Mon article sur le prix catalan Ernest Udina que j’ai reçu vendredi à Barcelone. Avec dedans de vrais morceaux de bêtise eurocratique...
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C’est un couac de belle ampleur : Carles Puigdemont et Toni Comin, deux indépendantistes catalans qui viennent d’être élus députés européens, n’ont pu pénétrer, mercredi après-midi, dans les locaux du Parlement pour obtenir leur accréditation. La décision a été prise par le président sortant du Parlement européen, l’Italien Antonio Tajani, et son secrétaire général, l’Allemand Klaus Welle, tout deux membres du PPE (conservateurs).
« Lorsque nous sommes arrivés avec d’autres élus espagnols, les huissiers ont demandé de décliner notre identité. Nous avons alors constaté que nos noms étaient en gris sur la liste. Ils ont passé un appel téléphonique et nous ont indiqué qu’ils avaient reçu instruction de refuser l’entrée aux élus catalans », nous raconte Carles Puigdemont, l’ancien président de la Généralité de Catalogne, auteur d’une tentative de sécession ratée en 2017 et qui s’est depuis réfugié en Belgique. « Deux responsables de la sécurité se sont succédés pour nous expliquer que l’Espagne n’avait pas communiqué la liste définitive des députés élus et que Klaus Welle avait donné instruction de ne pas nous laisser entrer. Pourtant, tous les autres élus ont obtenu leur accréditation sans problème », poursuit Puigdemont. « Et ils ont refusé de nous notifier par écrit ce refus d’entrée ! »
Il est vrai qu’en Espagne, on ne devient définitivement député (régional, fédéral ou européen) qu’après avoir prêté serment de fidélité à la Constitution devant la Commission électorale centrale. Mais, pour l’instant, aucun eurodéputé espagnol ne s’est acquitté de cette formalité. En clair, soit les 54 eurodéputés peuvent obtenir leur accréditation, soit aucun. Discriminer uniquement les élus indépendantistes catalans semble donc être une décision politique. D’autant que les autorités du Parlement européen savent que si Puigdemont et Comin se rendent à Madrid pour prêter serment, ils n’ont guère de chance d’en repartir, puisqu’ils font l’objet d’un mandat d’arrêt notamment pour « sédition ». « Pourtant, je suis aussi élu au Parlement catalan et j’ai prêté serment par écrit de Bruxelles », se défend Puigdemont. Mais voilà : le code électoral espagnol exige que les députés européens le fassent sur place, car ils sont considérés comme des députés nationaux (qui, eux, prêtent serment lors de la session constitutive des Cortes) envoyés à Strasbourg. Car chaque Etat fixe dans sa loi nationale les conditions que doivent remplir les élus avant d’être proclamés eurodéputés, et ce, en l’absence d’une loi électorale européenne uniforme.
Le Parlement européen précise d’ailleurs que l’accréditation fournie aux nouveaux élus n’est que provisoire et qu’elle est destinée à leur facilité le travail : elle ne deviendra définitive qu’avec la proclamation, pays par pays, de la liste définitive des élus. Et il lui est déjà arrivé de refuser de la délivrer, par exemple à deux Finlandais qui contestaient le comptage des voix et s’estimaient tous les deux élus. Mais la raison est cette fois différente : les autorités du Parlement, qui sont sûres que Puigdemont et Cormin ne seront pas sur la liste finale, faute de pouvoir se rendre à Madrid, se servent de leur accréditation provisoire pour opposer leur légitimité européenne à la légalité espagnole… Une appréciation toute politique donc, le Parlement européen ne voulant pas se retrouver en porte-à-faux avec un Etat membre.
D’autant n’est pas la première fois que Tajani se comporte en fidèle allié de l’Etat espagnol. En mars dernier, il a ainsi refusé de prêter une salle pour un évènement organisé par des eurodéputés, car Puigdemont devait y prendre la parole. Raison invoquée : problèmes potentiels de sécurité… On se demande bien lesquels, alors que le Parlement européen est devenu Fort Knox depuis les attentats de Bruxelles. Le problème catalan est bien devenu l’angle mort de la construction communautaire et met en évidence que les élections européennes n’ont d’européennes que le nom.
Devant le scandale, le Parlement a décidé, vendredi, de suspendre toutes les accréditations provisoires délivrées aux députés espagnols en attendant que Madrid lui communique la liste définitive de ses députés européens…
Le successeur du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission ne sera pas l’Allemand Manfred Weber. Les présidents des groupes politiques du Parlement européen, qui se sont réunis mardi matin, n’ont pu que constater qu’il n’existait aucune majorité pour soutenir la tête de liste du PPE (conservateur) qui est arrivé en tête des élections européennes de la semaine dernière. La balle a donc été renvoyée dans le camp des chefs d’État et de gouvernement où le constat a été identique. La perle rare reste donc à trouver.
