Urgency resolutions : Cambodia; Bangladesh and Afghanistan
Parliament urges Cambodia to drop all charges brought against opposition leader Sam Rainsy and Cambodia National Rescue Party (CNRP) members; calls on the Bangladesh authorities to restore the full independence of the media; and appeals to the government of Afghanistan to intensify cooperation with the government of Pakistan, in three resolutions passed on Thursday.
Mariage de raison, disons plus simplement alliance de circonstances. Des engagements très généraux mais sans réel calendrier contraignant. Les Européens n’ont pas lâché grand-chose pour convaincre les turcs de garder chez eux les réfugiés Pas d’engagement précis concernant la relance du processus d’adhésion. Au bout du compte, l’UE seule garantie pour échapper au chaos régional.
Lisons les mots clés produits par la presse : lors du Sommet extraordinaire dimanche à Bruxelles, les Vingt-Huit ont cédé aux exigences d’une Turquie en position de force. En échange, ils ont réclamé que les autorités turques retiennent les réfugiés dans le pays. Un marchandage sordide : la Turquie voulait de l’argent…l’Europe donne de l’argent. La Turquie profite de la faiblesse européenne, désunie et velléitaire face à un « partenaire » difficile et imprévisible. Les migrants sont passés de l’actualité, mais rien n’est réglé. Les relations houleuses de la Turquie avec la Russie ne semblent pas prendre la direction de l’apaisement. Tout cela est censé être historique … cela fait 11ans depuis le début des négociations que ces partenaires ne s’étaient pas retrouvés. Pas de dissipation du malentendu historique sur la finalité du processus d’adhésion. Plus personne n’y croit. Pour Davutoglu c’est un jour historique qui redynamise, l’adhésion dans les années à venir, pas un rêve mais une réalité.. Le processus est engagé depuis des années il n’y a pas de raison de l’arrêter ou de l’accélérer (François Hollande). Il n’y a pas là de quoi réécrire le processus d’adhésion avec la Turquie, les standards sont toujours les mêmes (Jean-Claude Juncker). Un premier ministre turc tout sourire , il ne s’est pas départi d’un optimisme débordant, tout au long du sommet, persuadé que les chefs d’Etat se sont réunis pour un sommet en son honneur, un des plus courts jamais organisé. Oublié le rapport calamiteux de la Commission sorti quelques jours plutôt ! Un excès d’optimisme à mettre au compte des difficultés actuelles et de l’isolement diplomatique. Montrer qu’on a encore des alliés. Rendre l’immigration illégale légale sur la périlleuse route des Balkans. Notre intérêt est que les personnes restent en Turquie. Un évènement exceptionnel parce qu’aucun pays candidat n’avait participé à un sommet du Conseil européen…Déception vive : les Etats membres manquent sans cesse leurs promesses et leurs engagements alors que les institutions européennes tiennent les leurs (Martin Schulz). L’accès à l’emploi et à l’éducation est essentiel pour l’avenir des réfugiés. La date de mise en œuvre de l’accord de réadmission de 2013 doit être avancée. Schengen ne peut survivre que si nous acceptons que la gestion de nos frontières extérieures relève de la responsabilité européenne. Nous attendons que le gouvernement turc lutte efficacement contre la traite des êtres humains et contre les passeurs. Couper la route d’approvisionnement des terroristes. Les négociations d’adhésion sont au point mort, la réticence des Etats membres se fondent sur de bonnes raisons, la liberté de la presse en est une. En faisant de la Turquie un partenaire stratégique, les pays européens jouent sur la corde raide. Ils prennent le risque de se mettre à dos une partie de leur opinion publique, mais aussi de cautionner les agissements d’Ankara. Une responsabilité lourde à porter. Comment échapper au nouveau sultan pris par l’ubris de son propre pouvoir ? Un allié encombrant. L’Europe fermera-t-elle les yeux sur les dérives de Erdogan. La politique de l’Union européenne sur la corde raide. Une bombe à retardement. Dérive autoritaire du régime, conflit avec les Kurdes réouvert, ambiguïtés dans la lutte contre le djihadisme, assassinat du bâtonnier de Diyarbakir, inculpation pour espionnage du directeur du grand journal d’opposition Cumhuriyet. Une épine dans le pied de l’Europe. Pourquoi l’Europe redécouvre les graves reculs de la démocratie seulement maintenant dans son récent rapport annuel à la publication plusieurs fois retardée ? Un partenaire utile dans une politique de voisinage rénovée ce dont elle ne veut pas entendre parler, plutôt qu’un improbable futur membre de l’Union européenne ?
