de justice exécutoires doivent être respectées non seulement par les citoyens mais aussi par les politiciens et le fait qu’ils soient élus ne les autorise pas à violer la Constitution, les traités internationaux et la loi. Les juges ne sont pas leurs partenaires, ni leurs subordonnés encore moins les auxiliaires de leur politique ».
Il faut, comme toujours dans le Royaume, chercher la logique communautaire dans cette affaire. Le fait que les juges qui ont rendu la série de décision condamnant l’État belge soient tous francophones (la justice est scindée entre francophones et néerlandophones sauf dans quelques cas) n’est pas étranger à la mobilisation des indépendantistes flamands. Ainsi, Bart De Wever s’en est pris à « cette décision d’un magistrat, un francophone membre du Conseil du contentieux des étrangers », une précision qui a son importance tout comme le fait que la famille d’accueil soit wallonne et donc francophone… Le but de la N-VA est manifestement de fragiliser un peu plus la Belgique.
Au-delà, le gouvernement belge envoie le plus mauvais signal qui soit : en refusant un visa en bonne et due forme à une famille qui remplit manifestement les critères pour obtenir l’asile, il encourage les réfugiés à entrer clandestinement en Europe, puisqu’une une fois sur place, leur demande de statut de réfugié sera obligatoirement examinée…
N.B.: article paru dans Libération du 18 décembre. Theo Francken n’a guère apprécié et s’est défendu sur Twitter (voir ma TL) en néerlandais, nonobstant le fait que je suis Français. Il a finalement accepté que je l’interviewe, mais aucune nouvelle depuis.