Les Vingt-huit avaient prévu de se retrouver dès mardi soir pour un diner informel afin de tirer les leçons des Européennes. Le PPE aurait aimé réitérer le coup de 2014, lorsqu’en accord avec les socialistes et fort de sa première place, il avait imposé au Conseil européen la nomination de Jean-Claude Juncker, leur tête de liste d’alors (« Spitzenkandidat » en allemand). Les chefs avaient accepté de se laisser forcer la main, car le Luxembourgeois était un ancien Premier ministre du Grand-Duché (1995-2013) et faisait donc partie du club. Surtout, conservateurs et socialistes avaient alors la majorité absolue à eux deux. Une époque désormais révolue : le PPE (180 élus sur 751) et les socio-démocrates (146 députés) enregistrent un recul historique et ont besoin d’un troisième groupe pour atteindre la majorité. En clair, sans les centristes (109 députés), ils ne peuvent rien faire.
Mardi matin, le Belge Guy Verhofstatdt, qui préside pour l’instant le groupe réunissant l’ADLE (libéraux) et les Français de Renaissance, a officiellement mis fin aux espoirs de Weber en refusant, avec d’autres présidents de groupes, d’entériner sa candidature. Certes, il a renouvelé son soutien à une résolution votée en février 2017 sur le système des Spitzenkandidaten (la liste arrivée en tête obtient la présidence de la Commission), mais celle-ci faisait explicitement le lien entre sa pérennisation et la création d’une circonscription transnationale (les têtes de liste devant se faire élire par l’ensemble des citoyens européens). Or le PPE a refusé sa création en 2018 afin d’affaiblir Emmanuel Macron qui la défendait.
C’est ce qui a poussé le chef de l’État français à s’opposer à cette nomination automatique, d’autant qu’elle revenait à assurer pour longtemps la présidence la Comission au PPE (qui possède le poste depuis 2004). La désignation par les instances dirigeantes du PPE (en réalité la CDU-CSU allemande) de Weber, qui n’a à son actif que la présidence du groupe politique du PPE et qui ne parle pas français, a achevé de convaincre le Président de rejeter ce système tant qu’une circonscription transnationale ne serait pas créée.
Sa tâche a été facilitée par l’excellente opération qu’il a réalisée dimanche dernier : certes, sa liste, Renaissance, est légèrement devancée par le Rassemblement national, mais avec ses 21 eurodéputés, il devient la force centrale du groupe charnière qu’il forme avec les libéraux, alors que l’extrême-droite, malgré ses 22 élus, ne pèse rien dans l’Assemblée européenne (elle siège dans un groupe de 58 députés totalement isolés). Surtout, Angela Merkel qui soutient le système des Spitzenkandidaten, alors qu’elle s’y opposait en 2014, sans doute parce que le candidat est cette fois Allemand, est considérablement affaiblie par la déroute du PPE et de la CDU. En outre, au sein du Conseil européen, l’équilibre politique a changé : le PPE est désormais à égalité avec les socialistes et les libéraux.
Le diner de mardi soir, qui a suivi une après-midi de rencontres bilatérales, a confirmé ce nouvel équilibre des forces. Un diner auquel n’ont assisté que les chefs qui ont été priés de laisser leur portable à l’extérieur… Curiosité de ce sommet : la présence de la Britannique Theresa May dont le pays aurait dû quitter l’Union le 29 mars dernier.
Merkel a dû reconnaitre de mauvaise grâce qu’il n’existait aucune majorité suffisante pour soutenir Weber. D’ailleurs, lors de sa conférence de presse, elle s’est abstenue de prononcer le nom de Weber dans son propos liminaire. En réponse à une question, elle a répété qu’elle le soutenait, mais que ce n’était pas le cas des socio-démocrates du SPD, son partenaire au sein de la Grande Coalition (GroKo)…
La chancelière a expliqué que le Polonais Donald Tusk, le président Conseil européen, va entamer des négociations avec le Parlement afin de trouver, d’ici le sommet des 21 et 22 juin, une personnalité susceptible de réunir une majorité absolue au sein du Parlement et une majorité qualifiée (55 % des États représentants 65 % de la population)au sein du Conseil. C’est un retour au traité de Lisbonne qui prévoit que les États nomment le président de la Commission « en tenant compte du résultat des élections européennes ».
Les Vingt-huit ont dressé une liste de critères. Ils veulent que le candidat prépare un programme précis traitant de la croissance et de l’innovation, de l’environnement, de la sécurité, de l’immigration, de la politique de défense et de l’Europe sociale. En outre, afin de rentre la pilule plus facile à digérer, cette nomination fera partie d’un paquet qui comprendra aussi les présidences du Parlement et du Conseil ainsi que le poste ministère des Affaires étrangères. La présidence de la Banque centrale européenne fera, elle, l’objet d’une négociation séparée entre les États. Il faudra enfin que la parité hommes-femmes soit parfaite, ce qui est une énorme nouveauté, et que l’équilibre est-ouest, sud-nord et bien sûr idéologique soit respecté. Bref, le candidat idéal sera une femme de l’Est acceptable par la droite, la gauche et le centre. Angela Merkel a cependant mis garde contre une bataille rangée qui laisserait des traces durables et pourrait empêcher l’adoption du cadre financier pluriannuel 2021-2027… De longues nuits de tractations s’annoncent et elles n’aboutiront sans doute qu’à la fin de l’été, comme en 2014 où il avait fallu réunir trois Conseils européens de rang.