Le palmarès des citations est impressionnant ! L’Europe est inquiète, mais qu’importe la Turquie triomphe, pense-t-elle.
Déclaration du Sommet UE-Turquie et profond scepticisme des députés européens
Selon la déclaration arrêtée dimanche soir au Sommet Europe-Turquie à Bruxelles, l’Union européenne (UE) a reconnu qu’elle est de facto étroitement liée à son voisin turc par de nombreux facteurs: proximité, rapports économiques intenses, lutte contre le terrorisme, défense. Dès lors, elle a admis le principe de relancer les relations bilatérales en vue de forger un destin commun. Dès la première ligne, la déclaration affirme que la Turquie est un pays candidat à l’Union depuis 1999 et que les négociations en vue de l’adhésion ont démarré en 2005. L’UE reconnaît ainsi implicitement que ce dossier n’a pas beaucoup évolué et qu’il doit être pris dorénavant plus au sérieux. Une telle position contraste avec l’ambiguïté que montre régulièrement l’UE à l’égard de la Turquie. Et aujourd’hui encore.
«Au-delà des problèmes actuels, nous devons développer nos relations dans une perspective plus large», a déclaré dimanche Federica Mogherini, la cheffe de la diplomatie européenne. Et d’ajouter: «Ce n’est pas que l’Europe a besoin de la Turquie. Nous avons besoin, plus que jamais, de l’une et de l’autre.» «Ce sommet extraordinaire marque le début d’un nouveau processus dans les rapports entre Ankara et les pays de l’Union», s’est félicité le premier ministre turc Ahmet Davutoglu à son arrivée au sommet. » C’est historique… n’a-t-il cessé de répéter.
Cette réunion au sommet était une exigence d’Ankara. En position de force parce qu’il détient la clé des flux migratoires vers l’Europe, mais aussi revigoré par sa récente victoire aux législatives, le gouvernement turc avait posé ses conditions. Ainsi, le sommet de dimanche a eu lieu non seulement sous l’enseigne de la crise des réfugiés, mais aussi sur la revitalisation des relations bilatérales. Sur ce point, les Vingt-Huit ont accepté d’instaurer un dialogue régulier et à plus haut niveau avec la Turquie. Dorénavant, une rencontre au sommet au lieu deux fois par an. Au plus haut niveau ? Rien n’est moins assuré, interrogé, le porte-parole de la Commission a rappelé que le texte indique au « niveau approprié ». Est-ce une procédure exceptionnelle ? Non elle est pratiquée avec plusieurs pays et le porte-parole s’est engagé à fournir la liste aux journalistes. Mais en fait il apparait que le niveau sera celui des ministres.
Lors des réunions préparatoires , Ankara avait fait savoir que des promesses ne seront pas suffisantes pour obtenir son aide à juguler le flot de réfugiés. Selon le président du Conseil européen, Donald Tusk, 1,5 million de personnes sont arrivées illégalement en Europe depuis le début de l’année. Son avertissement a été entendu à Bruxelles. Derechef, des négociateurs européens et turcs se rencontreront le 14 décembre prochain pour ouvrir un nouveau chapitre sur la candidature turque à l’adhésion. L’UE s’est aussi engagée à compléter, d’ici au premier trimestre 2016, les travaux préparatoires pour ouvrir d’autres chapitres. Les négociations pour l’adhésion se font chapitre après chapitre, le but étant d’assurer que le pays candidat européanise graduellement ses législations. Ankara a débuté ce processus unilatéralement et ses législations, plus particulièrement en matière économique et commerciale, reprennent celles de l’ Union. Mais pour autant cela ne veut pas dire et ne voudra pas dire que pour autant on devient membre de l’Union européenne. Le premier ministre belge, Charles Michel, dans une formule à l’emporte pièce a déclaré que ce ne serait pas pour demain.La grande exception concerne l’Etat de droit et la liberté d’expression.
