En quelques jours, le premier ministre israélien a annoncé la mise en chantier de plus de trois mille nouveaux logements à Jérusalem-Est et en Cisjordanie — plus que durant toute l'année 2016. Cette surenchère n'empêche pas M. Benyamin Netanyahou d'être débordé sur sa droite par son concurrent Naftali Bennett, qui se prononce pour l'annexion des territoires palestiniens occupés.
« La seule chose prévisible chez [Donald] Trump, c'est qu'il sera imprévisible (1). » Globalement pertinente, cette réflexion de Noam Chomsky l'est moins s'agissant du Proche-Orient. Trois prises de position du candidat républicain balisent sa politique présidentielle face au conflit israélo-palestinien : l'engagement de transférer l'ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem (2) ; le refus de considérer la colonisation des territoires occupés depuis 1967 comme un obstacle au processus de paix ; la décision de ne plus faire pression sur le gouvernement israélien afin qu'il négocie. Deux nominations apparaissent au moins aussi significatives : celle du gendre du président, M. Jared Kushner, qui soutient financièrement les colons, à la fonction de « haut conseiller à la Maison Blanche » ; et celle, au poste d'ambassadeur en Israël, de M. David Friedman, qui préside les Amis de Bet El, une vieille implantation juive de Cisjordanie. Le diplomate improvisé a aussitôt exprimé sa « hâte » de travailler « depuis l'ambassade américaine dans la capitale éternelle d'Israël ».
Les « avant-postes » légalisés ?Coïncidence ? L'arrivée de cette nouvelle administration se produit alors que l'extrême droite israélienne milite pour un tournant historique de la politique palestinienne de Tel-Aviv : l'annexion de la Cisjordanie. M. Naftali Bennett, dirigeant du parti religieux ultranationaliste Foyer juif, ministre de l'éducation et de la diaspora, prône depuis longtemps l'annexion de la zone C. Celle-ci, placée par les accords d'Oslo sous le contrôle exclusif d'Israël, représente plus de 60 % de la Cisjordanie, notamment la vallée du Jourdain, mais aussi l'ensemble des colonies et de leurs routes de contournement. Le 5 décembre 2016, M. Bennett est passé aux actes : il a fait voter en première lecture par la Knesset un texte légalisant quatre mille logements dans des « avant-postes », ces colonies que même le droit israélien considérait jusqu'ici comme illégales, car construites sur des terrains palestiniens privés expropriés. C'est une violation flagrante de la 4e convention de Genève et des résolutions des Nations unies. Pour que ce texte entre en vigueur, il lui faudra toutefois trois nouvelles lectures, puis la validation de la Cour suprême.
« C'est la loi la plus dangereuse édictée par Israël depuis 1967 », affirmait peu après le vote M. Walid Assaf, ministre palestinien chargé des colonies. Le procureur général d'Israël, M. Avichaï Mandelblit, s'opposait à ce texte contraire à la jurisprudence de la Cour suprême, et le chef de l'opposition travailliste Isaac Herzog l'assimilait à un « suicide national ». De même, deux cents anciens responsables se présentant comme les « commandants pour la sécurité d'Israël » dénonçaient dans le projet d'annexion la fin du caractère « juif et démocratique » de l'État. Ces réactions n'ont pas empêché M. Bennett de promettre pour fin janvier une nouvelle loi consacrant l'annexion de Maale Adoumim, l'un des trois principaux blocs de colonies israéliennes, à l'est de Jérusalem. Pour l'Autorité palestinienne, ce tournant équivaut à un arrêt de mort : l'annexion de la Cisjordanie lui laisserait peu à gérer, et encore moins à négocier.
Il y a cinquante ans, au lendemain de la guerre des six jours, le gouvernement de Levi Eshkol fit mine de ne pas vouloir modifier le statut des territoires occupés, à l'exception de Jérusalem-Est, annexée dès 1967 et proclamée, avec Jérusalem-Ouest, en 1980, capitale « entière et unifiée » du pays — ce que ne reconnaît pas la « communauté internationale ». Il s'agissait, prétendit alors son ministre des affaires étrangères, Abba Eban, d'une « carte » à jouer dans de futures négociations de paix. Tous les gouvernements successifs, y compris les plus à droite, comme ceux d'Ariel Sharon et de M. Benyamin Netanyahou, s'en tinrent officiellement à cette version. Sans que cela les empêche de coloniser de plus en plus massivement la Cisjordanie : de 5 000 colons en 1977, date de la première arrivée de la droite au pouvoir, on passera en 2017 à plus de 400 000, sans compter les 200 000 Israéliens vivant à Jérusalem-Est.
Ce flou présente un avantage politique et diplomatique majeur : il permet à Tel-Aviv de ne pas se prononcer sur le sort des Palestiniens. À l'inverse, annexer la Cisjordanie impliquerait d'accorder à ces derniers les mêmes droits que les Israéliens, y compris celui de voter, ce qui ouvrirait une longue bataille pour une égalité réelle dans le futur État commun. En cas de refus, l'État unique s'afficherait clairement comme une variante de l'apartheid sud-africain, un seul peuple s'arrogeant tous les droits.
