Le mandat de Jean-Claude Juncker a politiquement pris fin le 18 avril 2018 à Strasbourg, dix-neuf mois avant son échéance normale. C’est l’avis de la plupart des eurodéputés, mais aussi des fonctionnaires européens et des Etats membres qui, tous, restent sidérés de l’autisme manifesté par le président de la Commission européenne : jusqu’au bout, il aura refusé de sacrifier l’Allemand Martin Selmayr, son secrétaire général-chef de cabinet-sherpa de 47 ans, mettant même sa propre démission dans la balance si le Parlement osait réclamer la démission de son homme de confiance. S’il a obtenu satisfaction, les eurodéputés calant devant la perspective d’une crise politique, il sort du «SelmayrGate» en lambeau. Car la réalité est là: la résolution adoptée la semaine dernière à la quasi-unanimité est une condamnation sans réserve de Juncker et du collège des 27 commissaires accusés d’avoir mené un «coup de force [«golpe», en espagnol, ndlr] à la limite de la légalité, voire au-delà» pour promouvoir Martin Selmayr au poste de secrétaire général.
«Selmayr aurait dû démissionner dès que sa nomination a été mise en cause par la presse et la commission de contrôle budgétaire du Parlement, ne serait-ce que pour protéger son président et la Commission», juge une eurodéputée influente: «Au lieu de ça, il s’est accroché jusqu’au bout. Quelle est son influence désormais puisque toutes ses décisions seront soigneusement scrutées ? Surtout, quel est son avenir ? Dans vingt mois, il sera viré par le futur président qui ne pourra pas s’encombrer d’un tel personnage.» De fait, l’article 50 du statut de la fonction publique européenne permet de congédier sans raison les hauts fonctionnaires de la Commission (avec indemnités, bien sûr). «Terminer sa carrière à 49 ans avec un article 50 et une réputation épouvantable, c’est le résultat de la manœuvre menée par un homme qui n’est manifestement pas si brillant», ironise la députée déjà citée. Surtout, dans quelle démocratie un fonctionnaire mis en cause par son Parlement aurait-il été maintenu à son poste par son autorité politique ? Et, pour ne rien arrangé, l’exécutif européen a refusé sèchement de se livrer à une «nouvelle évaluation» de la nomination du secrétaire général comme le lui demandait le Parlement, signifiant ainsi toute la considération qu’il porte à la démocratie européenne... «La réputation» de la Commission, comme le souligne le Parlement, est sérieusement entachée à un an des élections européennes.
Il est frappant de voir que personne n’a défendu le sulfureux secrétaire général, que ce soit à Bruxelles ou dans les capitales européennes, tant il s’est fait d’ennemis au cours de sa carrière. Un ministre d’un pays d’Europe centrale nous a ainsi confié sa répulsion à l’égard d’un personnage «qui méprise tout le monde à part lui-même et qui nous a causé de gros problèmes politiques par ses décisions : vous ne trouverez personne dans la région qui le défende». C’est aussi vrai en Allemagne, Berlin ayant compris que ses ambitions de faire main basse sur d’autres postes européens sont désormais compromises, le cavalier seul de Selmayr ayant attiré l’attention sur la surreprésentation – c’est un euphémisme – des Allemands au sein des institutions communautaires. Quant à Juncker, sa défense de Selmayr relève du suicide politique: révéler ainsi sa totale dépendance à l’égard d’un fonctionnaire fait peser un sérieux doute sur celui qui a vraiment dirigé la Commission européenne depuis 2014.
Le dernier mandat de l’ancien Premier ministre luxembourgeois aura été le mandat de trop.