Les dirigeants européens ont aussi admis hier le principe d’exempter les citoyens turcs de visas pour voyager dans l’espace Schengen à partir d’automne 2016. Un rapport faisant un état des lieux des négociations sera publié au début mars 2016. Il s’agit là de l’une des plus importantes revendications turques. Mais la contrepartie est la signature et l’entrée en vigueur effective de l’accord de réadmission.
Le volet «réfugiés» est traité en deuxième partie de la déclaration. L’UE déboursera trois milliards d’euros destinés à améliorer les conditions de vie des réfugiés en Turquie. Le gouvernement turc a fait valoir qu’elle en accueille deux millions répartis dans 25 camps, dont cinq spécialement prévus pour recevoir les Syriens chrétiens et les Yezidis. Elle affirme aussi y avoir consacré plus de 7 milliards d’euros depuis 2011. La communauté internationale qui avait promis une aide de 4,8 milliards d’euros au début de l’année, n’a versé que 624 millions à ce jour. En contrepartie des trois milliards, l’UE demande à la Turquie de retenir les réfugiés sur son territoire, mais aussi de reprendre les réfugiés dont les demandes d’asile ont été rejetées par les pays de l’Union. L’UE a clairement fait sentir que l’argent doit aller aux réfugiés et aux associations qui s’occupent d’eux et pas à la Turquie.
A son arrivée au sommet dimanche, François Hollande a été clair: «Je veux un accord pour que la Turquie prenne des engagements contre un soutien européen, pour accueillir les réfugiés chez elle.» Selon le président français, les réfugiés ont intérêt à rester au plus près de leur pays d’origine. «L’intérêt de l’Europe n’est pas d’accueillir des réfugiés en grand nombre parce qu’on sait les questions qui sont posées et les problèmes que certains pays ont exprimés», a-t-il ajouté.
Selon un diplomate européen, les Turcs doivent se garder de tout triomphalisme. «Nous sommes certes prêts à accélérer les négociations pour l’adhésion ou pour l’exemption de visa, dit-il. En revanche, la mise en œuvre de la déclaration sera assurée pas-à-pas et à la condition que les Turcs satisfassent toutes les conditions.» Le diplomate rappelle qu’à tout moment, un pays peut tirer la prise des négociations et débrancher le passage du courant, laissant entendre que la Grèce et Chypre espèrent aussi résoudre leur conflit territorial majeur avec la Turquie.
Les députés européens ne s’en laissent pas conter par les belles paroles et les habiletés des déclarations. Doute profond sur les intentions turques.
Les membres de la commission des libertés civiles du Parlement européen réunis le 30 novembre ont émis de sérieuses réserves. Ils se sont émus fortement sur le fait que les questions de la liberté de la presse, des assassinats de représentants des droits de l’homme ou la question de la répression de la minorité kurdes n’ont pas été traités mais esquivées.
Ils ont exprimé de très sérieuses réserves sur la capacité de la Turquie à réduire les flux comme à réadmettre les personnes entrées illégalement sur le territoire de l’Union via la Turquie. Les dénégations turques et l’annonce d’appréhensions d’illégaux ou de passeurs n’ont pas convaincu. Nombreux doutent de la sincérité. Gérard Deprez (Belge, ALDE) a même parlé de façon très explicite « d’absence de confiance (…) les turcs nous roulent sur les chiffres (…)ils ne vont pas arrêter les réfugiés ». Parlant des visas, avec « la nouvelle porte offerte par la libéralisation des visas, j’espère que vous savez ce que vous faites » a-t-il lancé aux représentants de la Commission européenne.