Pour échapper à ce dilemme, un scénario plus noir encore reste présent : une nouvelle vague d'expulsions de Palestiniens de la Cisjordanie, voire de l'État d'Israël. Ce dernier ne serait pas devenu majoritairement juif sans la Nakba (« catastrophe » en arabe) de 1947-1949, qui chassa 850 000 Palestiniens, soit les quatre cinquièmes de ceux qui vivaient alors dans le pays. Il poursuivit ce nettoyage ethnique à la faveur de la guerre de 1967, avec la Naksa (« revers ») : 300 000 nouveaux réfugiés avaient alors fui les territoires occupés par l'armée israélienne. Et Sharon aimait à répéter que « la guerre d'indépendance d'Israël n'est pas terminée ». Depuis, le contexte a bien sûr changé. Difficile d'organiser une déportation massive devant les caméras du monde entier — du moins à froid. Mais à chaud ? La guerre en cours en Syrie crée un redoutable précédent : dans l'escalade des combats, en cinq ans, plus d'un habitant sur deux a dû quitter son foyer, dont près de la moitié pour l'exil.
L'extrême droite n'hésite plus à s'inscrire ouvertement dans la perspective de l'annexion. « Le chemin des concessions, le chemin de la division a échoué. Nous devons donner nos vies pour étendre la souveraineté d'Israël en Cisjordanie », affirme sans ambages le dirigeant du Foyer juif (3). Si le chef du Likoud partage cette ligne, il rechigne à l'afficher. Sa dernière volte-face en témoigne : le 5 décembre dernier, il a voté en première lecture la loi d'annexion, qu'il s'emploie désormais à enterrer !
Inquiétudes pour l'image du paysSes zigzags ne datent pas d'aujourd'hui. En 2009, dans son discours à l'université Bar-Ilan, M. Netanyahou admet, du bout des lèvres, la possible création d'« un État palestinien démilitarisé ». Six ans plus tard, à la veille des élections législatives, il jure qu'il n'y aura pas d'État palestinien tant qu'il sera aux commandes. À peine redevenu premier ministre, il se renie… et le nie : « Je ne suis revenu sur rien de ce que j'avais dit il y a six ans, lorsque j'avais appelé à une solution avec un État palestinien démilitarisé, qui reconnaît l'État hébreu. J'ai simplement dit que, aujourd'hui, les conditions pour cela ne sont pas réunies (4). »
Raison de ces acrobaties, l'isolement croissant de Tel-Aviv inquiète l'Institut d'études de la sécurité nationale (INSS). Il écrit dans son rapport annuel, qui fait autorité : « L'image d'Israël dans les pays occidentaux continue à décliner ; une tendance qui accroît la capacité de groupes hostiles à mener des actions pour le priver de légitimité morale et politique et lancer des opérations de boycott (5). » Si l'extrême droite n'en a cure, c'est qu'elle s'appuie, outre sur la nouvelle administration américaine, sur une opinion israélienne radicalisée. L'état de guerre permanent — renforcé ces derniers mois par l'« Intifada des couteaux » —, l'intensité de la manipulation médiatique, mais aussi, et sans doute surtout, l'absence de toute solution de rechange politique : autant de facteurs qui expliquent le ralliement de la majorité des Juifs israéliens aux thèses extrémistes.
Les sondages confirment en effet les résultats du scrutin du 17 mars 2015, qui a débouché sur la constitution du gouvernement le plus à droite de l'histoire d'Israël. Dans toutes les enquêtes, une majorité refuse la création d'un État palestinien, soutient l'annexion de la Cisjordanie et souhaite le « transfert » des Palestiniens, y compris — du jamais-vu — ceux d'Israël (6). En outre, six Juifs israéliens sur dix pensent que Dieu a donné la terre d'Israël aux Juifs — selon une boutade bien connue là-bas, même les athées le croient… À ce consensus contribue aussi depuis peu un puissant arsenal répressif contre les récalcitrants (lire « Série de lois liberticides »).
Un événement symbolise cette radicalisation à droite : les réactions au jugement du soldat franco-israélien Elor Azaria, accusé d'avoir, le 24 mars 2016, assassiné d'une balle dans la tête un assaillant palestinien déjà blessé, allongé à terre, inconscient, dans le centre d'Hébron. Soucieux de l'image de l'armée après la diffusion de la vidéo du meurtre dans le monde entier, l'état-major a voulu faire un exemple. Et le tribunal militaire, le 4 janvier, a jugé l'accusé coupable d'« homicide » — la sentence, encore attendue, pourrait aller jusqu'à vingt ans de réclusion. À condition que les trois magistrats ne reculent pas devant la levée de boucliers suscitée par leur verdict : le premier ministre et la quasi-totalité du gouvernement, presque toute la classe politique et le gros des médias exigent la grâce de l'assassin, comme 67 % des Juifs israéliens sondés. Devant la multiplication des menaces de mort, il a même fallu fournir aux juges une protection rapprochée, tandis que le chef d'état-major de l'armée était lui aussi inquiété par des extrémistes.
Le tournant qui se profile éclaire évidemment le sens de la résolution 2334 contre la colonisation, adoptée le 23 décembre 2016 par le Conseil de sécurité des Nations unies grâce à l'abstention américaine — une première depuis 1980 —, et de la conférence tenue à Paris le 15 janvier en présence du secrétaire d'État américain John Kerry. Il faut tout l'aplomb du ministre israélien de la défense Avigdor Lieberman pour y voir une « affaire Dreyfus moderne » : la « communauté internationale », États-Unis compris, s'est contentée de réaffirmer l'objectif des deux États et de condamner tout ce qui le compromet, en premier lieu la colonisation (lire les extraits du discours de M. Kerry).
