Voici la version française de mon article paru dans The Guardian du 16 juillet.
La scène se passe le 16 juin 1998 à Cardiff. Le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement clôturant la présidence britannique de l’Union vient de se terminer et le Premier ministre Tony Blair donne sa conférence de presse. Le dépenaillé rédacteur en chef adjoint du Daily Telegraph, Boris Johnson, qui va fêter ses 34 ans, prend la parole et se lance dans une longue tirade qui est davantage un éditorial qu’une question. Blair, de 10 ans son ainé et qui a fréquenté les mêmes écoles que Johnson, ironise : « Boris, vous devriez être Premier ministre ! » L’anecdote prend tout son sel 21 ans plus tard alors que l’ancien journaliste conservateur devenu un politicien retord pourrait bien faire son entrée au 10 Downing street…
L’ascension de cet europhobe opportuniste laisse sans voix à Bruxelles où l’on garde un souvenir douloureux de celui que l’on surnomme encore ici le « bouffon ». Fils d’un ancien fonctionnaire européen - et même eurodéputé de 1979 à 1984 -, il s’y est fait connaitre comme correspondant du Daily Telegraph dans la capitale de l’Union entre 1989 et 1994. Tous ceux qui l’ont connu à cette époque en gardent un souvenir ému, car c’est lui qui a inventé un genre journalistique, les « Euromyths » que l’on appellerait aujourd’hui « Fake news ». Il n’a pas hésité, avec l’approbation de sa rédaction en chef, à travestir la réalité, voire à inventer de toutes pièces des histoires, afin de donner de l’Europe l’image d’un monstre bureaucratique prenant des décisions les plus absurdes. Comme me l’a alors expliqué ce jeune homme de 28 ans qui portait toujours des vestes froissées à la propreté douteuse et une chemise à moitié sortie du pantalon (so british !) : « il ne faut jamais laisser les faits arrêter une bonne histoire ». On peut citer, parmi celles-ci, la police visant à vérifier la courbure des bananes, la standardisation des cercueils, l’interdiction des cocktails de crevettes ou encore le mode de vie forcément somptuaire d’eurocrates surpayés et ne payant pas d’impôt.
Pour les Européens, Boris Johnson était et reste l’incarnation de ce qui se fait de pire dans l’élite anglaise (et non britannique) formée dans les Public schools et « Oxbridge », c’est-à-dire subtilement arrogante, totalement cynique, gentiment xénophobe, sûre de sa supériorité culturelle. Sur ce dernier point, et contrairement à l’image populaire qu’il aime à se donner, Johnson est un homme fin et d’une culture immense qui faisait pâlir d’envie ses collègues. Ainsi, un journaliste espagnol se souvient l’avoir vu lire un livre en grec ancien lors d’un voyage en avion. Il a même un jour posé une question en latin en salle de presse, à une époque où seul le français y était autorisé, à propos d’un soi-disant projet de directive visant à imposer les noms latins des poissons afin de faciliter la politique commune de la pêche... Boris Johnson en salle de presse de la Commission, c’était le spectacle assuré.
Humainement, Johnson était un dilettante qui s’assumait, un bon camarade, bon vivant, toujours prêt à donner un coup de main. Et surtout, il était toujours à l’affut de « la » bonne histoire. Son antienne quotidienne, prononcée d’une voix de Stentor qui résonne encore dans ma tête était : « what’s the story today, Jean ? » Mieux valait peser ses mots pour éviter de retrouver une histoire délirante et non sourcée dans le Telegraph… Il était totalement désarmant, car il ne s’agissait pas d’un idéologue hargneux pour qui l’Europe était le mal absolu, le nouveau Reich de mille ans. Non, plus simplement, c’était un homme sans conviction que tout amusait et qui ne se préoccupait absolument pas des conséquences de ce qu’il écrivait ou du mal qu’il faisait. Doté d’un solide sens de l’humour, il savait faire taire rapidement les critiques les plus virulentes : comment combattre un homme qui assume ses mensonges et n’a aucune illusion sur un métier qu’il n’exerçait que pour obtenir de l’influence. De ce point de vue, sa réussite a été totale : il a réussi l’exploit de transformer durablement la presse britannique, et pas seulement la presse conservatrice, qui a couru après le succès des Euromyths, une presse qui a pavé le chemin du Brexit. Un ancien correspondant du Times (un journal qui avait pourtant viré Johnson au début de sa carrière pour mensonge) pleurait presque en racontant que ses articles étaient totalement réécrits à Londres afin de coller aux préventions europhobes locales. Mais il est vrai que la vérité est souvent moins spectaculaire et ne fait pas vendre.
