L’affaire est partie des réseaux sociaux et a choqué toute la planète : une vidéo a été partagée des centaines de milliers de fois et on y entend des cris d’enfants qui sont enfermés dans une cage. Qui aurait pu imaginer que cela se passerait aux États-Unis, au XXIe siècle, et qu’il s’agissait là du résultat d’une politique officielle, voulue par le gouvernement et totalement assumée ? La colère a alors bien souvent pris le pas sur la surprise et l’effroi, poussant finalement le Président à reculer.
Argument de campagne
Le monde entier sait pourtant que la question de l’immigration est centrale dans le dispositif Trump : ce dernier s’est fait élire sur une seule question, celle de la construction d’un mur à la frontière sud des États-Unis, celle qui sépare le pays du Mexique. Même si aujourd’hui beaucoup de ses partisans parlent d’un programme effectivement mis en œuvre, et de promesses qui le sont tout autant, ils étaient en réalité très peu à avoir retenu bien plus que cet argument de campagne, davantage martelé qu’une rengaine à la mode.
Ayant accédé à la fonction suprême, Donald Trump a frappé fort et vite : le « Muslim ban » a laissé en plein désarroi des familles qui débarquaient dans les aéroports américains et découvraient la mise en place de cette mesure… qui n’existait pas lorsqu’ils avaient embarqué dans leur avion quelques heures plus tôt. La protestation fut immédiate et planétaire.
A l’époque, déjà, ce fut la situation des enfants qui émut, rendant incompréhensible une politique brutale, appliquée sans aucun égard pour les individus. Bien en peine de détailler son programme, Donald Trump commença alors à épouser celui de l’aile la plus conservatrice du Parti républicain.
La nomination de personnalités controversées à de très hauts postes a inquiété : Flynn, Bannon, Miller, Gorka… Autant de noms qui sont tous synonymes d’une certaine idée de l’Amérique, insistant sur les valeurs chrétiennes, mises en danger, d’après ces responsables, par la montée de l’islam.
La politique migratoire de Trump est guidée par cette idée. L’interdiction de territoire, l’arrêt du programme en faveur des réfugiés, puis l’abrogation de la loterie ou encore la mise en place d’un autre type de contrôle des visas afin de favoriser une immigration « choisie » : tout cela n’est pas sans rappeler les programmes de Theodore Roosevelt du début du XXème siècle, puis les lois sur la mise en place des quotas de 1921 et de 1924.
Politique extrême
Ce qui frappe dans l’attitude de Donald Trump, c’est sa capacité à résister à la pression, malgré la vigueur de la protestation. Il a bien entendu dévissé dans le sondages dès février et a jeté dans le rue des milliers de manifestants. Mais jusqu’à son revirement du 20 juin, il considérait être sur la bonne voie, estimant que la fermeté paye en matière d’immigration : que cela envoyait un message fort aux pays étrangers, aux éventuels candidats à la migration, qui y réfléchissent désormais à deux fois, et à ses électeurs, qui ne regrettent pas leur vote, et peuvent penser avoir enfin trouvé quelqu’un qui reste droit dans ses bottes et sur les positions pour lesquelles ils l’ont envoyé à la Maison Blanche.
Certains ont cru y voir un assentiment à leur cause et, dès l’été 2017, des débordements se sont produits, lors de manifestation de nationalistes blancs. On a bien cru, à ce moment-là, que le Parti républicain allait se retourner contre le Président : mais les hommes politiques ne sont pas tous courageux.
Or ceux qui se sont dressés dans la critique ont tous pris la porte depuis. Les autres se sont rangés comme un seul homme derrière Trump et n’entendent plus faire entendre une seule voix discordante. Les électeurs eux-mêmes leur rappellent qu’il est là parce que c’est leur choix, et ils entendent imposer cette volonté à tous les élus : les primaires ont montré que ceux qui n’étaient pas d’accord étaient sanctionnés.
Un héritage du passé
La politique suivie par Donald Trump n’est pourtant pas surprenante, puisqu’elle n’est pas nouvelle. Tout comme pour le mur, dont il endosse désormais la paternité alors que cet ouvrage existe depuis plus de dix ans. Il a proposé de le consolider et de le faire plus haut (3 mètres de hauteur), pour remplacer ce qui n’est par endroits qu’une petite palissade…
Une politique plus dure a été mise en place dès 2005 par Michael Chertoff, le deuxième ministre de la Sécurité intérieure de l’histoire américaine, sous George W. Bush. L’Amérique était alors traumatisée par l’attaque du 11 septembre 2001, et Chertoff était l’un des co-auteurs du Patriot Act. Ce responsable a alors multiplié les initiatives pour rendre, de son point de vue, son pays plus sûr, plus « étanche », moins vulnérable.
L’idée de la politique de tolérance zéro a alors germé et a pris corps sous le nom d’opération « Streamline ». Son ministère a mis en place conjointement avec le ministère de la Justice un programme pour criminaliser l’entrée clandestine aux États-Unis. Concrètement, les personnes interpellées pouvaient être jetées en prison.
C’est exactement le même programme que Jeff Session a annoncé vouloir remettre en vigueur lorsqu’il a été auditionné par le Sénat après sa nomination à la tête du ministère de la Justice. Il répondait d’ailleurs à une question posée par Jeff Flakes, le sénateur de l’Arizona, très critique de l’action de Trump, mais qui avait lui-même été l’auteur avec John McCain d’une résolution sénatoriale soutenant cette politique de tolérance zéro. Dans les États frontaliers, on considère qu’il faut toujours faire plus pour lutter contre l’immigration clandestine.
Il s’agit d’enfants…
Ce qui effraie le plus dans cette politique reste le volet qui touche les enfants. Même du temps de Chertoff, qui avait été durement attaqué, critiqué, et même traité de « nazi », l’administration américaine n’avait pas eu recours à l’enfermement des enfants. Pour être très précis, cet enfermement est banni : une décision de justice qui remonte à 1997, Flores v. Reno, interdit d’appliquer aux enfants une punition infligée à leurs parents. Une loi de 2008, William Wilberforce Trafficking Victims Protection Reauthorization Act, interdit ainsi d’emprisonner les enfants avec leurs parents.
D’ailleurs, Donald Trump a demandé lui-même au Congrès de voter en urgence une loi corrigeant cet état de fait. Mais que veut-il corriger, et comment ? Il s’abstient bien de le préciser car aucun argument ne tient dans ce domaine.
Jusqu’à l’élection de Trump, les politiques publiques américaines, même les plus dures, avaient consisté à placer en résidence surveillée les familles d’immigrants clandestins, mais sans jamais séparer les familles. Un pas a donc été franchi et ces enfants, y compris des bébés ou de très jeunes enfants, se sont retrouvés enfermés dans des cages, sans avoir jamais commis le moindre crime.