La démarche américaine serait louable si elle n'intervenait pas aussi tard, et après que l'administration sortante a conclu un accord historique avec Tel-Aviv pour une aide militaire de 38 milliards de dollars sur dix ans. Mais le moment choisi n'est pas seul en cause. Plus grave encore : l'absence d'évocation d'une sanction potentielle dans ces manœuvres opérées à la dernière minute, juste avant l'arrivée de M. Trump à la Maison Blanche. Même si le leader centriste Yaïr Lapid nuance : « Cette résolution ne parle pas de sanctions, mais elle fournit l'infrastructure pour de futures sanctions ; c'est ce qui est alarmant. Cela peut donner corps à des plaintes devant des juridictions internationales contre Israël et ses responsables (7). »
L'évolution interne d'Israël démontre en effet, s'il en était encore besoin, que seule une forte pression internationale, assortie de mesures coercitives, économiques et juridiques, pourrait ramener ses dirigeants à la raison. Conscient de l'enjeu, le premier ministre israélien a d'ailleurs qualifié en 2015 la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) de « menace stratégique ». Selon la Rand Corporation, un think tank américain, celle-ci pourrait coûter à l'économie israélienne jusqu'à 47 milliards de dollars en dix ans (8). Car elle fait tache d'huile jusqu'au niveau institutionnel : dans nombre de pays, des fonds de pension, de grandes entreprises — en France, Orange et Veolia —, des banques retirent leurs investissements des colonies, voire d'Israël. L'Union européenne demande, elle, que les produits des colonies soient étiquetés en tant que tels, afin qu'ils ne bénéficient plus des avantages que l'accord d'association accorde à ceux d'Israël ; mais cette exigence a une portée plus limitée…
Une fois n'est pas coutume, un autre signal, politique celui-là, est venu de la Commission européenne, d'ordinaire si complaisante vis-à-vis de Tel-Aviv. Tout en se déclarant opposée au boycott d'Israël, la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Federica Mogherini, affirme : « L'Union défend la liberté d'expression et d'association, conformément à sa charte des droits fondamentaux, qui s'applique aux États membres, y compris en ce qui concerne les actions BDS. » Et de commenter : « La liberté d'expression, comme l'a souligné la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, est également applicable aux informations et aux idées qui offensent, choquent ou perturbent un État ou une partie de la population (9). »
Sous la conduite de MM. François Hollande et Manuel Valls, les autorités françaises ont, à l'inverse, obtenu des poursuites judiciaires et de lourdes amendes contre les activistes de la campagne BDS. Les actions de ces derniers ont été absurdement présentées comme une « incitation à la haine raciale », alors qu'ils militent pour la fin de la colonisation et l'égalité des droits. Un objectif qu'ils partagent avec… les Nations unies.
(1) L'Humanité, Saint-Denis, 30 novembre 2016.
(2) Voté par le Congrès en 1995, ce transfert n'a par la suite été mis en œuvre par aucun président.
(3) Jacques Benillouche, « En Israël, la tentation d'un État binational qui annexerait la Cisjordanie », Slate.fr, 29 octobre 2016.
(4) Le Monde, 19 mars 2015.
(5) Anat Kurz et Shlomo Brom (sous la dir. de), « Strategic survey for Israel 2016-2017 », Institute for National Security Studies, Tel-Aviv, 2016.
(6) Haaretz, 8 mars 2016.
(7) Le Monde, 23 décembre 2016.
(8) Financial Times, Londres, 12 juin 2015.
(9) The Times of Israel, 31 octobre 2016, http://fr.timesofisrael.com
En votant très massivement contre le « Brexit », les habitants de Gibraltar ont montré leur attachement à l'Union européenne, qui leur accorde de nombreuses dérogations et joue les médiateurs avec l'Espagne. D'une superficie à peine plus grande que celle du 20e arrondissement de Paris, ce territoire est à la fois l'un des plus riches du monde et le dernier à décoloniser en Europe, selon les Nations unies.
Peu avant le coucher du soleil, des dizaines de voitures et de deux-roues s'agglutinent devant le poste de douane. À la sortie de Gibraltar règne une atmosphère d'angoisse et d'ennui. Les travailleurs frontaliers devront attendre jusqu'à deux heures pour gagner, à peine cent mètres plus loin, La Línea de la Concepción, la ville andalouse voisine. Vêtus de vert sombre, armés d'un pistolet et d'une matraque, les agents de la Guardia Civil — une force de police espagnole à statut militaire — contrôlent minutieusement les véhicules, vérifiant qu'ils ne transportent pas des produits de contrebande dissimulés dans un double fond. Sur le territoire espagnol, le trafic illicite de tabac est une affaire lucrative : la veille de notre passage, la police avait saisi 70 000 paquets, soit l'équivalent de 315 000 euros de marchandise. Officiellement, les habitants de la région ont droit à quatre paquets par passage, et les touristes à dix.
Colonie de la couronne britannique, Gibraltar ne fait pas partie de l'espace Schengen. Les autorités espagnoles peuvent donc renforcer les contrôles aux abords de ce port franc où les biens et les services sont exemptés de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) (1). « Ces dernières années, la crise économique qui frappe l'Espagne a poussé certains chômeurs à la fraude. Une pratique qui a fait grimper les quantités de tabac confisquées », explique un membre de la Guardia Civil. Elles sont passées de 147 000 paquets en 2008 à près d'un million en 2013 avant de retomber à 330 000 en 2015, mais, précise-t-il, « l'assiduité des contrôles varie selon la couleur du gouvernement ».
