La Commission présidée par la chrétienne-démocrate allemande Ursula von der Leyen va enfin entrer en fonction dimanche : par 461 voix contre 157 et 89 abstentions (707 présents sur 748 eurodéputés), soit 61% des voix, le Parlement européen a largement investi, mercredi à Strasbourg, le nouveau collège de 27 commissaires qui dirigera l’Union au cours des cinq prochaines années. Mais ce score est en trompe-l’œil : en réalité, jamais une commission n’a disposé d’une base politique aussi fragile et incertaine. Ce qui risque de compromettre son grand dessein, le «Green Deal» censé changer le modèle de développement européen.
Crises
Certes, par rapport à son vote d’investiture de juillet, la présidente de la Commission a sérieusement accru sa marge par rapport à la majorité absolue de 374 voix, un seuil nécessaire pour adopter les textes législatifs en seconde lecture : elle passe de 9 à 87 voix, ce qui lui offre a priori un seuil de sécurité appréciable. Mieux, l’ex-ministre de la Défense allemande a même réussi l’exploit de réunir une majorité plus large que celle obtenue par son prédécesseur, Jean-Claude Juncker, en octobre 2014 (423 voix contre 209 et 67 abstentions), qui était pourtant le candidat choisi par le Parlement à la différence d’Ursula von der Leyen, imposée par le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement. «Si le vote avait eu lieu à bulletins secrets, on aurait soupçonné une substitution d’urnes», s’amuse une éminence du PPE, le groupe conservateur, surprise par ce résultat inattendu.
La majorité qui l’a soutenue est constituée, sans surprise, des conservateurs du PPE (Parti populaire européen), le premier groupe politique qui a voté comme un seul homme pour elle, des socialistes (à l’exception d’une voix contre et de 9 abstentions, dont les Français) et de Renew Europe (RE), le groupe où siègent les élus macronistes (4 abstentions malgré tout). Elle a pu aussi compter sur le soutien de 30 eurodéputés eurosceptiques de l’ECR, en particulier ceux du PiS polonais, de 5 Verts et d’une partie du Mouvement Cinq Etoiles italien. Une autre partie de l’ECR a voté contre elle, avec l’ensemble de l’extrême droite, des europhobes britanniques de Nigel Farage, de la gauche radicale (dont LFI) et de 9 Verts. Enfin, la grande majorité des écologistes s’est réfugiée dans «l’abstention constructive», comme l’a expliqué Ska Keller, la coprésidente du groupe. Il est à noter que les deux groupes qui ont explosé façon puzzle sont les eurosceptiques de l’ECR et, dans une moindre mesure, les écologistes.
Le problème est que cette base politique n’est que de circonstance, car elle n’est liée par aucun programme politique, la négociation d’une «feuille de route» entre le PPE, les socialistes, RE et les Verts ayant été interrompue en juillet à la suite du rejet de la candidature de Manfred Weber, la tête de liste (allemande) du PPE, par le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement. Si Ursula von der Leyen a obtenu sa majorité, c’est essentiellement pour deux raisons : d’une part la volonté des eurodéputés de ne pas ajouter une crise européenne aux multiples crises politiques qui paralysent une partie des Etats membres (Royaume-Uni, bien sûr, mais aussi Espagne, Italie, Allemagne ou même France). Surtout, les logiques nationales ont corrigé les préventions idéologiques : chacun a voulu confirmer le commissaire de sa nationalité, comme le confiait sans illusion un membre du nouveau collège… Certes, Ursula von der Leyen a fait mieux que Juncker, mais beaucoup moins bien que tous les autres président de la Commission depuis que le Parlement a le pouvoir de les investir.
Tensions
L’hémicycle était d’ailleurs loin d’être plein lors du discours d’investiture de Von der Leyen, jugé par beaucoup de députés «ennuyeux» et «sans inspiration». «On sent de la frustration», juge Raphaël Glücksmann (Place publique), l’indifférence polie manifestée par les députés donnant «le sentiment d’une grande abstention, plus que d’une grande mobilisation». Stéphane Séjourné, le patron de la délégation française de RE, conscient de la démobilisation des eurodéputés, a d’ailleurs passé la session à mobiliser les énergies et à essayer de convaincre les écologistes de revenir sur leur consigne d’abstention. En vain. Or, sans cet apport essentiel, Von der Leyen restera une présidente faible, car sans majorité solide, contrairement à ses prédécesseurs, qui pouvaient compter sur le soutien indéfectible de la grande coalition conservateurs-socialistes. Ainsi, lorsqu’elle présentera ses textes sur le Green Deal, il est quasi-certain que les tensions nationales, surtout entre l’Est et l’Ouest, réapparaîtront, notamment au PPE et du groupe socialiste, des défections que devront être compensées par les Verts qui monnaieront leur vote au prix fort au risque d’accroître les divisions au sein des groupes politiques.