Or l’Amérique n’aime pas quand on touche aux enfants et la réaction a été à la hauteur de cette transgression, obligeant Trump à reculer.
Un nouveau Trump ?
Le mur à la frontière Sud est un élément fondamental dans le dispositif du président des États-Unis : il l’a tant promis, et si fortement que ses électeurs ne comprendraient pas qu’il puisse être au pouvoir durant quatre ans sans obtenir un seul dollar pour sa construction. Cela ferait de lui un Président faible. Conscient de cet état de fait, et alors que l’échéance des élections de mi-mandat approche (mi-novembre), il lui faut agir dans l’urgence. S’il a peu de chance de les perdre (du moins au Sénat), elles constituent un marqueur fondamental dans la politique américaine. Dès le lendemain, on ne parlera plus que de la présidentielle de 2020.
En se servant des enfants, Trump espère ainsi exercer une pression suffisante sur le Congrès pour lui arracher le financement de son mur. Il avait échoué en janvier, en tenant de l’échanger contre la régularisation des DREAMers – encore des enfants, qui ont immigré très jeunes et ont grandi aux États-Unis. Il tente aujourd’hui un ultime coup de poker, qui l’entraîne sur des sentiers nauséabonds.
Vert comme le dollar. Vert comme le foulard des manifestants pro-IVG[1] (intervention volontaire de grossesse). L’Argentine a ces derniers temps changé de maillot. Passant du blanc céleste au vert. L’Argentine a adopté en première lecture et à l’arraché[2] une loi autorisant l’IVG. Le même jour elle sanctionnait un accord léonin avec le FMI.
Le ballon rond et la Coupe du monde bien sûr passionnent toujours les Argentins. Mais peut-être pas autant qu’en d’autres époques. L’équipe nationale, l’Albiceleste, a refusé de jouer une partie amicale avec Israël. Diego Maradona a défendu publiquement l’urgence d’une loi autorisant l’avortement. Tandis que les médias donnent le pouls quotidien du peso et du dollar, le billet vert de référence.
En dépit de la bienveillance bancaire internationale et de ses relais industriels et politiques, le président Mauricio Macri a fait une chute douloureuse au fond de la corbeille boursière. Surfant sur les impasses de la famille Kirchner, il avait gagné les élections présidentielles de 2015 et les législatives de 2017. Élu président, il a très vite tourné la page nationaliste de ses prédécesseurs justicialistes. La vérité des prix a été rappelée aux consommateurs de services publics. Les tarifs des transports (+37%), de l’électricité (+24%), du gaz, de l’eau, ont été relevés. Les retraites ont été « rabotées ». Les cotisations aux complémentaires santé ont été relevées. La création d’emplois a été déléguée au marché et aux entreprises qui ont bénéficié à cet effet de baisses d’impôts.
Les États-Unis ont retrouvé la place de partenaires privilégiés qu’ils avaient acquis à l’époque du péroniste Carlos Saul Menem à la fois dans le domaine de la diplomatie et de l’économie. Donald Trump a bien sûr remercié, mais n’a pas fait de cadeaux à son ami Macri. Contraint par la hausse des taux américains à dévaluer le peso, le président argentin a sollicité un prêt de 50 milliards de dollars au Fonds monétaire international(FMI). Un prêt conditionné, un prêt qui ne règle rien de fondamental. Le peso n’en finit pas de s’effriter. Et la lettre d’intention rendue publique le 14 juin n’annonce rien de positif pour les plus modestes : le FMI conditionne son apport à deux conditions, inflation à 1% en 2021 et déficit public à 0% en 2020. D’ores et déjà le gouvernement argentin a signalé qu’il allait réduire les aides aux populations les plus modestes via les subventions aux transports et à l’énergie. Il va réduire le nombre de fonctionnaires ainsi que l’investissement public. Le tout étant censé « dynamiser la compétitivité de notre pays ». Pour l’instant, les Argentins doutent : le pays est depuis plusieurs mois en rébellion, des retraités aux camionneurs, en passant par les syndicalistes.
Le président Macri a fait appel au sociétal pour amortir le choc. Faire oublier le recours au FMI, de triste mémoire en Argentine, et récupérer les points de notoriété ainsi perdus. Bien qu’à titre personnel il soit réservé, il a proposé le vote d’une loi autorisant l’IVG afin de répondre, a-t-il dit, à une demande populaire. 500 000 avortements clandestins seraient en effet réalisés en Argentine chaque année. Des dizaines de milliers de personnes, des femmes, mais aussi beaucoup de jeunes, se sont mobilisés et ont choisi d’afficher leur position pro-IVG avec des foulards verts. Cette marée a dépassé les attentes de Mauricio Macri. Tout comme les services de sécurité protégeant les accès du Congrès des députés. La loi a été adoptée dans la douleur. Les pro et anti ont échangé toutes sortes d’arguments pendant 23 heures. La majorité parlementaire « macriste » a implosé, tout comme d’ailleurs les oppositions, péronistes dans leur majorité. Les manifestants opposés à la loi, déconcertés par le résultat, drapés dans des bannières bleues et blanches, ont juré de se rattraper en septembre. Le Sénat doit en effet examiner d’ici trois mois le texte pro-IVG adopté par le Congrès.
Le Secrétaire du Trésor des États-Unis, Steven Mnuchin, a félicité Mauricio Macri. En signant un accord avec le FMI, « l’Argentine » selon le haut fonctionnaire nord-américain, « a pris le chemin de la croissance (..) en impulsant le développement du secteur privé ». Mauricio Macri, loin de Buenos Aires et du Congrès et encore plus de Washington et du FMI, n’en pense sans doute pas moins. Mais il annonçait au même moment dans le nord-est du pays, à Corrientes, la mise en œuvre d’un projet écologique de reforestation payé par une taxe de 1% sur les assurances automobiles : un bien nommé, compte tenu des circonstances, « Projet de sécurité verte ».
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[1] Les féministes argentines ont adopté le Vert comme symbole de leurs combats en 2003 au « XVIIIe Congrès national des femmes » tenu à Rosario
[2] Adopté par les députés le 14 juin 2018 par 129 voix contre 125 et une abstention
Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, répond à nos questions :
– À l’issue de cette rencontre, Donald Trump et Kim Jong-un ont signé un accord commun. Que doit-on en retenir ? Comment a-t-il été accueilli par la communauté internationale ?
– De quelle manière ce sommet s’inscrit-il dans la diplomatie du président Trump ?
– Comment interpréter la métamorphose diplomatique empreinte d’une relative “ouverture” de la part de Kim Jong-un ?
Le contraste est saisissant: samedi, Donald Trump est assis, les bras croisés, dans une position humiliante face à Angela Merkel, et ce mardi on le voit triompher en serrant la main de Kim Jong-un. Laquelle de ces deux photo montre le vrai Donald Trump ?