L'Espagne, qui réclame la souveraineté sur la colonie, utilise à des fins politiques les inspections douanières, qui s'ajoutent à celles de la police à cette frontière de l'espace Schengen et entravent la circulation dans la zone. Alors que le contentieux s'était apaisé sous le gouvernement du socialiste José Luis Rodríguez Zapatero (2004-2011), l'accession au pouvoir, en 2011, des conservateurs du Parti populaire (PP) a ravivé la revendication de ce territoire à vocation militaire cédé à perpétuité aux Britanniques par le traité d'Utrecht, en 1713. « Jamais abandonnée, l'ambition de récupérer le Rocher [le surnom de cette colonie couronnée par un monolithe calcaire culminant à 426 mètres] a resurgi sous la dictature de Francisco Franco [1939-1975], qui est allé jusqu'à fermer la frontière à partir de mai 1968, rappelle Jesús Verdú, professeur de droit international à l'université de Cadix. Alors vue comme un ennemi, la colonie fait encore de nos jours vibrer la corde patriotique des Espagnols. Pourtant, il existe une grande méconnaissance de ce qu'est réellement Gibraltar : le moteur économique de la zone. »
La plupart des 120 000 habitants du Campo de Gibraltar, une « comarque » (division administrative espagnole) voisine de 1 500 kilomètres carrés formée par sept municipalités espagnoles, s'opposent à la restitution du Rocher. Dans cette région ravagée par un chômage de 35 %, la colonie a généré en 2013 près de 25 % du produit intérieur brut (PIB), soit deux fois plus que six ans plus tôt, d'après un rapport publié en 2015 par sa chambre de commerce. « Ceux qui, aux alentours, ont perdu leur emploi après la crise de 2008 en ont rapidement retrouvé un ici, où le chômage est pratiquement inexistant, indique M. Edward Macquisten, directeur de la chambre de commerce de Gibraltar. En 2015, on comptait environ 24 500 actifs, soit 7 500 de plus qu'il y a une décennie. Un tiers étaient des frontaliers. De surcroît, le PIB local dépasse 1,9 milliard d'euros, soit le double de ce qu'il était en 2008. » Ce « caillou » de 6,8 kilomètres carrés et 30 000 habitants est devenu l'un des territoires les plus riches du monde, en termes de revenu annuel par habitant.
Après avoir pris en 2002 des engagements visant « à améliorer la transparence et à mettre en place des échanges de renseignements en matière fiscale (2) », le territoire n'est plus considéré comme un paradis fiscal par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Pourtant, avec un impôt sur les bénéfices de 10 %, contre 30 % en Espagne, son régime fiscal très avantageux attire les entreprises, qui y élisent domicile uniquement pour réduire leurs coûts de fonctionnement, alors qu'elles exercent leurs activités dans d'autres pays. Ainsi, selon le gérant de la chambre de commerce, 20 % des véhicules du Royaume-Uni sont assurés par des compagnies domiciliées à Gibraltar, et une bonne part des Britanniques y effectuent leurs paris virtuels. Pionnière dans la légalisation du jeu en ligne, la colonie a attiré les vingt principaux casinos du Web.
Madrid ne reconnaît pas d'espace maritime au RocherSous le soleil méditerranéen, la vie est bien plus agréable qu'à Londres, le stress moins palpable. Le taux de criminalité est quasiment nul. Pour un Britannique, l'électricité, le téléphone et les loyers coûtent moins cher dans cette ville fortement imprégnée de style british, équipée de boîtes aux lettres et de cabines téléphoniques du même rouge qu'outre-Manche. Mais les prix du logement restent prohibitifs pour les habitants du Campo de Gibraltar, dont un sur dix travaille sur le Rocher : un loyer peut y être jusqu'à trois fois plus élevé qu'à La Línea de la Concepción. Les frontaliers sont les premiers affectés par ce litige géopolitique. « Lorsque les autorités espagnoles font pression sur la douane pour perturber les Llanitos [surnom des habitants de Gibraltar] et limiter les flux touristiques, elles punissent surtout leurs propres citoyens », estime le gérant d'une auberge de la ville andalouse.
Première commune voisine espagnole, La Línea de la Concepción se révèle bien morne. Plusieurs commerces ont dû fermer leurs portes. D'autres ont constaté une chute d'activité de près de 50 %, et même les bistrots se vident. « Le tourisme a diminué dans la zone et par ailleurs nous, Gibraltariens, évitons désormais de nous rendre en territoire espagnol comme nous le faisions auparavant, explique Mme Gemma Vásquez, présidente de la Fédération des petites entreprises de Gibraltar. Notre argent sort moins d'ici, puisque nous hésitons à aller siroter un verre à bas prix de l'autre côté de la frontière en raison des longs contrôles de douane ainsi que des attaques contre nos véhicules, qui se sont intensifiées ces dernières années. »
Le regain de tension remonte à l'été 2013, lorsque Gibraltar a interdit physiquement la pêche au chalut en créant un récif artificiel de soixante-dix blocs de béton hérissés de piques. Cette initiative « verte » provoque l'ire de l'Espagne, qui ne reconnaît pas d'eaux territoriales à la colonie et prend des mesures de rétorsion en faisant du zèle à la frontière. « Cette dénégation de la souveraineté d'un territoire sur les eaux adjacentes est une interprétation contraire à la convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, explique Jesús Verdú. Un non-sens, quand on sait qu'au XIXe siècle la discussion portait sur la délimitation des espaces maritimes entre la colonie et son voisin hispanique. »
Au litige relatif aux eaux territoriales s'est ajouté celui sur l'espace aérien. L'emplacement de l'aéroport local est contesté, car il appartient à une zone que les Gibraltariens se sont octroyée au XIXe siècle. Durant celui-ci, la fièvre jaune frappa à plusieurs reprises la colonie, et les Espagnols accordèrent à leurs voisins le droit d'installer un camp temporaire pour les valides au-delà des limites terrestres fixées par le traité d'Utrecht. Mais le camp se pérennisa après la fin de l'épidémie. À travers l'accord de Cordoue, en 2006, l'ancien gouvernement socialiste tenta un rapprochement avec les Britanniques et mit en place pour la première fois des liaisons aériennes entre l'Espagne et Gibraltar. Mais, très vite, la nouvelle administration abrogea cette convention. Depuis, aucun avion décollant de cet aéroport n'a le droit de survoler l'espace aérien espagnol. Et Gibraltar a été écarté du projet de « ciel unique européen ».