Voir cet enfant gâté, qui ment comme un enfant, à l’idéologie aussi molle qu’un caramel par temps de canicule, aux portes du pouvoir donne le sentiment aux partenaires de Londres d’assister au « déclin de l’Empire britannique », pour paraphraser le titre d’un film québécois (« le déclin de l’Empire américain »). Une sorte d’épiphanie d’une séquence politique ouverte avec la décision d’un condisciple de Johnson, David Cameron, d’organiser un référendum sur l’appartenance de son pays à l’Union qui a ridiculisé pour longtemps aux yeux du monde un Royaume-Uni incapable de sortir de l’Union.
Au fond, Boris Johnson est à l’image de la classe politique britannique : un politicien qui joue cyniquement avec l’avenir de ses concitoyens et de son pays pour s’emparer du pouvoir. Mais sa force est aussi d’être dépourvu de vraies convictions, ce qui le rend imprévisible. On considère à Bruxelles qu’il est capable de tout, même de renoncer au Brexit s’il y voit son intérêt personnel. Après tout, ne s’est-il pas longtemps opposé au Brexit avant de prendre la tête de la campagne du « leave », n’hésitant pas à mentir, et à l’admettre, ou à insulter ses partenaires européens avant de faire marche arrière… Tout compte fait, mieux vaut un « bouffon » pragmatique qu’un idéologue fanatique. Mais attention : il peut trouver amusant de précipiter son pays dans le précipice, bien loin du sens de l’État d’un Churchill dont il a été un bon biographe.
Et voilà, le temps des vacances est venu. Je disparais jusqu’au 22 août prochain.
L’année a été particulièrement riche en actualité et en évènements personnels: mon nouveau livre, «Il faut achever l’euro», la parution de la seconde édition de mes «salauds de l’Europe», deux prix de journalisme (Prix «mieux comprendre l’Europe» et prix catalan Ernest Udina de la trajectoire européenne), un documentaire, «Qu’est-ce qu’un bon impôt?», etc. Le tout couronné par la chute de Martin Selmayr, le secrétaire général de la Commission, dont j’ai démontré l’illégalité de la nomination et révélé ses manoeuvres dignes de Frank Underwood. Mais rien de personnel, comme le montre ce photomontage que je dois à @Berlaymonster ;-)
Je soupçonne votre frustration d’avoir vu disparaitre, en septembre dernier, les commentaires de ce blog à la suite d’un gros problème technique sur le serveur de Libération qui n’est toujours pas réglé à ce jour. J’espère qu’ils reviendront... En attendant, vous pouvez commenter sur Twitter (@quatremer) et sur mes trois pages Facebook (deux «Jean Quatremer» et une «Coulisses de Bruxelles»).
En attendant de vous retrouver, dans le journal, sur le net, à la télévision, je vous souhaite de bonnes vacances.
Fidèlement votre.
Ursula von der Leyen, la présidente élue de la Commission, a fait tomber sa première tête, et pas n’importe laquelle : celle de Martin Selmayr, le sulfureux secrétaire général de l’exécutif européen, le poste le plus important de l’administration communautaire. C’est lundi soir, à la veille du vote d’investiture de la ministre de la Défense allemande, que Selmayr a annoncé à ses collaborateurs son départ effectif dès la semaine prochaine. Officiellement, selon le site Politico, à qui il a réservé la primeur de la nouvelle, afin d’éviter que les deux postes les plus importants de la Commission soient occupés par des Allemands.
Si cet élément a sans doute compté, il n’y avait en réalité aucune urgence à son départ puisque la nouvelle Commission ne prendra ses fonctions que le 1er novembre. Celui que Jean-Claude Juncker surnomme «le monstre» aurait donc pu rester en place jusque-là et continuer à placer ses affidés à tous les postes de direction comme il le fait depuis 18 mois. Les vraies raisons de ce départ précipité sont autres. Ce sont, en effet, les chefs d’Etat et de gouvernement qui ont exigé son départ le 2 juillet, lors du sommet consacré aux nominations des dirigeants de l’Union. Une première depuis 1958, les Etats ne se mêlant jamais directement des affaires internes des institutions communautaires. Mais cette fois, il en allait différemment, les Vingt-huit ayant pris conscience de la place démesurée prise par cet Allemand de 49 ans à qui Jean-Claude Juncker, le président sortant de la Commission, a littéralement confié les rênes du pouvoir. Sa nomination illégale au poste qu’il occupe, en février 2018, révélée par Libération, et dénoncée tant par le Parlement européen, qui a même réclamé à deux reprises sa démission, que par la médiatrice européenne, et ses abus de pouvoir manifestes ne l’ont pas ébranlé. Rien ne semblait pouvoir le déboulonner.