La bataille pour la présidence de la Commission a débuté dès dimanche soir, alors que les résultats définitifs des élections européennes n’étaient pas encore connus. Le Français Joseph Daul, qui préside le Parti populaire européen (PPE, conservateurs), a immédiatement revendiqué le poste pour son camp : «Nous avons gagné les élections. Nous ne réclamons qu’un seul poste : la présidence de la Commission pour Manfred Weber», l’Allemand de la CSU «tête de liste» des conservateurs.
Charnière.
Pour Daul, l’affaire ne prête pas à discussion : depuis un accord passé en 2014 entre les groupes politiques du Parlement européen, c’est la tête de la liste arrivée première des élections qui doit s’installer au 13e étage du Berlaymont, là où se trouve le bureau du président de la Commission (système des «Spitzenkandidaten»). Mais c’est aller un peu vite en besogne. L’accord a pu être mis en œuvre à l’époque parce que le PPE allié aux socio-démocrates disposait de la majorité absolue de 376 voix. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. A eux deux, ils n’ont que 326 voix au maximum (180 pour le PPE, 146 pour les socialistes). Il faudra donc convaincre soit le nouveau groupe charnière ADLE-Renaissance (109 sièges) ou les Verts (69 sièges). Mais cela s’annonce difficile. D’une part, on voit mal les écologistes soutenir un membre de la CSU bavaroise. D’autre part, les Français d’En marche, première délégation nationale au sein du groupe centriste, ne veulent pas entendre parler de Weber, jugé sous-dimensionné pour le poste. L’homme n’a jamais exercé la moindre fonction ministérielle et il ne parle pas un mot de français, ce qui est pour le moins gênant à l’heure du Brexit. «Le PPE a placé la barre tellement bas en choisissant Weber que cela ouvre le jeu», se félicite une éminence française.
Le PPE n’est même pas certain de rallier les socialistes autour de la candidature de Weber, ceux-ci ayant rompu le précédent accord de coalition en 2016 en refusant de voter en faveur du conservateur italien Antonio Tajani pour la présidence du Parlement européen. Une prise de conscience tardive d’avoir servi de marchepied à la domination du PPE dans les institutions communautaires depuis vingt ans. Enfin, le PPE n’est plus en position de force : avec 180 élus, il perd 38 sièges par rapport à 2014 et est à son plus bas niveau depuis… 1989, époque où l’UE ne comptait que douze Etats membres. Surtout, la CDU est en fort recul en Allemagne.
Chance.
Afin d’éviter de laisser la main au Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement qui n’a pas apprécié de se faire déposséder de son pouvoir de nomination (le Parlement européen se contentait avant 2014 de confirmer son choix), les présidents de groupes se réunissent ce mardi à 10 heures, avant le dîner des 28 prévu le soir même. Mais un accord est improbable : ni ADLE-Renaissance, ni les eurosceptiques, ni la gauche radicale n’accepteront de laisser la main au PPE.
D’autant qu’au Conseil européen, «il y a très peu de chefs qui soutiennent Weber, affirme un diplomate de haut rang. Personne, pas même Merkel, n’a dit que c’était le candidat idéal.» Mieux : onze pays ont déjà dit non, ce qui constitue une minorité de blocage (les nominations se décident à la majorité qualifiée). Ne serait-ce que parce que le PPE occupe la présidence de la Commission depuis quinze ans. La candidature de l’actuel commissaire néerlandais, Frans Timmermans, tête de liste des socialistes, n’a guère plus de chance de prospérer, car il s’est mis à dos les pays d’Europe de l’Est sur la question du respect de l’Etat de droit. Si les Spitzenkandidaten sont écartés, le jeu peut s’ouvrir à d’autres candidats possibles : la libérale danoise Margrethe Vestager, actuelle commissaire à la concurrence, Michel Barnier, le négociateur du Brexit, Christine Lagarde, la patronne du FMI, Dalia Grybauskaite, présidente de la Lituanie, Mark Rutte, Premier ministre néerlandais, Charles Michel, son homologue belge, etc.
Une seule chose est certaine, le poste de président de la Commission fera partie d’un paquet incluant toutes les autres fonctions à pourvoir afin de donner quelque chose à chacun : vice-présidence de la Commission, présidence du Parlement et de la Banque centrale européenne, ministère des Affaires étrangères de l’Union. Une partie d’échecs en trois dimensions.