Si ses habitants ont voté massivement (à 96 %) pour le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne, Gibraltar bénéficie d'un statut unique et déroge à de nombreuses dispositions communautaires : en plus d'être dispensée de prélever la TVA, elle n'est concernée ni par l'union douanière, ni par la politique commerciale, ni par la politique de pêche commune.
« Depuis le “Brexit”, les voisins des deux côtés de la frontière s'inquiètent. L'économie ici est très dynamique, en grande partie grâce au statut particulier de Gibraltar dans l'Union européenne, poursuit Jesús Verdú. Les entreprises qui s'y sont délocalisées pourraient chercher un nouveau siège ailleurs en Europe. En outre, Bruxelles ne jouera plus les médiateurs dans un contexte de crise politique entre Gibraltar et l'Espagne. » Cependant, on ignore pour l'instant les conséquences réelles du « Brexit », et de nombreux habitants restent confiants. « Au fil des siècles, les Llanitos ont vécu dans l'adversité et ont toujours su s'adapter, déclare M. Macquisten. Ici, on vit en communauté, on est unis, et les gens, très entreprenants, savent saisir la moindre occasion qui se présente. »
L'Espagne voit le « Brexit » comme une chance. Ainsi, son ministre des affaires étrangères, M. José Manuel García-Margallo, s'est empressé de proposer une cosouveraineté temporaire qui aurait pour finalité l'annexion espagnole du territoire. Bien qu'un tel dispositif leur permette de rester dans l'Union européenne, les résidents de Gibraltar s'y opposent fermement. En outre, le Parti populaire exclut de négocier directement avec leurs représentants et refuse de reconnaître à ce territoire un autre statut que celui de colonie, conformément à la décision de l'Organisation des Nations unies (ONU) de le classer parmi les espaces non autonomes à décoloniser. « Depuis les années 1960, l'Espagne invoque le principe d'intégrité territoriale, arguant que la tutelle britannique sur Gibraltar détruit son unité nationale. Néanmoins, l'Assemblée générale de l'ONU se contente d'inviter les gouvernements des deux pays à débattre sur Gibraltar pour mettre fin à son statut de colonie », résume Jesús Verdú. Ces discussions ne doivent toutefois pas oublier les intérêts des Llanitos. En 1967, 99,6 % d'entre eux avaient exprimé par référendum leur attachement au statut de territoire britannique d'outre-mer. L'autonomie de gestion mise en place prévoit que la Couronne n'intervienne que dans les relations étrangères et la défense.
Le « Brexit » pourrait changer la donne de la médiation mise en place après les différends de 2013. La Commission européenne avait fortement recommandé de fluidifier la circulation à la frontière, où les contrôles méticuleux provoquaient d'interminables files d'attente pouvant durer jusqu'à neuf heures — tout en faisant chuter la contrebande par voie routière de près de 50 %, selon les autorités espagnoles. Engagée dès lors dans la modernisation des accès frontaliers, l'Espagne a fait passer de deux à quatre le nombre des voies d'entrée dans le pays, dont une réservée aux travailleurs frontaliers espagnols. Elle a en outre mis en place l'utilisation de scanners, de lecteurs d'empreintes digitales et de systèmes de reconnaissance faciale, et créé un espace pour la fouille des véhicules suspects. Quelques mois avant la fin de ces travaux, achevés à l'été 2015, M. García-Margallo a toutefois refusé d'alléger les contrôles douaniers en raison de la persistance de la contrebande, qui aurait coûté à l'Union européenne 700 millions d'euros entre 2010 et 2013 (3). La méfiance reste de rigueur, comme en témoigne l'enquête de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF), qui révèle des indices de trafic illicite autour de la colonie et l'implantation de mafias liées à ce commerce. Depuis le 1er janvier 2015, Gibraltar a donc été contraint de réduire l'importation de paquets de cigarettes de 110 à 90 millions.
« Notre souveraineté ne pourra jamais être négociée »Malgré l'impact économique du Rocher sur la zone, le gouvernement espagnol peine à prendre en compte l'avis des Gibraltariens. « Notre souveraineté ne pourra jamais être négociée. Nous sommes britanniques, et il faut respecter l'existence ici d'une population installée depuis trois siècles », martèle M. Fabian Picardo, ministre en chef de Gibraltar. D'après l'ONU, la population doit statuer sur son avenir, comme elle l'a fait pour la deuxième fois en 2002 : près de 99 % des habitants avaient alors refusé par référendum leur rattachement à l'Espagne. « Pas étonnant qu'ils souhaitent rester britanniques ! », lance M. Francisco Linares, un habitant de San Roque, petite ville fondée à une dizaine de kilomètres du Rocher par les exilés de Gibraltar. Après la prise de la ville en 1704, ses habitants furent en effet forcés de quitter les lieux au profit des Britanniques. Comme M. Linares, beaucoup ici rêvent du jour où le drapeau espagnol y flottera à nouveau. « Dès qu'un Llanito met les pieds au-delà de la frontière, il se rend vite compte de la différence de niveau de vie et se demande ce que l'Espagne peut lui offrir. Nos autorités doivent arrêter de considérer le Rocher comme un ennemi et s'impliquer dans l'amélioration de la zone afin de la rendre plus attractive aux yeux des Gibraltariens. »
Pas facile, cependant, de séduire une population aisée qui croit peu en la possibilité d'un bel avenir avec ceux qui la harcèlent depuis des siècles. Dans les bistrots, les conversations en anglais intègrent de moins en moins d'emprunts hispaniques. « Alors que le bilinguisme s'impose ici, des jeunes, comme mes enfants, rencontrent de plus en plus de problèmes pour s'exprimer en espagnol, remarque M. Peter Montegriffo, avocat, ministre du commerce et de l'industrie entre 1996 et 2000. Certes en raison d'une éducation assurée en anglais, mais aussi parce qu'ils associent le castillan à un pays hostile et refusent donc de le parler. » Plutôt que de chercher à y remédier, Madrid a décidé en 2015 de fermer les portes de l'Instituto Cervantes, qui veille à l'enseignement et la diffusion de la langue et de la culture espagnoles. Effaçant ainsi un peu plus leur empreinte sur ce peuple qui revendiquait pourtant auparavant une culture métissée.