D’autres députés se sont interrogés comment l’aide de 3 milliards destinés aux refugiés syriens allait être contrôlée. Comment s’assurer que ces 3 milliards « ne serviront pas à acheminer le pétrole depuis la Syrie vers la Turquie « s’est interrogée Anna Gomes (S&D portugaise). D’autres députés se sont demandés pourquoi l’UE n’offrait pas son aide au Liban, à la Jordanie, ou l’Irak « la situation y est plus dramatique »
La Commission européenne a assuré aux députés qu’il y aurait un contrôle très précis de cesq fonds et le Directeur Général Mathias Ruete a souligné que la Commission travaillait avec la Turquie dans un esprit de confiance. Revenant sur l’accord de réadmission il a reconnu qu’il s’agissait « d’un sujet majeur à discuter et les discussions auront lieu en janvier. » Actuellement l’accord ne couvre que les ressortissants turcs, et il faudrait qu’il couvre les ressortissants des Etats tiers ». Quant à la question de la libéralisation de visas pour les ressortissants turcs « on peut aller vers la libéralisation prévue pour octobre 2016, mais il faut être convaincu que l’accord de réadmission fonctionne pleinement ».
Sur la relance du processus d’adhésion de la Turquie Matthias Ruete que l’ouverture au printemps des discussions des chapitres 23 et 24 (justice et droits fondamentaux) serait l’occasion de faire progresser la question des droits fondamentaux. Dans un communiqué, les élus français du groupe PPE de l’UE, seulement un membre associé. Sur la radio Europe 1 Nicolas Sarkozy a renouvelé son opposition la plus ferme à l’adhésion de la Turquie. Le leader du PPE, l’allemand Manfred Weber, asouligné « cet accord n’est pas un chèque en blanc. Il contient quelques pilules qui demeurent difficiles à avaler (…) avant que nous au Parlement européen nous nous penchions sur des sujets spécifiques, la Turquie doit prouver qu’elle est prête à coopérer. Cela signifie des mesures décisives contre les passeurs et une réduction nette du nombre de migrants affluant vers l’Europe »a-t-il conclu.
C’est un air bien connu du « je t’aime, moi non plus ! »
Pour en savoir plus :
-. Déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement du 29 novembre 2015 http://europa.eu/rapid/press-release_STATEMENT-15-6194_en.htm?locale=en
-. Status of the Negotiations http://www.consilium.europa.eu/en/policies/enlargement/turkey/
-. Time line: response to migratory pressures http://www.consilium.europa.eu/en/policies/migratory-pressures/history-migratory-pressures/
-. Déclaration de Federica Mogherini http://eeas.europa.eu/statements-eeas/2015/151129_01_en.htm
-. Discours de Martin Schulz, président du Parlement européen lors du sommet informel UE-Turquie du 29 novembre http://www.europarl.europa.eu/the-president/fr/press/press_release_speeches/speeches/speeches-2015/speeches-2015-november/html/sommet-informel-entre-l-union-europeenne-et-la-turquie—discours-de-martin-schulz–president-du-parlement-europeen;jsessionid=8034BA5EA652C263935635083D17AA25
-. EU- Turkey Joint action plan du 15 octobre http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-15-5860_en.htm
Comme d’habitude, l’Europe a été montrée du doigt, avec la Belgique, pour faire bonne mesure, après les attentats de Paris. J’explique ici pourquoi il s’agit d’un procès totalement infondé, tout comme Arnaud Danjean, député européen LR et ancien de la DGSE. Bonne lecture !
Doru Perincek d’un côté, Dieudonné de l’autre, avis d’une experte en génocide arménien et d’un expert en matière de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. L’avis de l’experte, Sévane Garibian est rapporté par le journal le Temps du 1er décembre 2015. Elle est l’auteure de «De la rupture du consensus. L’affaire Perinçek, le génocide arménien et le droit pénal international», in Le génocide des Arméniens. Cent ans de recherche 1915-2015, Armand Colin, Paris, 2015. D’un côté, Dogu Perinçek est blanchi par la CEDH au nom de la liberté d’expression. De l’autre, la même Cour confirme déboute Dieudonné de son appel devant la CEDH pour injure raciale. L’argument de la liberté d’expression serait-il à géométrie variable ? Quant à l’avis de l’expert, il s’agit de celui de Nicolas Hervieu.