En réalité, aucune des deux… ou les deux à la fois. Donald Trump n’est pas un diplomate, et il n’a fait que prolonger une seule et même politique, du G7 à la rencontre avec le leader nord-coréen: America First! Ce qui s’est passé, à Charlevoix comme à Singapour, est un bon résumé du rapport qu’entretient Donald Trump avec le reste du monde: il ne voit celui-ci que comme un vaste espace commercial, où ce qui compte est de faire des affaires tout en perdant le moins d’argent possible. Et à ce titre-là, il n’y a rien de mieux que la paix pour faire du business! Mieux valait donc pacifier les relations avec la Corée du Nord, et le plus vite possible.
L’image du G7 est en effet saisissante: ce fut un sommet à 6+1, et Donald Trump est clairement apparu à part, en décalage avec tous les autres grands dirigeants du monde. Le multilatéralisme n’est pas sa tasse de thé, il affectionne bien au contraire le patriotisme et le protectionnisme. Pour ces raisons, il ne pouvait tout simplement pas soutenir l’accord final du G7, car celui-ci s’en prenait aux fondamentaux de sa ligne politique: les dirigeants occidentaux ont cherché à le mettre en pièces, et ils n’y sont pas parvenus.
S’agissant de Singapour, Donald Trump a clairement affiché son refus du multilatéralisme: il faut tout de même se souvenir que les sanctions contre la Corée du Nord ont été adoptées à l’unanimité par des résolutions de l’ONU, et mettent donc en jeu toute la communauté internationale! Trump, lui, est persuadé que seule une position bilatérale lui permettra de régler les problèmes du monde. Il veut jouer selon ses propres règles: pour lui, un conflit coûte de l’argent, or il est urgent d’en gaspiller le moins possible, et par conséquent de ne pas perdre une seule seconde. La Corée du Nord est à ses yeux une opportunité économique, un marché à conquérir.
Justement, pour une fois, Donald Trump n’a-t-il pas troqué son costume de businessman contre celui, bien plus gratifiant, de pacificateur de l’univers ?
C’est la posture qu’il s’est donnée, en effet! Certes de façon dithyrambique, comme toujours, et dans une avalanche de superlatifs. Mais à titre personnel, je reste intimement convaincu que cette posture est secondaire dans ses motivations, même si cela peut être très flatteur pour lui.
Je crois en réalité qu’il est persuadé de réussir, quoi qu’il arrive. Il faut avoir à l’esprit que la campagne présidentielle a été un moment fondateur dans sa vie. Il avait le monde entier contre lui! L’ensemble des nations, les démocrates, de très nombreux républicains, la presse, toute la bien-pensance américaine… Il était donné perdant sur tous les tableaux. Et pourtant, Donald Trump est devenu le 45ème Président des États-Unis d’Amérique. Il a gagné malgré tout et seul contre tous, d’où chez lui un sentiment de toute-puissance qui lui procure l’impression d’être en mesure de pouvoir résoudre tous les problèmes du monde.
Sur d’autres sujets, il a déjà fait montre d’un incroyable orgueil: «je vais être le plus grand créateur d’emplois que Dieu ait jamais créé!» avait-il déjà déclaré à propos du chômage. Il donne l’impression de n’avoir jamais connu d’échecs. Il en a, de fait, connu un seul: son incapacité à abroger l’Obamacare, puisque son projet a été rejeté par le Sénat l’été dernier. Mais il s’en est remarquablement bien sorti, en détournant l’attention de tous les journalistes à ce moment précis.
Ainsi, pour Trump l’invincible, faire la paix en Corée du Nord semble n’être qu’une péripétie, une tâche de plus parmi les travaux herculéens qu’il s’est promis d’accomplir. Je ne suis même pas certain que le Prix Nobel de la paix l’intéresse réellement… Même s’il est presque certain qu’on le lui proposera: je ne vois pas comment on pourrait l’éviter, l’accord de paix signé cette nuit est historique, et prévoit une dénucléarisation complète de la Corée du Nord. C’est un énorme succès.
N’est-il pas étonnant de voir Donald Trump soudainement engagé pour la paix, lui qui s’était fait remarquer par le passé pour des postures très belligérantes ?
Pas le moins du monde! C’est tout à fait conforme à ce que souhaitent les Américains, qui sont profondément attachés à leur puissance militaire. Donald Trump doit à tout prix maintenir cette intimidation, et afficher sa fermeté sur le plan militaire. Il a d’ailleurs considérablement augmenté le budget américain de défense, le portant à 700 milliards de dollars. En réalité, ce n’est pas contraire aux intérêts du pays, puisque l’investissement dans la défense fait marcher l’économie américaine et participe à rendre compétitive leur industrie d’armement. Et se poser comme artisan d’une paix durable avec la Corée du Nord ne signifie pas pour autant renoncer à faire montre de la puissance militaire américaine.
Donald Trump semble avoir personnalisé de manière très forte les relations entre les États-Unis et les autres États. Peut-il s’attribuer seul le mérite du sommet de Singapour ?
Certainement pas. En réalité, Mike Pompeo a fait son show durant toute la rencontre: on le voit assis au milieu de la table des négociations, juste à gauche du président américain, et il est sur toutes les photos. C’est lui, le réel artisan du sommet ; et maintenant qu’un premier accord a été signé, l’heure est à présent à la diplomatie, et c’est donc à son tour de jouer. Il s’était déjà déplacé trois fois en Corée, une en tant que directeur de la CIA et deux en tant que secrétaire d’État. Lors de sa nomination, Mike Pompeo a cessé d’être le «faucon» d’autrefois pour s’aligner entièrement sur les idées et sur la méthode de Trump. Il a toute la confiance du président, et dirige toutes les réunions. Il a également su écarter l’importunant John Bolton, qui aurait pu tout faire capoter et qui a été mis en retrait.
Il faut également mentionner tout le mérite de Moon Jae-in, le président de la Corée du Sud, sans qui rien ne serait allé si vite ni si bien. Il est tout entier dévoué à la paix, et ce sont aussi ses efforts qui ont payé dans l’engagement du processus de paix avec Pyongyang.
L’Algérie est dotée d’un fort potentiel géostratégique, humain et économique, qui devrait lui permettre de devenir une puissance régionale incontournable. Sa superficie (2,382 millions de km²) en fait le pays le plus vaste du pourtour méditerranéen et le plus grand pays d’Afrique. Sa population constitue une richesse considérable avec 41,3 millions d’habitants dont près des deux tiers ont moins de 30 ans.
Elle détient la seconde armée en Afrique du Nord, après l’Égypte (GFP 2018) et était le septième exportateur mondial de gaz en 2015.
La conjoncture géopolitique – caractérisée par l’instabilité régionale et la montée de la menace terroriste – et la rente pétrolière, le pétrole dépassant les 100 dollars le baril durant une quinzaine d’années, ont incité l’État algérien à moderniser son armée et à renforcer la sécurité des frontières, se dotant d’équipements technologiques de défense modernes (radars, appareils de communication, etc.).