(1) Mémo de la Commission européenne, Bruxelles, 24 septembre 2013.
(2) Lettre du ministre en chef de Gibraltar Peter Caruana au secrétaire général de l'OCDE, 27 février 2002.
(3) El País, Madrid, 13 août 2014.
En avril 1971, le journal maoïste « Tout ! » ouvre ses colonnes à des militants du Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR). L'un des auteurs, qui se présente comme « homosexuel, sale étranger, dangereux communiste », s'interroge sur son rapport à la politique.
Comme les « normaux », on a le droit d'avoir des mythes, et moi, j'ai commencé par en avoir aussi : comme homosexuel, comme homme, comme révolutionnaire, je croyais que tous les homosexuels étaient des gars chouettes, des alliés parce que des opprimés ; que tous les révolutionnaires seraient des défenseurs, vu que, à mon avis, c'était pas ma condition et mes habitudes sexuelles qui comptaient, (…) mais mon activité possible à leurs côtés contre le capitalisme. Mes deux expériences, mes deux vies m'ont déçu. Les homosexuels ne sont pas tous des amis. Ils appartiennent et ils défendent des intérêts de classe bien définis. [Les marxistes], devant le doute et surtout l'ignorance, et parce que Lénine ne l'a pas dit (…), devant la peur de faire une bêtise, ils préfèrent expliquer cette déviation en se basant sur la morale domestiquée dont ils ont (comme tous et nous-mêmes) été abrutis.
Tout !, n° 12, Paris, 23 avril 1971.
Dans les années 1990, un escadron d'experts internationaux s'est précipité au chevet de la Russie. Vingt ans plus tard, il se rendait en Grèce. Le premier pays faillit ne pas survivre au traitement de choc qu'on lui infligea : inflation galopante, pillage des actifs publics (« privatisations »), baisse brutale de l'espérance de vie. Quant au second, sa richesse nationale a fondu d'un quart depuis 2010.
Comment une discipline universitaire aussi prestigieuse que la science économique a-t-elle pu prêter la main à des erreurs de diagnostic aussi effarantes ? Et comment parvient-elle à dégager sa responsabilité des tourments qu'elle inflige encore ? Quelques-uns des économistes les plus réputés exercent leur influence auprès du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale, de la Banque centrale européenne (BCE, lire « La Banque centrale européenne, indépendante ou hors contrôle ? »), de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Or ces institutions n'ont pas seulement promu des choix – économiques, sociaux et politiques — presque toujours conformes aux intérêts du capital : elles ont étouffé les États qui s'en écartaient.
Au début de ce siècle, l'économie néoclassique (lire « Un foisonnement d'écoles de pensée ») avait brandi la théorie de l'« efficience des marchés » pour imposer des innovations financières telles que la titrisation. Celles-ci précipitèrent en 2007-2008 la crise dite des subprime, la plus grave et la plus durable depuis le « jeudi noir » d'octobre 1929. Des montagnes de dette publique et des dizaines de millions de chômeurs supplémentaires auraient pu susciter le réveil des « experts », leur examen de conscience ; il n'en a rien été. Plus l'économie se porte mal, plus ils durcissent les orientations qui ont failli. La crise des années 1930 avait en revanche ouvert la voie aux économistes keynésiens qui, à rebours des politiques déflationnistes suivies jusqu'alors, imaginèrent les stratégies économiques volontaristes des trois décennies suivantes.
Une barrière quasiment impénétrable d'équationsPourquoi n'a-t-on rien observé de tel après 2008 ? L'une des raisons est sans doute que, avec le temps, les économistes néolibéraux se sont installés au centre du pouvoir et ont dominé l'univers des sciences sociales (1). Leur interprétation des événements s'impose donc depuis, ce qui les protège de devoir jamais admettre leurs erreurs. La faute réside toujours ailleurs.
Afin de garantir leur insularité, leur entre-soi, et de rehausser le crédit d'une discipline qui fut assez largement littéraire avant la seconde guerre mondiale, les économistes dominants ont également érigé une barrière quasiment impénétrable de chiffres et d'équations (lire « “Les chiffres sont formels” »). Peu à peu, la science de la richesse sociale est devenue aussi technique, aussi spécialisée que la mécanique ou l'hydraulique : entre 1940 et 1990, la principale revue d'économie américaine a vu son contenu mathématique multiplié par treize (2).