Commentaires de Sévane GaribianLe 15 octobre 2015, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) concluait, par dix voix contre sept, à la violation par la Suisse de la liberté d’expression de Dogu Perinçek. Cet homme politique turc avait préalablement été condamné pour avoir nié publiquement le génocide des Arméniens de 1915. L’arrêt définitif de la Grande Chambre a été salué comme une «victoire» par les gouvernements turc et arménien, pour des raisons différentes. Quant à l’Office fédéral de la justice, il a pris acte en affirmant qu’il «est trop tôt pour mesurer les conséquences de ce jugement sur le plan juridique».
Ces réactions traduisent l’ambivalence d’une décision européenne qui soulève plus de questions qu’elle n’en résout. Ceci d’autant plus depuis la publication, le 10 novembre dernier, de la décision de la même Cour dans l’affaire Dieudonné (condamné en France pour injure raciale), déclarant avec fermeté que la liberté d’expression ne protège pas les spectacles négationnistes et antisémites. Cette actualité s’inscrit au cœur d’une année marquée par le centenaire du génocide arménien d’une part, et par un regain d’attention sur la portée et les limites de la liberté d’expression en Europe d’autre part. Elle offre l’occasion de revenir sur quelques-uns des points les plus saillants de l’arrêt Perinçek.
Tout d’abord, la courte majorité ne fut manifestement pas évidente à obtenir au sein de la Grande Chambre qui traitait, pour la première fois, de négationnisme. L’arrêt de 139 pages contient nombre d’opinions dissidentes importantes – dont celles des présidents et vice-président de la Cour – illustrant de fortes dissensions internes.
Par ailleurs, la Cour abandonne l’argument préalablement utilisé dans l’arrêt de première instance de 2013, selon lequel il n’existerait pas de «consensus général» sur la qualification juridique de génocide s’agissant de l’extermination des Arméniens. Elle précise en outre qu’elle n’a ni l’obligation, ni la compétence, de se prononcer sur la qualification de ces événements. Reste que les juges dissidents soulignent la «timidité certaine» de la Cour et affirment que «le génocide arménien est un fait historique clairement établi». «Le nier – disent-ils – revient à nier l’évidence».
Ensuite, l’issue de l’affaire Perinçek découle d’une appréciation contestable de la nature des propos litigieux, du contexte général de leur énonciation et de la différenciation avec la négation de l’Holocauste. En effet, la Cour considère que la protection des droits et de la dignité des Arméniens ne nécessitait pas, en l’espèce, une condamnation pénale de Dogu Perinçek, pour trois raisons principales. Premièrement, seul un mobile haineux ou raciste justifierait une limitation de sa liberté d’expression: ses propos, de nature «politique» et portant sur une question «d’intérêt public», bénéficieraient d’une protection renforcée. Celle-ci réduirait d’autant la marge d’appréciation des autorités suisses.
Deuxièmement, l’appel à la haine ou à l’intolérance ne serait pas prouvé dans ce cas, vu le contexte que la Cour résume ainsi:
1. la Suisse n’est pas directement liée aux faits historiques en question (elle n’est ni responsable ni complice) ;
2. rien ne prouve qu’il y avait ici, à l’époque des discours du requérant, un climat dangereux de tensions entre Turcs et Arméniens ;
3. le temps écoulé entre les atrocités de 1915 et les propos de M. Perinçek amenuisent leurs effets nuisibles.
Enfin, au regard du contexte historique européen, seule la négation de l’Holocauste supposerait une présomption automatique du caractère antidémocratique et antisémite des propos litigieux, donc du mobile raciste ou haineux. La Cour souligne, pour ce seul cas, l’existence d’une «responsabilité morale» des États. Chacun de ces points, désavoués par les juges dissidents, mérite réflexion tant d’un point de vue juridique que philosophique.