Avec un budget militaire qui dépasse les dix milliards de dollars en 2017 (treize milliards en 2015), l’Algérie est classée septième dans la liste des pays importateurs d’armes dans le monde, avec 3,7 % du marché mondial entre 2013 et 2017, derrière l’Inde, l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis, la Chine et l’Australie (SIPRI, 2018).
La résistance de l’État algérien face à la menace terroriste dans les années 1990 et ensuite face aux convulsions de la révolte dite « Printemps arabe » en 2011 lui ont valu d’être un partenaire-clé – pour les États-Unis et l’UE – dans la coopération internationale pour la lutte contre le terrorisme au Maghreb et au Sahel, et de jouer un rôle central pour la stabilisation de la région.
L’Algérie trouve dans cette conjoncture une aubaine pour renforcer son poids stratégique et rivaliser ainsi avec le Maroc qui était jusque-là le partenaire privilégié des puissances occidentales.
Sur le plan économique, la hausse des cours du pétrole avait permis à l’État d’effacer sa dette extérieure et de lancer de grands projets de construction d’infrastructures et de centaines de milliers de logements, et de soutenir le développement d’entreprises locales qui accompagne la politique de libéralisation du marché destinée à encourager la croissance économique et la création d’emplois.
Pourtant, malgré ces avancées et cette stabilité apparente, l’Algérie est menacée par de graves crises internes et externes qui la fragilisent. La dépendance à l’exportation des hydrocarbures constitue un handicap majeur pour le développement économique du pays.
Les différentes réformes et politiques de libéralisation n’ont pas réussi à développer une économie productive susceptible de créer des richesses et des emplois et de réduire ainsi la dépendance à la rente pétrolière.
Le spectre de la révolte sociale
L’absence d’un système bancaire et financier modernisé entrave également le développement économique du pays, d’autant que le marché parallèle occupe une proportion considérable des échanges (environ 45 % du PNB).
C’est pourquoi la chute vertigineuse des cours du pétrole, en 2014, a plongé le pays dans une crise économique sévère qui risque de freiner la croissance économique et mettre en jeu la stabilité du pays.
La baisse de la rente pétrolière oblige l’État à recourir à une politique d’austérité – réduction des dépenses, suspension des subventions de produits de base, augmentation des prix et introduction de nouvelles taxes – des mesures qui frappent sévèrement les couches sociales pauvres et les classes moyennes.
La hausse relative des cours du pétrole en cette année 2018 ne réglera pas le problème financier du pays, compte tenu de la hausse de l’inflation qui induit une baisse flagrante du pouvoir d’achat des Algériens.
Le gel des recrutements dans la Fonction publique ne ferait qu’accroître considérablement le taux de chômage, renforçant ainsi le spectre de la révolte sociale, à moins que le secteur privé ne se développe de façon à absorber rapidement une proportion importante des jeunes candidats au marché du travail.
La situation politique suscite également beaucoup d’inquiétudes, notamment à l’approche des élections présidentielles de 2019.
Recul démocratique
La crise s’aggrave avec l’intention du président Bouteflika de briguer un cinquième mandat, créant l’incertitude quant à l’avenir du pays et un recul des principes démocratiques. La concentration du pouvoir autour du Président et de son entourage fragilise encore plus les institutions politiques en Algérie et entrave le projet d’une transition démocratique encadrée et maîtrisée.
D’autant que seuls les partis islamistes constituent pour le moment une opposition réellement structurée, face à l’effritement de l’opposition qui émane des courants n’ayant pas le religieux comme référent.
Ces crises évoluent dans un environnement régional hostile à cause de l’instabilité en Libye et au Sahel qui menace la sécurité du Maghreb et rend vulnérable les frontières algériennes, notamment avec l’accroissement et l’enchevêtrement du terrorisme (AQMI, EI) et de la criminalité organisée (trafic d’armes, drogue, etc.).
Cela s’ajoute au conflit du Sahara occidental qui oppose la RASD soutenue par l’Algérie et le Maroc et entrave ainsi toute coopération régionale : économique, sécuritaire ou autre.
Pourtant, la probabilité d’une déstabilisation du pays est à écarter. D’une part, les institutions publiques, principalement l’armée, sont solides. D’autre part, la population algérienne – marquée par le spectre libyen et syrien – ne serait pas séduite par une révolte armée en cas de grogne sociale, d’autant que des voies de protestations alternatives émergent au sein de la société civile encouragées par les nouvelles technologies.
En revanche, en cas de révolte sociale, des organisations terroristes ou criminelles, voire des groupes hybrides, pourraient profiter de la situation pour commettre des attentats dans le but de déstabiliser le pays.
En somme, quel que soit l’homme qui dirigera le pays après 2019 et la nature du régime, l’État algérien fera face à trois grands défis : préserver la sécurité du pays face à la menace terroriste et à l’instabilité régionale ; sortir de la dépendance à la rente pétrolière par le développement d’une économie productive locale ; et enfin préparer une réelle transition démocratique pour satisfaire une société qui aspire de plus en plus à l’ouverture politique et aux libertés individuelles.
En Italie, la séquence ouverte par les élections générales du 4 mars 2018 a finalement trouvé une forme de dénouement avec la prise de fonctions, le 1er juin, du gouvernement de Giuseppe Conte. Après une série d’épisodes pour le moins chaotiques ayant entouré sa constitution, l’attelage entre le Mouvement 5 étoiles (M5S) et la Ligue se lance désormais dans l’exercice du pouvoir.
De ce scrutin du 4 mars n’avait émergé aucune force politique en mesure de former une majorité, en raison notamment d’une loi électorale particulièrement complexe favorisant les coalitions et pensée par les partis « traditionnels » comme un moyen d’empêcher le Mouvement 5 étoiles de parvenir aux responsabilités. Seul, celui-ci récoltait le plus de voix, sans pour autant rejoindre le seuil nécessaire à la constitution d’une majorité. La Ligue, pour sa part, atteignait son plus haut niveau historique et dépassait, au sein de la coalition dite de centre droit, Forza Italia de Silvio Berlusconi. Hautement improbable il y a quelques mois encore, l’hypothèse d’un attelage de ces forces « antisystème » et d’extrême droite a néanmoins fini par se concrétiser.
Un exécutif en questions
Une première question qui se pose alors a trait au fonctionnement de ce nouvel exécutif italien. Universitaire et novice en politique, le président du Conseil Giuseppe Conte n’a jamais occupé de charges administratives et devrait être contraint par un contrat de gouvernement dans l’élaboration duquel il n’a que peu pesé. « Agira-t-il en simple notaire de ce contrat ou exercera-t-il ses prérogatives comme il doit le faire au titre de l’article 95 de la Constitution […] ? », interroge ainsi Marc Lazar[1].
