Emmanuel Macron manie le verbe européen à l’instar d’un François Mitterrand et d’un Helmut Kohl, ce qui fait se pâmer le tout Bruxelles. Et personne n’a oublié qu’il a terrassé l’hydre europhobe Marine Le Pen, drapeau européen au poing. Mais au-delà, il est bien seul tant sa stratégie européenne apparaît pour le moins brouillonne. Car se poser en tête de file des europhiles et des défenseurs intransigeants des valeurs européennes, un rôle que Viktor Orban, le Premier ministre conservateur hongrois, et Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur d’extrême droite italien, rêvent de lui voir endosser, ne suffira pas à gagner les élections européennes et encore moins à lui assurer un groupe politique au sein du Parlement européen, clef de toute stratégie d’influence.
« On peut comprendre que Macron veuille répéter en France l’opération qui lui a permis de gagner l’élection présidentielle en agrégeant autour de lui toutes les forces pro-européennes et progressistes, mais sa stratégie est risquée au niveau européen », analyse un haut fonctionnaire du Parlement. En effet, le clivage europhobes/europhiles qui transcenderait au moins partiellement le clivage gauche/droite n’existe pas partout. « Par exemple, poursuit cet eurocrate, en Espagne et au Portugal, il n’y a pas de parti eurosceptique. Si on transforme l’élection européenne en référendum pour ou contre l’Europe, on va y créer une offre extrêmement dangereuse ».
Le piège est d’autant plus grand que cela donnerait aux citoyens l’impression qu’il faut accepter l’Europe telle qu’elle est, c’est-à-dire avec les politiques mises en œuvre par les conservateurs du PPE (Parti Populaire européen) qui domine le jeu depuis 20 ans. Ainsi, le référendum français de 2005 sur le traité constitutionnel européen a montré qu’un choix binaire donnait un coup de fouet aux partis eurosceptiques et europhobes, de droite comme de gauche, qui apparaissent comme la seule alternative possible à une Europe dont on ne partage pas toutes les orientations. En Allemagne, cela donnerait le beau rôle à l’AfD, le parti xénophobe d’extrême droite qui se poserait en seul défenseur d’une « autre Europe ». En Hongrie ou en Italie, Orban et Salvini n’attendant eux aussi que cela.
Le Belge Guy Verhofstadt, patron « macroncompatible » du groupe libéral du Parlement européen, lui, estime que l’affrontement contre les démagogues europhobes est le meilleur moyen d’affaiblir le PPE en mettant le doigt sur ses contradictions. En effet, c’est un regroupement à large spectre, puisqu’il va des socio-chrétiens luxembourgeois, assez proches de la social-démocratie, au Fidesz de Viktor Orban qui a théorisé l’illibéralisme, en passant par l’ÖVP autrichien allié à l’extrême droite du FPÖ. Verhofstadt, tout comme Macron, espère faire voler en éclat le PPE en menant une campagne référendaire ou au moins de l’empêcher de faire alliance avec les populistes qui ne sont pas pour une remise en cause de l’État de droit, comme la Ligue de Salvini « qui n’hésitera pas à lâcher sa copine Marine qui, elle, restera infréquentable à jamais », s’amuse un conseiller politique libéral. À partir du moment où on est allié avec Orban, il est vrai que Salvini n’est pas si terrifiant que cela.
Reste que le rêve de Macron de constituer un groupe pivot autour d’En Marche s’est évanoui à cause de son indécision. Il a mis un an à recevoir Verhostadt (fin juillet) qui était pourtant prêt à faire exploser son groupe pour rejoindre en Marche, a refusé de proposer une alliance au Mouvement cinq Étoiles qui désormais colle à la Ligue, a laissé dériver Ciudadanos sur une ligne encore plus dure que celle du Partido Populare sur la question catalane, ce qui a ouvert un espace inespéré aux socialistes espagnols… Aujourd’hui, mis à part le Parti démocrate italien en chute libre, on ne voit plus très bien avec qui il pourrait constituer un groupe qui compte, sauf à espérer qu’une partie du PPE renâcle à une alliance avec les populistes. Résultat : à neuf mois des Européennes, En Marche sera sans doute réduit à n’être qu’une force d’appoint du groupe libéral de Verhofstadt qui ne lui fera pas de cadeau après avoir été malmené par Macron. D’autant que les députés inexpérimentés ne peuvent espérer aucun poste d’influence… Bref, Macron l’europhile risque bien d’être réduit à l’impuissance faute de troupe.
N.B.: article paru dans Libération du 6 septembre
Photo: AFP
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