S’ajoute à cela un autre point réfuté par quatre juges contre treize: la non application, dans cette affaire, de l’article 17 de la Convention européenne des droits de l’homme sur l’abus de droit (c’est-à-dire sur le fait de se prévaloir de sa liberté d’expression pour défendre des valeurs contraires à celles protégées par la Convention, telles que la justice et la paix). La Cour a pourtant déjà appliqué cette disposition dans le passé s’agissant, notamment, de propos islamophobes, négationnistes et/ou antisémites. Elle le fait à nouveau le 10 novembre dans l’affaire Dieudonné, où elle refuse de mettre sur le même plan des faits historiques clairement établis et une thèse idéologique négationniste.
En conclusion, l’arrêt Perinçek ne remet pas en question la norme antiraciste suisse – que la CEDH estime conforme au principe de légalité –, mais sa seule application au cas d’espèce. En outre, l’appréciation de la Cour, elle le dit elle-même, s’opère «au cas par cas» à la lumière d’une conjonction de facteurs. Plus globalement, rien ne permet d’affirmer que cet arrêt mette fin à la pénalisation du négationnisme en Europe. Il confirme toutefois l’importance, et la nécessité, de la preuve d’une incitation à la haine ou à la violence au travers des propos litigieux, analysés dans leur contexte. Si cet élément n’est pas nouveau, son évaluation reste incertaine et fondée sur des critères discutables, remis en cause par les juges dissidents.
Conclusions : des leçons à tirer et les commentaires de Nicolas HervieuPremière leçon ; ces problèmes de liberté d’expression ne sont pas faciles à régler tant les aspects émotionnels, passionnels et politiques sont forts. Leur importance cruciale n’est pas à démontrer. Beaucoup de cas d’espèces. Une fois de plus ayons recours à Nicolas Hervieu pour tenter de discerner une conduite à recommander
Quoi que l’on pense de la pénalisation du négationnisme en général, et de l’issue de l’affaire Perinçek en particulier, force est de constater que l’appréciation de la Cour soulève de nombreuses interrogations. Par exemple : s’agissant du facteur historico-géographique, qu’en serait-il donc d’une potentielle négation du génocide rwandais en Suisse ? Et si l’on tient compte du facteur temporel, alors quid de la négation de l’Holocauste dans quarante ans ? Quant à l’examen de la nature des propos du requérant, comment ne pas tenir compte, entre autres, du fait qu’il soit le fondateur du Comité Talaat Pacha visant la réhabilitation de la mémoire d’un génocidaire – Comité condamné en 2006 par le Parlement européen pour être «xénophobe et raciste» ? Et pourquoi ne pas analyser avec la même précision que dans d’autres cas, tel que dans la récente affaire Dieudonné, la mécanique de la rhétorique négationniste et ses usages multiformes? Que penser de la distinction de principe posée par la CEDH entre la négation de l’Holocauste et celle des autres crimes contre l’humanité au risque de créer une inégalité de traitement ?
La question, inévitable, fera prochainement l’objet d’un examen par le Conseil constitutionnel en France : celui-ci est appelé à se prononcer pour la première fois sur la loi Gayssot de 1990, qui réprime la seule négation des crimes nazis, à la lumière du principe de l’égalité. Quant à la négation du génocide arménien : quelles conséquences après la décision de la Cour européenne des droits de l’homme ? Nicolas Hervieux de l’Université Paris-Ouest analyse la décision. La CEDH a jugé que la Suisse ne pouvait pas condamner les propos négationnistes tenus pas un politicien turc sur son sol.
Un «mensonge international». C’est ainsi que l’homme politique turc, Dogu Perinçek, qualifie le génocide arménien. Pour ces propos, tenus à trois reprises lors de conférences en Suisse, il a été condamné en 2007. Mais la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a donné tort à la justice suisse, le 15 octobre dernier. Ces propos n’ont pas porté atteinte «à la dignité des membres de la communauté arménienne au point d’appeler une réponse pénale en Suisse» ont estimé les juges. Une décision qui pourrait avoir des conséquences en France, où François Hollande avait promis, en 2012, une nouvelle loi pénalisant la négation du génocide arménien. Un premier texte avait été invalidé par le Conseil constitutionnel, quelques mois plus tôt.