Plus largement, c’est la capacité du M5S et de la Ligue à gouverner sur la durée qui interpelle. Peut-être nous faut-il ici toutefois rappeler que l’instabilité gouvernementale est une caractéristique structurelle de la République italienne et que la législature précédente, si improbable qu’elle ait pu paraître à ses débuts, était cependant parvenue à son terme.
Les deux formations présentent certaines convergences, mais aussi de nombreuses divergences. D’un point de vue programmatique, elles peuvent se retrouver sur les retraites, les questions migratoires ou encore certaines problématiques liées à l’Europe. Autant de thèmes mentionnés par le contrat de gouvernement qu’elles ont conclu, document qui, pour le reste, s’apparente assez largement à une superposition de leurs propositions respectives. Ici comme dans la répartition des portefeuilles ministériels, chacun a obtenu ses chevaux de bataille. Luigi Di Maio prend ainsi la tête d’un grand ministère consacré au Développement économique et le M5S est parvenu à imposer sa mesure – bien que sensiblement allégée – d’un revenu de citoyenneté de 780 euros pour les plus démunis. Le mouvement hérite également du ministère de la Justice, ce qui est assez symbolique du point de vue du narratif sur l’« honnêteté » qu’il articule depuis près d’une décennie. Matteo Salvini, quant à lui, devient ministre de l’Intérieur et sera donc en charge des questions migratoires. Et de même que pour le M5S, les principaux thèmes de campagne de la Ligue – notamment en matière de fiscalité et de sécurité – figurent dans le contrat de gouvernement.
Or l’un des paramètres qui, au lendemain des élections, rendait la constitution d’une telle alliance improbable résidait dans la question de savoir si la Ligue, étant donné le différentiel électoral entre les deux formations – environ 32 % des voix pour le M5S, contre environ 17 % pour la Ligue –, accepterait de n’être qu’une force d’appoint pour le M5S. Entretemps, Matteo Salvini a cependant fait montre à plusieurs égards d’un véritable sens tactique. Ainsi la Ligue n’est-elle absolument pas réduite à un tel rôle de supplétif au sein de l’attelage gouvernemental. D’aucuns y voient même une forme de « vampirisation » du M5S par la Ligue. En tout état de cause, le rapport – de forces ? – entre les deux formations sera l’un des paramètres centraux du fonctionnement de la coalition.
Des oppositions réelles, des alternatives en déshérence
Ce point focal des convergences et divergences est à la mesure de ce qu’il est possible de lire dans les électorats des deux formations. D’un côté, certains Italiens, notamment dans le Nord du pays, peuvent en effet alternativement porter leurs choix sur le M5S ou la Ligue. De l’autre, se pose cependant la question de la réaction des électorats respectifs en vue de prochaines échéances.
Ainsi la Ligue, si elle a lissé ses postures et étendu son influence géographique, n’en reste-t-elle pas moins un parti électoralement ancré au Nord de l’Italie. Or elle fait aujourd’hui alliance avec un mouvement qui obtient ses meilleurs résultats au Sud et, surtout, dont la mesure-phare, le revenu de citoyenneté, ne manquera pas d’être perçu par son électorat traditionnel comme une disposition conduisant, une fois encore, le Nord à payer pour le Sud. Du côté du M5S, à quelle réaction faut-il s’attendre de la part des électeurs de gauche déçus du Parti démocrate (PD) et / ou des partis en général face à cette alliance avec une formation d’extrême droite, quand les autres pourront y voir un accord avec un parti traditionnel ? En effet, la Ligue, du Nord à l’époque, a participé à plusieurs gouvernements de Silvio Berlusconi, alors que le M5S s’est construit sur le rejet de la « caste ».
Comme à l’habitude, ce même Silvio Berlusconi se tient prêt, à plus forte raison que son inéligibilité a récemment été levée par un tribunal de Milan. Il est cependant sorti politiquement très affaibli du scrutin du 4 mars, puisque Forza Italia a réalisé son plus mauvais score depuis sa création en 1994. Quant au PD, il a bien des difficultés et tarde à se défaire de l’emprise de Matteo Renzi. Pour le moment, aucune force politique n’est donc en mesure d’articuler une opposition concrète à l’attelage M5S-Ligue. Il en résulte une absence de représentation de l’opposition, à moins d’un an d’un scrutin qui pourrait consacrer un moment particulier de l’intégration européenne et voir l’arrivée d’une majorité europhobe au Parlement de Strasbourg.
Une nouvelle marge de l’Europe ?
Car cette convergence inédite de forces politiques contestataires au sein de l’exécutif de l’un des États membres fondateurs pose bien évidemment la question du rapport à l’Union européenne (UE). À ce titre, les séquences actuelles relèvent d’une histoire et d’une transformation véritablement italiennes, mais recoupent également des phénomènes observables ailleurs : crise des partis dits traditionnels et recomposition du champ politique, dont le spectre se déplace vers l’extrême droite, ce qu’en Italie confirme le contrat de gouvernement présenté par le M5S et la Ligue.
L’attelage de ces forces politiques peut laisser présager une forme d’antagonisme permanent avec l’UE. Les deux formations ont néanmoins gagné du temps en intégrant, au sein de l’équipe gouvernementale, des personnalités « europhiles » ou considérées comme rassurantes à Bruxelles et par les milieux d’affaires : Enzo Moavero Milanesi – qui fut ministre des Affaires européennes des gouvernements de Mario Monti et d’Enrico Letta – aux Affaires étrangères, Giovanni Tria à l’Économie et aux Finances – en remplacement de Paolo Savona, dont le nom avait été refusé par le président de la République en raison de positions critiques de l’euro et de l’Allemagne, et qui devient pourtant ministre des Affaires européennes.
Désormais gouvernée par le M5S et la Ligue, l’Italie va-t-elle basculer du côté des démocraties « illibérales » en Europe ? Faut-il craindre des formes de « déconsolidation démocratique »[2] ? Matteo Salvini a en tout cas déjà fait part de sa volonté de travailler avec Viktor Orbán pour « changer les règles » de l’UE. Et s’il est à ce stade difficile de présager de la suite, l’on peut identifier un certain nombre de signaux qui entrent en résonance avec des phénomènes de remise en cause de l’État de droit et des institutions observables en Hongrie ou encore en Pologne. Tout d’abord, le président de la République, Sergio Mattarella, a fait l’objet d’une contestation inédite par les deux formations après son refus de nommer Paolo Savona au ministère des Finances. Il y a là une forme de nouveauté du point de vue de la remise en cause des institutions établies. Ensuite, le contrat de gouvernement présenté par le M5S et la Ligue prévoit un comité de conciliation chargé de trancher les divergences, questions et autres interprétations autour du texte. Un organe extraconstitutionnel, en somme, que certains n’hésitent pas à qualifier d’anticonstitutionnel, et dont les décisions devraient néanmoins s’appliquer aux institutions. Ce même contrat de gouvernement avait d’ailleurs été soumis à la validation des militants, via des stands dans les villes pour la Ligue et sur Internet pour le M5S, ce qui ne manque pas d’interroger quant à la valeur que les deux formations peuvent accorder à la représentation politique[3].