Manœuvres disqualifiantes
Mais il a franchi la ligne rouge en encourageant, le 30 juin, les chefs de gouvernement des pays de l’Est à refuser la nomination à la présidence de la Commission du socialiste néerlandais Frans Timmermans, comme le proposait Angela Merkel, la chancelière allemande, afin de promouvoir la candidature de «son» candidat, le Premier ministre croate, Andrej Plenkovic. En effet, il savait que le Néerlandais, qui le déteste cordialement, le virerait sans état d’âme, alors qu’un ressortissant d’un petit pays, débordé par l’ampleur de la tâche, le laisserait agir à sa guise. Pour ne rien arranger, durant tout le sommet du 30 juin au 2 juillet, il s’est comporté comme un chef de gouvernement, essayant d’influencer les négociations, ce qui a achevé de le discréditer.
Pour ne rien arranger, il a essayé de faire trébucher Ursula von der Leyen devant le Parlement européen afin de remettre Plenkovic dans la course. Il est presque arrivé à ses fins puisqu’elle lui doit largement sa faible majorité (383 voix alors qu’il lui en fallait 374). De fait, il lui a fourni une équipe de transition particulièrement faible qui l’a mal préparéе aux réalités européennes et il lui a donné des consignes de prudence totalement contre-productives : ses auditions devant les groupes politiques, la semaine dernière, ont été catastrophiques. Il a fallu que Paris et Berlin interviennent directement, d’où la qualité exceptionnelle de son discours mardi matin à Strasbourg qui lui a sans doute sauvé la peau.
Grand ménage
La coupe était dès lors pleine : Ursula von der Leyen, qui n’a jamais hésité à faire le ménage dans les différents ministères qu’elle a occupé, n’ayant pas pour habitude de se laisser diriger par des technocrates, a exigé la tête de Selmayr. L’homme va donc quitter la Commission par la petite porte, totalement discrédité. Mais il n’a pas dit son dernier mot : il compte bien rebondir ailleurs. Ainsi une rumeur le donne secrétaire général (un poste qui n’existe pas...) de Christine Lagarde à la Banque centrale européenne (BCE). Mais on imagine mal cette dernière s’encombrer d’une personnalité aussi nocive au risque d’apparaître comme une marionnette de Selmayr… En attendant, le collège des commissaires devrait le nommer, mercredi 24 juillet, directeur du bureau de la Commission à Vienne, certes une chute spectaculaire dans la hiérarchie, mais qui lui permettra de conserver son salaire de 17.000 euros par mois.
En attendant, les eurocrates de l’entourage du secrétaire général déchu ont commencé à retourner leur veste : chacun fait valoir ses actes de «résistance» face à l’autocrate pour sauver sa peau… Or, seul, l’Allemand ne serait pas arrivé là où il est. En particulier, il a pu compter sur le soutien indéfectible du directeur général du service juridique, l’Espagnol Luis Romero Requena : c’est lui qui a organisé sa nomination en violation du statut de la fonction publique européenne, un texte qu’il est censé faire respecter comme gardien du droit. Bref, von der Leyen a du ménage à faire. Elle devra s’appuyer sur un secrétaire général fidèle à l’institution plus qu’à ses propres intérêts : le nom du Français Olivier Guersent, le directeur général «services financiers» de la Commission, un haut fonctionnaire dont personne ne conteste les grandes qualités, est le plus souvent cité.
MEPs also elected the four Vice-Chairs that will form, together with Marie Arena, the Subcommittee's bureau:
Ms Irina Von Wiese (Renew Europe, UK) will be first Vice-Chair,
Ms Hannah Neumann (Greens/EFA, DE) will be second Vice-Chair,
Ms Karoline Edtstadler (EPP, AT) will be third Vice-Chair, and
Mr Raphaël Glucksmann (S&D, FR) will be fourth Vice-Chair.