Cette décision de la Cour européenne des droits de l’Homme peut-elle être considérée comme une remise en cause du génocide arménien ? Pour Nicolas Hervieu pas du tout ! La Cour ne s’est pas prononcée sur l’existence ou non du génocide, mais sur la question de savoir s’il était contraire à la liberté d’expression de pénaliser des propos qui le nient. De plus, elle a bien précisé qu’elle n’avait pas à dire si la pénalisation du négationnisme peut ou non se justifier en soi. La CEDH s’est prononcée sur une affaire particulière, celle concernant les propos tenus en Suisse par un homme politique turc et qui ont conduit à sa condamnation pour négationnisme.
Dans ce cas, en quoi le discours de Dogu Perinçek, qui nie le génocide, est-il jugé «acceptable» ? La CEDH part du principe que le négationnisme n’est pas, en soi, un discours prohibé, que nier un fait historique ne sort pas des limites acceptables de la liberté d’expression. Évidemment, il y a des exceptions, en cas d’appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance. Mais les propos de cet homme politique, aussi incisifs soient-ils, n’ont pas été jugés assez violents pour relever de tels cas
La CEDH a aussi tenu compte du contexte du pays où la sanction a été prononcée. Elle juge que la Suisse n’a pas de liens historiques, géographiques et humains assez forts avec le génocide arménien pour justifier de pénaliser sa négation. Même la présence d’une communauté arménienne en Suisse n’a pas suffi.
Est-ce sur ce point qu’il y a une distinction entre le génocide arménien et la Shoah aux yeux de la Cour ? La CEDH le dit explicitement : dans des États qui ont connu les horreurs nazies – comme la Belgique, la France ou l’Allemagne -, la négation de l’existence de la Shoah peut être sanctionnée, compte tenu de la forte sensibilité de cet évènement historique. Dès lors, dans ces pays, de tels propos sont toujours présumés haineux et antisémites. Mais tout dépend du contexte particulier d’un État. Ainsi, en Arménie ou en Turquie, les propos niant le génocide arménien pourraient en soi être interdits. Mais ce n’est pas le cas en Suisse.
Cette décision est-elle une défaite pour les partisans de la pénalisation du génocide arménien en France ? Elle fragilise considérablement leur argumentation juridique. En 2012, le Conseil constitutionnel avait déjà censuré une loi qui allait dans ce sens. Cet arrêt ne renverse pas la jurisprudence, au contraire, il la renforce. Il serait donc étonnant que le législateur prenne le risque d’adopter une nouvelle loi, car elle aurait toutes les chances de subir le même sort. C’est aussi une mauvaise nouvelle pour ceux qui revendiquent la pénalisation du génocide rwandais ou cambodgien : il n’est pas acquis qu’un lien direct et suffisamment fort existe entre la France et ces faits commis dans des pays lointains. En revanche, la loi Gayssot – qui pénalise la négation de la Shoah et qui est actuellement contestée devant le Conseil constitutionnel – sort nettement renforcée.
Certes, la jurisprudence européenne n’est pas intangible, et pourrait varier dans quelques années, à la faveur d’une nouvelle affaire. Les juges sont très divisés sur cette question. L’arrêt concernant le génocide arménien a été rendu à une courte majorité de 10 contre 7. Les juges minoritaires ont critiqué cette décision, car elle risque d’ouvrir, selon eux, la porte à une forme de relativisme des génocides – selon les pays – et donc affecterait l’universalité des droits de l’homme. Mais cet arrêt, rendu par la Grande chambre de la CEDH, après de longs et riches débats, conservera pour longtemps une autorité considérable.
Ces deux points de vue nous confortent dans notre opinion que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme sont d’une subtilité très grande dans leur recherche d’un équilibre entre plusieurs tentations. Une dose importante de sagesse et de prudence dans des matières hautement inflammables et à l’impact politique redoutable.
Henri-Pierre Legros