Enfin, – à quel moment – cet attelage va-t-il être contraint, notamment en raison des engagements européens de l’Italie, d’opérer des concessions et de tempérer son programme d’un point de vue budgétaire ? Composé à la fois de baisses d’impôts et de mesures redistributives, celui-ci vise la fin de l’austérité et parie sur le retour de la croissance pour réduire la dette du pays. Il semble donc difficilement tenable. D’ores et déjà, les deux partenaires ont décidé de reporter à l’année prochaine la mise en œuvre du revenu de citoyenneté et de la « flat tax ». Peut-être faudrait-il craindre alors que ce programme ne se cristallise un peu plus encore sur ses aspects nationalistes et xénophobes.
[1] Marc Lazar, « L’Italie vers la peuplocratie ? », Telos, 4 juin 2018.
[2] Selon une formule utilisée par le philosophe Étienne Balibar. Voir sur ce point le dossier « Contestations démocratiques, désordre international ? », La Revue internationale et stratégique, n° 106, IRIS Éditions – Armand Colin, été 2017.
[3] Sur ces deux derniers exemples, lire Raffaele Simone, « Italie : un “contrat” de coalition “à l’encontre de la Constitution italienne” », Le Monde, 21 mai 2018.
Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.
Énième retournement de situation sur le sommet États-Unis – Corée du Nord. Le sommet entre le président américain et le dirigeant nord-coréen va finalement avoir lieu, le 12 juin à Singapour. Donald Trump a annoncé que le dialogue avec Kim Jong-un serait « un processus couronné de succès » et que les États-Unis n’imposeraient pas de nouvelles sanctions à la Corée du Nord durant les négociations. Cette victoire diplomatique et médiatique est source d’espoir pour la stabilité de la péninsule, mais un démantèlement de l’arsenal nucléaire nord-coréen ajouté à la signature d’un accord de paix semble encore incertain. L’analyse de Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.
Quels sont les intérêts tant pour la Corée du Nord que des États-Unis à tenir ce sommet le 12 juin ? Quels en sont les enjeux ? Quid de la Corée du Sud et de la Chine dans le processus ?
Ce sommet tant attendu, et dont la tenue a été chahutée par les inconstances de Donald Trump, est important pour les deux pays. Côté américain, le président fait face à une campagne électorale difficile en vue des élections mi-mandat qui se tiendront en novembre, et la rencontre avec Kim Jong-un est une victoire de prestige. Mais elle ne s’accompagne malheureusement pas d’une réflexion de fond, au sein de la diplomatie américaine, sur les objectifs de cet évènement, ni même sa finalité. C’est d’ailleurs ce qui explique la volte-face du président, qui a annulé subitement cette rencontre avant d’annoncer qu’elle se tiendra, jouant maladroitement une des partitions de son livre publié dans les années 1980 The Art of the Deal, mais traduisant surtout la difficulté à définir une position et cohérente parmi son équipe. Entre Mike Pence, Mike Pompeo et John Bolton, qui ne semblent pas sur la même ligne à propos de la politique américaine dans la péninsule coréenne, difficile de se faire une idée précise des attentes de Washington. Côté nord-coréen, cette rencontre est souhaitée depuis plus de vingt ans, et elle aurait pu avoir lieu en 2000, quand Madeleine Albright (secrétaire d’État des États-Unis entre 1997 et 2001) s’était rendue à Pyongyang. Le régime nord-coréen a toujours favorisé un dialogue bilatéral avec Washington depuis la fin de la Guerre froide, cela lui permettant non seulement de négocier ses capacités de nuisance directement avec la principale puissance militaire, mais aussi de se hisser au niveau de cette dernière. La reconnaissance du régime, une garantie sécuritaire ou encore la levée – même partielle – des sanctions sont ainsi au programme des négociateurs nord-coréens, qui sont, faut-il le rappeler ou s’en réjouir, en position de force. A Séoul et à Pékin, on se réjouit de ce sommet. On sait le rôle joué par Moon Jae-in, le président sud-coréen, et sa capacité à remettre son pays sur le devant de la scène dans ce dossier complexe. Et côté chinois, on mesure les effets vertueux d’une ouverture, même timide, de la Corée du Nord, et des opportunités économiques et commerciales dans la péninsule, en plus d’un apaisement des tensions.
La dénucléarisation doit être « complète, vérifiable et irréversible » affirment les États-Unis. Une réelle dénucléarisation est-elle envisageable de la part de Pyongyang ? Le flou ne persiste-t-il pas sur ce processus ?
La rhétorique américaine, si elle est louable sur le fond, traduit surtout un haut niveau d’impréparation de cet évènement. C’est d’ailleurs inquiétant, là où le flou serait plutôt une stratégie. Les propos de John Bolton, qui fit référence au « modèle libyen », en sont la parfaite illustration (mais relèvent sans doute, de sa part, d’une volonté délibérée), tout comme l’impatience de Mike Pence qui a rappelé aux Nord-Coréens qu’ils ne pourraient se jouer de Donald Trump (étonnante et presque naïve déclaration de la part d’un vice-président des États-Unis, qui lui valut une réponse cinglante de Pyongyang, pointant du doigt la « stupidité » de l’intéressé). La dénucléarisation peut être espérée, elle peut même être éventuellement envisagée à long terme, mais elle ne saurait à ce stade être exigée, surtout au préalable de tout accord. Ce serait par ailleurs demander à la Corée du Nord de « désinventer » la bombe atomique, or cela ne s’est jamais fait. C’est là tout le problème, ce qui nous conduit à considérer qu’il y a une sorte de malentendu entre les deux pays. La Corée du Nord veut négocier, on le sait, et c’est le cœur de sa stratégie. Mais si elle abandonne ses capacités de nuisance, elle perd tout son capital. Le négociateur qu’est Donald Trump est bien placé pour savoir que dans une négociation, il ne faut pas tout mettre sur la table d’entrée de jeu… Selon toute probabilité, la rencontre sera un succès, dans la mesure où un geste fort aura été fait par les deux pays. Mais, ne serait-ce qu’en référence aux accords de l’Organisation de développement énergétique coréenne (KEDO)de 1994 et leur échec, il ne faut surtout pas partir du principe que la dénucléarisation de la Corée du Nord s’engagera au soir du 12 juin. Celle-ci reste un espoir plus qu’une perspective.
À quelques jours du sommet de Singapour, les spéculateurs affluent à Dandong, la ville chinoise sur la frontière sino-nord-coréenne. Un modèle économique “à la chinoise” est-il envisageable pour la Corée du Nord ? Le pays le plus fermé du monde est-il prêt à opérer cette mue ?