Une science économique dogmatique s'est mêlée de tout régenterLa victoire idéologique et politique du néolibéralisme a fait le reste. De grandes théories postulant que l'individu serait avant tout un consommateur qui recherche la meilleure utilisation du revenu dont il dispose (voir « Le bonheur est dans la courbe ») balayèrent l'observation, jugée trop empirique, presque vulgaire, de la réalité des sociétés. Quelques économistes, dont Keynes, estimaient au contraire que la recherche du beau et du vrai, les relations de solidarité, d'amitié et d'amour, constituaient des objectifs humains au moins aussi déterminants. Non seulement leur intuition fut écartée, mais le versant le plus utilitariste, le plus dogmatique de la science économique s'est imposé et s'est mêlé de tout régenter : la famille, la fécondité, le mariage, l'histoire, les votes, la psychologie… Au point qu'on se demande ce qu'un tel impérialisme intellectuel, décidé à échafauder seul une théorie générale du comportement humain, concède encore comme domaine aux autres disciplines.
Tout ça pour quel résultat ? Au lendemain de la débâcle russe de 1998, le directeur d'un institut américain de prévision récapitula quelques-uns des grands postulats néolibéraux qui venaient de sombrer sous ses yeux : « L'idéologie du nouvel ordre mondial soutenait qu'il n'y a plus de lieux différents, que les gens raisonnables se comportent tous de la même manière raisonnable et que, dans ces conditions, éclairée par les conseils de Harvard et des financiers de Goldman Sachs, l'économie russe évoluerait elle aussi. On croyait qu'avec la croissance économique tout le monde en viendrait à ressembler à tout le monde. La prospérité conduirait à la démocratie libérale. Et la démocratie libérale transformerait les Russes en membres enthousiastes de la communauté internationale. Un peu comme les habitants du Wisconsin, mais avec un régime alimentaire plus riche en betteraves (3). » Pour lucide qu'elle fût, l'observation n'empêcha pas qu'on recommence à croire et à gouverner de travers quelques années plus tard. La crise russe passée, on prépara donc les conditions de la suivante.
On peut se demander comment tant d'« experts » ont imposé l'idée extravagante que les leçons de l'histoire, de l'anthropologie, de la sociologie, de la politique aussi, avaient cessé de compter. L'idée aussi que chaque société n'était plus qu'une argile malaxée par les « lois de l'économie », une économie certes peuplée d'humains, mais assimilables à des atomes et à des molécules. L'idée enfin que la communication et le commerce allaient dissoudre les différences entre les nations, favorisant la création d'un marché mondial porteur de prospérité et de paix.
Nous n'y sommes pas tout à fait, même si, pour certains économistes, la terre promise est déjà conquise : leur situation matérielle s'est améliorée au diapason de celle des business schools dans lesquelles ils enseignent et desbanques où ils conseillent les 1 % les plus riches qui se régalent de leurs théories. Pour les autres, beaucoup plus nombreux, le tableau que le FMI lui-même vient de dresser n'est pas aussi réjouissant. Dans une étude parue en juin 2016, l'institution de Washington a en effet admis que les politiques néolibérales qu'elle a promues depuis tant d'années n'avaient entraîné aucun rebond de la croissance, au contraire, et s'étaient accompagnées d'un envol des inégalités (4) (voir « Aux États-Unis, les riches creusent l'écart »). Quant à la mondialisation financière, chérie elle aussi par le FMI, elle a accéléré la fréquence des krachs et en a accru le risque. Trente ans de recettes économiques flanqués par terre…
À dire vrai, les auteurs de ce manuel s'en doutaient un peu. Mais leurs lecteurs pourront profiter de cet éclair de lucidité pour tout revoir avec un œil neuf, libre, curieux, rêveur même. Au risque de décider qu'il faut tout reprendre, tout recommencer.
(1) Marion Fourcade, Étienne Ollion et Yann Algan, « The superiority of economists » (PDF), Maxpo Discussion Paper, n° 14/3, Paris, novembre 2014.
(2) Michel Beaud et Gilles Dostaler, La Pensée économique depuis Keynes, Seuil, Paris, 1993, p. 105.
(3) George Friedman, « Russian economic failure invites a new stalinism », International Herald Tribune, Neuilly-sur-Seine, 11 septembre 1998.
(4) Jonathan D. Ostry, Prakash Loungani et Davide Furceri, « Neoliberalism : Oversold ? » (PDF), Finance & Development, vol. 53, n° 2, Washington, DC, juin 2016.
Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Cédric Parizot propose une analyse de l’ouvrage de Padraig O’Malley, The Two-State Delusion. Israel and Palestine: A Tale of Two Narratives (Viking, 2016, 5126 pages).
The Two-State Delusion s’interroge sur la pertinence d’une solution à deux États pour régler le conflit israélo-palestinien. Amorcée en 2010 par Padraig O’Malley, cette recherche avait pour objectif initial de tirer des leçons des négociations passées pour les appliquer lors de tentatives ultérieures. Sa conclusion est sans ambiguïté : non seulement la résolution du conflit à travers la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël ne convainc plus personne, mais elle est contreproductive.
Et pour cause : les obstacles qui s’y opposent n’ont cessé de se multiplier depuis le dernier quart de siècle. Ils sont de trois types. L’auteur explique tout d’abord (chapitres 1 et 2) que la persistance de la violence depuis le premier conflit israélo-arabe (1947-1949), et sa montée crescendo depuis le lancement des négociations d’Oslo (1993-1999), ont créé une situation de stress traumatique continu, qui a contribué à enfermer les deux populations dans des récits nationaux victimaires et irréconciliables. Pire, ce processus aurait favorisé une forme d’addiction au conflit, au sens où la perpétuation du statu quo et la reproduction de modèles avérés seraient pour ces deux populations et leurs dirigeants plus rassurants que l’exploration d’autres pistes de résolution.