Ne précipitons pas trop les choses sur ce point non plus, au risque d’une grande déconvenue. La Corée du Nord s’est engagée dans des réformes économiques, certes timides, mais qui traduisent une volonté de suivre un modèle économique à la chinoise, et en dépit de sanctions, les conditions de vie se sont améliorées en Corée du Nord. Pour autant, il convient de rappeler plusieurs choses.
D’une part, la montée en puissance économique de la Chine ne s’est pas, loin s’en faut, accompagnée d’une baisse de ses capacités militaires, et encore moins d’une ouverture démocratique. C’est élémentaire, et Pyongyang le sait parfaitement, mais est-ce le cas de l’administration Trump ?
D’autre part, cette « ouverture » économique de la Corée du Nord ne peut pas se faire de manière instantanée. La rencontre Trump-Kim peut ouvrir une nouvelle séquence, avec la levée de certaines sanctions, mais cela prendra du temps, et nécessitera des garanties réciproques. C’est pour cette raison que sur les perspectives de développement de ce pays très fermé, la double rencontre Xi-Kim et la poignée de main amicale Kim-Moon sont plus importantes que le sommet de Singapour, car ce sont les investisseurs chinois et sud-coréens qui sont déjà aux aguets, quel que soit le résultat de l’entrevue avec Trump. En privilégiant l’approche bilatérale avec Washington, et en organisant dans le même temps des rencontres, également bilatérales, avec Pékin et Séoul, Pyongyang a fait voler en éclat une gestion multilatérale de la sécurité dans la péninsule, qui a certes montré ses limites depuis plus de vingt ans, mais n’en demeure pas moins incontournable.
Le 11 juin prochain, un nouveau règlement anti-immigration réduira très sensiblement la possibilité pour les étudiants chinois de venir étudier aux États-Unis. Le but : mettre un terme à l’espionnage technologique engagé de longue date par la Chine afin de bénéficier des avancées réalisées par l’écosystème industriel et numérique américain. Cette mesure intervient certes sous l’autorité d’un président nationaliste et xénophobe, mais surtout à un moment de l’histoire où, grâce à leurs capacités technologiques, les Chinois menacent de déchoir les États-Unis de leur rang.
Depuis plusieurs mois, la communauté scientifique et les entreprises technologiques américaines s’inquiètent des mesures très restrictives de l’administration Trump contre l’immigration. Ces contraintes touchent particulièrement les pays musulmans (Muslim Ban), considérés comme des réservoirs de terroristes qui laisseraient leurs ressortissants les plus violents se fondre dans le flot des migrants.
De nombreux observateurs de l’économie américaine craignent depuis lors que la politique migratoire fédérale n’affectât l’ensemble de l’écosystème technologique américain, toujours en quête de nouveaux talents, en particulier dans le domaine de l’ingénierie. À juste titre puisqu’une grande partie de la recherche de pointe en intelligence artificielle (IA) s’est déjà détournée du pays pour renforcer d’autres pôles d’innovation, comme Toronto, Londres ou Pékin.
Lutter contre l’espionnage économique
Cette fois, l’administration Trump s’apprête à annoncer de nouvelles restrictions visant les étudiants chinois qui devraient prendre effet le 11 juin. Leurs visas seront limités à une année seulement pour ceux d’entre eux qui souhaiteront étudier dans les secteurs de haute technologie, comme la robotique, l’aviation ou encore l’informatique quantique.
Cette mesure intervient après des années de tensions entre Washington et Pékin autour de scandales d’espionnage industriel et technologique impliquant des étudiants et des ingénieurs chinois. De cette manière, le gouvernement américain entend réduire les possibilités de détournement d’informations sensibles qui, une fois aux mains des dirigeants chinois, seraient immédiatement exploitées pour nuire aux États-Unis, tant dans le domaine économique que militaire.
Le document, qui devrait encadrer ce nouveau dispositif réglementaire, prévoit que « les États-Unis réviseront leur procédure d’attribution de visas afin de réduire le vol économique par des agents de renseignement non traditionnels ». Et d’ajouter : « Nous examinerons les restrictions imposées aux étudiants étrangers en sciences et en ingénierie des pays désignés pour nous assurer que la propriété intellectuelle n’est pas transmise à nos concurrents, tout en reconnaissant l’importance de recruter la main-d’œuvre technique la plus avancée aux États-Unis. »
Combattre l’immigration ou attirer les cerveaux ?
À elle seule cette phrase résume le paradoxe qui ne cesse de tourmenter l’administration américaine. Guidé par la satisfaction des instincts primaires de ses électeurs, Donald Trump n’oublie pas qu’il s’est également engagé à redonner toute sa grandeur à l’Amérique ; et, dans le contexte actuel de forte rivalité entre les États-Unis et la Chine, cela suppose nécessairement le renforcement des capacités technologiques du pays. Or, les firmes technologiques américaines ont besoin de main-d’œuvre qualifiée, d’ingénieurs, de techniciens, de mathématiciens, que le terreau autochtone issu du système de formation domestique ne peut satisfaire à lui seul.
C’est pourquoi les critiques se sont immédiatement mises à pleuvoir lorsque des fuites ont révélé l’existence de ce projet. Les entreprises spécialisées dans les technologies d’avant-garde doutent de son efficacité. Pis, elles estiment qu’il affaiblira leurs capacités d’innovation, en particulier dans le domaine de l’IA. Dès le mois de décembre dernier, la RAND Corporation dévoilait une étude exhortant le gouvernement américain à assouplir sensiblement sa politque migratoire pour attirer les compétences technologiques en Amérique. Faute de quoi, les industries de haute technologie américaines accuseraient rapidement une forte pénurie de main-d’œuvre dans les secteurs traditionnels de la primatie américaine.
L’avance technologique, pierre de touche de la puissance américaine
Bien entendu, au-delà du tropisme chauvinique de Donald Trump, c’est bien davantage l’essor exceptionnel de la Chine dans le domaine des technologies émergentes qui nourrit l’inquiétude des grands acteurs de l’économie numérique américaine. Avec un budget annuel de 22 milliards de dollars consacré à l’IA, l’État chinois affiche des objectifs très ambitieux qui couvrent l’ensemble du spectre d’intervention de la puissance publique (économie, transports, santé, justice, police, armée…). À l’horizon 2025, ce budget devrait s’établir à 60 milliards de dollars. À titre de comparaison, Trump affirmait l’an dernier que le budget fédéral américain dédié à l’IA était de trois milliards de dollars…
Nombreux sont ceux qui désormais s’opposent frontalement aux desseins claustrophiles de l’exécutif. Eric Schmidt est de ceux-là. L’ancien patron de Google, puis d’Alphabet – il siège toujours au conseil d’administration du groupe – dirige aujourd’hui le DoD Innovation Advisory Board, un organe consultatif sur les questions d’innovation pour le département de la Défense. En novembre dernier, il appelait l’administration américaine à accueillir les chercheurs étrangers spécialisés en IA : « Préférez-vous qu’ils développent l’IA ailleurs, ou qu’ils le fassent ici ? » Avant d’ajouter : « L’Iran produit quelques-uns des plus grands et des plus intelligents informaticiens au monde. Je les veux ici ! Je veux qu’ils travaillent pour Alphabet et Google. Je suis très clair là-dessus. C’est dingue de ne pas les laisser entrer. »
Le constat d’Eric Schmidt est simple. À la croisée de la Silicon Valley et du Pentagone, il sait les carences qui affaiblisent les États-Unis dans le domaine technologique face aux efforts colossaux entrepris par la Chine pour les rattraper et les dépasser. « Dans cinq ans, nous serons probablement au même niveau que les Chinois », a-t-il indiqué. Pour celui qui a soutenu la candidature de Barack Obama puis d’Hilary Clinton, Donald Trump est en train de réduire à néant les chances des États-Unis de maintenir leur leadership technologique. Quand l’on sait le rôle déterminant qu’ont joué les progrès technologiques dans la construction de la puissance américaine, les restrictions apportées aujourd’hui par l’administration Trump risquent d’en accélérer le déclin.
Alors que la crise du Golfe dure désormais depuis un an, aucun signe d’apaisement entre les protagonistes ne permet d’envisager la résolution de cette » guerre froide » entre les monarchies du Golfe à court ou moyen terme. Au contraire, un sentiment d’escalade gagne la région depuis quelques jours avec les menaces proférées par l’Arabie Saoudite à l’encontre du Qatar. Alors que Doha attend la livraison de missiles S-400 russes, le roi Salmane aurait envoyé une missive aux gouvernements français, britannique et américain leur demandant de faire pression pour que ce système antimissiles ne soit pas livré. Quitte à envisager une action militaire contre l’émirat gazier qui refuse d’être le vassal de son grand voisin.
Pourtant, il y un an, beaucoup doutaient de la capacité de Doha à résister au blocus organisé par le « quartet », qui regroupe l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, l’Égypte et Bahreïn. Alors que le Qatar fait partie du Conseil de coopération du Golfe (CCG), ces États ont imposé à son encontre un blocus terrestre, maritime et aérien sous prétexte notamment de financement du terrorisme. Mais le Qatar a surpris ses détracteurs : Doha a déployé de nouvelles routes commerciales ; la banque centrale qatarie a puisé dans ses immenses réserves pour soutenir les secteurs bancaire et financier ; et son activisme diplomatique lui a permis de s’assurer de la neutralité, voire de la bienveillance, des grandes puissances. De plus, trois éléments clés expliquent en partie l’échec du quartet à faire plier le Qatar.
Portée très vite limitée du blocus
Tout d’abord, la portée très vite limitée du blocus. Si la fermeture de la frontière terrestre avec l’Arabie Saoudite est spectaculaire et si les interdictions de survol pénalisent fortement Qatar Airways, le Qatar ne subit finalement des sanctions que de quatre pays dont la puissance n’est pas considérable. L’impact aurait été très différent si ces sanctions avaient été adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies ou par les États-Unis. L’exemple iranien est une parfaite illustration de la force politique et économique dont dispose Washington pour dissuader les entreprises occidentales à commercer avec Téhéran et à investir en Iran. De plus, comme le secteur énergétique, le joyau de la couronne qatarie, n’est pas affecté, les dommages pour l’émirat ne pouvaient être que limités. Les exportations pétrolières et gazières, notamment celles de gaz naturel liquéfié, se sont poursuivies sans encombre.
Surtout, la stratégie du quartet s’est rapidement montrée amateuriste et inutilement jusqu’au-boutiste. Après le choc du 5 juin, le quartet a présenté une liste de 13 demandes complètement irréaliste. Parmi celles-ci, on trouve la fermeture de la chaîne Al-Jazeera, la réduction de ses relations avec l’Iran ou encore la fermeture d’une base militaire turque. Si le Qatar les avait acceptées, cela aurait impliqué une véritable capitulation et un renoncement à être un État souverain, ce qui était évidemment politiquement impossible. De plus, cette liste avait décrédibilisé le quartet, rendant difficile pour la communauté internationale de soutenir une telle démarche contre un pays qui compte finalement beaucoup d’alliés. Le secrétaire d’État américain de l’époque, Rex Tillerson, avait alors estimé que cette liste d’exigences n’était ni raisonnable ni réalisable.
Le quartet n’a quasiment rien gagné
C’est d’ailleurs l’une des grandes erreurs d’appréciation de la coalition anti-Qatar. Si les pays du quartet, Arabie Saoudite et Émirats Arabes Unis en tête, sont partis sabres au clair et fleur au fusil en pensant que le Qatar plierait rapidement l’échine, c’est qu’ils ne doutaient pas du soutien de l’oncle Sam. Des enquêtes des médias américains ont révélé que des lobbyistes embauchés par Riyad et Abou Dhabi avaient travaillé pendant des mois en amont du blocus pour convaincre le président Trump et son entourage. Après quelques déclarations et tweets du président Trump condamnant le Qatar, Mohamed Ben Salmane et Mohamed Ben Zayed, les deux principaux instigateurs du blocus, ont sans doute cru que toute la puissance de feu des États-Unis allait soutenir leur action contre Doha. Or Donald Trump n’est pas l’administration américaine à lui tout seul. Le Qatar est aussi un allié stratégique de l’Amérique, puisque la principale base militaire du Pentagone au Moyen-Orient se situe à Al-Udeid dans l’émirat, ce que le président américain avait sans doute oublié. Au sein de l’Administration, le département d’Etat et celui de la Défense ont pesé de tout leur poids pour éviter une escalade inutile pour les Etats-Unis et l’émir du Qatar a même été reçu en avril dernier à la Maison-Blanche. Car la vraie priorité de Washington dans la région est l’Iran et les querelles entre monarchies du Golfe affaiblissent l’alliance anti-Téhéran que souhaitent bâtir les États-Unis.
Un an après, le Qatar n’a donc pas plié et le quartet n’a quasiment rien gagné. L’opération est un fiasco et Riyad comme Abou Dhabi le savent. La question pour eux maintenant est de savoir comment sortir d’un blocus inutile et coûteux pour toute la région sans perdre la face. Aucun médiateur n’a aujourd’hui la réponse, bien qu’ils soient nombreux à avoir essayé. Il ne reste plus qu’à espérer que cette absence de solution ne pousse pas l’Arabie Saoudite ou les Émirats Arabes Unies à mener des actions inconsidérées qui pourraient embraser une région déjà sous très haute tension.