L’auteur analyse ensuite les obstacles liés au processus même de négociation (chapitres 3 et 4). C’est certainement une des parties les plus intéressantes de l’ouvrage. Fort de son expertise dans la résolution des conflits, il montre que les échecs des 17 tentatives de négociation ne sont pas seulement dûs aux divergences à propos de ce que devrait être le futur État palestinien, à des conceptions différentes du processus de négociation, ou à des problèmes politiques plus ponctuels, mais qu’ils résultent également de la mauvaise préparation, organisation et gestion des procédures de négociation par les Israéliens, les Palestiniens et leurs parrains.
Enfin, dans les chapitres suivants, Padraig O’Malley souligne la nécessité de prendre en compte les évolutions politiques, économiques, sociales et culturelles majeures qui ont profondément transformé le contexte depuis le lancement du processus de négociation au début des années 1990. Il évoque successivement les nouveaux défis qui ont émergé avec la montée du Hamas, et les divisions politiques au sein de la société palestinienne (chapitre 5), la question du retour des réfugiés (chapitre 6), l’accélération et l’expansion de la colonisation israélienne dans les Territoires palestiniens occupés (chapitre 7), la dépendance de l’économie palestinienne à l’égard des bailleurs de fonds internationaux et d’Israël (chapitre 8), les transformations démographiques (chapitre 9), et enfin le processus de radicalisation des populations et leur perte de confiance dans la solution à deux États (chapitre 10 et Afterword).
Richement documentée, cette recher-che s’appuie sur des sources très diversifiées, ainsi que sur un corpus d’interviews réalisées par l’auteur avec plus d’une centaine de personnalités palestiniennes et israéliennes. Plutôt que d’apporter un éclairage véritablement nouveau sur la question, comme le laisse entendre la quatrième de couverture, ce livre offre un travail de synthèse des travaux déjà réalisés sur le conflit. Il confirme l’échec d’un projet que de nombreux universitaires, journalistes et politiques se sont efforcés de signaler déjà depuis la fin des années 1990.
Cédric Parizot
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Traduction de Jean Radvanyi. Publié dans Literaturnaia Gazeta le 19 mars 1961.
Vietnam reacted strongly again in response to a recent visit by a Chinese cruise ship to the disputed Paracel archipelago (Hoàng Sa to Vietnamese and Xisha to Chinese). Hanoi pressed for an end to the cruise ship visits, which since 2013 have taken hundreds of Chinese tourists on a sun-soaked holiday intended to cement Beijing’s claim to the island chain.
Vietnamese Foreign Ministry spokesperson Le Hai Binh strongly condemned China’s action, saying “Vietnam strongly opposes this and demands that China respect Vietnam’s sovereignty over the Paracel Islands and international law and immediately stop and not repeat those activities,”adding, “Those actions have seriously violated Vietnam’s sovereignty over the Paracel Islands and international law.”
China claims 90 percent of the South China Sea (or East Sea to Vietnamese) under its notorious “nine-dash line” and fought a war with Hanoi over control of the Paracels in 1974. Before the skirmish, Vietnam had control of some islands within the Paracel archipelago, China controlled others, and Taiwan also laid claim to some of the 30 islands and reefs.
According to Professor Toshi Yoshihara, of the Strategy and Policy faculty at the Naval War College, the Battle of the Paracels started as a clash between the Chinese and South Vietnamese navies. The fighting was short and intense, and “involved small, second hand combatants armed with outdated weaponry. The fighting lasted for several hours, producing modest casualties in ships and men.” The Chinese forces eventually prevailed, after three of the four Vietnamese warships had to retreat and the fourth sank with its captain on board. Dozens of southern Vietnamese sailors were killed, and China took control over the entire group of islands. Following Vietnam’s defeat, little mention of the battle has featured in Vietnamese media until 2014, some forty years later.
In 1979, Vietnam would fight another battle with China on their shared land border, with Chinese forces invading Vietnam to punish Hanoi for invading Cambodia to drive out the Chinese-backed Khmer Rouge leadership in Phnom Penh. Chinese forces would again fight the Vietnamese in 1988, after China seized six reefs and atolls of the Spratly Islands after a skirmish at Johnson South Reef.
The latest heated rhetoric from Hanoi follows a series of warming relations between the two Communist brothers, who had in recent months seemingly set aside their differences, including an effort by the Vietnamese government to silence protestors in Hanoi marking the 43rd anniversary of the China’s occupation of the Paracel Islands in January. But distrust of Chinese intentions is always present, and Hanoi has reportedly been actively fortifying its key holdings in the Spratlys, including the construction of a runway, tunnels and bunkers.
For now, there is little Hanoi can do (besides comments from diplomats) to counter Beijing’s efforts at furthering its claims through waging tourist-fare. Hanoi has established an office for the administration of the Paracels in the coastal city of Da Nang, loaded with maps, photos and historical documents to support Vietnam’s claim. And a new museum is in the works to bolster patriotism among its citizens. But beyond furthering its legal case, taking on China’s massive military strength is a daunting prospect for this much smaller nation of 90 million. Harassing civilian cruise ships will not win over the international community.
Perhaps the only safe response is tit-for-tat diplomacy, either offering Vietnamese tourists a cruise to the disputed Spratlys or turning back the hoards of Chinese tourists flocking to visit the areas in Vietnam where the Hollywood movie ‘Kong: Skull Island’ was filmed.
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